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Gratuité des transports publics, quelques réflexions partagées

Free or not freeA l’occasion des journées de Dunkerque sur la gratuité de transports publics, les élus LREM de Brest nous font encore croire au refus du débat sur le sujet par la majorité (ici). Il n’en est rien. Ci-dessous l’échange intéressant que j’avais eu avec un internaute sur les réseaux sociaux début juin, auquel je rajoute un petit complément. Par contre, on attend toujours leurs arguments ... à eux !

Question posée par un internaute : Sur la gratuité des transports publics, y a-t-il un lieu, physique ou en ligne, où c'est discuté ? Je serais curieux de connaître les arguments pour et les arguments contre dans le cas de Brest. Et plus généralement, tout le débat sur les mobilités à Brest (ville centre, métropole, pays).

Ci-dessous la réponse que j'avais faite :

« Je ne crois pas qu’il y ait un espace de débat sur Brest sur la question de la gratuité des transports (pas à ma connaissance en tous cas). Pas plus que sur l’ensemble des déplacements. Mon impression est qu’en dehors de la collectivité (qui a nécessité à avoir une vision globale) les analyses/débats autour des déplacements restent très segmentés entre piétons, vélos, automobilistes, transports en commun. Les relations peuvent même parfois être conflictuelles dans l’usage respectif de l’espace public. Il y a des assos ou des collectifs autour de ces différents thèmes, mais il ne me semble pas qu’une asso développe une lecture complète de la question des déplacements sur le territoire. Mais je me trompe peut-être !

Pourtant, tu as raison, c’est la bonne distance qu’il faut avoir sur cette question. Aucun des modes de transport ne se satisfait à lui-même. Nous sommes sur des complémentarités de modes de déplacements. S’il faut bouger les choses, c’est sur certaines proportions d’usages en fonction d’objectifs donnés. Vu de ma fenêtre, le premier objectif est la question de la maîtrise des dépenses énergétiques non renouvelables et du dérèglement climatique. Environ un tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) viennent des déplacements et la part de la voiture à un seul conducteur sur des petits trajets est forte. L’objectif n’est pas tant de supprimer les déplacements en voiture que de les remplir lorsqu’elles se déplacent !

Sur la gratuité des transports en commun, il n’y a pas eu vraiment de débat à Brest car personne ne l’a jamais vraiment porté « sérieusement ». Notamment parce que le premier obstacle, c’est le coût de cette mesure, comme je l’explique dans une précédente note ici (il faut trouver à financer 12 M€ !) Tant que l’on n’a pas dit comment on financerait ce coût, ou quelle baisse de dépenses on ferait ailleurs, cela reste des paroles en l’air. Pour donner un ordre de grandeur de ce que représente ces 12 M€ à financer, c’est de l’ordre de 8 à 10% qu’il faudrait trouver sur le budget principal de la métropole (hors budgets annexes déchets, eau et déplacements). C’est beaucoup !!

La bonne question serait de savoir pourquoi il faudrait mettre la gratuité ?

Je ne connais évidemment pas toutes les situations françaises sur la question, mais des villes sont ou sont en train de passer à une gratuité totale en 2018, et pas que des petites qui ne pourraient pas se comparer à Brest. L’exemple de Dunkerque que l’on trouve sur internet est instructif. Dans le discours, ils ont fait bondir la fréquentation de 78% le weekend en mettant les bus gratuits le weekend … et en septembre, ils passeront à toute la semaine de gratuit … Génial non ?!! Sauf qu’il faut aller creuser un peu dans les chiffres que l’on trouve dans ces articles, notamment ceux sur le financement du service. En 2016, quand ils commencent à penser la gratuité, l’usage du réseau de transport public est faible à Dunkerque. La billetterie finance moins de 10 % du coût du service, quand elle en finance plus de 30% à Brest métropole ! La gratuité leur coûtera 4,5 M€, quand une estimation à la louche à Brest est de 12 M€. Cela veut dire quoi ? C’est que l’on ne compare pas deux choses identiques. Mettre la gratuité sur un réseau de transport qui ne fonctionne pas bien, ce n’est pas du tout pareil que de la mettre sur un réseau de transport qui fonctionne bien … et trouve de lui-même un autofinancement par l’usager, via la billetterie, pour continuer à se développer. Même avec un bond de 78% à Dunkerque, nous faisons encore mieux de 30% à Brest en matière d’usage de notre réseau de transport public … et donc de performance !

Article sur Dunkerque

Un autre exemple que j’ai trouvé sur internet est celui de l’agglo d’Aubagne dans le sud de la France qui a plutôt des très bons articles sur une gratuité engagée depuis presque 10 ans. Du coup, là aussi j’ai regardé les chiffres. En 4 ans, ils ont fait progresser leur fréquentation de +173%. Top !! Quand on regarde plus en détail, avant le passage à la gratuité, ils affichaient un nombre de voyages ramené au nombre d’habitants de 18 voy/hab/an, qu’ils vont faire « exploser » à 31 en quatre ans (+173%). Dans les statistiques 2017 de Bibus (p139 rapport délégataire), le nombre de voyage est de 26 millions sur un an. Divisé par 213 000 habitants, cela donne … Brest : 122 voy/hab/an, soit 4 fois mieux que l’agglo d’Aubagne qui est tant vanté pour avoir fait grimper ses chiffres avec la gratuité !

Article de 2013 sur Agglo Aubagne

Doc de 2009 sur gratuité à Aubagne

Une initiative à suivre est peut-être celle de l’agglo de Clermont qui lance une étude sur le sujet avec des ratios assez proche de ceux de Brest. Ils auraient près de 15 M€ à trouver et compte le faire via une augmentation du versement transport si j’ai bien compris (ce qui n’est pas possible à Brest où cela ne fiancerait qu’un tiers des 12 M€, sans laisser de marge pour la seconde ligne de TCSP d’ailleurs). Nous verrons bien ce que cela donne. De toutes façons, suite à la contractualisation Macron qui limite les budgets à 1,2% d’augmentations par an, je doute que cela laisse beaucoup de marge de manœuvre à ce type d’initiative. Mais c’est à suivre …

Sur le sujet des transports en commun, la vrai question est probablement celle du bon indicateur. Au regard des enjeux attendus (dérèglement climat & maitrise de l’énergie), le prix (ou la gratuité) du ticket est-il vraiment un bon indicateur ou alors vaut-il mieux privilégier la qualité du réseau et le nombre de passager qui s’en servent ? Parce que les deux : gratuité ou performance ont un coût. Quand on a investi dans la première ligne de tramway à Brest, la fréquentation a bondi de 20 à 30%, sans baisser les tarifs. C’est l’investissement dans la qualité qui a produit cela. Personnellement, je préfère donc que nous investissions dans une seconde ligne de tramway pour continuer à faire progresser la fréquentation (ce qui aura un cout moindre que la gratuité sur la durée), plutôt que de baisser les tarifs.

Voilà, sur cette question de la gratuité des transports en commun, il n’y a pas de solutions idéales, mais des choix entre solutions différentes … et probablement aussi des affichages politiques trompeurs. Le choix de Brest est depuis des années de soutenir et développer un réseau de transport de qualité. Nous n’avons pas caché viser la mise en œuvre d’une seconde ligne de TCSP. Il est clair qu’au niveau finance, on arrivera jamais à faire de la gratuité (même partielle ou alors ce sera cosmétique) et passer une seconde ligne de TCSP, dans un exercice budgétaire qui doit rester quasi stable du fait de la contractualisation Macron. Peut-être qu’un jour ce sera un choix de société et cela sera fait et accepté, mais aujourd’hui, cela ne semble pas le cas. Il y a des choix à faire.

Après, plus largement sur la question de la mobilité qui est une question centrale dans l’écosystème urbain, je pense qu’il ne faut pas regarder le bout de son doigt, mais bien plutôt la lune. Il faut prendre conscience que depuis que les villes n’ont plus eu à craindre d’attaques extérieures et s’enfermer derrière des fortifications, ce sont les limites posées par les façons de se déplacer (les flux) qui ont donné forme aux villes. La périurbanisation en est l’exemple le plus récent. Nous sommes à la veille d’une disruption (comme on dit !) importante des façons de se déplacer avec la voiture autonome & connectée et le développement d’une approche servicielle de la mobilité.

Bien malin celui qui peut prévoir ce qui va se passer dans les 10 à 20 prochaines années, sous l’émergence de ces nouvelles possibilités, sous la pression des contraintes environnementales, financières ou juridiques et sous l’impulsion de grands groupes qui se battent déjà pour être les premiers sur ce marché. Un créneau lucratif avec une large capacité de croissance, qui pourrait rendre la voiture individuelle obsolète, tout en améliorant le service rendu. Sauf sur les axes importants à forte densité de population, où le transport collectif public restera probablement comme une complémentarité au mode de déplacements doux (marche, vélo, trottinettes, overboard, etc …), je pense que la voiture autonome prendra progressivement la place des transports en communs en zone moins dense (le périurbain).

Une des questions pertinente qu’il faut se poser aujourd’hui n’est donc pas une gratuité couteuse sur un écosystème qui risque d’évoluer en profondeur, mais savoir quels investissements on fait, pour quel service et surtout savoir si on veut que cela reste public, pourquoi, pour qui, comment et à quel cout ? Parce qu’on le voit déjà sur la mise en place de flottes de vélos en libre-service, les entreprises n’attendent plus l’autorisation des collectivités pour avancer. Et elles sont d’ailleurs capables d’abord d’investir à perte pour assécher un marché (y compris public), prendre la maitrise de l’ensemble et imposer leurs conditions. Prendre cette question-là par le prisme du prix sur le court terme est probablement un piège sur le long terme.

Voilà, il n’y a probablement pas de lieux où tout cela se réfléchit à Brest, mais cela ne veut pas dire qu’il n’y ait pas de réflexion qui prenne appuie sur des réflexions bien au-delà du territoire. D’autant qu’une question comme celle-là n’existe pas sans prendre en compte ce qui se passe ailleurs.

Ci-dessous deux derniers articles qui me semblent intéressants pour montrer les enjeux généraux :

La gratuité dans les transports en commun est-elle vraiment possible ?

Peut-on vraiment lutter contre la pollution via la gratuité des transports publics ?

Bonne lecture ! »

...

Je rajoute un petit chapitre à ce développement déjà un peu long ( !) parce que je me suis rendu compte après coup qu’il y a en effet une façon de faire baisser le coût des transports publics, voire de les rendre gratuits : il suffit de dégrader le service !

En effet, les coûts principaux pour un service de transport public sont ceux de personnels, de carburant et le remboursement de l’investissement. Il est possible de faire des économies significatives en se concentrant que sur les lignes les plus profitables et d’abandonner celles qui le sont moins. On sort alors de la logique de service public dans l’équilibre de la déserte du territoire, pour rentrer dans une logique d’équilibre économique. Mais en effet, il est possible que cela puisse permettre d’atteindre la gratuité des transports publics (sur ce qu’il en restera !) sans augmentation des financements de la collectivité.

Cette hypothèse peut paraître loufoque aujourd’hui, mais dans 10 ou 15 ans avec le développement des véhicules autonomes que j’ai évoqué plus haut, cela peut s’imaginer. Ces flottes de véhicules auront leur propre modèle économique et il est possible que les lignes les plus dispersées et donc les moins rentables voient encore baisser leur fréquentation face à la concurrence de ces nouveaux modes de déplacement. Les supprimer sera alors peut-être une question à se poser et la gratuité sera peut-être accessible alors. Mais je ne crois pas encore avoir vu de véhicule autonome à Brest !

En 2018, faire de la gratuité par une dégradation du service public, ce n’est clairement pas l’option que cette majorité a choisi. Au contraire et comme je l’ai écrit, nous soutenons ce mode de déplacement et envisageons de le développer encore par une seconde ligne de TCSP qui sera probablement pas simple à financer. L’axe politique est donc clair.

Ce qui est donc moins clair, ce sont les arguments des élus LREM sur la gratuité. Comment comptent-ils la financer ? Est-ce à même niveau de service ? Font-ils une croix sur la seconde ligne de tramway ? Comptent-ils augmenter significativement les impôts pour financer la gratuité ? Comptent-ils baisser d’autres services publics pour compenser l’augmentation du coût des transports ? Une large part des données est déjà d’accessible en ligne, avec de nombreuses analyses et les rapports des délégataires pour ceux qui prennent la peine de creuser sérieusement le sujet.

Ou alors ne serait-ce pas juste qu’une promesse électorale un peu facile qui se dessine déjà à l’horizon, sans fondement dans sa mise en place sur Brest … ? L’avenir le dira !

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