L’emballement du monde
Mes réponses au questionnaire pour les élu(e)s de Jean Gadrey

Une société d’experts et d’ignorants

6407162325_4595f539d7_mLa montée et puissance de la connaissance, de l’information et de la communication transforme en profondeur notre société, y compris dans son fonctionnement démocratique.

Aujourd’hui, chacun de nous est en capacité à atteindre une forme omniscience. Nous sommes capables, en quelques clics, d’avoir accès aux dernières informations scientifiques et à l’actualité partout dans le monde, quasiment en temps réel. Notre accès à l’information dépasse très largement notre capacité individuelle à capter cette l’information et à la traiter.

En parallèle, notre société moderne ayant réussi dans une large part à répondre aux besoins essentiels, elle s’est transformée dans une société du désir, avec comme corolaire, une hyper sollicitation individuelle (commerciale ou pas). Affiches, visuels, courriers, vidéo, autant de communications sous forme d’invitations qui saturent notre environnement quotidien.

Face à cette multitude de propositions et d’opportunités qui s’offrent à nous, l’individu va devoir faire des choix. C’est ce processus de choix, de tri, qui structure en profondeur la société.

L’individu va naturellement aller vers ce qui l’intéresse le plus. Mais la connaissance accessible et la capacité de mise en relation avec d’autres individus, aux profils de recherches identiques (mise en réseau réelle ou virtuelle), vont naturellement produire un « appétit » pour l’information et au final, une spécialisation forte. Le temps libre, la curiosité et l’émulation vont conduire tout un chacun à développer une forme expertise, sur un ou des sujets choisis.

Le processus de tri n’est pas raisonné, il se fait dans un état de vigilance passive, dans notre vie quotidienne. D’un coté, nous reconnaissons et captons au passage les informations qui nous intéressent et de l’autre, nous ignorons celles que nous considérons comme ayant peu d’intérêt. Mais à force d’ignorer, ne risque-t-on pas de devenir ignorant ?

 

La conséquence de ces deux processus est que notre société se clive. Il ne s’agit plus d’une séparation entre un groupe de « sachant » et un autre ne connaissant rien. Non, il s’agit plutôt d’un clivage par sujet d’intérêt, par thématique. Certains vont développer des expertises dans un domaine quand d’autres le feront sur un différent. La difficulté est de savoir comment ces « divers groupes » vont arriver à discuter ensemble, à faire société ensemble, alors que leur vision des priorités est par nature très différente.

Ainsi, il est courant dans les débats publiques de voir d’un coté des citoyens experts d’une question, qui souvent ont une posture, si ce n’est radicale, en tout cas très affirmée sur la question posée, et de l’autre, des citoyens qui viennent par curiosité, qui découvrent et ne savent pas (ou ne veulent pas) encore trancher.

Ce clivage est une difficulté sur le plan politique et démocratique, car la recherche de l’intérêt général nécessite de discuter d’un socle commun. Dans une société ou des petits groupes d’individus s’emparent de questions (pour différentes raisons), en acquièrent une large maitrise et proposent des options très engagées, mais que de l’autre coté, la majorité de la société ignore la question et ne prend pas position, l’arbitrage démocratique devient difficile.

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