Réflexions autour de l’article du Télégramme du 28 septembre
Déboires à Eau du ponant

Bonne fête à tous les Narcisse !

Selfie Queen 2Il est difficile de travailler sur la question de l’éthique et de la probité en politique, sans questionner un des grands phénomènes de notre époque, le narcissisme.

Ce besoin d’estime de soi, qui permet à chacun de se développer de façon équilibrée, a basculé dans des formes de pathologie sévère. De nos jours, l’émergence continue de personnalités profondément narcissiques induit de nombreuses décisions et des comportements déviants dans la sphère publique. Des personnalisées déséquilibrées, n’ayant d’autres choix que d’alimenter perpétuellement un besoin d’auto-renforcement psychologique. Souvent assez limitées dans leurs compétences réelles du fait de l’énergie qu’ils dépensent principalement à exister aux yeux d’autrui, ces individus n’hésitent pas à emprunter tous les chemins possibles pour arriver à leur fin : continuer à exister par les regard que l’on porte sur eux. Le mensonge, la tricherie et la corruption en font évidemment partie.

Le livre « Les NARCISSE, Ils ont pris le pouvoir », de Marie France Hirigoyen, traite en profondeur ce sujet contemporain et de toutes ses facettes dans notre société moderne.

En juillet 2019, j’étais allé l’écouter un peu par erreur lors de son passage à la librairie Dialogues, en pensant que le sujet traité serait le harcèlement moral au travail. Je m’y intéressais alors sur le versant syndical de mes activités. Un peu surpris au départ, je ne fus pas déçu du détour et du discours ! En un peu plus d’une heure d’intervention, son analyse sur les Narcisse à tellement fait écho à mon vécu dans la sphère politique que j’ai noirci une page entière de notes. J’ai évidemment lu ensuite le livre, pour tenter de mieux comprendre.

Le livre prend un exemple de « Narcisse grandiose » en la personne de Donald Trump qui, comme le dit l’autrice, coche toutes les cases de la pathologie. Cet exemple bien documenté permet de discerner tous les traits comportementaux en lien avec une pathologie narcissique (sévère !). Depuis l’écriture du livre, la fin du mandat de Donald Trump n’a pas démenti le caractère jusqu’au-boutiste d’un tel profil, une fois que la victoire lui échappe. Tout fut permis pour éviter la chute, jusqu’à une tentative de prise d’assaut du Capitole, par ses supporters !

Aujourd’hui, cette figure américaine fait écho aussi à celle de Vladimir Poutine (cité déjà en 2019 dans le livre comme Narcisse pathologique) qui, insécurisé par la monté en maturité démocratique de son voisin Ukrainien : liberté d’expression, transparence, lutte contre la corruption, etc … et son rapprochement des nations occidentales, décida aussi de prendre d’assaut tout un pays. Nous sommes, là encore, face à une personnalité enfermée dans son propre narcissisme et sa propre vision du monde. Fort dangereusement, une fois encore.

Heureusement, tous les responsables ne souffrent pas de cette pathologie. Mais il est acté que l’hyper communication, l’effritement du sens, la prédominance de l’image et du court terme sont des facteurs favorisant l’émergence des personnalités les moins équilibrés et les plus narcissiques. La sélection de nos dirigeants par la compétition électorale semble leur être très favorable. Les citoyens se font abuser par la fausse réalité qu’ils construisent autour de leur image, et croient soutenir des leaders nés. Les nombreux exemples sont là pour témoigner qu’il n’en est rien.

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Le narcissisme des hommes (et des femmes) de pouvoir renvoie à un besoin addictif de nourrir perpétuellement leur sentiment de toute puissance. Peu de chose les arrêtes, car comme cela est fort bien expliqué dans le livre, ces individus arrivent à s’affranchir du sentiment de honte qui pose des limites à l’acceptable pour chacun d’entre nous. Les Narcisse ne ressentent pas la honte, c’est cela qui les rend dangereux dans la sphère publique, lorsqu’ils détiennent des pouvoir.

En France, nous avons aussi nos narcisses grandioses. Certains sont d’ailleurs pris en étude dans le livre.

Dans la sphère politique brestoise, assez logiquement, j’en ai croisé aussi quelques-uns. Souvent des élus, parce que ce statut est en soi un but à atteindre pour eux. Loin d’être à la recherche d’un pouvoir à agir pour transformer la société, ils recherchent avant tout un pouvoir de séduction, d’attraction et parfois aussi, un pouvoir sur autrui.

Des élus spécialistes du selfie, se mettant en scène dès que possible, demandant même à des fonctionnaires de les prendre en photo et attendant frénétiquement qu’on « like » une nouvelle photo d’eux. Des personnalités autocentrées, arc-boutées sur leurs profils de réseaux sociaux, scrollant frénétiquement leur mur sur leur smartphone, au lieu d’écouter ou de participer en réunion. Des politiques confondant communication institutionnelle, avec trouble narcissique compulsif.

Des Narcisse inventant des histoires ou transformant la réalité à leur avantage, sans aucun scrupule, malgré des faits témoignant l’inverse ou même, un démenti quelques jours plus tard. Des élus qui trichent, qui mentent, qui jouent des secrets d’alcôves, des jeux d’influences et des pressions pour d’abord se maintenir au pouvoir et ensuite, conforter tous ceux qui les aident à remplir ce seul et premier objectif.

Toutefois, il serait faux de dire que les Narcisse ne servent jamais l’intérêt général. Parfois, intérêt général et intérêt personnel peuvent cohabiter. Mais ne nous y trompons pas, c’est ce dernier qui prime en premier.

Quant à l’alignement des valeurs de gauche avec le narcissisme, il va falloir chercher longtemps. Même se réclamant « de gauche », les Narcisse sont une forme d’escroquerie pour une pensée politique au service du collectif, matérialisé par le don ou l’émancipation de chacun et non l’aliénation d’autrui ou la captation du pouvoir à des fins personnels.

Notre société moderne ferait bien d’analyser en profondeur le narcissisme et ses conséquences, car la prise du pouvoir de plus en plus fréquente de ce type de profils d’individus, et jusqu’aux plus hautes sphères, est un grand danger pour nos démocraties modernes. Des républiques où la légitimité des dirigeants reste fondée sur une compétition électorale dans laquelle cette pathologie offre de grands atouts. Un système de sélection qui conduit ensuite à faire élire ou nommer des dirigeants qui détruisent à petit feu la confiance, aux fondements dans nos démocraties.

Puisque le 29 octobre est la Saint Narcisse, rendons leur grâce pour une bonne raison … bonne fête à tous les NARCISSE !

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Je vous recommande évidemment chaudement la lecture du livre de Marie-France Hirigoyen : « Les NARCISSE, ils ont pris le pouvoir », pour bien comprendre ce phénomène sociétal qui empoisonne à petit feu nos démocraties.

Le livre permet aussi de se questionner soi-même, sur son rapport à son propre narcissisme, ce qui est une des clés, non pas de la guérison (puisque nous en avons tous besoin d’un peu), mais de son équilibre personnel dans son rapport à soi-même et aux autres.

Je me permets enfin de mettre quelques morceaux choisis du livre, notamment du propos introductif, ainsi que la vidéo de la conférence donnée à la librairie Dialogues à laquelle j’ai assisté en 2019.

Page 9 : Parlant en introduction du narcissisme en général

« Le narcissisme n'est pas en soi une pathologie, il joue même un rôle essentiel à la construction de notre identité. C'est ce qui permet de développer une estime de soi suffisamment bonne pour croire en ses talents, oser aller de l'avant et entreprendre, sans dépendre uniquement du regard de l'autre. C'est avoir suffisamment conscience de sa valeur pour maintenir son estime de soi face à la critique et aux échecs, et s'estimer de façon positive tout en reconnaissant ses failles, c'est à dire sans projeter sa part négative sur l'autre. Le narcissisme devient pathologique que lorsqu'un individu est tellement centré sur lui-même que l'autre n'existe que comme un miroir destiné à réfléchir son image grandiose. Parmi les « troubles de la personnalité narcissique », les Narcisses grandioses sont arrogants et paraissent sûr d’eux, tandis que les Narcisses vulnérables dissimulent leur désir de toute-puissance derrière une façade d'humilité. » 

Page 11 : Parlant en introduction de l’envahissement de notre société par les personnalités narcissiques

« Il est incontestable que ces nouvelles normes de société centrées sur l'apparence facilitent le mensonge et les tricheries, car chacun doit faire sa promotion, même si c'est en déformant la vérité. Partout on voit des dérives de comportement qui ne sont plus cadrées par des repères moraux. »

Page 12 : Parlant en introduction des sphères de pouvoir

« Il est clair que leur désir de pouvoir, leur capacité de séduction et leur art de la manipulation les font apparaître comme des leaders charismatiques. Nous savons aussi que le narcissisme pathologique favorise les prises de risque, la recherche du profit à court terme et est à l'origine d'un certain nombre d'incivilités et d'actes de corruption. »

Page 7 et 37 : Parlant de Donald Trump

« La dimension la plus visible de son narcissisme est l'arrogance, une très haute opinion de lui-même, un égocentrisme rare et une absence totale de honte. »

« Pour ne pas risquer l'échec, un Narcisse comme lui évite la confrontation et la compétition loyale ils préfèrent disqualifier l'adversaire. »

Page 42 : Une référence à de nombreux travaux cités dans l’ouvrage

« Selon Thomas Chamorro-Premuzic, professeur de psychologie du travail à l'University Collège London et à l'université de Columbia, si des personnes incompétentes sont si nombreuses dans des postes clés des organisations, c'est avant tout le fait d'hommes narcissiques, car ils sont plus enclins à masquer leurs lacunes par des démonstrations d'arrogance ou de charisme, ce qui est malheureusement souvent confondu avec du leadership qui serait couramment attribué à un meneur d'hommes. Comme nous le verrons, grâce à leur capacité à accumuler pouvoir et influence, il passe pour des champions du leadership aux yeux du commun des mortels. Ces traits de caractère les aident à devenir des dirigeants, mais ils sont aussi la cause de leur malhonnêteté et de leur incompétence. D'autres travaux ont montré que si une personne incompétente dotée d'une personnalité narcissique se trouve dans un contexte où le collectif à un faible niveau de cohésion, elle peut facilement émerger en tant que leader présupposé. »

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Vidéo de la conférence de Marie-France Hirigoyen à la librairie Dialogues de Brest

 

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