Déboires à Eau du ponant
Déboires à Eau du Ponant : La faiblesse de la gouvernance

Déboires à Eau du Ponant : le cas Karine Coz-Elléouet

KCEA la suite de ma première note (ici) et de l'article de fin octobre du site Penn-Bazh : Brest, ville d'eaux et d'histoires ...

Le cas de Karine Coz-Elléouet, salariée d’Eau du Ponant est un bon cas d’école sur la question des conflits d’intérêts, au regard des nouveaux modes de gestion des services publiques par des EPL (Karine Coz-Elléouet est loin d’être la seule dans ce cas, j’imagine).

Durant son premier mandat en 2008, alors qu’Eau du Ponant n’existait pas encore, Karine Coz-Elléouet était la seule élue de Brest ne pouvant pas siéger à la métropole, car elle y était agente, employée de la métropole en tant que responsable du service de l’eau et de l’assainissement [1]. En 2011, elle est devenue salariée de la SPL, comme « Directrice clientèle » ( puis « Directrice des relations usagers »), mais continua à n’être seulement élue qu’à la ville de Brest et non à la métropole. Idem en 2020.

Le contrat de concession sur l’eau et de l’assainissement de la métropole de Brest étant porté et voté en conseil de métropole, le fait qu’elle n’y siège pas lui permet de ne pas s'exposer à la critique d'un conflit d’intérêt avec les décisions qui y sont votés. Mais nous le savons, la ville et la métropole de Brest sont parmi les collectivités les plus intégrées (probablement le bloc communal le plus intégré de France). Cela signifie qu’au-delà de ce qui se passe dans les commissions et les conseils, débats ou votes, tout se passe dans une fusion extrêmement forte des deux gouvernances : même maire/président, même DirCab, même DGS, mêmes directeurs de pôles intervenant tant pour la ville que pour la métropole et enfin, mêmes réunions politiques d’exécutifs des deux collectivités, se faisant conjointement [2].

Donc si les commissions préparatoires et les conseils se réunissent bien séparément, la séparation des décisions est une jolie utopie. Dans les faits, les débats politiques et la préparation de toutes les décisions se font entre adjoints et vice-présidents de la majorité de François Cuillandre, dont Karine Coz-Elléouet fait évidemment partie depuis 2008.

Dans cette réalité-là (même si elle est légale), il est clair qu’un(e) salarié(e) membre du comité de direction d’une SEM ou d’une SPL, membre de l’exécutif d’une des deux collectivités ayant la présidence et la plus grosse DSP (délégation de service publique), a une capacité d’influence sur le maire/président/président, potentiellement supérieure à celle du directeur de l’EPL. En cas de conflit, le maire/président/président sera toujours plus mis en difficulté par le fait démettre un(e) de ses adjoint(e)s, qui peut contrattaquer publiquement en arguant des propos politiques déguisés, qu’un directeur loyal (ou une directrice), soumis à un devoir de réserve et de subordination à son président et son conseil d’administration. Le rapport de force et la capacité de nuisance sont clairement déséquilibrés.

Cet état de fait était déjà vrai du temps du premier directeur, même si le conflit interne fut bien plus large que la simple adjointe à la petite enfance. Ça l’est potentiellement aussi pour le second, face à la première adjointe du maire. La situation est par nature faussée.

Petite anecdote photographique : l’ambiguïté du positionnement de Karine Coz-Elléouet dans la hiérarchie d’Eau du Ponant apparut clairement dès le premier jour de la reprise du contrat de concession, le 30 mars 2012. Ce jour-là fut organisé une journée d’intégration, avec tous les salariés et les membres du conseil d'administration, pour marquer le passage du contrat de Véolia à celui d’Eau du Ponant, à l’usine de potabilisation de Pont ar Bled.

Sur la photo (ici) réalisée pour immortaliser l’évènement avec tous les élus du CA et les nouveaux salariés de la SPL, Karine Coz Elléouet est au premier rang, parmi les élus, juste à la gauche de François Cuillandre, deux fois plus proche du président que le directeur, Christian Clément, ou que le vice-président en charge de l’eau et de l’assainissement de la métropole : l’élu communiste Maxime Paul. Tous les autres directeurs adjoints furent placés dans les rangs au-dessus, mélangés au reste du personnel.

Certaines fois, la réalité du protocole parle plus qu’un long discours ! Dès la génèse, l'élue semble bien avoir supplanté la salariée ...

Que dit la HATVP ?

Sujet tabou, mais qui circulait dans les esprits à la métropole lorsque j’y étais encore : les conditions salariales dont aurait bénéficié Karine Coz-Elléouet après la création d’Eau du Ponant. Il s’est alors dit que son passage de la Communauté urbaine à la SPL l’aurait propulsé dans les plus hauts salaires d’Eau du Ponant [3]. Mais en politique, le commérage est loin d'être une source d'information fiable, surtout lorsqu'il s'agit de revenus d'élus ! Il est plutôt recommandé de s'en tenir aux faits.

Si elle est réelle, cette information serait étonante et pourrait témoigner d’un dysfonctionnement. Le service dont Karine Coz-Elléouet s’occupe, la relation client, n’est ni le plus important en termes d’effectifs, c’est une petite équipe par rapport à tous les services techniques essentiels à la production et distribution de l’eau, ni le plus « stratégique », concernant une entreprise qui dispose par nature d’un monopole de fait sur un territoire. Evidemment, cela n'en est pas moins un service important. La relation client fait partie intégrante de la qualité de service attendue par les usagers, mais rien à voir avec les services techniques garantissant la fourniture d’une ressource essentielle : l’eau, d’une large part des habitants du nord Finistère, 7/7 et 24/24.

Il m’est évidemment impossible de savoir comment se place Karine Coz Elléouet dans la hiérarchie des salaires de la SPL. Seul un audit interne, ordonné par le conseil d'administration, peut produire une évaluation pertinente de l'équilibre des rémunérations dans un CODIR et constater s'il y a ou pas des anomalies. Mais cela ne veut pas dire que rien ne peut être analysé de l'extérieur pour autant.

Si elle a les avantages d’être une élue, Karine Coz-Elléouet a aussi quelques obligations, dont celle de rendre publiques ses rémunérations à la HATVP, justement pour que les citoyens puissent juger par eux-mêmes des conflits d’intérêt de leurs élu(e)s (cela s’appelle une déclaration d’intérêts d’ailleurs). Ainsi, ses salaires sont connus au travers des déclarations qu’elle a elle-même faites à la HATVP depuis 2009.

  • Sur les années 2009 et 2010, elle déclara 15 690 € et 28 735 € annuel net imposable, alors qu’elle était agente de la communauté urbaine.
  • Sur les années 2011, 2012 et 2013, elle déclara 50 135 €, 41 748 € et 53 388 € annuel net imposable, alors qu’elle était devenue salariée de la SPL.

Soit une augmentation de +118% (moyennes 2009-2010 vs 2011-2013) en passant d’une collectivité à une SPL, considérée comme une « quasi-régie » (aussi appelé contrat « in house » par le droit européen, ce qui signifie que la SPL peut-être considérée comme un prolongement de la métropole qui lui cède un contrat de concession).

  • En 2020, sa déclaration se fera en salaires annuels brut (disponible en ligne ici). Si l’on calcule la moyenne de ses salaires à Eau du Ponant en année pleine, entre 2014 et 2019, cela donne 62 000 € annuel brut, avec un salaire 2019 de 75 500 € annuel brut.

Deux constats peuvent être faits. Le premier est qu’en effet, le passage à Eau du Ponant a correspondu à une hausse très significative de sa rémunération (environ un doublement). Le second est qu’en effet, à partir de 2011, Karine Coz-Elléouet bénéficia d’une rémunération qui semble haute, pour une salariée d’une société publique locale en quasi-régie, exerçant des responsabilités de cadre, mais sur un périmètre limité, étant par ailleurs adjointe à la ville de Brest et ne percevant donc pas sa rémunération temps plein [4].

Je peux difficilement en dire plus que de constater ce qu’il y a dans les déclarations qu’elle a elle-même faites à la HATVP. Notons bien que cela n’a rien d’illégal en soi, une entreprise peut payer un salarié comme elle le souhaite, mais s'agissant du public, on entend plus souvent parler de modération salariale que d'excès pour les salariés. 

Des indemnités (presque) doublées

J’ouvre une petite parenthèse pour rappeler que Karine Coz-Elléouet s'est déjà faite remarquer par une augmentation significative de son indemnité lorsqu’elle a endossé ses nouvelles fonctions, en début de ce mandat. Comme je l’avais déjà mentionné dans une précédente note (ici) dès septembre 2020, son indemnité en tant que première adjointe fut quasiment doublée (+83%) par rapport à celle qu’eut son prédécesseur (moi-même) et la première adjointe précédente (Bernadette Abiven).

Il apparait assez probable que François Cuillandre ait cédé à cette exigence de sa part (assez impopulaire aux yeux des citoyens juste après une élection), justement pour compenser le fait qu’elle ne puisse pas être élue à la métropole et donc, toucher une double indemnité (ville + métropole). En revanche, il parait moins probable que cette dernière ait été nommée première adjointe avec grand enthousiasme par François Cuillandre. Peu de risque qu’il ait oublié l’épisode l’ayant conduit à se séparer du premier directeur d’Eau du Ponant, de la fronde du CODIR, sous l’œil de l’inspection du travail. 

Une délégation à contre-emploi

Comme il est rappelé dans l’article de Penn-Bazh, Karine Coz-Elléouet semble être connue à Eau du Ponant pour un management très particuliers. Verbatim du pré-rapport Pennec dont l’article de Penn-Bash dévoile quelques morceaux choisis : « Nous avons reçu […] quelques témoignages de salariés ou d’anciens salariés de cette direction mettant en cause le management de la directrice [Karine Coz-Elléouet] (qui est qualifié de très descendant, très autoritaire, dans le contrôle, avec des comportements ou décisions arbitraires, des postions qualifiées de discriminantes vis-à-vis des salariés ayant des mandats de représentants du personnel) en faisant le lien avec des situations de mal-être au travail, épuisement professionnel, dépression… ». Un syndicaliste témoigne même dans l'article : « Il y a des salariés qui se sont mis en arrêt à cause de Mme Coz-Elleouët ! »

Ces témoignages, relayés dans le pré-rapport PENNEC et synthétisant des propos de salariés d’Eau du Ponant, font aussi écho à mon histoire d’élu.

Karine Coz-Elléouet fut aussi connue comme une élue ayant des positions politiques figés et parfois dogmatiques. De même, elle fut aussi connue pour être très exigeante vis-à-vis des agents de la ville de Brest. Une directrice de la petite enfance travaillant sous son autorité d’élue en fera malheureusement les frais. Elle finira en burn-out et mettra de longues semaines d’arrêts à s’en remettre. Là encore, aucune explication ne fut recherchée, aucun changement ne fut acté. L’élue continua comme avant, la directrice fut mutée et finira par quitter Brest.

Le caractère de la première adjointe n’est donc pas un élément inconnu des autres élus et du maire. Il est étonnant, là aussi, qu'aucune mesure ne semble avoir été prise à Eau du Ponant au regard du mal-être évoqué dans l'article. Dans des entreprises qui s'intéressent réellement aux RPS, les profils du type décrit dans l'article sont éloignés des fonctions de management. En effet, au-delà de l'aspect humain dèjà très préoccupant, les RPS coutent chers aux entreprises. Les laisser perdurer est une perte de valeur ajoutée pour le collectif de travail.

Je fus évidemment très surpris de voir qu’en début de ce mandat, François Cuillandre la nomma en charge de « l’égalité entre les femmes et les hommes et la lutte contre la discrimination ». Il m’a semblé toujours très étonnant de voir que l’on nomme des personnes ayant des antécédents de ce genre sur des délégations qui s’apparent à une lutte contre toutes les dominations, qu’elles soient de sexe, de genre, familiale, professionnelle, ethnique ou religieuse. Cette nomination m'a semblé être une erreur. Il est vrai peu étonnante de la part d’un maire avec une vision très patriarcale du pouvoir !

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Une élue salariée d'une SPL, première adjointe du maire qui préside la SPL, avec un salaire conséquent et faisant valser les directeurs ... nous sommes légitime à nous questionner : qui dirige Eau du Ponant ?

A suivre : Déboires à Eau du Ponant (3/3) : La faiblesse de la gouvernance

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[1] L’article L.231 du code électoral dispose que « Les agents salariés communaux ne peuvent être élus au conseil municipal de la commune qui les emploie », cette mesure s'étendait aux agents d'un EPCI. Lire : ici. Une fois passée salariée de la SPL, le risque de conflit d'intérêt cesse, même s'il existe de nombreux débats sur le sujet et qu'il n'est pas sûr que le législateur ne change pas un jour d'avis. Pour le moment, la situation n'a rien d'illégale : un(e) salarié(e) d'un SPL peut-être élu(e) dans une collectivité actionnaire de cette SPL. Karine Coz-Elléouet pourrait donc même être élue à la métropole.

[2] Entre 2001 et 2020, une réunion hebdomadaire de tous les adjoints et de tous les vice-présidents de François Cuillandre aura lieu chaque vendredi matin, de 8h15 à 9h30, au troisième étage de l’hôtel de métropole. La réalité politique était bien que les deux exécutifs n'en faisait qu'un. 

[3] J’aurai pour ma part cette information de la bouche d’un directeur général de la métropole, ayant suivi de très près la première crise et qui s’étonnait alors du niveau de salaire en relatif du sien, malgré des responsabilités très significativement plus réduites !

[4] Ces revenus issus d’Eau du Ponant et déclarés à la HATVP ne sont pas sa rémunération annuelle brut temps plein. Comme pour tous les élus, les journées d’absences au titre de son mandat d’élue sont autorisées par la loi, mais non rémunérées. Sa rémunération brute déclarée à la HATVP fait donc état de sa rémunération annuelle, soustraite des périodes où elle est sur sa délégation d’adjointe à la ville de Brest et donc non rémunérée par Eau du Ponant. C’est normal.

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Photo : Maville

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