L'affaire Vivre à Brest - Premiers retours de lecteurs
Le PS est-il devenu une imposture du socialisme ?

Affaire Vivre à Brest : Renvoi en correctionnelle

Télégramme François Cuillandre renvoyé en correctionnelleLa nouvelle est tombée sans prévenir hier soir, à 18h, confirmée par un premier article du Télégramme, à 19h : « Le maire, François Cuillandre, renvoyé en correctionnelle ». Cette annonce était attendue depuis de long mois. Elle est une bonne nouvelle pour la santé de notre démocratie locale. Enfin la vérité sur cette affaire publique va pouvoir s’exprimer dans un cadre où la parole est véritablement questionnée, au regard des faits accumulés par le travail d’enquête de la police judiciaire, puis de la juge d’instruction.

Comme je le rappelle au tout début du livre que j’ai consacré à cette enquête (ici), l’affaire Vivre à Brest, c’est 4 ans de procédures, 57 auditions, 500 pages de procès-verbaux et 35 pages relatant le contenu d’écoutes téléphoniques. Et je ne parle pas de tout le travail fait pour démêler les comptes opaques de l’association. Il est donc très étonnant de lire à la fin de l’article du Télégramme la réponse de l’avocat de Monsieur Cuillandre suite à cette ordonnance de renvoi en correctionnelle :

« La juge a décidé de renvoyer mon client pour un motif finalement limité à une avance de 4 000 €, datant de 2012, et qui a depuis été remboursée […] par ailleurs ces avances étaient « pratique courante au sein de l’association. »

Qui peut encore croire qu’une juge renvoie en correctionnelle un maire/président d’une métropole pour 4 000 € emprunté en 2012 et qui aurait été remboursés ? Personne. Un tel préjudice relève d’un différend mineur, pas d’un renvoi devant une cour correctionnelle. La juge est par ailleurs plus explicite que l'avocat de monsieur Cuillandre dans son ordonnance :

« M. Cuillandre ne pouvait ignorer que Vivre à Brest n'était pas un organisme ayant vocation à distribuer des prêts, ni à consentir des avances alors même qu'il ne participait pas au système de mutualisation ».

Et la juge d'ajouter : « En acceptant ces avances et prêts, il recelait sciemment des fonds qui étaient détournés de leur destination par ceux qui en étaient dépositaires », évoquant un « dévoiement des fonds de l'association à des fins personnelles. »

Article du France Bleu (ici).

Depuis 2001, l’association Vivre à Brest a vécu sur une jolie fable de « mutualisation juste et solidaire, légale et vertueuse » racontée aux élus et aux proches du parti socialiste. Des personnes n’ayant aucune possibilité de vérifier les dires de ces « responsables » publiques, dans lesquels ils plaçaient leur confiance. Il semble clair qu’en 2023, la stratégie n’a pas changé d’un iota. Sans préjuger de ce que le procès délibérera, une jolie fable nous est encore contée aujourd’hui.

J’ajouterai qu’il est faux de dire qu’il s’agissait d’une « pratique courante au sein de l’association ». Les « prêts personnels remboursés » par les élus membres de l’association furent en effet une pratique ponctuelle (et non courante). Même si la pratique fut plutôt opaque, le trésorier savait parfaitement recouvrer les sommes dues auprès des élus qui empruntaient à l’association. Mais les « prêts non remboursés » furent une pratique de seulement deux personnes : Alain Masson et François Cuillandre. L’enquête révèle qu’ils « empruntèrent » à eux deux 68 840 €, sans qu’il leur soit demandé par le trésorier de les rembourser. Par le plus grand des hasards, ils sont aussi les deux élus socialistes qui ne versèrent plus leurs indemnités dans ladite association à partir de 2001. Nous sommes loin d’une « pratique courante », nous sommes plutôt sur « une pratique commune » aux deux individus ayant eu le plus de pouvoir sur les autres élus.

Si la juge d’instruction a renvoyé ce dossier en correctionnelle sur la question de l’emprunt non remboursé des 4 000 € (reconnu par l’intéressé), c’est qu’il s’agit d’un symptôme évident du disfonctionnement qui s’opérera dans l’association pendant presque 20 ans. Il reviendra au tribunal de donner un diagnostic et si nécessaire, de prononcer des peines. Et je dois dire qu’en la matière, le premier sujet m’intéresse beaucoup plus que le second.

Pour moi, la vraie question qui reste en suspens n’est pas celle des 4 000 €, mais bien la réalité de la présidence de l’association Vivre à Brest. Qui a eu l’autorité suffisante pour autoriser, puis maintenir ce système corrompu ? Des détournements d’argent bien-sûr, mais aussi une forme de domination sur les élus des groupes politiques qui bénéficieront, d’une façon ou d’une autre, des avantages financiers de l’association.

La seconde vraie question, et c’est pour moi une question de justice aussi pour les deux élus qui décédèrent très rapidement après l’affaire, c’est la vérité derrière l’histoire toute faite qui désigna un bouc émissaire, Alain Masson, comme responsable tout ce qui s’était produit. L’ensemble des auditions révèlent une bien autre réalité que j’évoque en détail dans le livre. Là encore, la construction de ce récit mettant en scène un bouc émissaire idéal fut le fait d’un homme, qui dès sa première conférence de presse, le lundi 26 novembre 2018, désigna le coupable en parlant ostensiblement de « L’affaire Masson ». De plus, il profita de cette parole publique pour s’affranchir lui-même de toute responsabilité, affirmant ne rien verser dans l’association.

Il est temps aussi que cette vérité soit dite, que les responsabilités soient rééquilibrées et placées au bon niveau.

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A la suite de l’annonce de ce renvoi en correctionnelle, il est possible de s’interroger sur la posture que vont prendre les parties civiles ? Ma position est claire, celle de l’association Anticor aussi. Mais quid de la Fédération du Parti socialiste finistérien, aussi partie civile et dirigée par monsieur Foveau, vice-président de monsieur Cuillandre ? Quid de l’association Vivre à Brest, encore dirigée par des élus socialistes, aussi membres de la majorité de monsieur Cuillandre ?

Depuis hier soir, Brest est dans la triste situation (et peut-être bien unique) où le maire/président est renvoyé en correctionnelle, alors que des élus de sa propre majorité et son propre parti se sont portés partie civile dans l’affaire. Comment cette situation ubuesque tient-elle encore ? Probablement avec une bonne dose de renoncement à toute ambition d’éthique en politique. Le système de domination de Vivre à Brest n’est définitivement pas mort … bien que les deux principaux boucs émissaires le soient. Chercher l’erreur !

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Dernier point sur les engagements (toujours oraux) de monsieur Cuillandre envers les militants du Parti socialiste. Lors du débat de la désignation pour la tête de liste qui m’opposa à lui et dont je conteste en justice la régularité (lire ici), monsieur Cuillandre sera questionné par des adhérents sur sa potentielle mise en examen. Il répondra : « Je ne me présenterais jamais devant vous si je pensais que j’allais être mis en examen », laissant bien entrevoir que selon lui, la position de maire n’était pas compatible avec une mise en examen … et il fut désigné tête de liste.

Quelques jours plus tard, la mise en examen tomba. Il fallut attendre 19 jours avant que le maire/candidat ne sorte de son silence lors de la conférence de presse la plus grotesque que j’ai vu à Brest, entouré de ses brillants adjoints qui ne pipèrent mot. À la suite de cette conférence de presse, il y eu un Comité de ville. Ce fut d’ailleurs le dernier que j’ai présidé en tant que premier secrétaire. J’ai fait le choix de démissionner de toutes mes responsabilités au Parti socialiste juste après, en réponse au déni qui s’était installé au sein du Parti socialiste brestois et aux propos inacceptables tenus contre la presse, la justice et même le premier secrétaire national, Olivier Faure, qui hésitait (légitimement) à valider la désignation de monsieur Cuillandre. Lors de cette réunion, le joli conte fut encore déroulé devant des militants qui ne comprenaient logiquement pas. Mais pour clore le débat de cette mise en examen toujours qualifiée d’injuste, pour 4 000 €, monsieur Cuillandre rassura tout le monde en affirmant que s’il devait être renvoyé en correctionnel, il démissionnerait de sa fonction de maire.

Alors une question s’impose monsieur le maire de Brest, au regard de votre parole donnée le lundi 4 novembre 2019 vers 19h, devant les militants du Parti socialiste réunis au sein du Comité de ville : quelle conclusion tirez-vous à ce renvoi en correctionnelle ? Vous adoriez poser cette question à vos adjoints lorsqu’ils vous contrariaient. Je vous la pose aujourd’hui, vous qui préférez laisser la parole à votre avocat ... ou aux élus socialistes, semble-t-il.

Je la pose aussi à tous les élus et tous les groupes politiques de la majorité du maire de Brest. Quelle conclusion tirez-vous ? Une part de la réponse semblent avoir été donnée aujourd’hui dans un communiqué de presse du groupe socialiste, présidé par Yann Guével (ici). Un communiqué qui n’est pas sans rappeler la tartuferie d’un communiqué de presse précédent, aussi du groupe socialiste, présidé alors par Alain Masson, le 2 mars 2018 et qui affirmait la main sur le cœur :

« Nous entendons vous souligner que le dispositif que vous dénoncez n'est ni illégal ni immoral. Il est au contraire un choix volontaire de chaque élu socialiste fondé sur une valeur partagée : celle de la solidarité collective. » (ici)

Actons tout de même qu'en 2023, il y a moins de trémolos dans la voix et un soutien plus concis.

Entre mars 2018 et janvier 2023, le temps semble s’être arrêté pour les élus du groupe socialistes brestois. Il est certain que de rester dans le confort d’une fable joliment racontée, sera toujours plus aisé que de se confronter à la réalité, au risque de perdre ses précieuses indemnités … mais est-ce pour cela que vous avez été élu.e.s ? Je ne le pense pas.

Demain, vous ne pourrez pas plaider publiquement que vous ne saviez pas … car si c’est (encore réellement) le cas, je ne peux que vous conseiller vivement la lecture instructive de mon livre : « L’Affaire Vivre à Brest ». Je l’ai aussi écrit … pour vous !

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