Repenser la gauche, face aux deux droites
Repenser la gauche et sécuriser les parcours politiques

Repenser la gauche, et son unité

Lors des dernières élections européennes tout comme lors du 21 avril 2002, la gauche s’est faite éclipsée par l’extrême droite, moins pour son score que du fait de son propre éparpillement. Alors que la droite s’est rassemblée au sein de l’UMP, la gauche n’a cessé de se diviser. Y compris en interne au Parti Socialiste, la lutte des courants développe les tensions et donne une lecture complexe de notre fonctionnement. Certains voient dans cette diversité une richesse. Il est clair que dans le fonctionnement démocratique qui arbitre par élections, il s’agit en premier lieu d’une faiblesse.

Dans son livre, « Les formes élémentaires de l’engagement », le sociologue Olivier Bobineau donne une lecture intéressante de l’émancipation humaine, qui colle parfaitement à ce que l’on retrouve à gauche. S’appuyant sur le travail de Jean-Baptiste de Foucauld, il décrit « les trois cultures politiques qui permettent le développement humain : la résistance, la régulation et l’utopie. »1

La résistance est la culture historique de la gauche. C’est celle des combats pour gagner pas à pas les avancées sociales. C’est aussi celle où l’on retrouve le syndicalisme français par exemple. C’est celle d’un mouvement politique qui s’oppose à un ordre établi. Sur l’échiquier politique français actuel, c’est probablement le Front de gauche qui la symbolise. Au sein du parti socialiste, on parlerait de l’aile gauche du parti (dont est issu Jean-Luc Mélenchon d’ailleurs).

La régulation est globalement la culture de la gauche lorsqu’elle est « aux responsabilités », comme on dit. C’est celle d’un gouvernement de gauche, où il s’agit de négocier et d’arbitrer entre les meilleures ou les moins mauvaises solutions. C’est la gauche des compromis, comme certains l’appellent. En France, c’est le Parti socialiste qui incarne cette culture à gauche. Au sein même du Parti, on pourrait dire que c’est le courant social démocrate qui s’en rapproche le plus, même s’il n’en a pas le monopole.

L’utopie est la culture du changement radicale, de la projection dans un futur où les projets deviendraient possibles. C’est une clé de l’engagement et de la motivation pour rentrer dans un mouvement, pour se donner un objectif qui mobilise. Aujourd’hui au niveau politique, on retrouve deux tendances : les mouvements plutôt orientés sur l’utopie sociale et ceux plutôt orientés sur l’utopie l’écologique. On retrouve évidemment EELV sur l’écologie, c’est un peu plus épars concernant la dimension sociale qui est plus ancienne. Au sein du Parti socialiste, nous avons maintenant des courants écologistes qui tendent vers cette culture, mais il existe aussi le courant trans-partis Utopia.

La vérité à gauche n’appartient à aucune de ces cultures, mais à toutes et c’est bien là le problème actuel. Du fait de la compétition qu’engendre le processus électoral (en interne, comme en externe), les partis français et notamment le PS, se sont fragmentés dans cette diversité de cultures. A lieu de garder une unité et donc un équilibre, une cohérence globale et un enrichissement mutuel, nous avons assisté à un morcellement.

Cette organisation a conduit chacune des formations à se spécialisées et à concevoir les autres cultures comme un risque pour elle-même. En France par exemple, parler d’écologie peut être vécu comme faire le jeu d’EELV, parce que la question a été politiquement privatisée très en amont. Ce travers apparait moins dans d’autres pays où la question de l’écologie est plus largement partagée … et souvent plus avancée du coup !

Par ailleurs, si les formations ont gagnées en qualités dans leurs spécialités respectives, elles ont moins travaillé d’autres, tout autant essentiels. Les « utopistes » ont parfois du mal à être pragmatiques et à affronter le réel. Les « résistants » ont parfois du mal à aller vers d’autres opinions et les perçoivent d’abord comme un risque. Les « régulateurs » manquent parfois d’idées nouvelles et peuvent sacrifier le fond à la négociation.

Enfin, ne nous le cachons pas, cette fragmentation des cultures de la gauche est aussi le produit de stratégies individuelles ou de groupes d’individus. Il s’agit d’un découpage en part de marchés de la gauche, au profit de luttes de pouvoir. C’est observable sur la question des courants en interne aux partis, mais c’est aussi vrai sur la multiplicité des candidatures à des élections.

Pourtant, la gauche est une, et ces trois cultures sont parfaitement indispensables et complémentaires. Pour prendre un exemple que je connais bien, on peut être syndicaliste le lundi et être plutôt sur une culture de résistance dans un rapport au pouvoir (employeur), élu le mercredi et devoir jongler avec les contradictions et les limites, pour enfin s’autoriser le samedi à rêver à la société que l’on aimerait laisser à ses enfants. Rien d’incompatible là-dedans. Rien de contradictoire dans chacun des cas. Juste un positionnement fonctionnel différent qui donne à chaque fois une perspective autre.

La segmentation est bien une culture de notre temps, mais elle est mortifère pour la gauche. D’abord parce que c’est en alliant ces trois cultures que nous progressons le mieux dans chacune des trois, mais aussi parce que nos divisions et notre incapacité à nous rassembler fait le jeu de la droite et maintenant de l’extrême droite.

1 « Les formes élémentaires de l’engagement, un anthropologie du sens » de Olivier Bobineau - pages 116-120

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