Déboires à Eau du ponant
lundi 14 novembre 2022
Toute fin octobre, une gazouilleuse insoumise brestoise m’a interpellé pour savoir si j’avais des commentaires sur un article du site Penn-Bazh, traitant des déboires récents à Eaux du Ponant : « Brest, ville d’eaux et d’histoires … » par Erwan Chartier.
Tout d’abord, je dois avouer que j’ai découvert ce site de journalistes indépendants. J’ai trouvé l’article intéressant, bien renseigné et posant les bonnes questions. Je suis heureux de découvrir un site de journalisme indépendant en Bretagne. Cela ne peut faire que du bien à notre démocratie … et à notre région.
L’article sur la Société Publique Locale (SPL) Eau du Ponant pose de nombreuses questions. Je n’ai pas la prétention d’avoir toutes les réponses, mais je crois en avoir quelques-unes. J’ai la chance d’avoir été un des administrateurs fondateurs d’Eau du Ponant et d’avoir suivi toute sa mise en route (largement relayé sur ce blog d’ailleurs ici). Je connais donc bien sa genèse et les quelques histoires qui ont suivi. Je connais bien aussi les protagonistes de l’article. Donc, je dois pouvoir éclairer un peu ce sujet … que les responsables actuelles de la collectivité se refusent de commenter. (Ce n’est souvent pas bon signe ce genre de réponse !)
Les deux raisons d’être de la SPL Eau du Ponant
Tout d’abord, je crois qu’il est important de resituer Eaux du Ponant dans son contexte. En synthèse, Eau du Ponant est un outil qui a été créé pour deux objectifs, un officiel, l’autre moins.
Le premier objectif de la création de la SPL était la reprise en gestion du contrat d’eau et d’assainissement, laissé en concession pendant plus de 20 ans à Véolia. C’était un engagement de la campagne des municipales de 2008, puisque nous savions que le contrat arrivait à échéance. Il y avait, dans l’équipe de gauche, une vraie volonté politique partagée de reprendre en gestion publique, l’eau et l’assainissement. Et c’était plutôt une bonne chose.
Le second objectif, ce fut l’opportunité d’en faire un accélérateur de projet de territoire, sur l’ensemble des intercommunalités du pays de Brest. Très rapidement, le modèle de la SPL, qui existait déjà pour l’aménagement (SPLa) et que le législateur ouvrira à cette même époque à d’autres thématiques de l’action publique, deviendra l’alpha et l’oméga du projet (Eau du Ponant devint d’ailleurs la première création de SPL de gestion de l’eau de France).
A l’instar de ce qui avait été fait par le passé sur les déchets (SEM Sotraval) et sur les pompes funèbres (SEM PFCA), il y eu l’idée de faire un Etablissement Publique Local (les EPL intègrent les SEM et les SPL) encore plus puissant, sans nécessité de mise en concurrence, ayant vocation à terme à rayonner sur tout le pays de Brest (voire plus loin), sur la question stratégique de l’eau et de l’assainissement. Le choix de la SPL ne se fit pas tant sur la question de la gestion privée par rapport au modèle en régie, mais bien sur la capacité de la SPL à pouvoir récupérer des délégations de services publics (DSP), sans mise en concurrence et donc sur un pur choix politique, sur un territoire très large. Pourquoi ?
La vraie raison, non exprimée politiquement, était déjà le projet d’élargissement de la métropole, afin d’atteindre un territoire de 400 000 habitants. Cet objectif était alors l’obsession de François Cuillandre, petit roi d’un territoire de 210 000 habitants, trop petit et trop excentré pour pouvoir exister nationalement. Beaucoup d’énergie fut mise pour tenter de fédérer les EPCI du pays de Brest dans une grande métropole, qui aurait pu se prévaloir du même nombre d’habitants que Rennes, par exemple. Car à Paris, un maire sans grand charisme, sans grande idée politique et qui a échoué par deux fois à cumuler avec une fonction de parlementaire, ne peut exister que par le poids des chiffres de l’INSEE [1]. Eau du Ponant fut donc la pièce centrale de ce puzzle-là. Une façon aussi, pour François Cuillandre qui gardera toujours la présidence d’Eau du Ponant, de faire la pluie et le beau temps dans les EPCI autour de Brest.
Petite anecdote que je vécu de l’intérieur, lors de la création d’Eau du Ponant. Alors que quasiment toutes les représentations dans les « satellites » [2] de la métropole se font sans compensation financière pour les élus qui y siègent, ce n’est pas le cas de la SPL Eau du Ponant. Chaque administrateur touche 300 € de jetons de présence, par conseil d’administration.
Ce coup de canif à la règle est lié à l’accord historique, lorsqu’il a fallu convaincre les trois premiers syndicats d’eau de rejoindre la métropole et former la SPL. En effet, une fois leur contrat absorbé dans la SPL, les élus dirigeants ces syndicats d’eau craignaient de perdre les indemnités (légales) qu’ils percevaient de leur syndicat. De plus, ils avaient l’habitude d’être invités aux matchs de foot par Véolia. Dans la négociation finale, ce point revint comme un non-dit qui empêchait les discussions d’avancer. Des jetons de présence furent créés et des abonnements aux matchs furent achetés, avec des belles tables au Carré VIP. Ce petit pas pour Brest, fut un grand pour la négociation.
Sur le foot, cher au président d’Eau du Ponant, il ne peut être nié que ces lieux-là sont évidemment des sphères d’influence … pour ceux qui distribuent les places. Véolia ne s’y était d’ailleurs pas trompé en mettant en place ces pratiques. Eau du Ponant et son président non plus !
Le projet d’élargissement de la métropole à la presqu'île de Crozon avorta fin 2018, laissant peu de place à un rebond avec un autre EPCI, tant la façon de le faire fut peu cavalière. Malgré un maire plutôt ouvert à cette proposition sur la presqu’île de Crozon, sous la houlette de François Cuillandre se voyant déjà à la tête de « ses » 400 000 habitants, la métropole pris les choses en main de façon dirigiste, pressante, fort peu politique et trop administrative. Malgré le fait que des maires de droite de la métropole mouillèrent réellement la chemise pour soutenir le projet et l’esprit métropolitain, la rigidité de la méthode engendra une levée de boucliers sur la presqu’île et donna raison aux opposants du projet. Ces derniers craignaient un pouvoir centralisé et hégémonique brestois, sourd aux demandes des autres territoires, sans possibilité de retour en arrière et seulement prompt à discuter du partage … de la fiscalité. Reconnaissons-leur que cela ne donnait pas envie !
Donc, dès le départ, le projet d’Eau du Ponant fut aussi cela, au-delà aussi d’une vraie réalité de reprise en gestion publique de l’eau et de l’assainissement.
Mon avis est que si on enlève le calcul sous-jacent sur l’élargissement de la métropole, Eau du Ponant fut un bon projet, un très bon projet même. Eau du Ponant est un bel outil de gestion publique d’une ressource essentiel et sur laquelle pèse de gros enjeux (économiques et écologiques) sur le long terme. L’assoir sur un acteur en capacité à s’engager sur le temps long (le contrat de concession de 99 ans pour la métropole de Brest) est une bonne chose, contrairement aux majors privés de l’eau qui resteront toujours sur des visions courtermistes, tout simplement parce que capitalistique.
Mais Eau du Ponant doit rester un outil au service des territoires et non un outil de contrôle et de domination politique sur les plus petits territoires, comme cela a été imaginé par certains. La persistance de François Cuillandre à la présidence d’Eau du Ponant témoigne d’ailleurs que cette vision politique est encore bien présente.
Le licenciement du second directeur
Sur le licenciement du second directeur, Marc Dufournaud, il m’est très difficile de prendre position sur le cas particulier, ne connaissant ni les faits qui lui sont reprochés, ni sa défense et n’ayant pas eu de contact avec lui depuis 2020. Je peux juste témoigner que j’ai toujours travaillé sereinement avec lui. Entre 2019 et 2020, lorsque je suis redevenu administrateur d’Eau du Ponant, j’ai apprécié la façon dont il abordait la gestion de la SPL et la refondation du projet d’entreprise (Transf’eau), après la période de crise qui avait eu lieu et ayant conduit au remplacement du précédent directeur. Il m’est toujours apparu comme une personne engagée et dynamique, soucieux des attentes sociales et sociétales de l’entreprise.
Mais, pour être syndicaliste et avoir accompagné de nombreuses situations difficiles, je sais que parfois les histoires peuvent être plus complexes qu’il n’y parait et que ce n’est pas en étant à l’extérieur, sans aucun élément autre que ceux lu dans la presse, que l’on peut juger des responsabilités. Je n’ai aujourd’hui aucun élément interne à l’entreprise pour juger de cela. Je ne serai donc pas crédible à donner un avis sur ce qui s’est passé.
Mais le contexte et l’histoire peuvent aussi donner un éclairage intéressant. C’est sur cela que je vais me concentrer ci-après. Car là, je connais bien.
L’éviction du premier directeur
Sur le précédent directeur, Christian Clément, que j’ai bien connu et très apprécié lorsque j’ai travaillé avec lui durant la création d’Eau du Ponant, je confirme ce qui est dit dans l’article de Penn-Bazh. Son éviction fut en effet la conséquence d’une opposition forte des autres membres de son comité de direction, dans laquelle Karine Coz-Elléouet semble avoir joué un premier rôle.
D’après ce que me raconta François Cuillandre lui-même, c’est elle qui aurait envoyé un courrier à l’inspection du travail, à l’encontre des pratiques managériales du directeur, déclenchant ainsi cette première crise. Elle aurait prévenu François Cuillandre juste le week-end avant, sans même lui laisser le temps de s’intéresser au dossier et de poser des premières actions. Cette alerte grave à l’inspection du travail obligea le président à relever très rapidement de ses fonctions le directeur, par mesure conservatoire. Durant toute cette période, François Cuillandre, en tant que président d’Eau du Ponant, se retrouva en situation de direction de fait de la SPL et en devoir de répondre aux déclarations faites par les syndicats à l’inspection du travail. Cela ne parut pas trop dans la presse de l’époque, car les fuites à Eau du Ponant furent colmatées [3], mais cela fut une première grosse situation de crise à la tête de la SPL.
Cet épisode créera une tension très vive entre Karine Coz-Elléouet et François Cuillandre, ainsi que d’autres élus dont je faisais partie et qui ne comprenaient pas ce qui s’était passé et la soudaineté de la crise. Alors qu’elle faisait partie des meneurs de l’opposition au directeur, il lui sera reproché de ne pas avoir alerté plus tôt (elle était déjà élue dans l’équipe, adjointe en charge de la petite enfance). Les reproches étaient d’autant plus légitimes que Karine Coz-Elléouet avait été, durant toutes les premières années, extrêmement élogieuse vis-à-vis du directeur et de tout ce qu’il entreprenait à Eau du Ponant, contrairement à François Cuillandre qui avait plutôt de la méfiance vis-à-vis d’un directeur qui n’hésitait pas à exprimer sa vision de l’entreprise, un peu trop centre droit au gout de son président. Le revirement fut donc brutal, surpris tout le monde et créa d’importantes lignes de fractures dans l’équipe majoritaire.
Jean-Luc Polard était alors le vice-président spécialisé dans le suivi de toutes les SEM et SPL. Il finit d’ailleurs par mettre en place la « Maison commune », sorte de filialisation de toutes les EPL gravitant autour de la ville et la métropole de Brest. Il fera a postériori sa petite enquête. Il me confia avoir découvert que durant les premières années d’Eau du Ponant, Karine Coz-Elléouet avait été très conciliante avec le directeur, qui avait lui-même parfaitement intégré qu’elle avait l’oreille de son président. Cela avait masqué les problèmes qui émergèrent avec le temps au sein de l’entreprise. En contrepartie de cette « bienveillance » à l’égard du directeur et de ce qui se passait dans l’entreprise, elle aurait bénéficié d’un management accommodant et protecteur du directeur, pour une salariée souvent absente du fait de sa délégation d’élue. L’entente avec le directeur s’était dégradée pour des raisons que j’ignore (potentiellement multiples) et l’ensemble du comité de direction s’était retourné contre lui, y compris Karine Coz-Elléouet qui avait fini par rallier l’avis des autres membres du CODIR et avait demandé sa tête au président … avec succès.
A suivre : Déboires à Eau du Ponant (2/3) : Le cas Karine Coz-Elléouet
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[1] François Cuillandre le verbalisa avec ces mots : « Le parti ignore les élus qui n'ont pas de mandat national, c'est pire que du mépris. » - article de l’Express de 2009
[2] Les satellites des deux collectivités de Brest sont les institutions : SEM, SPL, Association, Office, etc … contrôlés en totalité ou seulement majoritairement par les collectivités. Il est possible de citer : Eau du Ponant, Brest’aim, Brest métropole aménagement, SOTRAVAL, SEMPI, Brest évènement nautiques, ADEUPa, Brest métropole Habitat, SEM des Ateliers des Capucins, ou le CCAS. Je ne crois pas en avoir oublié !
Il existe aussi des satellites présidés par des élus du bloc communal brestois, mais non majoritairement dans le CA : Ener’gence, Technopôle Brest Iroise, Pole métropolitain du pays de Brest, PFCA, Office de tourisme, Syndicat de bassin de l’Elorn, Maison de l’emploi et, petite innovation 2020, le Centre de gestion 29, alors même que la ville et la métropole de Brest y ont historiquement peu d’intérêt, ce qui n’est pas tout à fait le cas de son président … mais c’est une autre histoire ! 😉
[3] A ma connaissance, il n’y eu qu’un seul article de presse relatant la crise, dans le Ouest-France de janvier 2018, sous la plume d’Olivier Pauly (ce qui déterminait souvent l’origine de la fuite à cette époque !) : « Eau du Ponant est en ébullition »
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Image : Etapes de création du logo d’Eau du Ponant par la plasticienne concarnoise Valérie Le Roux. Une variation autour d’une goute d’eau et du Gwenn Ha Du, les quatre bandes symbolisant les quatre collectivités fondatrices, cotés terres et mer. (Issue du livret : Les Gens d’Eau du Ponant)