Réponse au courrier de monsieur CUILLANDRE
vendredi 26 janvier 2024
Je dois bien l’avouer, je fus quelque peu surpris de découvrir une écriture bien connue sur l’enveloppe d’un courrier reçu dans ma boite aux lettres. J’avais déjà reçu des courriers d’avocats de sa part (ici), mais pas de courrier personnel, signé de sa main.
Alors même que le jugement de l’affaire Vivre à Brest n'était pas encore acté, la lecture de cette lettre ne fut pas sans me questionner, tant sur le but poursuivi par son auteur que sur sa réelle compréhension de l’affaire Vivre à Brest.
La lecture de la première partie laissait peu de doute sur l’intention déjà prise de plaider coupable et sur des discussions probablement déjà en cours avec le procureur qui avait, quelques semaines plus tôt, pris la parole dans la presse pour préparer les esprits. Lorsque l’on sait aujourd’hui que la condamnation ne fut que de 3 000 € fermes, autant dire que la négociation n’a pas été trop rude.
À la réception de ce courrier, il me fut déconseillé d’y répondre avant le jugement. J’ai donc gardé pour moi ce témoignage de l'état d’esprit du maire. Ce courrier révèle le peu de considération qu’il a pour la réalité des faits qui ont été révélés par l’enquête et que j’ai, pour une très large part, déjà expliqués dans un livre et sur mon blog.
Maintenant que l’affaire est close et qu’il est temps de refermer ce dossier, j’ai souhaité répondre à celui qui m’avait écrit afin d’argumenter point par point les contrevérités qui sont exposées dans le courrier. Faute de procès public en correctionnel comme l’avait requis la juge d’instruction, chacun repartira avec sa vérité.
Comme à son habitude, je ne doute pas qu’il ait largement fait lire sa prose à ceux qu’il souhaitait convaincre ou influencer, en se posant en victime et en traitant ses opposants de gens haineux. Je fais donc de même en rendant publique ma réponse ci-dessous.
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Thierry FAYRET
A François CUILLANDRE
Objet : réponse au courrier de monsieur CUILLANDRE
Monsieur,
Avant de refermer le dossier de l’affaire Vivre à Brest, je souhaitai répondre au courrier que vous m’avez envoyé à mon domicile, en mai dernier. Vos propres écrits sont probablement le meilleur témoignage de l’homme que vous êtes devenu. Je ne sais pas qui vous cherchiez à convaincre en m’écrivant, probablement que vous.
Pour m’en avoir fait lire quelques-uns à une autre époque, je connais les usages que vous faites de ce genre de courrier que vous écrivez à vos opposants. Vous les montriez ensuite à vos proches ou à des militants pour mieux vous justifier. Vous rajoutiez toujours que vous n’aviez jamais reçu de réponse, comme pour mieux prouver la justesse de vos propos. Puisque vous me mettez en cause dans votre écrit, vous me contraignez à y répondre, y compris publiquement. J’ai fait le choix de la sincérité et de la transparence dans cette affaire, je ne vais pas changer maintenant.
Vous commencez votre propos en vous étonnant de la position des trois parties-civiles de l‘affaire Vivre à Brest, reprise par la presse le 16 avril dernier. C’était une réaction à la suite de l'annonce du procureur de Brest, quelques jours plus tôt, d'adapter la procédure de justice pour vous éviter une audience publique en correctionnel (lire ici).
L’article ne cachait pas l’enjeu, puisqu’avant même la réaction des trois parties civiles, il était titré : « François Cuillandre pourrait échapper à l’audience publique ». Echapper, c’est lui le mot important. Sa définition est : « Se soustraire par la ruse ». Même les journalistes étaient choqués.
Vous récusez le privilège qui vous a été fait par le procureur, qui plus est en ne vous condamnant qu’à seulement 3000 € d’amende. Pourtant, la condition de privilégié, c’est le procureur lui-même qui en a parlé dans la presse :
« Faire comparaître le maire de Brest, François Cuillandre, seul, en audience publique […] me semblerait aujourd’hui bizarre et inadéquat. […] L’affaire ne présentant pas un caractère d’urgence, je me réserve donc ce temps de réflexion afin de proposer la forme de justice la plus adaptée à la situation actuelle. »
Tout est dit : le maire, pas d'audience publique, une forme de justice adaptée.
Et c'est exactement ce qui s'est passé en novembre dernier. Vous avez rencontré le procureur à huis clos pour négocier votre peine. La seule partie « publique » fut l’audience d'homologation de votre condamnation, durant laquelle aucun débat n’a pu avoir lieu, puisque les parties civiles étaient contraintes au silence. Ce qui était, je n’en doute pas une seconde, la stratégie de votre défense.
Une justice dérogatoire et complaisante, sans appel possible. Pourtant, la juge d’instruction ayant enquêté sur tout le dossier avait requis une audience en correctionnelle, justement pour que les parties civiles puissent s'exprimer librement et qu'un juge puisse trancher après avoir questionné les contradictions des uns et des autres.
Donc oui, monsieur Cuillandre, vous avez bien bénéficié d'une justice dérogatoire et complaisante du fait de votre statut de maire de Brest … et des bonnes grâces du procureur de Brest.
Dans la suite de votre propos, vous tentez de vous faire passer pour la victime, en listant des exemples qui m’ont fait sourire à leur lecture. Reprenons-les ensemble, puisque vous me les opposez !
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Fort peu convaincant, votre premier argument est toutefois amusant par sa pudeur déplacée :
« Je peux difficilement me vanter d'avoir eu les faveurs du Tribunal de Brest qui, d'ailleurs, dans ses écrits, ne parle pas du citoyen Cuillandre, mais du Maire de Brest, comme si ce qui lui est reproché est en rapport avec sa fonction. »
Personnellement, je ne vois pas en quoi ce serait une faveur de parler plus du « citoyen Cuillandre » que du « maire de Brest ». Du reste, vous sembliez bien moins attaché à ce détail au lendemain de l’affaire, lorsque vous avez organisé une conférence de presse dans les bureaux du maire, au 4ème étage de la mairie de Brest. Vous y aviez clamé votre innocence, vous n’aviez rien à voir avec tout cela, nous aviez-vous dit alors (ici).
Ce qui s’est passé dans l’affaire Vivre à Brest durant 18 ans est évidemment en rapport avec l'autorité que les personnes concernées exerçaient sur les autres élus. Vous étiez le maire, ils étaient vos deux principaux et plus proches adjoints, nommés par vous, en tant que maire. Enfin, votre argument est très étonnant après l’audience d’homologation, en novembre dernier, durant laquelle votre avocat a donné du « monsieur le maire de Brest » à tout bout de champ, lorsqu’il plaidait en votre faveur face à une jeune juge. Il semblait beaucoup moins pudique que vous à utiliser votre fonction, ce jour-là ! Mais j’imagine que dans votre référentiel, il ne faut pas user des mêmes mots, devant une juge et devant un journaliste !
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Le second exemple que vous citez pour dénoncer la malveillance de la justice que vous dites avoir subie est très surprenant et soulève plusieurs questions.
« Le 9 avril 2019, je suis auditionné par la PJ dans le cadre, très contestable au regard d'une jurisprudence aux origines brestoises, d'une garde à vue. Sans doute allais-je demander l'asile en Corée du Nord... Une demi-heure après le début de celle-ci, la presse, y compris nationale, était informée. Je tiens à votre disposition un SMS du Télégramme m'indiquant que l'information venait du Procureur... de l'époque ! Privilège du Maire. »
Moi qui ai vécu cette même période à vos côtés, je ne partage pas tout à fait les mêmes souvenirs. Comme je sais que votre mémoire vous joue parfois des tours (surtout quand il s’agit de rembourser des prêts !), je me permets de vous donner ma version de ce que vous m’avez dit à ce moment-là.
Vous contestez votre garde à vue que vous qualifiez, pour je ne sais quelle raison, de « jurisprudence aux origines brestoises ». Mais votre garde à vue n’avait pas pour origine votre potentielle appétence pour Kim Jong-un (chacun choisit ses affinités !), mais un choix fait sur les conseils de votre avocat. À ce que vous m’avez dit à cette époque-là, vous aviez eu le choix d'être convoqué à la Police judiciaire sous le simple statut de témoin (comme messieurs Masson et Polard lors de leur première convocation à la PJ), ou sous le régime de la garde à vue. Contrairement à la première option, cette seconde modalité, plus encadrée juridiquement, vous permettait la présence de votre avocat lors de l’audition. À la suite de la convocation du commandant de police, vous m’aviez expliqué avoir fait le choix du régime de la garde à vue, le qualifiant de plus protecteur pour vous qui étiez maire. Je m'étonne donc aujourd’hui que vous vous soyez posé en victime de ce qui apparaissait alors votre propre choix.
Mais laissez-moi douter que la garde à vue soit le vrai problème. Le problème fut la médiatisation de votre garde à vue. Comme vous l’exprimez vous-même, une demi-heure après le début de celle-ci, vous faisiez en effet les gros titres de la presse. Pas dans Le Télégramme. Pas dans Ouest-France. Mais sur la radio nationale RTL (ici).
Comme l’a alors indiqué le Télégramme, la presse locale ne fera que relayer l’information de RTL :
« François Cuillandre et ses deux ex-principaux adjoints, Alain Masson et Jean-Luc Polard, ont été placés en garde à vue mardi matin, dans les locaux de la police judiciaire de Brest, indique le parquet de Brest, qui confirme une information de RTL. » Article du Télégramme (ici)
De même, vous accusez le procureur de l'époque d’être à l’origine de cette fuite malicieuse. Laissez-moi là aussi en douter.
Le Télégramme écrit bien que le procureur confirme l’information de RTL, pas qu’il l’a donnée. Il parait assez peu probable que le procureur de Brest de l'époque ait pris l'initiative de téléphoner à RTL, pour faire fuiter l'information du placement en garde à vue du maire de Brest, dans la demi-heure qui a suivi les faits. Dans la presse locale, à la limite. Mais sur RTL, permettez-moi d’en douter. Vous n'êtes pas célèbre à ce point !
Vous affirmez détenir des preuves de cela, mais vous vous gardez bien de les partager. Puisque vous me le proposez si gentiment, je suis preneur de ces éléments qui prouveraient que Le Télégramme vous a « balancé » des sources journalistiques ! Ce ne serait pas très joli dites-moi…
Sur cette affaire de la fuite sur RTL, ce qui avait été supputé à l’époque (y compris par vous) était d’un tout autre ordre. Cette fuite volontaire semblait plutôt venir de personnes influentes et bien informées, qui avaient leurs entrées dans les milieux médiatiques parisiens. Des adversaires politiques bien placés qui réglaient quelques comptes, ou a minima, cherchaient à délayer le climat des affaires brestoises, après une autre bien connue nationalement, celle-là. Mais supputations ne valent pas preuves. À ma connaissance, nous n’avons jamais vraiment su d’où était partie cette fuite… Probablement parce que les journalistes de RTL ne balancent pas leurs sources !
Concernant le procureur de Brest et Le Télégramme, ce que vous m’aviez en effet raconté alors, c’est que le procureur vous avait confirmé être à l’origine de la transmission au journaliste du Télégramme du procès-verbal de l’audition libre d’Alain Masson, le 16 novembre 2018, à la PJ de Brest. Il vous avait dit ne pas être tenu par le secret de l’instruction. Cette fuite avait conduit au fameux article explosif du Télégramme (ici), citant publiquement des morceaux choisis de l’audition. C’est à la suite de cet article que vous aviez exigé la démission d’Alain Masson et de Jean-Luc Polard, puis que vous aviez renommé l’Affaire Vivre à Brest, comme l’Affaire Alain Masson.
Si des victimes il y a eu dans cette histoire, ce n’est clairement pas vous. Ce furent Alain Masson et Jean-Luc Polard. Ils n’eurent pas un jour le bénéfice de la présomption d’innocence que vous avez revendiquée quatre ans, avant de plaider coupable pour « échapper à une audience publique », comme l’a écrit Ouest-France. Les vraies victimes, ce sont deux élus qui ont servi de fusible au système qui a été mis en place à partir des années 2000, dans votre majorité, et qui ont payé l’un et l’autre le plus lourd tribut en décédant deux et quatre ans plus tard. Deux élus probablement pas irréprochables, bien-sûr, mais qui ont été traités de la pire façon qui soit par leurs « camarades » et notamment le premier d’entre eux, qu’ils avaient loyalement servi pendant 20 ans.
Donc, pour ma part, en l'absence de preuves factuelles de ce que vous avancez et que vous aurait transmis le Télégramme par SMS, vous n’avez jamais été victime de la justice brestoise lors de votre garde à vue, mais bien plus probablement d'un règlement de compte politique avec quelques figures nationales bretonnes.
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Le troisième exemple que vous brandissez pour étayer votre victimisation apparait à minima, comme une incompréhension des conclusions de la juge d'instruction, voire d’une volonté de reconstruire l’histoire pour mieux échapper à la responsabilité de vos actes passés.
A moi qui connais très bien l’affaire Vivre à Brest, vous osez m’écrire dans votre courrier :
« Le 6 mars 2019, alors que je suis sur écoute téléphonique - autre privilège digne d'un trafiquant de drogue - je suis en conversation téléphonique avec Jean-Luc Polard après sa garde à vue. Le crédit de 4 000 € est évoqué.
Conversation :
FC : je pensais avoir remboursé, enfin je n'en sais rien
JLP : ben moi aussi...
Transcription dans les PV ; FC et JLP construisent un argumentaire... ! »
D'abord, je regrette que le « citoyen Cuillandre » puisse penser que les écoutes téléphoniques ne seraient réservées qu'à ceux qui agissent dans le trafic de drogue et pas aux « honorables » politiques. L’histoire récente semble démontrer le contraire. Et pas qu’à Brest. Si votre égo a été un peu écorné par ces écoutes, rassurez-vous, même un président de la République peut être mis sur écoute (Cf. Affaire Bismuth). Et c’est heureux lorsqu’il s’agit de tripatouillages dans notre fonctionnement démocratique et d’enrichissement personnel. La mise sur écoute ne dépend pas de la fonction ou du métier, mais du fait d’enfreindre la loi… comme la pèche aux ormeaux, pour donner un exemple qui vous est plus familier ! Oublieriez-vous que vous êtes un justiciable comme un autre ? Votre fonction de « maire » ne vous confère aucun droit supplémentaire, juste l’exigence de devoir être un peu plus exemplaire !
La suite de votre propos est du même acabit. J’ai déjà eu l’occasion de l’aborder dans mon livre ou dans des notes sur mon blog.
Le fait que ni celui qui emprunte, ni celui qui prête 4 000 € ne se souvienne si le remboursement a été fait n’est pas le témoignage d’un oubli, mais d’un usage. Une façon de faire qui s’est répétée au fil des ans. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois que vous empruntiez dans la caisse noire sans rembourser. Pendant plusieurs années, les emprunts personnels non remboursés étaient un usage consenti par le trésorier, pour deux personnes : Alain Masson et vous. Je rappelle que nous parlons de près de 70 000 € empruntés et jamais remboursés par vous deux dans la caisse noire, sans que Jean-Luc Polard, le trésorier, ne s’en inquiète. Moi, je n’appelle pas cela des oublis, mais plutôt un usage, voire un système organisé.
Donc, en effet, à la suite de la garde à vue de Jean-Luc Polard, vous avez eu cet échange qui semble autant sincère qu’interrogatif sur le devenir des 4 000 € « empruntés ». Mais cela ne prouve absolument pas que vous ayez eu l’intention de rendre cette somme, avant que commence l’enquête policière. A priori, sans enquête, personne ne l’aurait su et vous n’auriez jamais restitué l’argent, tout comme vous n’avez jamais remboursé toutes les autres sommes dont vous avez bénéficié issues de la caisse noire, sans y verser un euro après l’année 2000.
En plus des 4 000 € qui ont fait l’objet de votre condamnation, l’enquête a aussi révélé 3 000 € empruntés et jamais remboursés en 2007. Somme déclarée dans vos impôts au titre des dons aux partis politiques, vous ayant permis en plus une déduction fiscale indue de 1 800 €, comme vous le reconnaitrez devant la juge. Ensuite, il y a les 4 234 € de votre blog, que vous n’avez quasiment jamais utilisé, sauf pour informer les Brestois que vous ne trompiez pas votre femme avec un homme ! Il y a le bénéfice de l’assurance SMACL, de 2001 à 2014, qui a pesé près de 60 000 € sur le compte de la caisse noire et dont votre quote-part aurait dû être d’environ 4 000 €. Il y a enfin les nombreux repas collectifs, les soirées et les restaurants que l’on voit apparaitre dans les comptes avec la mention « FC » et pour lesquels vous n’avez pas déboursé 1 €. Au total, vous devriez plutôt être proche de 20 000 € de bénéfice personnel, rien que sur le dos de l’association Vivre à Brest. Monsieur Polard semble s’être chargé de tout cela, pour vous, sans jamais rien demander en retour. Encore un oubli, surement !
Alors oui, vous semblez l’un et l’autre être étonné dans cette écoute téléphonique, comme deux gamins pris la main dans le pot de confiture, avec les babines bien collantes, mais au regard de tout le reste non remboursé (encore aujourd’hui), je doute fort de la profondeur de votre sincérité.
Enfin, vous insinuez dans votre propos que c’est à partir de ce minuscule extrait des écoutes qu’une juge va conclure : « François Cuillandre et Jean-Luc Polard construisent un argumentaire ». Voilà qui n’est pas banal au regard des 3 000 pages d’auditions, d’écoutes et de documents d’enquête que représente le dossier d’instruction de l’affaire Vivre à Brest.
Une audience en correctionnelle aurait justement pu permettre de débattre posément de cela. Pour ma part, je ne crois absolument pas que la juge ait mis en question la sincérité de cet extrait, qui n’a d’ailleurs que peu de valeur, bien que vous vous y accrochiez depuis le début comme la pierre angulaire de votre « innocence ».
Ce que la juge pointe probablement plus comme une construction d’argumentaire, c’est la raison de cet emprunt. C’est le fait d’avoir mis l’emprunt sur le compte d’une aide bienveillante à votre fils, plutôt que sur vos déboires financiers personnels. C’est bien cela que vous allez finir par avouer à la juge. Je l’ai expliqué dans une de mes récentes notes (ici), puisque le maire (et non le « citoyen Cuillandre » dans ce cas) continue à clamer cette histoire haut et fort en Conseil municipal de Brest. La vérité, que vous avez-vous-même avouée à la juge et qui explique bien mieux le fait d’avoir dû prendre ces 4 000 € dans une caisse noire qui ne vous appartenait pas, sans les rembourser, ce sont vos propres mots : « parce que j’aurai été en surendettement ».
Je partage cet avis de la juge, il y a eu construction d’un argumentaire. C’est clairement lisible dans les écoutes téléphoniques. Puisque nous en sommes à partager des morceaux choisis d’écoutes téléphoniques pour appuyer nos propos respectifs, je vous en propose la relecture d’un autre. Le 10 mars 2019, l’extrait d’un échange téléphonique avec un de vos proches, dont je tairai par courtoisie le nom. Un extrait beaucoup plus révélateur de l’état d’esprit du citoyen Cuillandre, ne trouvez-vous pas ?
« François CUILLANDRE : Alors moi je pense qu'il y a deux publics hein. Y'a un la Justice, c'est effectivement ça qu'il faudra dire et deux euh ... y'a les collègues ... euh ... notamment du Parti ... et moi je pense qu'il faut que je rembourse les 4 000 balles hein
Monsieur XXXX : Ouais alors ça, si tu veux y'a deux choses, le remboursement ou pas ça c'est une question et effectivement c'est sans doute plus propre de rembourser ; autre chose et ce que tu disais hier, c'est-à-dire, à mon avis, mais tu pourras le tester à la limite auprès de deux trois élus, t'as qu'à en causer pour voir comment ils réagissent ...
François CUILLANDRE : Je vais en causer à Yann hein c'est tout
Monsieur XXXX : Ouais ouais faut pas aller sur le thème "je m'en souvenais pas", ça tu peux pas, dans le monde dans lequel on est, ce sera pas compréhensible
François CUILLANDRE : Et Jean-Luc m'a avoué ce matin, il s'en souvenait pas non plus hein
Monsieur XXXX : Ouais ouais, non mais c'est sans doute la vérité mais c'est pas ... parce que ...
François CUILLANDRE : La vérité n'est pas bonne à dire
Monsieur XXXX : Avec la suspicion sur le train de vie des élus et tout, de dire que tu te souviens pas que tu dois 4 000 euros, ben tu vas voir la réaction qu'a eue Frédéric Marchand, c'est ... le commun des mortels peut pas ....
François CUILLANDRE : Il me semble que les 4 000 euros ne sont pas rentrés dans ma poche hein, Ils sont rentrés dans le bateau de mon fils
Monsieur XXXX : Ouais enfin si tu veux, ça c'est ... Je comprends ta nuance mais pour le grand public elle n'existe pas cette nuance là
François CUILLANDRE : Ben aider ses enfants quand même c'est pas ... dans le monde dans lequel on est
Monsieur XXXX : Ouais, mais tu les as, tu (incompréhensible) ... Moi je pense les éléments que t'apporte là sont suffisants en tant que tels si tu veux, t'as eu besoin d'un coup de main et euh comme d'autres en ont eu, alors le seul truc si tu veux c'est qu'il faut ... enfin, il faut effectivement qu'on mette bien, enfin que tu puisses assoir ton discours sur « j'ai lâché 130 000 euros dans cette association » sur un minimum d'éléments qui confortent le fait quoi. Mais ce que tu dis, si t'as trouvé quelques relevés et tout ça, plus le témoignage de Jean-Luc qui ira de manière concordante avec toi, il doit y avoir moyen de s'en sortir hein »
Amis de la sincérité en politique… Bienvenue à Brest !
Donc, si je résume ce qui n’est pas une « construction argumentaire » : il y a deux discours à avoir, pour deux publics : la justice et le « commun des mortels », c’est-à-dire les élus et les militants du PS. Il y a « une vérité qui n’est pas bonne à dire » : vous avez emprunté 4 000 € sans que personne ne vous les réclame et, comme tente de vous le dire diplomatiquement votre ami, ce n’est pas très logique. Il n’a pas tort, il est de bon conseil ! Enfin, vous travaillez ensemble une argumentation de diversion, en rappelant les 130 000 € que vous aviez laissés à l’association Vivre à Brest, avant de devenir maire (130 000 € qui ne deviendront plus que 100 000 € après, d’ailleurs).
Rappelons que vous avez laissé cette somme dans le mécanisme de mutualisation, simplement parce que c’était la règle pour tous les élus socialistes qui n’avaient pas (ou peu) de perte sur salaire. Notamment parce qu’ils travaillaient pour des députés ou des ministres bienveillants ! Vous n’avez donc pas réellement perdu grand-chose, si je puis me permettre, comparativement aux élus qui, comme moi, ont eu des retenues sur salaire. Des élus qui perdaient réellement une part de leurs revenus pour exercer leur fonction d’élu. Vous ne faisiez que respecter la règle commune, sans vraiment perdre en revenus. En revanche, vous oubliez de dire qu’à partir 2001, vous n’avez plus jamais cotisé à la caisse commune des élus socialistes, contrairement au maire précédent. Cela vous a permis de faire de copieuses économies sur 17 ans (détaillées dans mon livre). Une règle pourtant assez logique de mutualisation entre tous les élus socialistes de Brest, qui semble s’être étrangement envolée lors du passage de témoin entre Pierre Maille et vous. Mais peut-être ne vous considériez-vous déjà plus comme socialiste en 2001 ?
Donc oui, sur ce simple extrait (et il n’y a pas que celui-là), la juge peut légitimement affirmer qu’il y a eu une construction d’argumentaires.
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Le quatrième et dernier exemple que vous convoquez pour illustrer la férocité de la justice à votre égard me laisse songeur sur la profondeur de votre déni :
« Enfin, le 1 er octobre 2019, Madame XXXX, ancienne salariée de Brest métropole est auditionnée par la PJ. Question : selon vous, M. François Cuillandre était-il informé que M. Masson percevait directement ses indemnités d'élu ? Réponse : je suppose que oui, mais je n'ai pas d'information particulière là-dessus.
Repris par l'instruction : le maire de la ville était au courant du fait que M. Masson percevait directement ses indemnités ! »
Le propos de cette salariée de la métropole, qui a répondu honnêtement, n’a pas grand-chose à voir avec la conviction exprimée par la juge d’instruction. Cette question, la juge a dû se la poser continuellement dans son travail de collecte de témoignages et d’informations. Elle est au cœur de l’affaire. Elle me l’a d’ailleurs posée, sans que je sois capable d’y répondre avec certitude non plus.
Votre thèse du bouc-émissaire voudrait nous faire croire qu’Alain Masson a trompé tout le monde et est le seul et unique vrai coupable. C’est tellement plus pratique ! Mais les comptes montrent que Jean-Luc Polard savait, dès 2002, qu’Alain Masson percevait ses indemnités, en plus des versements de l’association. C’est d’ailleurs ce que Jean-Luc Polard a lui-même affirmé lors de sa première audition libre, avant de se rétracter, quatre mois plus tard, non sans avoir eu le temps d’en discuter avec vous. Néanmoins, comme je l’explique dans mon livre et dans une note (ici), il est très improbable que deux personnes, un très grand gagnant et un très grand perdant, aient pu coexister tranquillement tant d’années autour de la gestion de cette caisse noire, sans qu’une tierce personne soit intervenue pour rendre cela possible. Un tiers de confiance qui aurait eu l’autorité à leurs yeux pour légitimer cette différentiation flagrante.
Là encore, je partage l’avis de la juge qui exprime juste que tout cela n’a pu se décider qu’à trois, et selon moi, très probablement un peu avant votre élection en 2001. Comme deux sur trois des personnes visées sont aujourd’hui décédées, vous seul détenez la vérité. Vu le nombre de contrevérités et de non-dits que chacun de vous a dit lors de l’enquête, je doute fort que cette part de vérité puisse émerger un jour.
Nous n’aurons donc jamais la preuve formelle de tout cela. Mais c’est typiquement ce qu’un débat contradictoire en audience correctionnelle aurait pu permettre d’éclairer un peu, au regard des nombreux faisceaux de preuve qui étayent cette seconde thèse. C’est exactement ce que vous avez cherché à éviter en plaidant coupable lors d’une procédure de CRPC, qui ne faisait plus état que de 4 000 € détournés, laissant le reste du ressort de l’audience publique.
Alors, votre « argumentaire » qui laisse à penser que la juge d’instruction ne s’est basée que sur l’affirmation (hésitante) d’une salariée de la collectivité pour conclure que le maire était au courant des sommes perçues par Alain Masson, il est un peu court. La justice n’aura pas élucidé si vous étiez ou pas l’autorité qui a autorisé tout ce détournement durant 18 ans. Mais le fait que le « citoyen Cuillandre » ait aujourd’hui reconnu un « recel d’abus de confiance » témoigne a minima que vous étiez au courant du système délictueux qui avait été mis en place par vos deux plus proches bras droits, à partir de votre élection en tant que maire en 2001.
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Fort de vos démonstrations, qui ne résistent pas très longtemps à l’épreuve des faits, vous concluez :
« Dans quel intérêt j'aurais eu à couvrir, voire à organiser, une telle pratique juridiquement, politiquement et surtout humainement condamnable ? Il faut avoir l'esprit bien tordu ou la haine fort tenace - l'un n'empêchant pas l'autre - pour le penser ! »
L’intérêt est évident… monsieur le maire ! Les deux tenanciers de la caisse noire de Vivre à Brest étaient aussi vos deux bras droits, les deux piliers de votre majorité. Alain Masson était votre président de Goupe et Jean-Luc Polard le secondait. Rien ne pouvait être fait par les élus sans en passer par eux. Ils vous ont permis de tenir les élus socialistes contestataires et votre majorité agitée, pendant vos trois premiers mandats.
Le système avait initialement été pensé sous Pierre Maille comme un système vertueux de mutualisation, au service des élus socialistes. Mais sous vos mandats, à partir de 2001, il est devenu un système de domination et de contrôle par l’argent. Les élus étaient privés dès le départ de leurs indemnités, sans qu’aucune transparence ne soit faite sur la gestion de ce qui devint une caisse noire, faute de gouvernance associative durant 17 ans. Il fallait nécessairement en passer par le consentement de vos deux adjoints, que vous seul pouviez contrôler. Planait souvent la menace de retirer leur délégation aux élus qui remettaient en cause le système « juridiquement, politiquement et surtout humainement condamnable », comme vous le décrivez. Parfois même en votre présence, comme certains élus ont pu l’expliquer lors de l’enquête. Vous avez d’ailleurs vous-même mis en actes ces menaces, sur deux d’entre eux, fin 2017 (ici). Ces mêmes menaces, vous les avez exprimées sans gêne à mon encontre dans la presse, encore en 2022 (ici). Les mauvaises habitudes ont la vie dure ! Durant 17 ans, cette caisse noire a servi à acheter ou menacer des élus, afin de tenir votre majorité. Voilà la triste réalité qui ressort de l’enquête.
Les détournements d’argent ne sont pas négligeables, mais ils ne sont que la partie émergée de l’iceberg. D’ailleurs, rien ne prouve aujourd’hui qu’Alain Masson mentait lorsqu’il a affirmé avoir été autorisé à percevoir les sommes qu’il a touchées. A la fin de l’analyse, je pense même personnellement qu’il a dit la vérité sur ce point. Les 500 000 € que vous pointez ne seraient plus alors de l’argent détourné de son propre chef par Alain Masson, si l’enquête était allée jusqu’au bout et avait mis en lumière un accord pour pratiquer ainsi. Mais nous ne le saurons plus jamais.
Votre intérêt, comme vous dites, il est évident. C’est d’avoir été maire et de l’être encore. Ce système, qui se résumait par une caisse noire, achetait la paix sociale dans votre majorité et compensait la faiblesse de votre vision politique et de votre leadership, connues depuis longtemps jusqu’à Paris. Un handicap politique qui vous priva du maroquin tant attendu, dont purent profiter la quasi-totalité de « vos petits camarades hollandais » et même une aubryiste, puis un strauss-kahnien finistériens !
Après l’élection de 2020, il n’y avait plus de caisse noire (en fait si, mais votre nouveau bras droit ne pouvait plus l’utiliser, du fait de l’enquête de justice). Par la plus grande des surprises, alors que nous sortions du confinement, que l’économie était au ralenti et que nombre de nos concitoyens avaient la ceinture serrée, vous avez fait voter à Brest des indemnités en hausse de +16% par rapport au mois précédent (ici). Il ne m’a pas fallu très longtemps pour comprendre que la gestion par l’argent des élus se poursuivait, non plus avec une caisse noire devenue inaccessible, mais avec l’argent des contribuables. Rien d’illégal cette fois, mais indéniablement une forme de continuité dans votre façon de gérer votre majorité à Brest.
Donc oui, de l’intérêt vous en avez trouvé, bien au-delà des quelques 20 000 € dont j’ai parlé. Un mandat de maire-président, c’est environ 7 000 €/mois net et il y a eu 275 mois depuis mars 2001. Cela donne presque deux millions d’euros d’indemnités cumulées… Pour une personne qui avoue à une juge avoir pris 4 000 € dans une caisse noire, car sinon elle aurait été en surendettement, pour ma part, je vois assez bien l’intérêt de tenter par tous les moyens de rester maire/président et d’avoir laissé perdurer ce système « juridiquement, politiquement et surtout humainement condamnable » durant 17 ans.
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Pour passer à plus léger, j’en profite pour répondre à votre petite attaque personnelle à mon égard, me gratifiant « d’esprit tordu à la haine fort tenace ». Très aimable ! Mais je doute fort que cela soit moi qui développe de la haine dans cette affaire.
Depuis le début, vous essayez de faire passer l’engagement de ceux qui s’opposent à vous comme une réaction émotionnelle, de la rancune ou de la haine. Vous faites d’ailleurs de même avec votre opposition, leur renvoyant à chaque fois leur défaite électorale comme une fin de non-recevoir. Chacune de leurs critiques ne serait alors fondée que sur une posture revancharde. J’y vois là l’attitude très patriarcale de ceux qui veulent éluder toute réponse et se cacher derrière des faux arguments. Votre opposante politique n’est plus une folle que je ne suis un dérangé haineux. La ficelle est un peu usée, ne croyez-vous pas ? Assumer la contradiction et les avis différents, c’est la base minimale dans une démocratie.
Mon propos n’est pas tenu par des émotions ou des sentiments, mais par des faits auxquels vous ne répondez pas, si ce n’est par des contrevérités faciles à démonter, comme en Conseil ou dans ce courrier. Percer la vérité ou faire œuvre de transparence n’est pas une posture de haine, c’est au contraire rechercher la santé de nos démocraties. La corruption des esprits et des actes est la pire chose qui puisse nous arriver. C’est un pourrissement de l’intérieur, très difficile à combattre ensuite. Il suffit de jeter un œil autour de nous pour s’en rendre compte et voir des peuples se battre pour tenter de remonter la pente, sous les bombes parfois. Pour ma part, travailler pour plus d’éthique en politique reste faire de la politique et devrait être au cœur du modèle socialiste que vous avez (peut-être) un jour défendu.
Mais puisque vous allez sur les sentiments, allons-y !
« Esprit tordu », je veux bien l’entendre, vu de votre fenêtre. Nous ne partageons clairement plus les mêmes valeurs, ni les mêmes façons d’agir. Je me félicite de cela !
« Tenace », surement quand il s’agit de défendre des valeurs dans lesquelles je crois. Je n’ai jamais été un politique gagné par le cynisme ou la résignation, me satisfaisant de mon petit intérêt personnel, après avoir échoué sur l’intérêt général. J’aspire toujours à une volonté profonde d’améliorer ce monde, au bénéfice des personnes. Alors oui, je suis tenace car je crois encore en des valeurs et des ambitions humanistes.
Vous m’attribuez enfin de la « haine ». Cela n’a jamais été mon état d’esprit, le sens de mon engagement ou de mes actions. De la colère au départ, il y a eu, surement. Mais aujourd’hui, j’éprouve surtout de la déception envers ceux avec qui j’ai milité et qui ont trahis leurs valeurs, au profit d’une logique de clan politique, du maintien de leur petit pré carré et de leurs bénéfices personnels. J’éprouve aussi de l’inquiétude pour ce qui pourrait être fait politiquement à Brest et qui ne l’est pas, du fait d’un verrou mis au plus haut niveau et d’un clientélisme à visée électorale de plus en plus fort sur la ville. Je crois que notre ville mérite bien mieux. Notre époque exige bien plus de vision politique, au regard des crises sévères qui nous font face.
Pour ne prendre qu’un exemple : vous aurez surement votre petit stade au Froutven, avec une jolie inauguration et son feu d’artifice à son. Vous « fêtes » cela à merveille. Mais les générations futures paieront le prix fort le résultat de vos renoncements et les dettes de vos caprices. L’argent public n’a jamais été aussi important qu’aujourd’hui, au regard des enjeux à porter dans les années futures. Vous allez laisser un territoire endetté, sans capacité de rebond juste pour jouer votre dernière cartouche électorale en 2026. Je trouve cela pathétique. Actons que beaucoup de monde vous suit dans cette folie. Mais vous devriez être le garant de l’intérêt général, du moindre euro dépensé dans la bonne direction. Certainement pas le sherpa de ceux qui brassent des millions, dans une sphère où l’éthique est largement concurrencée par le business, dans l’échelle des valeurs autant que des priorités.
Humainement enfin, j’éprouve de la tristesse envers une personne pour qui j’ai eu la faiblesse d’avoir de l’estime, prise dans sa propre fuite en avant, prisonnier de ses propres choix de vie et qui impose aux autres une forme de domination maladive qui ne pourra que mal finir.
« Quand le mensonge prend l’ascenseur, la vérité prend l’escalier, elle met plus de temps, mais elle finit toujours par arriver », dit le dicton populaire. Il en sera ainsi.
Je vous suggère aussi la lecture du livre : « Toute-puissance, hyperstress, isolement, le pouvoir rend-il fou ? » d’Erwan Deverez. Il étudie quelques cas intéressants au travers de ce que l’on connait aujourd’hui sur le fonctionnement du cerveau humain dans l’exercice du pouvoir, grâce aux recherches en neurosciences. C’est fort intéressant ! (lire article synthèse ici)
Voilà l’état des lieux de mes sentiments à l’égard de la situation. La haine, pour ma part, cela fait bien longtemps que je m’en suis vacciné. Je continue juste à chercher la vérité et à la dire. Je ne subis pas la loi du mensonge triomphant qui passe, ni ne me suffis des applaudissements imbéciles. Je continue à suivre mon idéal, tout en cherchant à comprendre le réel, courageusement. Relisez aussi Jaurès, ex-camarade, vous en avez le plus grand besoin !
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Je vous épargne les réponses sur tout ce que vous dites sur moi, pensant révéler des scoops, alors que j’ai déjà expliqué tout cela publiquement dans mon livre, puis des notes sur mon blog. J’ai déjà dit que j’avais été un des gagnants du système de mutualisation et combien j’avais gagné (ici la dernière traitant du sujet). Votre système de défense qui tente de me rendre coupable ne marche pas.
Dès que l’affaire a éclaté, je vous ai entendu vous défausser en disant à tout-va que vous n’étiez pas au courant que des élus avaient touché plus que leurs indemnités. Vous avez même dit que si vous l’aviez su, vous auriez exprimé votre désaccord. La bonne blague de l’ex-inspecteur des impôts, professeur de Finances publiques. Dois-je vous apprendre que tous les systèmes de mutualisation ont des membres qui bénéficient plus que ce qu’ils donnent et inversement. La sécurité sociale, la CAF, les Assedic, les impôts et même la fiscalité locale sont basés sur ce principe. C’est le principe de la mutualisation de produire « des gagnants et des perdants », comme vous les appelez. Ce n’est pas choquant pour peu que les règles soient fixées, transparentes et communes. De plus, s’il n’y avait eu aucun gagnant, mais que des perdants, la caisse noire n’aurait fait que grossir, inexorablement. Votre défausse ne tient pas deux secondes, surtout lorsque l’on connait votre pédigré universitaire. Vous avez toujours su comment ce système fonctionnait et il n’était pas honteux, s’il n’avait pas été corrompu par certains.
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Pour terminer, je reviens juste sur un dernier passage de votre lettre que je trouve pour le moins prodigieux, là encore venant de vous.
« Plus troublant encore (pages 6-9 de l'audition), l'OPJ l'interroge sur des virements de 1 500 € à 2 000 € chaque fin d'année. Réponse : c'est pour payer mes cotisations au PS !
Autrement dit, non seulement M. Fayret était bénéficiaire net du système, mais en plus il faisait payer ses cotisations par "Vivre à Brest" — c'est-à-dire par ceux qui en étaient contributeurs nets empochant au passage une réduction fiscale de 66 % de la somme. Le beurre et l'argent du beurre ! Et cela s'appelle de la fraude fiscale. »
Je vous rappelle que nous étions contraints à rentrer dans ce système pour figurer sur votre liste. Ce n’était pas une option, comme le confirma Jean-Luc Polard à la juge, lors de sa dernière audition. La procédure que vous décrivez nous était imposée par vos deux bras droits, que vous laissiez faire au regard des intérêts que vous tiriez de l’affaire. Quasiment tous les élus socialistes de Brest faisaient ainsi, sauf … surprise, Alain Masson et vous-même. Les deux seuls élus qui se sont exclus du système, de leur propre chef !
Donc, pour ma part, je n’ai jamais vraiment eu d’autre choix que de faire ainsi … Contrairement à l’élu socialiste Cuillandre qui avait choisi de ne plus contribuer au système, mentant sur un faux usage datant de Pierre Maille, que l’analyse des comptes antérieures à 2001 viendra invalider. Idem avec son parti, où l’adhérent Cuillandre ne payait pas non plus ses cotisations d’élu, contrairement à Alain Masson : « Le grand coupable ». Etonnant, non ? J’en profite pour vous rappeler ici que la commission rogatoire de la juge a mis en lumière que vous avez plusieurs dizaines de milliers d’euros d’impayés de cotisations à votre parti politique, sur ces années-là. Pas moi ! En termes de loyauté et d’équité vis-à-vis des autres militants, vous me semblez très mal placé pour me donner des leçons. Mais le meilleur n’est pas là.
Le système que vous évoquez fut mis en place à la fin des années 1990 (bien avant que je sois élu). C’était un accord entre la fédération du PS finistérien et le Groupe des élus socialistes brestois, sous le mandat de maire de Pierre Maille. C’était un jeu à somme nulle pour les élus, afin de financer la fédération du Parti socialiste, avec la caisse noire de l’association Vivre à Brest, sur la base des cotisations dues par les élus brestois. Je me permets de rappeler à votre mémoire parfois défaillante que le citoyen Cuillandre était alors élu à Brest, mais aussi et surtout le premier secrétaire de la Fédération du Parti socialiste en Finistère. Je ne sais pas si c’est vous qui avez pensé ce système (j’ai tendance à le croire). Mais, ce qui est sûr, c’est que vous avez autorisé sa mise en place, à la fin des années 90, puisque vous dirigiez cette fédération de 1993 à 2003.
Donc, pour résumer votre accusation à mon encontre. Vous êtes inspecteur des impôts de profession et êtes donc sensé maitriser le droit fiscal mieux que « le commun des mortels ». En tant que premier fédéral, vous avez autorisé ce dispositif pour financer la fédération du Parti socialiste du Finistère avec une caisse noire. Comme tous les autres élus socialistes, je fus obligé d’adhérer à ce système pour avoir le droit de figurer sur votre liste et être élu dans ma ville. En confiance, j’ai versé au Parti socialiste ce que vos deux adjoints (aux finances !) me demandaient de verser. Mais pour finir, c’est vous qui m’accusez de fraude fiscale. Vous êtes super fort pour nous la faire à l’envers !
Idem sur la question que vous me posez :
« Et en plus, vous avez été, pendant de longues années, responsable du PS à Brest. N'y avait-il pas de liens financiers entre le PS brestois et "Vivre à Brest" ? »
Jolie devinette ! Comme dans les écoutes, je vous préconise d’aller poser la question à votre nouvel adjoint aux Finances, Yann Guével, celui qui a succédé à Alain Masson à vos côtés et qui gère vos petites affaires. Il cumule tous les postes : Fédération du Finistère, PS Brestois et l’association Vivre à Brest. (C’est rassurant après cette affaire !) Il me semble objectivement le mieux placé pour répondre à vos interrogations … ainsi qu’à celles de la Justice, si vous pensez que c’est nécessaire !
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Pour conclure cet échange épistolaire aussi long que fort distrayant, je vais répondre à votre interpellation finale :
« M.Fayret : vous avez bénéficié de « Vivre à Brest » dans des conditions juridiquement très contestables. Peut-être connaissez-vous la maxime latine : nul n'est censé se prévaloir de sa propre turpitude. »
Cette expression du droit signifie : « Nul ne peut réclamer justice si le dommage qu'il subit est le produit de ses actions menées illicitement ou illégalement ou de sa négligence. » (Wiktionnaire)
Je ne vous donne pas complètement tort sur ce point. Je n’ai pour ma part rien à me reprocher d’illicite ou d’illégal. La justice ne m’a jamais inquiété, ni dans cette affaire, ni dans aucune autre, contrairement à vous. Toutefois, j’acte d’une forme de négligence de ma part. L’affaire Vivre à Brest est le fait d’une confiance mal placée envers trois personnes. Une confiance aveugle, une foi en des personnes qui incarnaient pour nous des valeurs, une rigueur, une éthique et que nous croyons incapables de faire ce qu’ils ont fait. Nous avons pêché par excès de confiance, mettant de côté des règles essentielles de transparence, de contrôle et de contrepouvoir.
J’ai été négligent. Je n’ai pas de honte à le reconnaitre. Je vous ai fait trop confiance et vous m’avez trahie. Contrairement aux autres élus socialistes de votre majorité qui ont subi le même préjudice et qui ont consenti docilement à la féodalité que vous leur imposez, sous contrepartie d’un traitement indemnitaire, j’ai pour ma part eu le courage et l’indépendance d’esprit de tirer mes leçons. Par un travail de recherche et d’analyse, j’ai cherché à comprendre les mécanismes qui ont conduit à cette triste fin, pour deux élus qui étaient sur le fond des personnes bien. Vous prenez cela pour de la haine. Moi, je crois que tirer des leçons de ses erreurs, comme de sa négligence, est la seule façon de progresser.
Si j’ai écrit ce livre sur l’affaire Vivre à Brest et que je continue à écrire sur mon blog, c’est justement parce que je crois que la transparence et le témoignage peuvent éviter que le « système Vivre à Brest » perdure ou qu’il recommence ailleurs. La réalité ne me donne pas raison, puisque vous êtes encore là. Mais bon, je préférerai toujours les combats et les défaites glorieuses, aux victoires honteuses. Contrairement aux élus gagnés par le cynisme et ne vivant plus que pour leur petit intérêt personnel, j’ai fait le choix de garder la voie qui m’avait conduit à m’engager en politique : celle de la sincérité et de l’attachement à l’amélioration du monde, à des valeurs et à une éthique, qui passent nécessairement par un renouvellement des pratiques en politique, dont vous ne serez jamais le représentant sincère.
Donc oui, citoyen Cuillandre, vous avez raison sur ce point-là. J’ai été négligent et j’ai cru en vous pendant 20 ans. J’acte que c’était une grosse erreur. J’espère que vous serez d’accord avec moi pour dire que je tente de me rattraper depuis !
Concernant la justice, je ne demande en réparation qu’un euro symbolique et le remboursement de mes frais de justice. Maintenant que vous avez plaidé coupable et coupé court à tout procès en correctionnel, c’est plutôt raisonnable ! Je note que vous sembliez d’accord avec cela en novembre, devant la juge et la presse, mais que cela ne vous a pas empêché de faire appel dans les jours qui ont suivi. Vous ne changez pas.
Voilà, je termine là cette réponse à votre courrier. Puisque nous sommes dans la période des vœux, je vous aurai bien souhaité la bonne année. Mais, pour la première fois depuis plus de 25 ans, vous avez oublié de m’inviter aux vœux du maire. Je pense être le seul ancien élu, qui plus est l’un de vos premiers adjoints, ayant eu le privilège de ce fâcheux oubli. C’est un dernier témoignage de votre état d’esprit, que je pourrai qualifier de « rancunier » ! Sans le respect d’un minimum de protocole accompagnant toutes les institutions qui se respectent, les vœux du maire deviennent seulement les vœux de monsieur Cuillandre, mais payés avec l’argent des contribuables.
Cordialement.