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Taxe carbone

Ploufragan, une mauvaise réponse à des bonnes questions pour le territoire breton

 

Comme je l’ai dit dans une précédente note [ici], le projet de centrale électrique gaz-fioul de Ploufragan n’est pas une réponse adéquate aux problèmes qui sont aujourd’hui posés à notre territoire : la Bretagne.

A la suite des auditions du B15, il m’apparaît clairement que la Bretagne doit répondre à trois enjeux structurants, sur le plan de son alimentation électrique :

q  Etre capable de gérer les pointes de consommation

q  Rééquilibrer sa « balance commerciale électrique » vis-à-vis du reste du territoire

q  S’inscrire dans le cadre mondial de la lutte contre le dérèglement climatique

Ces trois axes doivent devenir les clés de décision pour tout nouvel investissement en matière électrique sur le territoire. Après analyse, le projet de Ploufragan n’apporte aucune réponse pertinente sur ces trois sujets.

 

 

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Etre capable de gérer les pointes de consommation

Comme partout ailleurs, il existe des périodes (statistiquement en périodes hivernales froides) où la demande électrique atteint des pics. Ces pointes de consommation durent de quelques heures à quelques dizaines d’heures par an, en fonction de la froideur de l’hiver. L’hiver dernier, quatre jours ont été considérés « à risque », pendant 2 à 4 h chacun de ces jours (soit environ 8h au total).

Il y a probléme en Bretagne, non pas à cause de cette pointe de consommation (qui est structurelle dans nos habitudes de consommation et nos installations électriques actuelles françaises), mais parce que la Bretagne importe 93% de l’électricité consommée via un réseau électrique pour partie aujourd’hui sous-dimensionné. En effet, au niveau global français, il n’y a pas de problème pour absorber les pointes de consommation. D’après les dirigeants d’EDF : « EDF dispose de marges encore significatives sur son périmètre d’équilibre au niveau national » et cela sera encore plus vrai avec la mise en fonctionnement de l’EPR de Flamanville, dans 2 à 3 ans.

A court terme, le problème breton vient donc d’une faiblesse du réseau, afin de distribuer l’énergie produite ailleurs. Dans les faits, le maillon faible est celui du « réseau nord », entre Rennes et Saint Brieuc et non une « alimentation globale de la Bretagne ».

Pour Brest, l’alimentation passe par le « réseau sud » breton et ne présente pas de sous capacité (même avec le tram !) puisqu’il existe deux lignes 400 000 V en parallèle.

Sachant qu’il est aujourd’hui très difficile de construire de nouvelles lignes à haute tension (procédures administratives longues et souvent difficiles), RTE ne prévoit pas de renforcer la ligne Rennes-St Brieuc avant une échéance de 10 ans. D’où l’alternative du projet de Ploufragan : produire l’électricité plus localement, puisque l’on ne peut pas en amener suffisamment par le réseau.

Un des paradoxes du projet de Ploufragan est l’écart entre son temps de fonctionnement requis et son temps de fonctionnement réel. Construire un équipement de ce type pour ne fonctionner qu’une centaine d’heure par an (le besoin réel) n’est pas rentable pour les producteurs d’électricité. La réponse qui a donc été trouvée est de produire entre 3100 et 4000 heures par an, soit entre 35% et 46% de l’année.

Alors que la question posée est celle de l’alimentation en pointe de la Bretagne, le projet de Ploufragan répond en proposant une production supplémentaire pour toute la période hivernale et un peu plus.

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Rééquilibrer sa « balance commerciale électrique » vis-à-vis du reste du territoire

Comme cela a été dit plus haut, la Bretagne importe 93% de son énergie électrique. Cet état de fait est la double résultante historique d’une vision énergétique française centrée sur la production nucléaire et d’un rejet historique de la Bretagne pour ce type d’installation.

Vécu de façon très culpabilisante et alarmiste par certains, ce déséquilibre n’est ni un problème sur le plan technique, ni même une fatalité. Dans une économie mondialisée comme la notre, on voudrait nous faire croire que chaque territoire se doit de vivre en équilibre énergétique … mais certainement pas pour le reste (libre échange oblige).  Cela tient à l’absurde. Si l’électricité ne se stocke pas, elle se transporte très bien  (les pertes en ligne sur la THT ne sont que de 3 à 4%).

Comme pour tous les autres domaines économiques, les modèles de développement passés ont favorisé la spécialisation de certains territoires par rapport à d’autres (c’est encore le cas avec les pôles de compétences, par exemple). Les territoires qui produisent bénéficient aussi bien des externalités positives (emplois, revenus et taxes, etc ….) et négatives (nuisances, pollutions, etc …) liés à toute production.

Notons au passage que la Bretagne est aujourd’hui largement exportatrice dans les secteurs agricole et agroalimentaire. Il ne viendrait à personne l’idée de culpabiliser les territoires important leur nourriture de Bretagne, parce que cela pollue un peu les sols et encombre les routes ! Et sur ce terrain là comme sur les autres, la Bretagne bénéficie autant des externalités positives que des externalités négatives.

Cela étant dit, s’il faut se méfier des discours alarmistes qui cachent souvent des intérêts particuliers, mon propos n’est pas non plus de dire que la Bretagne se doit de rester sur cet état de fait en terme d’équilibre. Les enjeux auxquels nous allons devoir faire face sur le plan énergétique nous imposent d’avoir une vision très claire sur l’efficacité énergétique et sur la sobriété énergétique. Opérationnellement, ces deux enjeux ne pourront pas se gérer intelligemment de Paris ou de Bruxelles, il reviendra nécessairement aux territoires (à des échelles assez fines d’ailleurs) de rechercher les opportunités en terme d’efficacité et de sobriété. Chaque territoire étant différent et ayant potentiellement des stratégies globales différentes, c’est à l’échelle de « territoires de projets » que les progrès se feront de la façon la plus pertinente et la plus bénéfique pour tous.

De ce fait, on comprend bien que pour responsabiliser un territoire sur sa consommation énergétique, il vaut mieux qu’il détienne lui-même des leviers sur une production locale. Si un maillage supranational doit exister pour équilibrer les réseaux et mutualiser les fluctuations entre offres et demandes, il est clair que nous devons tendre vers une forme d’équilibre entre production et consommation électrique de territoires assez petits (de la Communauté urbaine au Département). Mais sûrement pas en copiant-collant le modèle énergétique passé qui propose des modes de production centralisés, sans analyse des opportunités d’efficacité énergétiques locales ou même d’investissement en maîtrise de l’énergie (et nous savons qu’il en existe beaucoup dans les deux cas).

A cet égard, le projet de Ploufragan présente une faille de taille dans son argumentation : alors que la problématique de l’équilibre énergétique de la Bretagne est dans tous les esprits, le projet de Ploufragan ne propose qu’une production 45% de l’année maximum et donc propose de rester sur la dépendance électrique bretonne plus de 55% de l’année ! Bizarre, pour une fois que l’on arriverait à produire en Bretagne …

Inversement à la logique proposée et puisque le problème est une faiblesse de l’alimentation entre Rennes et St Brieuc, il serait possible de proposer un moyen de production 100% de l’année sur St Brieuc et d’assumer la pointe de consommation par la ligne THT, alors déchargée de la production locale briochine. Mais dans la stratégie des producteurs d’électricité, cette option semble moins intéressante : elle risque d’imposer un mode de production plus « propre » et elle n’est pas utile puisqu’elle s’additionne à une production nationale déjà excédentaire le reste de l’année.

Remarque au passage concernant un futur rééquilibrage : on risque de s’apercevoir rapidement que certains effarouchés d’aujourd’hui ne sont pas prêts à lâcher la production d’énergie sur leur territoire, afin de laisser monter en puissance la Bretagne. Dans un contexte de croissance, on arrive à contenter tout le monde, mais dans un contexte de stabilisation de la production, comme prévue par la PPI électrique française, soyons certain que des territoires producteurs se battront pour ne pas laisser partir en Bretagne les 93% de la production qu’ils nous vendent !

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S’inscrire dans le cadre mondial de la lutte contre le dérèglement climatique

L’approche du sommet de Copenhague et tous les débats scientifiques sur le dérèglement climatique sont là pour nous rappeler que la question d’aujourd’hui ne peut être décorrélée de celle de la limitation du rejet de gaz à effet de serre (CO2), dans nos pays développés.

D’après RTE (les autres aussi) : « le pic de consommation a augmenté de +20% entre 2003 et 2009 » … concluez que cela va continuer sur cette tendance ! La vision que développent les groupes de production d’énergie sur la perspective de hausse de la consommation  électrique est avant tout une vision anxiogène qui leur est favorable.

Au regard des engagements pris par le Grenelle, il est plus que probable que cette tendance soit fausse à moyen terme. En effet, les objectifs européens sont une baisse de 20% de la consommation d’énergie à 2020, tout en considérant cela comme un point d’étape puisque que les objectifs internationaux visés à terme tablent sur une réduction de 75% pour 2050 (facteur 4).

Dans ce contexte énergétique global, l’électricité a une place particulière puisque qu’avec le développement des transports en commun type tram, TGV, ou même voiture électrique, il est probable que des usages électriques se développeront. Pour autant, il faut miser aussi sur une réduction de la consommation du chauffage électrique et d’autres usages. Au global, fixer une stabilisation de la consommation d’électricité dans un contexte où la consommation globale d’énergie doit baisser de 20% n’est pas en soit déraisonnable (c’est d’ailleurs le scénario retenu par les Grenelles, présenté en Juin dernier par JL Borloo).

La vision des producteurs d’électricité est donc une vision volontairement alarmiste qui pousse à la mise en place de nouveaux moyens de production et donc affaiblit toute mesure visant à en limiter la consommation puisque les infrastructures existeront.

Concernant le projet de Ploufragan et comme dit plus haut, la lutte contre le dérèglement climatique et l’usage d’énergie primaires non renouvelables imposent de notre part une vision claire sur l’efficacité et la sobriété énergétique de chaque nouveau projet. Se justifiant sur une problématique de pointe (quelques heures par an), mais fonctionnant en réalité la moitié de l’année, le projet proposé n’investit ni dans l’un ni dans l’autre de ces objectifs. Avec un rendement de 30% entre énergie primaire et énergie produite, la centrale de Ploufragan se situerait dans ce qui se fait de plus médiocre en terme d’efficacité énergétique. Cela ne dérangerait pas si elle fonctionnait moins de 100h/an, mais ce n’est plus le cadre du projet proposé. Enfin, la réponse proposée reste 100% tournée vers de la production d’énergie. Pas un euro n’y serait investit pour de la maîtrise de l’énergie (sobriété), quand on sait que pour des sommes bien moindres, il est théoriquement possible de faire bien mieux sur la MDE, avec des techno simples et matures !

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Pour toutes ces raisons, le projet de centrale de Ploufragan est un mauvais projet. Il n’a pas été conçu pour répondre aux enjeux de la Bretagne, mais il a été conçu pour répondre aux problèmes des producteurs et distributeurs d’électricité, dans le cadre de leurs intérêts propre en terme de rentabilité et en terme de fonctionnement électrique des réseaux, dont ils sont responsables.

Peut-être que l’arbitrage politique sera que c’est le bon projet, simplement parce que c’est le seul disponible à court terme et qu’au final, dans notre société anxiogène à l’extrême, une coupure de courant (même de quelques heures) fini par faire peur à tout le monde. Ce n’est finalement pas très important pour peu que nous en ayons tiré des leçons et qu’à l’avenir l’état, qui a la compétence de l’énergie, réfléchisse un peu plus au regard des objectifs qu’il s’est fixé dans les Grenelles, par exemple.

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