Sept nuances de gauches
mercredi 06 septembre 2017
Suite aux dernières élections, il devient complexe de comprendre la gauche ou plus exactement, les gauches. Il est cependant possible de définir une grille de lecture sur ce qui fonde ces gauches aujourd’hui. Cette grille de lecture peut aussi donner un axe de réflexion sur la place du parti socialiste dans cette nouvelle géographie.
Jean-Baptiste de Foucauld apporte une première clé de lecture sur les moteurs de la gauche : « les trois cultures politiques qui permettent le développement humain : la résistance, la régulation et l’utopie. »
LES TROIS CULTURES POLITIQUES HISTORIQUES DE LA GAUCHE
Ces trois cultures ont structurés la gauche depuis fort longtemps. Elles se retrouvent d’ailleurs assez lisiblement lors des motions de nos congrès. La culture de la résistance est la culture historique de la gauche. Fondée sur les luttes, le syndicalisme, la gauche de combat, elle est celle dans laquelle se retrouve encore « la gauche de la gauche » et dans laquelle le mouvement des frondeurs puise ses racines et sa légitimité. La culture de la régulation est celle de la gauche au pouvoir. Une gauche qui négocie, qui adapte, qui arbitre. C’est la gauche des compromis, mais c’est aussi la gauche qui travaille le réel. La culture de l’utopie est ancienne à gauche, ainsi parle-t-on du « socialisme utopique » au début du XIXème. C’est la culture de l’imaginaire attendu, de l’idéal, mais aussi des visons réformatrices profondes de la société. Ces dernières années, elle a plutôt été soutenue par les mouvements écologistes de la gauche, mais aussi par des mouvements s’affirmant comme tels, à l’image d’Utopia.
Ces trois cultures se conjuguent et s’associent plus ou moins en fonction des sujets et des personnalités. Ce mélange des gauches est parfaitement exprimé par la citation bien connue de Jean Jaurès : « Le courage, c’est d’aller de l’idéal et de comprendre le réel. » Plus récemment, la dimension utopique de l’écologie est ainsi passée dans les deux autres cultures avec plus ou moins de succès. Bien intégrée dans les éléments de langage, l’écologie fut malgré tout relayée au second plan dans les pratiques réelles. En France, l’existence d’une « écologie politique » ayant préempté le sujet dès le départ a probablement un lien avec l’appropriation plus lente des autres partis.
Ces trois axes permettent de comprendre les trois couleurs primaires de la gauche ainsi que les compositions qui en découlent. Cependant, ce prisme semble avoir explosé lors de la dernière séquence électorale. Il n’en est rien. Mais pour comprendre, il faut amener une nouvelle dimension à cette lecture de la gauche, celle du modèle de gouvernance.
LA GOUVERNANCE : UNE NOUVELLE DIMENSION ENTRE BONAPARTISME ET COOPERATION
Au-delà des sujets politiques traités, la gouvernance est la façon de produire le débat et d’exercer le pouvoir. Elle peut être déclinée sur un axe entre deux postures extrêmes opposées : d’un coté l’idéal Bonapartiste, et de l’autre la Coopération.
La vision Bonapartiste de l’exercice du pouvoir est une façon de gouverner qui peut se retrouver à gauche comme à droite. Un pouvoir rigide, très centralisé et hiérarchique, dans les mains d’une personne providentielle qui aurait réponse à tous les problèmes posés à la nation. Cette vision se fonde sur des éléments de langage différents entre la gauche et la droite, mais le résultat en matière de gouvernance est le même. Cette vision est évidemment un leurre, un mirage, une vieille utopie empreinte d’un héritage idéologique monarchiste. Elle a peut-être pu correspondre à un fonctionnement réelle dans des périodes où les choix étaient plus simples et plus « tranchés », notamment par des conflits armés. Mais elle masque singulièrement les couts pour ceux qui se faisaient dominer par les plus forts.
Il reste une nostalgie de ce paradigme rassurant dans les périodes de crises qui (s’il fonctionnait) permettrait de déléguer à une puissance supérieure le traitement de nos problèmes. Mais la réalité est que cette façon d’exercer le pouvoir n’est plus réellement attendue et n’est en aucune manière le sens de l’histoire. Néanmoins, cette vision continue d’exister sur l’ensemble de l’échiquier politique et conduit parfois à des dérives bien réelles.
A gauche, cette vision autoritaire dans l’exercice du pourvoir était jusqu’alors plus le fait de l’extrême gauche, que cela soit dans ses dimensions sociale, écologiste, utopique ou révolutionnaire. Mais elle s’est aussi distillée dans les autres dimensions de la gauche, souvent en réponse à des enjeux politiques complexes mettant en échec des responsables au pouvoir.
L’émergence de sujets difficiles et instrumentalisés par les oppositions comme le chômage, l’inter culturalité, l’immigration ou la sécurité avec le terrorisme ont mis à mal les gouvernants. Afin de donner l’impression d’une maitrise de la situation, des réponses autoritaires et rigides furent données. A défaut de donner des résultats concrets et par crainte de la critique des autres bords politiques, ces responsables ont voulu apparaitre incritiquables face à ces problèmes. Le pouvoir, bien que régulièrement de gauche, n’a pas infléchi l’escalade de mesures sans résultats : une dérive autoritaire vide de sens, témoignant des limites de l’action publique et de la réalité de ce monde que l’on préfère ne pas débattre.
A l’opposé de l’autoritarisme, il nous faut regarder ce que signifie une gouvernance plus partagée, ce que l’on met aussi généralement derrière le terme de Coopération. Il y a derrière ces termes des logiques de confiance et de fraternité entre personnes ou entre groupes. Il y a l’ambition de travailler ensemble dans l’intérêt commun, l’intérêt général. Cette perspective va à l’encontre de beaucoup de nos modes de fonctionnement actuels qui, sous couvert d’une liberté accrus, place les acteurs dans des logiques de concurrence, construisant plus de défiance que de confiance.
COMPRENDRE LA DERNIERE SEQUENCE ELECTORALE ET L’ECLATEMENT DES GAUCHES
Si l’on rajoute la prise en compte du mode de gouvernance en plus des trois cultures, une nouvelle carte apparait, qui aide à mieux comprendre la dernière séquence électorale.
Alors que le début du mandat de François Hollande s’était passé dans l’esprit d’une sociale démocratie plutôt à l’écoute, coopérative, le changement de Premier Ministre a modifié la forme de gouvernance. Sous la pression de l’opinion, le changement de méthode et le passage de Jean-Marc Ayrault à Manuel Vall font clairement basculer une gauche majoritairement portée sur la régulation, le compromis et la coopération, vers une gauche toujours dans la régulation, mais avec un discours plus autoritaire sur les sujets qui la mettent en difficultés dans le débat public.
A l’opposé, la gauche de la gauche et l’extrême gauche vont réussir à capitaliser à la fois la dimension utopique (l’écologie) tout en réussissant par contraste à donner une image d’ouverture qu’on ne leur connaissait pas. On observe une inversion d’image entre les deux sur le thème de la façon de gouverner.
Les primaires à gauche se joueront là-dessus. Les orientations politiques des postulants n’auront pas changés, mais les postures de gouvernance se sont inversées par rapport aux attentes des électorats de la gauche. Pourtant majoritaire, Manuel Valls n’a pas mobilisé un électorat social-démocrate qui n’attend pas un pouvoir rigide. De son coté, Benoit Hamon a su proposer un programme neuf, plus large, mais aussi une posture attendue plus ouverte.
La réalité de l’élection Présidentielle fut que Jean-Luc Mélenchon joua encore mieux que Benoit Hamon cette partition et engrangea finalement les bénéfices de ce positionnement, au détriment de son concurrent direct. L’électorat social-démocrate nous faisant historiquement gagner se détourna vers Emmanuel Macron. En grand séducteur, celui-ci su masquer la rigidité qu’on lui connait aujourd’hui, tout en jouant pleinement une vision basée sur la régulation de l’économie et l’apaisement face à la menace de l’extrême droite.
AUJOURD’HUI, OU EN SOMMES-NOUS ?
Emmanuel Macron n’a pas changé, mais il s’est découvert. Le parti/mouvement « En Marche ! » est sorti de la clandestinité dans laquelle il se maintenait pour mieux affaiblir ses concurrents. Se dénommant lui-même : « Les Républicains En Marche », il scelle ainsi un rapprochement idéologique libéral avec « Les Républicains ». La dimension séductrice du candidat a laissé la place à un dirigeant peu enclin au débat et au partage du pouvoir.
A la façon de Nicolas Sarkozy, dont il a repris une large part des méthodes de communication, c’est bien une vision bonapartiste qui prédomine. Une volonté d’affaiblir tout ce qui se trouve en travers de son chemin, sous couvert d’un redressement de la France. La différence avec son prédécesseur de droite est clairement un positionnement européen plus assumé, un rejet de l’extrême-droite et une attitude plus séductrice et moins clivante. Mais pour le fond des politiques, on risque surtout de dire à la fin de ce quinquennat : « Sarko en avait rêvé, Macron l’a fait ! »
La seule vraie inconnue est la présence de Nicolas Hulot dans cette équipe gouvernementale hétéroclite. Arrivera-t-il à façonner une dimension environnementale à leur politique aujourd’hui très orientée sur les bénéfices de l’économie et des entreprises ? La question reste ouverte. Espérons juste qu’ils nous surprendront !
De l’autre côté, l’extrême gauche maintient un cap qui associe la lutte sociale et l’écologiste. Toutefois, l’ouverture apparente de la campagne fut rapidement mise aux oubliettes pour témoigner d’une ouverture toute relative et d’une volonté de coopération qui s’arrête à l’adhésion aux propositions qu’ils font ! La violence des attaques sur les réseaux sociaux sont en soit le marqueur d’un état d’esprit qui les limite à une sphère revendicatrice et non à une volonté d’exercer le pouvoir au nom de tous.
ET LE PARTI SOCIALISTE DANS TOUT CELA ?
Pour notre part, nous avons fait les frais d’une « élection chamboule-tout », probablement parce que nous étions devenus un « parti attrape-tout » ! Bien qu’il soit établi que la mobilisation de l’électorat de centre gauche est toujours la clé de nos réussites électorales, nous n’avons pas su proposer d’alternative à Emmanuel Macron. Aujourd’hui, cet électorat a développé une forme de maturité qui le rend exigeant dans les positionnements attendus de ses responsables politiques. Ils auront trouvé dans la figure de notre nouveau Président la moins pire des propositions. Ils n’en demeurent pas moins très critique et en attente d’une exigence bien supérieure, à laquelle nous serions bien inspirés de tenter de répondre !
A la fois nous devons porter l’ensemble des trois dimensions qui construisent la gauche : l’utopie, la résistance et la régulation, mais nous devons aussi faire émerger la culture d’une gouvernance qui porte l’ambition de plus coopération. Celle-ci peut se décliner dans des pratiques démocratiques plus participatives, mais aussi dans une volonté réelles de respecter les logiques de subsidiarité et donc de décentralisation du pouvoir.
Coopérer, c’est d’abord produire de la confiance, dans l’avenir bien-sûr mais aussi et surtout entre parties-prenantes, entre citoyens et entre groupes constitués. Pour ce faire, il faudra lever un certain nombre d’obstacles, de contradictions que la gauche peine encore à ouvrir au débat. Je crois que le grand chantier de la gauche est sur cette voie-là. A nous de nous en saisir pour répondre à cette attente, car de toutes façons, les autres ne le feront pas !