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Bonheur, croyances et sens

6306941078_da1ef7a26e_mLa troisième condition au bonheur est un peu plus complexe que les deux premières : l’identité et l’autonomie. Elle s’inscrit dans un cadre que notre société moderne oublie, range au chapitre du passé, en négligeant son caractère fondamental. C’est la question des croyances, avec à ses cotés, la création du sens.

L’objet n’est pas ici de parler du cas particulier des croyances religieuses, même si dans les faits, l’émergence de la notion de BIB n’est pas à dé-corréler totalement de la notion de croyance religieuse. En créant le Bonheur National Brut comme indicateur alternatif au PIB, le roi du Bhoutan a bien essayé bien de mettre en lien l’économie, avec les valeurs du bouddhisme, sa religion.

Non, l’objet est plutôt ici de replacer la centralité des croyances dans leur sens le plus large, dans notre vie et notre société. Pour cela, deux citations valent mieux qu’un long discours.

« Davantage qu’un animal pensant, l’humain est un animal croyant. Ses croyances ne concernent pas que le religieux, mais aussi, par exemple, l’économie. »

Patrick Viveret, Philosophe

Et, puisqu’il est question d’économie :

« Comment savons-nous les choses, comment savons nous ce que nous savons ? Il me semble que les scientifiques ont une idée tout à fait déraisonnable sur ce plan : la plupart de nos connaissances ne s’appuient pas sur des preuves. Dans la réalité, la plupart de nos connaissances s’appuient sur des croyances raisonnables, des convictions. »

Daniel Kahneman, Psychologue, prix Nobel d’économie en 2002 et père de l’économie comportementale. (Magazine Sciences humaines de février 2013)

Le philosophe et le psychologue prix Nobel d’économie disent la même chose : l’être humain est avant tout guidé par un système de croyances. C’est à dire des faits pour lesquels il n’a pas réellement de preuves.

Rompant avec son passé, notre société moderne occidentale a placé la rationalité au sommet de sa pyramide de valeurs. Convaincu que la science, la planification ou la raison humaine supplante ce qui a conduit l’humanité depuis la nuit des temps, nous vivons dans le déni d’une réalité toute autre : l’humain fonctionne majoritairement au travers de son système de croyances. Nous sommes avant tout des « êtres croyants » !

Mais alors qu’est ce que croyance signifie ? Croire, c’est quoi ?

Paradoxalement, croire, c’est d’abord exprimer un doute. On ne dit pas : « Je crois que deux et deux font quatre », mais on dit : « Deux et deux font quatre ». C’est un fait. Par contre, des candidats à la veille d’une élection diront probablement : « je crois que l’on va gagner ». Pourtant, force est de constater qu’il y en a certains qui se trompent ! Il s’agit bien là d’une croyance, dans un évènement à venir. Et par définition, le futur est insondable.

L’économie, la politique, la société en général sont ainsi remplies de croyances. Quid du taux de croissance ? Quid des orientations politiques et de ce qu’elles produiront dans la réalité ? Quid d’une stratégie d’entreprise, d’un projet économique dans un environnement en mouvement ? Quid de ce que pense la personne en face de moi ? etc …

Notre perception du monde qui nous entoure se fait au travers de ce que l’on croit. Ainsi, pour prendre le dernier exemple, je n’aurai pas la même attitude vis-à-vis d’une même personne, si je pense qu’elle m’apprécie ou si je pense qu’elle ne m’apprécie pas. Ce n’est pas la personne qui change, mais ce que je crois qu’elle pense de moi. Mais l’expérience peut aussi être faite sur une politique, si la population y croit ou n’y croit pas. Ainsi, elle peut réussir, ou simplement échouer.

Nous avons besoin de croire, car nous avons besoin de remplir les vides laissés par l’incertitude du futur ou tout simplement l’absence de connaissance ou d’information. Nous ne savons jamais tout de l’environnement dans lequel nous évoluons. Le vide est insécurisant, il est source de peur et donc de mal-être. Pour avancer, nous avons besoin de vaincre cette absence d’information anxiogène, en nous projetant dans des croyances.

Nous avons besoin de croire pour être rassuré, pour être heureux : croire dans nos projets, nos espoirs, nos proches. Une société qui ne croit plus dans son avenir est une société dépressive. Idem pour une personne.

Derrière cette question de la croyance, se cache aussi celles de la confiance et de la bienveillance : la confiance dans l’avenir, dans un projet, dans une histoire ou une personne, mais aussi pourquoi pas en soi (c’est la question de l’estime de soi, traitée dans les deux premières conditions au bonheur). La bienveillance est aussi une déclinaison de la confiance envers une autre personne : son enfant, son ami ou même simplement dans les autres. C’est une condition au développement humain et la famille en est la plus grande démonstration.

Si la croyance est centrale dans notre vie et probablement une des conditions du bonheur, il n’est pas inintéressant de s’interroger sur ce qui construit les croyances, ce qui les crée et les rend solides.

Faire naitre une croyance, ce n’est pas donner des preuves de ce que l’on dit, sinon cela ne serait plus une croyance. Pour construire une croyance, il faut créer du « sens ».

Olivier Bobineau, sociologue des religions et auteur de « Les formes élémentaires de l'engagement. Une anthropologie du sens » donne une définition du sens que je trouve particulièrement éclairante (et simple). Il définit le sens par ses trois définitions :

  • Le sens, c’est d’abord la notion de direction : aller dans un sens ou dans l’autre, (contre-sens ou sens interdit). C’est donc donner une orientation à son propos.
  • Le sens, c’est ensuite une signification : donner le sens d’une phrase ou d’un projet, c’est faire comprendre ce que cela signifie, c’est expliquer, rendre visible ce qui ne l’est pas forcément au premier abord. C’est donc donner du contenu, de l’épaisseur à son propos.
  • Le sens, c’est enfin ce qu’il appelle l’incarnation : rendre visible quelque chose par notre système sensoriel : nos « cinq sens ». C’est donner réellement vie à quelque chose, c’est le faire exister au-delà des mots. C’est incarner, personnifier le propos, en être l’interprète. Cela rejoint la notion d’exemplarité sur ce que l’on dit.

Pour l’auteur, créer du sens, donner du sens, c’est allier les trois choses à la fois. Une parole claire et limpide mais désincarnée ne fonctionnera pas, tout comme une parole très incarnée mais ne donnant pas de direction n‘entrainera personne, par exemple.

On comprend ainsi pourquoi les grandes entreprises ne fonctionnent plus lorsque les Directions (notons le terme Direction, au passage !) demandent aux salariés de se serrer la ceinture pour des raisons de compétitivité, mais que les salaires de ces mêmes dirigeants ou des actionnaires flambent. Manque d’incarnation.

En politique, le parallèle est le même. Comment amener les citoyens à croire et à s’engager dans une politique, si on ne se l’applique pas à soi-même.

Le sens a donc un rôle fondateur dans la structuration de nos croyances.

Pour revenir à la question du bonheur, je crois qu’il y a une interdépendance forte entre la croyance et le sens. Nous avons besoin de chercher du sens au monde qui nous entoure, pour structurer et consolider notre système de croyance. Mais à l’inverse aussi, nous avons besoin de croyances fortes pour donner un sens aux actes que nous faisons. Pour trouver le bonheur, il faut probablement trouver une forme d’harmonie entre les deux.

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