Le projet de stade au Froutven à l'ère de la post-vérité

Gare aux loups, dans le nouvel ordre mondial

Chaperon rouge dore« Mère-grand, que vous avez de grandes dents ! », telle pourrait être la phrase que se posent les pays occidentaux depuis de nombreuses années face aux USA, bien rangé sous leur bienveillante protection. Jamais nous n'allions imaginer que ce paradigme pourrait se retourner contre nous et que les grandes dents allaient finir par mordre. Et pourtant…

Il y avait quelques signes avant-coureurs d'une fuite en avant qui allait mal finir : un pays excusé de tout par la dominance mondiale de sa monnaie, des déficits publics sans limite, une dette devenue abyssale. En contrepartie, un investissement massif dans l'armement, soi-disant pour bloquer un bloc soviétique à la dérive depuis des années, mais qui permettait surtout de subventionner massivement des développements technologiques dominant ensuite sur le marché civil concurrentiel.

La démocratie est ainsi faite qu'elle permet des revirements importants à l'occasion d'une élection. L'hyperpuissance américaine n'a nullement contenu une fracture interne sur la répartition des richesses qui, médias populistes aidant, a conduit une partie de la population à sombrer dans la peur et l'envie de revanche. Or, on le sait, ce sont deux sentiments psychologiques humains qui conduisent un/des individu(s) à faire des choix radicaux, y compris contre leurs propres intérêts.

La seconde élection de Trump à la présidence américaine n'est pas une erreur de trajectoire, mais bien une tendance de fond que nous ferions bien de considérer très attentivement. Derrière le clivage de façade républicain/démocrate se cache la réalité d'un clivage aujourd'hui bien plus réel entre une certaine vision de l'action publique, avec sa morale, ses limites et son éthique, et une vision décomplexée, sans limite où le mensonge, la fraude, la corruption servent fondamentalement des objectifs de domination fort peu démocratiques.

 

Partout dans le monde, ce clivage est aujourd'hui transpartisan. Il existe des loups (puisque c'est comme cela que le conte de Perrault les nome) dans tous les bords politiques, dont les principales caractéristiques communes sont le narcissisme et le besoin d'arriver par tous les moyens possibles, quel qu'en soit le prix collectif du moment que cela leur profite. Si Trump et Poutine s'arrangent si bien la cravate en un mois, c'est parce que le grand écart idéologique est tout à fait envisageable pour eux, si leurs intérêts propres sous-jacents sont défendus.

L'émergence de ces loups n'est certainement pas due au hasard. On met souvent les réseaux sociaux au premier plan pour parler des narcisses de tout poil, et c'est vrai qu'ils jouent un rôle, un petit rôle. Toutefois, la raison la plus importante n'est pas là, mais personne n'en parle (ou presque, #MerciMédiapart). Nous préférons encore rester dans des petits clivages gauche/droite (républicains/démocrates aux US) qui permettent à chaque bord de nommer « les gentils » et « les méchants », souvent pour justifier les méthodes les plus tordues pour vaincre les méchants.

C'est une technique d'opposition universelle pour enfermer les esprits, en désignant l'adversaire ou l'ennemi, et annihiler toutes limites à l'action pour son camp et toutes logiques de coopération avec l'autre. Et on le sait, cela marche très bien, comme le moquait si bien Pierre Desproges : « L'ennemi est bête : il croit que c'est nous l'ennemi alors que c'est lui ! » Le clivage gauche/droite est devenu un outil facile à manier par les loups pour imposer leur loi du silence, après avoir dévié de l'éthique et de la probité, notamment dans des partis qui ne réfléchissent plus. Comme semble l'avoir fort justement présagé un ancien premier ministre socialiste, il y a 20 ans : « Si tous les dégoutés s’en vont, il ne restera que les dégoutants ! » Les loups ont transformé les partis en clubs de supporters décérébrés et malades, à l'opposé des partis de masse d'antan, acteurs de l'éducation populaire politique et boîtes à outils pour faire vivre nos démocraties.

Aujourd'hui, il y a moins de différence entre deux personnes honnêtes et sincères de gauche et de droite, prêtes à construire une démocratie dans l'intérêt de tous, qu'entre deux personnes du même bord dont l'un des deux est un loup. Mais malheureusement, l'éthique en politique est devenue un handicap pour tous ceux qui gardent cette boussole morale, car la très grande majorité des acteurs sensés défendre cette vision ont fait défection ou, pire, se sont laissés corrompre.

En France, nous sommes à une époque où un ancien président de la République est condamné, porte un bracelet électronique et a encore de nombreux procès aux fesses, dont un qui l'accuse d'avoir financé sa campagne avec de l'argent venant de dictateurs usant du terrorisme. Un grand nombre de son entourage est clairement mouillé dans ces affaires relevant de la corruption au plus haut niveau de l'État, de la part de ceux qui donnaient alors des leçons de morale publiquement. Malgré tout cela, ces personnes sont encore considérées, ont accès aux médias et même à la présidence actuelle qui se tait. Cela donne le ton. Nous ne comptons plus le nombre de personnalités politiques poursuivies et condamnées, sans que les partis ne réagissent. Tous ces « présumés innocents » dont les faits reprochés empestent la culpabilité et qui se jouent des règles d'une justice trop lente parce qu'exsangue financièrement.

Les partis politiques ferment les yeux sur leurs fraudes internes, parfois même contraires à leurs statuts, pour peu que cela leur ramène des postes d'élus et l'argent qui va avec. Il y a 20 à 30 ans, des dirigeants actuels appelaient les mouvements de jeunes en politique « L'école du vice ». Ils semblent avoir été de bons professeurs. Ils savent mettre à leur profit les méthodes tordues enseignées à cette génération devenue aujourd’hui quinqua ou quadra politique.

Du côté du quatrième pouvoir, c'est exactement pareil. Qu'importe les faits, pour peu que cela rapporte. Un PPDA a pu sévir pendant des années sans que personne n'intervienne. Aujourd'hui, malgré des procès très médiatisés, un Morandini ou un Plazza ne sont toujours pas retirés de la grille des programmes. Cela porte du sens dans notre société. Pas besoin de traverser l'Atlantique pour constater que l'absence de probité n'entrave pas le profit. La presse est tenue par des milliardaires qui filtrent les informations qui dérangent leurs intérêts au niveau national, comme dans la presse locale. Les alliances silencieuses entre politiques corrompus et patrons de presse fermant les yeux sont normalisées. Or, il est d’usage de dire que « celui qui constate un problème et qui ne fait rien fait partie du problème ». Une majorité de médias sont aujourd’hui dans ce conflit éthique vis-à-vis de leur rôle dans une démocratie en bonne santé.

L'objet du propos n'est pas de faire dans le « tous pourris », loin de là. Des études sur les maladies mentales ont montré que les responsables n'ayant aucun attachement à l'éthique ou à la probité ne représentent qu'un responsable sur cinq environ (soit 2 à 3 fois plus que la moyenne de la population). Nous sommes donc très loin du 100 % pourri, fort heureusement. Une majorité de citoyens s’engagent encore avec sincérité et éthique. En revanche, il s'agit de reconnaitre un phénomène de concentration : dans un système de sélection ultra concurrentiel (c.à.d. une élection dans une démocratie libérale), l'absence de limite et d'éthique est un atout très significatif. Cet atout permet aux loups de conquérir aujourd'hui une très large partie des postes à haute responsabilité et de reproduire leur mode de fonctionnement. Trump en est le meilleur exemple, mais des mini-Trump existent à tous les étages et dans tous les bords politiques.

L'absence d'éthique est à la politique ce que le dopage est au sport. Les meilleurs se feront toujours dépasser par ceux qui s'affranchissent de l'interdiction du dopage. Si nous voulons du beau sport, il faut renforcer en permanence la lutte contre le dopage. Alors pourquoi avons-nous baissé les bras sur l’éthique en politique ?

Réveillons-nous, car le résultat de cet effondrement moral de notre monde moderne est là, devant nos yeux médusés. Dans un bureau ovale transformé en plateau de CNews à la Pascal Praud, le président et le vice-président de la plus grande puissance militaire du monde ont fait la leçon au président d'un pays attaqué et dont le peuple a subi de nombreuses pertes. À coups de propos mensongers et de coups de pression, le président et le vice-président ont abusé de leur pouvoir de domination, non pas pour servir la paix, mais pour la capitulation de l'Ukraine. La Russie applaudit, de concert avec tous les pays aujourd'hui dirigés par la meute de loups, rangée derrière Trump.

Si l'Ukraine voulait la « paix de Trump », il suffisait juste de laisser envahir l'Ukraine par les soldats de Poutine, il y a exactement 3 ans. Il suffisait juste d'accepter que les frontières d'hier ne servent plus à rien et de consentir à ce que les plus puissants puissent à tout moment conquérir les moins armés. Il n'en a pas été ainsi, car de nombreuses nations se sont levées pour dire que le respect des peuples et des frontières était une limite indépassable pour l'Occident, une garantie pour la paix et la base d'une réelle coopération féconde entre les peuples. Nous voyons que cette limite n'est plus dans l'ordre mondial aujourd'hui. Seuls prévalent les intérêts économiques d'une caste de milliardaires (bien ou mal acquis), dont certains sont réfugiés dans le pays ayant les plus grosses dettes au monde, bien à l’abri derrière la force militaire la plus puissante du monde aussi.

Le vent tourne violemment et nous venons d'empanner brusquement. L'accaparement des richesses et la sécession des élites n'est plus un concept abstrait. C'est une réalité au pouvoir aujourd'hui aux États-Unis, pour laquelle quelques résonnances se font jour en Europe. Arrêtons de nous masquer la face. L'Europe souffre des mêmes symptômes qui ont conduit les États-Unis là où ils en sont.

Bien plus que les politiques de droite ou de gauche, nous devons combattre les « loups » et travailler à toutes les échelles au retour d'une éthique dans les questions d'intérêts publics et donc, tout particulièrement, en politique et dans les médias. Contrairement à ce que hurlent les loups, la justice n'est pas l'ennemie, mais une garantie de ne plus travestir nos fondements démocratiques de Liberté, d'Egalité et de Fraternité.

Dans le cas contraire, la fin du conte de Perrault est claire :

« – Ma mère-grand, que vous avez de grandes dents !

– C’est pour te manger.

Et en disant ces mots, le méchant loup se jeta sur le Petit Chaperon rouge, et la mangea. »

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Image : Le Petit Chaperon rouge © Gustave Doré

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