Déboires à Eau du Ponant : le cas Karine Coz-Elléouet
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Déboires à Eau du Ponant : La faiblesse de la gouvernance

Cuillandre-Francois-IMG_3050-002Suite des deux premières notes (ici et ) et de l'article de fin octobre du site Penn-Bazh : Brest, ville d'eaux et d'histoires ...

Comme l’écrit Penn-Bazh, Karine Coz-Elléouet a bien joué un rôle dans la mise à l’écart du premier directeur d’Eau du Ponant. Personnellement, lorsque c’est arrivé, je n’étais plus administrateur de la SPL depuis 2014, mais cette situation m’a attristé. Si Christian Clément n’a pas toutes les qualités du monde, comme il semble lui être reproché (nous avons tous les défauts de nos qualités), il n’y aurait pas Eau du Ponant sans lui. Sans minimiser la dimension de la construction politique, il en fut l’architecte et l’animateur de la création. Il en fut aussi le développeur, jusqu'à son éviction.

Dans la période où je l’ai côtoyé régulièrement, c’était en effet une personne de caractère, avec des idées foisonnantes et une envie d’entreprendre. Il aimait provoquer pour créer des réactions ou faire un pas de coté (parfois pas dans le sens attendu, il est vrai !) Il savait aussi défendre son point de vue face aux élus, ce qui est à mon avis une très bonne chose. Cet état d’esprit peut en effet déranger certains profils d’élus plus administratifs, plus gestionnaires, plus dogmatiques, peu ouverts à la discussion, au débat … et surtout, à court d’arguments ! Pour ma part, j’ai toujours trouvé cela enrichissant et stimulant.

J’ai beaucoup de respect pour le travail qu’il a mené avec la création d’Eau du Ponant. Il est un peu trop facile de l’avoir laissé tout faire en tant que développeur, partant de la feuille blanche, puis de lui avoir reproché sa façon d’aller de l’avant et d’entrainer. Mais rappelons que c’est de la responsabilité du conseil d’administration et de son président d'organiser la direction de l'entreprise et de définir le profil du directeur. Et c’est peut-être bien cela le vrai problème d’Eau du Ponant aujourd’hui : la faiblesse de la gouvernance autour de ceux qui dirigent une véritable entreprise de production.

Petite parenthèse : l’article de Penn-Bazh étonne en mentionnant que le second directeur licencié a été convoqué par le directeur général [1] (de la métropole faut-il déduire ?) et non par le président du Conseil d’administration d’Eau du Ponant. Si c’est avéré, cela témoigne là encore d’une faiblesse de la gouvernance officielle de l’entreprise, à laquelle se substituerait l’administration de la métropole, pour masquer les manquements.

18/11/22 21h30 : Petit correctif du soir à la suite du message d’une internaute m’indiquant que François Cuillandre n’était pas seulement président d’Eau du Ponant, mais PDG : président directeur général (voir ici et ).

C’est là encore une exception à la règle par rapport à l’usage des autres satellites, dans lesquels l’élu est président, mais pas directeur général. Je ne connais pas la raison de cette exception et si elle date de la création ou du changement de directeur.

Toujours est-il que mon propos du dessus est donc probablement erroné et ce n’est donc probablement pas le DGS de la métropole, Bertrand Uguen, qui a signifié sa mise à pied au second directeur, mais bien François Cuillandre en tant que PDG. Cela ne change pas le sens du reste de la note. Cela témoigne plutôt d'une responsabilité encore plus grande dans ce qu'il s'est passé. Lorsque l'on cumule les fonctions, on cumule aussi les responsabilités ... enfin, normalement !

Petite conséquence de cette nouvelle information, cela signifie aussi de Karine Coz Elléouet est une salariée de François Cuillandre, en tant que directeur général. Là aussi, cela ne clarifie pas la situation ...

Des crises multiples, un président unique

Mais cette faiblesse de la gouvernance n’est pas liée qu’à Eau du Ponant. Elle est récurrente. Si nous élargissons le regard à l’ensemble des « satellites » [2] des deux collectivités (SEM, SPL, Associations), qu’est-il possible d'observer ?

Historiquement, les premières crises dans lesquelles des directeurs furent pointés du doigt sont apparues à BEN (association Brest Evènements Nautiques), avec une succession de remplacement de directeurs, au pied levé, souvent dans la montée en pression précédant les fêtes nautiques. De mémoire, il y a eu trois cas, presque un à chaque édition pendant une période. Le dernier à avoir subi les foudres du président a attaqué aux prud’hommes et a eu gain de cause pour licenciement abusif. Très souvent à BEN, il a été mis en avant des problèmes relationnels entre le directeur et le président, la fameuse « incompatibilité d’humeur ». Les directeurs furent toujours remis en cause, jamais l’inverse. A cette même époque, l’association BEN fit aussi parler d’elle dans le magazine Marianne, au sujet des méthodes de gestion de marchés publics au sein de l’association, que le directeur licencié n’avait pas voulu suivre.

Nous avons les deux cas des directeurs d’Eau du Ponant que j’ai développé plus haut et qui sont l’objet de l’article de Penn-Bazh.

Mais plus grave encore est le cas de l’ADEUPa, l'agence d'urbanisme de Brest, devenue à partir de 2002 celle du pays de Brest, puis élargie encore à Brest-Bretagne en 2015. Entre 2013 et 2014, une négociation sociale va être imposée par le conseil d’administration de l’association et son président, pour maitriser les coûts salariaux, augmenter le temps de travail et passer à la convention collective Syntec (moins-disante que la précédente). Cette négociation va mal se passer avec les salariés et se finira en 2014 par une « exfiltration » de la directrice de l’ADEUPa, vers la direction de la SEM BMa (administrateur à l’ADEUPa et président de Brest métropole aménagement, je m’en suis occupé, sous l’autorité de François Cuillandre). On aurait pu croire que la pression allait retomber avec la nomination d’un nouveau directeur, plus jeune, talentueux et ayant fait ses preuves dans la collectivité. Mais ce ne fut que temporairement le cas. Là encore, le conseil d’administration et son président mirent une telle pression sur le directeur et son équipe, qu’en février 2019, une salariée tenta de mettre fin à ses jours, dans les bureaux de l’ADEUPa.

Ce tragique évènement sera là encore porté au crédit du directeur qui finira par être muté, non sans être passé devant la justice puisqu’il fut mis en cause par deux salariées [3]. Il fut relaxé et il ne sera bien-sûr pas recherché d’autres explications. Pourtant, le conseil d’administration finira par admettre pudiquement que : « le changement d’échelle de l’agence a nécessité une capacité d’adaptation à l’accroissement du nombre de projets portés par l’agence. Ces évolutions ont généré inquiétudes et fatigue diversement exprimées, en particulier en 2018 et 2019. » En d’autres termes, les projets attendus de l’agence d’urbanisme étaient beaucoup trop conséquents et là encore, on retrouve l’exigence de « changement d’échelle », c’est-à-dire d’élargissement de la zone d’influence de l’agence gérée par la métropole de Brest, dada de son président, comme pour Eau du Ponant.

Je peux avoir oublié, mais je n’ai pas mémoire d’autres crises majeures comme celles-ci dans les satellites de la ville et de la métropole de Brest où à chaque fois, les directeurs furent ceux à qui il fut fait porter le chapeau et qui prirent cher. Le point commun des affaires citées et qui paraissent à première vu un peu disparate, est que la présidence était détenue, à chaque fois, par François Cuillandre.

Un président qui cumule de nombreuses fonctions dont celle de maire et de président de la métropole, pour garder la part d’influence de chacune, mais ne donne pas d’orientation claire et suit trop peu les équipes et les dossiers sur le terrain. Cela conduit donc les satellites en question à avancer par crises, car sans suivi, sans anticipation et donc, mal dirigé par le politique. Les autres satellites ne rencontrent pas moins de difficultés sur la durée, mais ils sont finalement mieux pilotés par les élus qui en ont la charge, sans avoir besoin de débarquer in extrémis des directeurs à la façon de fusibles, pour sauver la face de « responsables » qui n’ont pas fait leur job.

Un point commun à ces 7 crises, parfois graves et toujours fatales aux directeurs, est bien la persistance de François Cuillandre à la présidence de ces structures. Des satellites liés au rayonnement et à l’influence de la métropole sur un territoire plus large. A ma connaissance, personne n’ose mettre cela au débat et encore moins remettre en cause cet état de fait pourtant récurent.

Du « docteur » à l’usage des cabinets !

Sur le Cabinet Pennec qui est cité dans l’article, il y a aussi un peu à écrire, car tout cela est très lié, se répète et finit par « faire système ».

Le Cabinet Pennec a une relation particulière avec la collectivité brestoise au travers son directeur général des services, Bertrand Uguen. Il me raconta avoir connu ce cabinet lorsqu’il dirigeait la collectivité de Saint-Brieuc. Arrivé à Brest et dans une relation de confiance avec un des dirigeants du Cabinet, Jacques Cottereaux, il fit appel à lui très souvent, lorsque des besoins de réorganisation un peu tendu se faisait sentir ou lors de situations de crises, parfois à l'origine d'erreurs ou de manquements du politique censé assumer la responsabilité. Entre élus, nous appelions Jacques Cottereau « le docteur ». Il établissait un diagnostic, qui allait souvent avec un remède, que la direction générale de la collectivité s'empressait de mettre en œuvre. Mais cela pouvait être lu aussi comme une façon de réécrire l'histoire à la faveur de la collectivité et d'éliminer discrètement les « problèmes ». A chaque fois que nous le voyions débarquer, nous savions qu’il y avait une situation tendue à régler, nécessitant un interlocuteur de confiance pour la collectivité.

Avec le temps, il y eut un nombre significatif d’interventions du Cabinet Pennec, à la ville, à la métropole et dans les satellites. Ce fut Jacques Cottereau qui intervint d’ailleurs à l’ADEUPa, après la tentative de suicide que j’ai mentionné avant. J’ai personnellement travaillé avec lui deux fois (dont celle de l'ADEUPa). Il n’est donc pas étonnant d’entendre le recours au Cabinet Pennec sur le cas d’Eau du Ponant, qui nécessite assurément tact, doigté et confidentialité, compte tenu des acteurs en présence.[3]

Mon propos n’est pas de dire que c’est un mauvais cabinet. Je ne suis pas compétent pour juger de la qualité du travail qu’ils fournissent, donc je ne le ferai pas. Sur Jacques Cottereaux (le docteur !), je dois dire que j’ai apprécié sa capacité d’écoute et son analyse organisationnelle lorsque je fus amené à travailler avec lui.

Cela étant, le problème évoqué dans l’article n’est pas là. Le Cabinet Pennec ne se définit pas lui-même comme un cabinet spécialisé dans l’analyse des risques psycho-sociaux (RPS : le directeur semble avoir été accusé de harcèlement moral envers deux salariées, dont l'une d'elle était la première adjointe). Le cabinet Pennec semble plutôt placé sur des enjeux RH, organisationnels et économiques. D’ailleurs et bien qu’il semble avoir des intervenants compétents sur les risques psycho-sociaux, l’analyse du cabinet Pennec relatée dans l’article étonne.

Le fait de dire que des représentants du personnel puissent être atteints du « syndrome de Stockholm », sous prétexte qu’ils prennent le parti du directeur licencié, est pour le moins questionnant sur l’objectivité de l’analyse. D’autant plus quand les deux tiers des répondants questionnés semblent s’être exprimés dans ce sens et non dans celui de la thèse du cabinet.

Au-delà de ce point, il y a un problème systémique à ce type d’analyse, payé par l’employeur. C’est vrai aussi dans le privé, où le cabinet consultant peut être frappé par « le syndrome de la main qui le nourrit ». Des différences significatives peuvent être observées entre des analyses faites par des cabinets payés par les CSE et ceux payés par les directions, par exemple. Il y a naturellement le « biais du payeur » qui rentre en ligne de compte. Celui qui finance demande généralement une relecture, une validation du diagnostic et des préconisations, avant leur diffusion. Dans certains cas, il s'agit carrément d'une mission sur objectif (non écrite) afin d’établir un dossier à charge pour l’élimination d’un salarié gêneur (voire d’un directeur).

Ce travers dans l’objectivité de l’analyse d’un cabinet existe dans le privé comme dans le public. Il est à mon avis décuplé dans les collectivités, du fait d’une administration bicéphale déséquilibrée, entre direction et élus.

Je n’ai jamais vu un rapport finir en remettant en cause des élus, un adjoint, un vice-président, un maire ou un président. Il y a comme une forme d’injonction contradictoire pour les cabinets à mettre en cause la posture des élus envers lesquels ils ressentent un devoir de loyauté et aussi leur propre légitimité (et leur rémunération !). Pourtant, s'il existe bien des directeurs ou des managers toxiques pour les salariés, il est difficile d'imaginer qu'il n'existe pas d'élus aux comportements tout aussi inappropriés. Cet état de fait conduit à minimiser le rôle du politique dans ces crises, à entraver les discussions sur les vrais causes racines et conséquemment, à faire porter le chapeau plus qu’il n'en faut aux directions (ou aux simples agents), devenus les fusibles autorisés du système. De plus, ne traitant pas les vrais problèmes à leur racine, les crises se répètent. C’est un travers que j’ai souvent observé avec un regard croisé d’élu, nourri par de l’action syndicale. Je crains qu’il soit à l’image de ce qui se passe sur Brest, où une succession de crises arrivent sous la présidence d’une personne en particulier, qui n’est autre que le maire de Brest.

La violence des rapports humains dans la politique brestoise

Deux derniers points pour conclure. Sur la brutalité des relations humaines à Brest évoqué dans l'article, y compris par une « ancienne cadre du PS Breton », je confirme. C’est souvent extrêmement brutal et là encore (on va dire que je fais une fixation), mais la méthode et l’exemple viennent d’en haut. Je crois être bien placé pour en parler ! La façon dont des élus furent écartés, témoigne de méthodes d’un autre âge, totalement désalignées avec l’idéal socialiste dont ces personnes se revendiquent. Les postures de certains responsables à la ville et la métropole de Brest peuvent être extrêmement choquantes et je comprends que des personnes préfèrent partir en se taisant, plutôt que de lutter, souvent à armes inégales.

Pour dire que l’on n’en a pas terminé avec cette violence, je peux rapporter le propos d’un élu qui rentra dans cette mandature à Brest et qui me dira textuellement en 2019 : « Je conçois qu’il puisse exister une forme de violence dans l’action politique ». Je fus estomaqué par ce propos de la part de celui qui n’était encore qu’un militant à l’époque, car si nous acceptons que des élus usent du pouvoir issu des urnes pour recourir à la violence dans leurs modalités d’actions publiques, je plains les citoyens qui auront affaire à eux. Malheureusement, cette violence institutionnelle existe bien à Brest, y compris parfois sur des citoyens en dehors de tout cadre politisé.

Pour ma part et comme l’écrira Isaac Asimov en 1950 dans Fondation, « la violence est le dernier refuge de l’incompétence ». Encore une fois, la violence des actes ou des décisions témoigne d'une grande faiblesse des décideurs brestois, usant d’autoritarisme pour dominer, plutôt que de leadership pour orienter et diriger.

Les modalités d’actions qui se réclament de gauche, qui plus est socialistes, doivent se nourrir de bienveillance et de coopérations, jamais de violence. Ce n’est pas négociable.

Bernadette Malgorn a (parfois) raison !

Enfin, sur les propos de Bernadette Malgorn relayés dans l’article, vous l’aurez compris, je ne peux qu’être en phase. Oui, l’éviction du directeur « s’apparente à un arbitrage politique ». Oui, le pilotage politique d’Eau du Ponant ressemble à « du bricolage et de la gestion à la bonne franquette ». Comme elle, je pointe le fait que François Cuillandre en soit le président.

Voilà, il y aurait probablement encore pas mal de choses à écrire, mais je crois avoir été assez long avec ces trois notes et je n’ai pas encore le statut d’écrivain !

Toutes mes félicitations à ceux qui m’auront lu jusqu’à la dernière ligne. Pas sûr qu’ils soient nombreux ...😉 Que votre persévérance et votre intérêt soient remerciés.

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[1] Il est écrit dans l’article : « Le 19 mars, Marc Dufournaud est convoqué par le DG pour s’expliquer sur son management qui aurait généré de la souffrance. Lors de la réunion, il lui est signifié sa suspension et qu’une enquête interne a été effectuée par le cabinet Pennec de Rennes. »

[2] Les satellites des deux collectivités de Brest sont les institutions : SEM, SPL, Association, Office, etc … contrôlés en totalité ou seulement majoritairement par les collectivités. Il est possible de citer : Eau du Ponant, Brest’aim, Brest métropole aménagement, SOTRAVAL, SEMPI, Brest évènement nautiques, ADEUPa, Brest métropole Habitat, SEM des Ateliers des Capucins, ou le CCAS. Je ne crois pas en avoir oublié !

[3] Assez logiquement, les deux salariées pointèrent du doigt la responsabilité du directeur, seule interface connue à leurs yeux vis-à-vis des exigences posées par le conseil d'administration de l'association. Mais la dégradation du climat social dans l'agence d'urbanisme était bien plus large que cela. Accompagnant le développement territorial de l'agence, le plan de charge était très questionnant, sans que cela n'éveille de question des membres du CA, très majoritairement composé des prescripteurs des études de l'agence.

[4] A 72 ans, Jacques Cottereau ne semble plus intervenir pour le cabinet Pennec, mais apparait encore dans les associés de la société. Gageons que son influence et son carnet d’adresse puissent être encore bien là !  

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Photo : Côté Brest

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