Communiqué suite à CRPC de François Cuillandre dans l'affaire Vivre à Brest
Affaire Vivre à Brest : Trois vérités qui auraient mérité une audience correctionnelle

Le maire de Brest, un délinquant pas comme les autres

FCLors de mes mandats d'élu, il m'est arrivé de marier deux personnes. La cérémonie d'un mariage est un moment « magique », au premier sens du terme : deux personnes célibataires rentrent dans la salle des mariages, l'élu demande le consentement à chacun, puis prononce la formule magique et c'est un couple qui ressort de la mairie. Wonderful !

Jeudi dernier, au Tribunal judicaire de Brest, il y a eu aussi un phénomène de transmutation sociale. Le maire de Brest, François Cuillandre, est rentré comme prévenu présumé innocent dans l'affaire Vivre à Brest, la juge lui a demandé son consentement sur l'acceptation des charges qui pesaient contre lui et il est ressorti avec le titre de « délinquant ». Une appellation qui lui ressemble vraiment !

Quelques lignes pour vous partager ce moment mémorable, plutôt honteux dans l'histoire de la ville de Brest, qui dura trois bonnes heures et sans lancer de riz à la fin !

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L'affaire a commencé à l'ouverture du tribunal à 8h30. Tous les prévenus du jour étaient à l'heure, sauf un qui est arrivé presque à l'heure avec (seulement) un quart d'heure de retard. Il avait dû lire ma précédente note sur la politesse des rois !

Une arrivée très remarquée, accompagnée de sa garde rapprochée du moment, six élus.es (volontaires ?) : mesdames Coz-Elléouet, Quiguer, Bonnard-Le Floch et Salaün-Kerhornou et messieurs Guével et Jestin. Six adjoints faisant bloc autour de leur vénérable maire, moins pour prévenir tout contact avec une foule qu'il n'y avait pas, que pour faire barrage aux questions des journalistes présents. Un cordon sanitaire qui ne faisait pas rêver, mais bien à l'image de ce qu'est devenu la gouvernance de notre ville !

Nous noterons qu'il manquait du monde à l'appel. Pourtant aussi partie civile dans l'affaire, la Fédération du Parti Socialiste Finistérien n'avait cru bon d'envoyer ni son principal représentant, le premier secrétaire Tristan Foveau, ni même son avocat pour la représenter. Fort de son cumul de nombreuses responsabilités au sein du PS local, seul Yann Guével [1] pouvait prétendre représenter le Parti Socialiste. Mais rien n'en fit mention, il y eut juste un constat d'absence lors de l'appel.

La première partie s'est déroulée à huis-clos, dans le bureau du Procureur, alors que la vingtaine des autres prévenus convoqués à leur CRPC passaient avec les adjoints du procureur. Au bout d’une heure d’attente, une personne est venue déposer l'épais dossier de l'affaire Vivre à Brest sur le bureau de la juge (environ 30 cm d'auditions, de rapports et d'écoutes). La juge est rentrée. La « cérémonie » pouvait commencer.

L'attaque en irrecevabilité des deux parties civiles

La première passe d'arme fut à l'initiative de l'avocat du maire. Je dis volontairement « l’avocat du maire », car souvent, celui-ci ne parlait pas de « son client », de « monsieur Cuillandre » ou du « prévenu » , mais « du maire », comme pour bien rappeler à la jeune juge qu’elle s’adressait moins à un citoyen lambda, comme ceux qu’elle avait l’habitude de voir à la barre du tribunal, qu’au premier magistrat de la ville de Brest. J’avoue que j’ai trouvé ce mélange des genres assez gênant, mais assez révélateur de l'état d'esprit.

La première attaque fut une tentative de contestation des parties civiles. L'avocat du maire fit de nombreux effets de manche (c'est le cas de le dire), pour que notre demande de partie civile (dépôt de plainte), soit jugée irrecevable et que nos avocats ne puissent pas s'exprimer.

C'est une stratégie assez classique des dossiers politiques. Dans les procès relatifs à des personnalités publiques, le problème est moins la peine [2] (sauf un risque d'inéligibilité très craint) que la révélation publique des faits qui ternissent l'image de l'édile. D'entrée de jeu, il fallait donc clouer au silence les avocats des deux parties civiles qui s'opposaient au maire. Son avocat s'y employa à grands coups de mauvaise foi.

  • Madame Montanari n'était pas encore élue au moment du recel reproché au maire, datant de 2012. Elle n'avait donc soi-disant pas « d'intérêt à agir ».
  • Pour ma part, le système de mutualisation m'avait été financièrement favorable. De quoi aurais-je donc bien pu me plaindre ?

On aurait pu taxer ces arguments d'inutiles en CRPC, mais notons que cet avocat ne faisait que le travail pour lequel il était payé : défendre coûte que coûte les intérêts de son client. Et dans les intérêts de monsieur Cuillandre, comme cela fut ensuite longuement rappelé par les avocats des parties civiles, il y a encore et toujours le maintien de l'opacité du fonctionnement de sa majorité municipale. Cinq ans après la démission des soi-disant deux principaux coupables (et leur regrettable décès), l'omerta fait toujours loi. Les six élus présents autour de leur chef ne faisaient que renforcer l'impression d'un besoin de serrer les rangs autour des secrets de l'association.

Après avoir entendu les avocats des deux parties civiles s'opposant à cette irrecevabilité, la juge rentra immédiatement dans le vif du sujet, sans même prendre le soin de répondre à la demande de l'avocat du maire. Madame Montanari était tout à fait légitime à se porter partie civile. Elle avait été contrainte de verser ses indemnités dans l'association pendant plusieurs années, alors que des détournements d'argent étaient cachés dans les arrière-cuisines de la majorité de monsieur Cuillandre. J'étais pour ma part tout aussi légitime pour avoir fait de même, entre 2002 et 2018. Que je sois financièrement bénéficiaire dans la mutualisation n'enlève rien au fait que l'on m'ait compromis dans un système organisé d’abus de confiance, dont le maire allait reconnaître, quelques minutes plus tard, le recel. C’est-à-dire en avoir eu connaissance et en avoir lui-même profité.

Le temps du consentement

Vint ensuite le temps du consentement. Semblant vouloir en finir le plus vite possible, la juge reprit très très rapidement les points du dossier et la charge de « recel d’abus de confiance » que monsieur Cuillandre venait de discuter dans le bureau du procureur, en contrepartie d'une peine très très allègée. Elle lui demanda s'il acceptait la charge et la peine proposées.

Du bout des lèvres, le prévenu Cuillandre lui a juste répondu par l'affirmative, puis qu'il reconnaissait les faits et la perception de la somme. Comme un gamin honteux, pris la main dans le sac, il ne put s'empêcher de rajouter qu'il pensait avoir remboursé la somme, pour dire publiquement que tout ceci n'était finalement qu'un petit oubli.

Mais à côté de la juge, siégeait un dossier d'enquête de 30 cm d'épaisseur, dans lequel une part significative d’autres faits attrayaient au maire [3], mais sont aujourd'hui prescrits pour la justice française.

Cet aveu du bout des lèvres sembla laisser un peu perplexe l'auditoire. Mon avocat se leva et demanda à monsieur Cuillandre s'il avait bien compris qu'il plaidait coupable du fait d'avoir fait un recel d'argent détourné de façon illicite par ses deux principaux adjoints. L'avocat du maire vint lui souffler à l'oreille de ne pas répondre. Nous n'entendrons plus rien sortir de la bouche du maire. Le silence fut la seule réponse du prévenu à la seule question de la partie civile qui aurait pu nous rassurer sur la sincérité de cette CRPC.

Une sincérité en question

À la suite de ce lourd silence, les deux avocats des « parties civiles indépendantes », madame Montanari et moi-même, prirent la parole pour dénoncer cette procédure. Ils évoquèrent devant la juge une reconnaissance de culpabilité opportuniste, qui n'était pas sincère à nos yeux. Durant les 4 années de procédures, usant de la présomption d'innocence, monsieur Cuillandre n'avait jamais reconnu les faits qui se passaient dans l'association ou même sa faute. Ni devant la justice, ni devant la presse, où il avait même affirmé le contraire (revoir la vidéo ici). Juste ce jour, il reconnaissait un « recel », c'est-à-dire d'avoir eu conscience de bénéficier du produit d'un délit. Cela apparaissait clairement comme une reconnaissance de circonstance, afin de bénéficier d’une peine très légère et surtout, éviter un procès public en correctionnel qui aurait vraiment pu questionner le fond du dossier et la réalité de ses responsabilités.

Nos deux avocats plaidèrent donc pour la nécessité d'un débat lors d'un procès en correctionnel, comme la magistrate chargée de toute l'instruction de l'affaire l'avait requis. Ils exprimèrent aussi des questionnements sur l'équité du fonctionnement de la Justice à Brest, dès que les dossiers concernaient des personnalités publiques ou politiques et sur la volonté du procureur d'accorder un traitement de faveur au maire de Brest, en ouvrant la porte à cette CRPC. Y a-t-il à Brest une justice d'exception pour les personnes de pouvoir ? C'est le triste constat qui circula dans de nombreux esprits ce jour-là, sûrement y compris parmi les autres prévenus présents dans la salle.

La partie civile dépendante des intérets du maire

Vint ensuite le tour de l'avocat de la « partie civile dépendante », c’est-à-dire celui de l'association Vivre à Brest. Une association qui n’est plus aujourd'hui constituée que d'élus du Parti Socialistes, très proches de François Cuillandre (et donc liés à ses intérêts) [4].

L'avocat de l’association Vivre à Brest pris immédiatement le parti du maire. Elle affirma que l'association était la seule victime légitime du dossier, qualifiant d'opportunistes les autres parties civiles (merci ! 😊). Sans donner aucune preuve, il dit que l'association avait bien été remboursée des 4 000 € que François Cuillandre avait empruntés … quelques 11 années plus tôt. Puis conclut que l’association ne demandait plus rien au prévenu. Nous étions dans de la complaisance décomplexée et assumée. Preuve que le système Vivre à Brest est bien encore vivant, même après le décès des deux boucs émissaires. Un système toujours aligné sur les intérêts du maire.

Enfin, la parole revint à l'avocat du maire. Il conclut sa plaidoirie en dénonçant le fait que cette CRPC se transforme en tribunal contre le maire et en critiquant ouvertement les plaidoiries des parties civiles indépendantes, contrairement à celle de son confrère, représentant la partie civile dépendante.

Le Théorème de Pasqua à la rescousse du maire de Brest

J'eu aussi droit à une petite attaque en règle personnelle qui devait se vouloir fort désagréable, vu le regard tueur qui m'était fait. L'avocat du maire affirma que son client était loin d'être celui qui avait le plus profité du système et me nommant, affirma que j'étais un des élus qui avait le plus bénéficié du dispositif, citant le chiffre d'un bénéfice personnel de 30 000 €. Non content de sa courageuse bravade face à quelqu’un qui ne pouvait lui répondre sans outrepasser la bienséance du tribunal, il brandit le procès-verbal de mon audition devant la police en affirmant haut et fort que j'avais avoué avoir aussi touché une prime nounou de 300 €/mois. Quel atroce individu pouvais-je être pour oser me porter partie civile face au maire, qui n'avait fait qu'emprunter seulement 4 000 € ? Entre les mots, si justice il y avait eu, c'est moi qui aurais dû être à la barre, à la place de ce pauvre maire, victime d’un complot politique de ses odieux opposants. Après s'être plaint (sincèrement) que cette CRPC se transforme en procès contre le maire, voilà qu'il s'attachait consciencieusement à faire le mien ! 

Voilà un très bel exemple de ce qu'il est courant d'appeler « Le Théorème Pasqua » (qui n’est pas de Charles, mais qui s’appelle néanmoins ainsi) :

« Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu'à ce que personne n’y comprenne plus rien. »

En d'autres termes, lancer un écran de fumée, dans le but de noyer le poisson ! L’avocat du maire sembla maître dans l’exercice d'enfumage… quoi que !

À l'entendre, face à d'anciens élus ayant lourdement profité du système, le maire était la victime d'un faux procès, puisqu'il avait même remboursé ses 4 000 € oubliés. Il omettait un peu vite que, pour ma part, j'avais bien aussi été entendu par la police, puis par la juge d'instruction, qu'absolument rien d'illégal n'avait été retenu contre moi, contrairement à son client qui était le prévenu à la barre de ce tribunal. C'était le monde à l'envers !

Mais j'avoue, j'ai apprécié son sens de la transparence, qui manque lourdement dans cette affaire. Puisque l’avocat du maire aime donner des chiffres publiquement, je vous propose de poursuivre son œuvre et de donner les bons.

Fact-checking sur les winners et les loosers présents

En effet, je fus un des bénéficiaires du système de mutualisation [5], je ne l'ai jamais caché. Les sommes prises sur les indemnités que nous laissions à l’association et qui m'ont été ensuite reversées correspondaient, pour une très large part, à mes pertes sur mon salaire professionnel. C'était moins un « bénéfice », qu'un salaire de remplacement par suite de mes absences professionnelles, non rémunérées. Ce nombre de jours d’absence professionnelle pris en charge par l’association était d’ailleurs discuté en accord avec le président de Groupe, Alain Masson. Je ne faisais que respecter la règle de l'association qui, de toute façon, s'imposait à nous lorsque nous voulions candidater pour être sur la liste de monsieur Cuillandre, aux municipales de Brest.

Pour l’anecdote, lorsque François Cuillandre me demanda de prendre la délégation à l'urbanisme en 2014 à la suite de Jean-Pierre Caroff, il insista fortement pour que je prenne 4 jours par semaine pour ma fonction d'élu. J'ai refusé. Je n'ai pris qu'entre 2 et 3 jours par semaine, car je ne voyais pas comment garder un vrai emploi (pas un emploi fictif !) en ne travaillant qu'un jour par semaine. Si j'avais alors suivi la demande de François Cuillandre et compte tenu du système de Vivre à Brest qu'il connaissait parfaitement, j’aurai été encore plus « bénéficiaire ». Ce sont souvent ceux qui poussent à la faute, qui viennent vous le reprocher ensuite !

Alors oui, je fus UN des bénéficiaires du système. Mais sûrement pas le plus gros, comme il fut affirmé par cet avocat en recherche de sensationnel. Pour sa culture, je le renvoie à la lecture du document D186 de l'enquête de police : le tableau synthétique sur les indemnités des élus de l’association.

Sur instruction de la juge d'instruction, le commandant de police responsable de l’enquête a dressé la liste « des gagnants et des perdants », comme les a joliment qualifiés François Cuillandre lors de sa garde à vue [6]. Y sont mentionnées les moyennes des versements perçus, en plus ou en moins, par rapport aux indemnités votées en Conseil.

Pour mon compte et suivant les calculs du commandant de police (que je n’ai jamais contestés), ce n’est pas exactement 30 000 € que j’ai perçu en plus via le système de redistribution de l’association, mais 32 913,27 €, entre juillet 2010 et décembre 2017. Mensualisé, cela représente une moyenne de 365 €/mois de plus que les indemnités votées, cumulées entre ville et métropole de Brest.

Ce qui fut amusant durant l'audience, c'est que juste derrière moi, étaient assises mesdames Quiguer, Coz Elléouet, Bonnard-Le Floch et Salaün-Kerhornou, qui ne pipèrent pas un mot suite à la saillie de l'avocat du maire à mon encontre. Et pour cause !

Dans ce même document de police, pour les seuls élus présents au tribunal ce jour-là, il est mentionné que :

  • Tiffen Quiguer fut la plus grande gagnante du système de redistribution [7] : + 48 628,96 €, soit une moyenne de 540 €/mois. Quelques 50 % de « bénéfice » de plus que moi !
  • Karine Coz Elleouet arrive juste après, avec 41 210,95 €, soit une moyenne de 457 €/mois. Quelques 25 % de plus que moi !
  • Vient ensuite Frédérique-Bonnard Le Floch, avec 23 811.83 €, une moyenne de 264 €/mois. Soit 25 % de moins que moi.
  • Et enfin Patricia Salaun-Kerhornou, avec 22 177,25 €, une moyenne de 246 €/mois. Soit 30 % de moins que moi.

Seuls messieurs Guével et Jestin, aussi présents au tribunal, pouvaient revendiquer d'être classés comme « perdants », dans le référentiel du maire [8].

Donc, avec 365 €/mois de plus, je n’ai jamais été dans les plus gros bénéficiaires du système comme l'a dit l'avocat du maire et comme je ne doute pas qu'il se colporte encore dans mon dos. En 2020, il me fut remonté que d'anciens camarades élus, dont je tairais le nom, affirmaient que j'étais le second plus gros bénéficiaire après Alain Masson, avec 40 000 € de plus que mes indemnités légales par an. Plus c'est gros et plus cela passe !

N'en déplaise à l'avocat du maire, ce que l'enquête a montré, c'est que les plus gros « bénéficiaires » sont encore dans la majorité de son client.

Une « prime nounou » au timing surprenant

Sur la « prime nounou » que l’avocat de monsieur Cuillandre me reproche d’avoir perçue, pas de scoop non plus. J’ai déjà tout dit dans le livre que j’ai écrit sur l'affaire.

À ce que nous en savons, cette prime est arrivée après une « négociation » pour le moins opaque entre Yann Guével, Karine Coz Elléouet et Jean-Luc Polard, à la suite de très fortes tensions sur le fonctionnement de l’association, fin 2007. De façon amusante, c’est Tiffen Quiguer qui résuma le mieux le sujet, lors de son audition de police :

« En 2008 ou 2009, j'ai demandé à Alain MASSON que l'on puisse avoir une visibilité sur la réalité de l'association. Ce n'était pas une histoire de sous, juste une simple visibilité générale. Il ne m'a jamais donné de réponse. Après cela, on a bénéficié d'une part fixe, la "prime nounoue" qui était de 300 euros par mois. On était beaucoup en construction de famille. On n'avait jamais formulé la demande et cette prime est arrivée peu de temps après notre demande de visibilité. Vous me demandez si c'est dû à notre demande, je n'ai pas la réponse mais le timing est surprenant. »

A partir de 2008, cette prime fut versée à tous les élus socialistes ayant au moins un enfant de moins de 8 ou 10 ans, de mémoire. Elle s’arrêta brutalement en 2014, car l’association n’avait plus assez d’argent… nous dira-t-on !

Même si en 2008, par suite de la naissance de mon troisième enfant et à un emploi du temps très chargé (professionnel, élu, responsabilités au PS), j’avais en effet d’importants frais de garde d’enfants, je n’ai jamais demandé à percevoir ces 300 € de plus par mois. Comme l’a exprimé madame Quiguer, cet argent est arrivé sur nos comptes sans que la majorité des élus concernés ne la demande.

Dans les faits, il semble bien que cette prime, qui correspond grosso modo au soi-disant bénéfice que j’ai perçu en trop, fut issue d’une volonté d’accentuer la différentiation entre les gagnants et les perdants. Elle fait suite à un repas très houleux au manoir de Kerbriant fin 2008, entre des élus contestataires du système Vivre à Brest et messieurs Masson, Polard et Cuillandre. Durant ce repas, certains présents témoignèrent des menaces qu’ils ont reçues des responsables présents. S’ils ne rentraient pas dans le rang, il leur fut dit qu’ils perdraient leurs délégations (donc leurs indemnités) et qu’ils ne seraient pas repris sur la liste de François Cuillandre au mandat suivant [9]. Quelques mois plus tard, est apparue cette prime nounou qui n'a touché quasiment que des jeunes élus non contestataires du système. Aucune fronde ne réapparut ensuite dans ce mandat-là.

Il est amusant aujourd’hui qu’il me soit reproché, par l’avocat du seul prévenu de l’affaire, d’avoir perçu cette prime que je n’ai jamais demandée. Un bonus qui fut, si l’on reprend les propos des auditions, non pas une mesure sociale de soutien à la parentalité, mais un mécanisme pour creuser les tensions entre ceux qui contestaient le système et ceux qui y adhéraient : entre « les gagnants et les perdants », dixit monsieur Cuillandre.

Après cette plaidoirie quelque peu orientée pour nuire à la légitimité de l'ex-premier adjoint du maire, qui ose parler et écrire sur les dessous du système Cuillandre (et croyez-moi, je ne vais pas arrêter ! 😊), l’avocat du maire a bien-sûr plaidé pour la validation de l’homologation de la CRPC. Nous ne nous attendions pas à moins au regard de la petitesse de la peine proposée : 10 000 €, dont 7 000 € avec sursis, soit juste 3 000 €.

Un jugement embarrassant

Le mot de la fin revint logiquement à la juge des homologations. Pour le dire gentiment, depuis le début de l’audience, elle ne semblait pas très à l’aise sur ce dossier déjà bouclé par le procureur, dont elle semblait peu connaître les 30 cm de rapport d’instruction qui trônaient à côté d’elle. Loin d’une posture en quête d'éléments de vérité ou de sincérité, comme cela aurait été le cas en correctionnel, elle avait plutôt l’attitude d’une personne souhaitant finir ce moment fort gênant, le plus vite possible. Elle s’attacha juste au respect de la procédure. Je ne lui jetterai sûrement pas la pierre. Il était particulièrement embarrassant pour elle de donner un avis divergeant du procureur sur le jugement du maire de Brest. Comme dans toutes professions, on imagine bien que les écosystèmes hiérarchiques pèsent sur les carrières. Il faut une certaine assise du Siège pour contredire le Parquet, sur un dossier médiatisé de cette nature. 

La juge n’a donc pas franchi le pas de tenir tête au procureur, de faire de ce dossier ce qu’il aurait mérité d'être et ce qu’avait préconisé la juge qui en a fait l’instruction : un dossier en correctionnelle. C’est-à-dire une audience publique, avec un juge posant des questions pointues, et non plus seulement de rapides plaidoiries d’avocats, mais aussi une expression libre des parties civiles. Exactement ce que le maire de Brest et sa petite cohorte d'élus inféodés ne voulaient surtout pas : une parole libérée et publique, permettant à ses administrés de mieux démêler la vérité sur leur maire.

La juge a donc validé l’homologation, non sans faire remarquer que la peine négociée par le procureur lui semblait légère au regard des faits. Ce qu’elle est, en effet. En revanche, elle n’accéda pas à la demande de l’avocat du maire ayant plaidé lourdement pour une irrecevabilité des demandes de réparation pour les deux parties civiles indépendantes. Ce dernier bout de l'affaire est renvoyée à une audience civile (c’est-à-dire écrite), au mois d’avril 2024.

Pour ma part, je n’y demanderai qu’un euro symbolique en réparation du préjudice moral, ainsi que le remboursement de mes frais de justice. Ayant défendu sincèrement et publiquement l’intégrité et l’honnêteté de ce maire durant des années, il me parait assez logique de demander réparation envers un individu dont la probité et l'éthique sont aujourd’hui contestées et qui vient de passer « de lui-même » du statut de prévenu, à celui de délinquant.

Dans une prochaine note, je détaillerai les axes qui auraient pu être développés dans un procès en correctionnel, au regard des éléments figurant dans le dossier d’instruction.

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Notes complémentaires au texte :

[1] Yann Guével est un profil intéressant de la garde rapprochée du maire de Brest. Depuis 2017, il a su se placer comme homme à tout faire et grand gardien des secrets du maire.

Dès 2018, il a pris la suite d’Alain Masson en tant que président du Groupe de la majorité socialiste au sein du Conseil municipal de Brest, juste après la démission de celui-ci. Bien que la direction de l’association Vivre à Brest fut statutairement reconstruite de façon collégiale, c’est aussi naturellement Yann Guével qui en prit rapidement le leadership dès 2018 (comme c'était le cas avec Alain Masson), s’occupant personnellement du dossier judiciaire en grande opacité du reste des membres et en étroite collaboration avec François Cuillandre.

En 2019, après m’avoir demandé de quitter mes fonctions de responsable du PS sur Brest parce que je ne souhaitais plus figurer sur une liste derrière François Cuillandre, il en profita pour prendre la direction du PS à Brest (sans trop de difficulté, la concurrence n'étant plus très rude).

Depuis le fameux congrès de Marseille qui a mis au jour de multiples tricheries internes au PS en janvier 2023, il semble avoir pris une « co-présidence » avec le premier secrétaire sortant, Tristan Foveau, lui-même devenu salarié du PS national, en tant que directeur adjoint du cabinet d’Olivier Faure.

De mon temps, monsieur Guével plaidait pour le non-cumul des responsabilités au sein du parti. Aujourd’hui, l'adjoint et vice-président aux Finances de François Cuillandre cumule plus de fonctions que jamais personne n’en aura jamais eu dans ce petit écosystème. Comme on dit dans le milieu politique, il tient la maison pour le maire. Un maire qui a soigneusement oublié de le nommer premier adjoint... pour éviter de lui donner des ailes et se garder plus d'opportunité pour faire son cinquième mandat !

[2] François Cuillandre a été condamné à 3 000 € d’amende et 7 000 € avec sursis. Ce n’est absolument rien pour une personne qui a réussi à se faire réélire en niant toute responsabilité, toute faute et qui touche aujourd’hui des indemnités cumulées de 8 900 € par mois. Comme il l’a souvent dit assez cyniquement, ce procès lui aura surtout coûté en frais d’avocat.

Sa seule vraie crainte n’a jamais été la peine encourue, sauf en cas de correctionnelle où l'inéligibilité aurait pu être discutée, mais la révélation des faits et du fonctionnement de la gouvernance de sa majorité politique entre 2001 et 2017, complètement liée à ses deux principaux adjoints, Alain Masson et Jean-Luc Polard, comme révélés par l'enquête de l’affaire Vivre à Brest.

[3] Comme je l'explique dans mon livre, les 4 000 € sont loin d'être les seuls usages de François Cuillandre dans la caisse noire tenue par ses deux acolytes, décédés depuis. On y découvre d'autres sommes prélevées en 2007, non remboursées aussi. On note plus de 4 200 € pour un blog à son nom, quasiment jamais utilisé. On note des usages pour ses propres campagnes législatives. On note pour 57 500 € d'une assurance soi-disant pour les élus, mais inconnue du plus grand nombre, dont il ne paya pas 1 €, mais qu'il fut le seul à utiliser les services et qu'il fit arrêter de son propre chef en 2014, sans même avertir les autres élus censément assurés. On note enfin et surtout la rupture par rapport à son prédécesseur, Pierre Maille. Un précédent maire qui, pour sa part et en vrai socialiste, mutualisa dans l'association une part de ses indemnités avec les autres élus, alors que d'une même voix, Alain Masson, Jean-Luc Polard et François Cuillandre affirmèrent aux autres élus que le maire était exclu du système de mutualisation. Sur 18 ans, cela représenterait une économie potentielle de plus de 100 000 €. Preuve de la grande probité de l'intéressé, l'enquête montre aussi qu'il n'a pas plus payé ses cotisations à son propre parti, durant des années, tirant de ces « oublis répétés » des bénéfices personnels substantiels (estimés à plus de 50 000 €).

L'enquête va montrer que les prêts jamais remboursés et ouverts par le trésorier Jean-Luc Polard ne le furent pas de malheureux oublis. Ils consistaient dans un fonctionnement répété que Jean-Luc Polard consentait à deux personnes : Alain Masson et François Cuillandre. Il y en eut de nombreux sur les 18 années, près de 70 000 € au total entre les deux compères, d'après l'enquête. Personne n'avait à penser à rembourser, puisque d'expérience, personne n'allait le demander, pas plus en 2007 qu'en 2012 ou pour les autres sommes « empruntées » découvertes par les enquêteurs. L'opacité du système Vivre à Brest était à leur service. Les prêts non remboursés furent ce que l'on pourrait appeler un « usage » d'Alain Masson et de François Cuillandre. Les deux mêmes qui, comme par hasard, de façon dérogatoire et mensongère, ne versaient rien de leurs indemnités d'élu dans la caisse de mutualisation des élus socialistes de Brest.

[4] Pour mémoire, une anecdote sur le caractère exclusif et opaque que l'association conserva, y compris après sa remise en ordre de 2018.

Dès que j'ai refusé de me présenter sur la liste de François Cuillandre, il me sera demandé par Yann Guével de démissionner de mes responsabilités dans l'association Vivre à Brest, dont j'avais repris la comptabilité. Il fut demandé la même chose à une autre élue qui était chargée de suivre le dossier juridique avec l'avocat et qui décida aussi de ne pas se représenter derrière le maire sortant.

Après sa mise en examen, l'allégeance à François Cuillandre est devenue une clause obligatoire non dite de l'appartenance à la gouvernance de l'association, dans laquelle il n'avait bien sûr aucun rôle et aucune connaissance du fonctionnement ! Une association qui abritait tant de ses secrets de ses trois mandats passés.

[5] Par définition, tout système de mutualisation fait des gagnants et des perdants. C’est le cas pour la sécurité sociale et les cotisants en bonne santé ne s’en plaignent pas. C’est le cas pour les Assedic et les salariés qui auront eu un travail toute leur vie ne s’en plaignent pas non plus. C’est le cas pour les impôts … Bon, avouons que les riches s’en plaignent un peu parfois ! Il faut être un peu bas de plafond (ou de très mauvaise foi) pour ne pas comprendre qu'un système de mutualisation sur un groupe fermé génère inéluctablement des bénéficiaires et d'autres pas, sinon les caisses ne feraient que se remplir indéfiniment. Notre cher maire, ex-inspecteur des impôts et professeur de finances publiques, gagnerait à donner quelques rudiments comptables à son avocat !

[6] Lors de sa garde à vue, le 9 avril 2019, questionné sur sa connaissance du rôle d’Alain Masson dans l’association, François Cuillandre répondra : « C'était sous responsabilité d'organiser la répartition des indemnités entre les "gagnants" et les "perdants" ».

[7] La découverte des sommes perçues par madame Quiguer en étonna plus d’un, une fois que les chiffres furent connus, car le principe de mutualisation affiché à tous était basé sur une compensation des pertes sur salaire. Or, il était connu que madame Quiguer ne travaillait pas (Cf déclaration HATVP). On a du mal à comprendre sur quelle base elle a pu bénéficier de tels « remboursements » de l’association, lorsque l’on sait que d’autres élus.es ayant des pertes sur salaires furent très déficitaires (jusqu'à -933 €/mois pour certains). Au mandat 2014-2020, on compte 7 élue.es déficitaires malgré qu’ils/elles soient salariée.es. Je ne compte pas ceux qui avaient des doubles indemnités ou étaient retraités et qui étaient « logiquement » déficitaires du système de mutualisation. Il semble bien y avoir eu une logique dérogatoire et de favoritisme derrière l’opacité du système.

Idem sur le caractère déclaratif des sommes perçues. Une lecture fine de la déclaration HATVP de certains élus encore en place laisse peser un petit doute sur la sincérité de leur perte déclarée à l’association, sur les années 2010-2017.

C’est un principe commun à tout système opaque et arbitraire, les profiteurs prospèrent !

[8] Pour être complet et transparent sur les élus encore en fonction aujourd’hui dans la majorité de François Cuillandre, mais qui semblent avoir préféré s’abstenir d’accompagner le maire au tribunal, le procès-verbal mentionne aussi monsieur Hosny Trabelsi avec un « bénéfice » de 380 €/mois et en tête de classement, monsieur Salami, qui avait failli nous faire croire qu’il n’avait jamais participé au système (ici), avec 631 €/mois de bénéfice.

[9] Les trois « responsables : messieurs Masson, Polar et Cuillandre ont toujours nié avoir proféré ces menaces, mais de nombreux témoignages lors des auditions de police concordent sur la tenue de ce repas. Par ailleurs, c’est un fait que monsieur Cuillandre a retiré leurs délégations et leurs indemnités à messieurs Coatanéa et Karleskind, lorsqu’ils ont quitté le PS pour rejoindre LREM. C’est aussi un fait que monsieur Cuillandre a affirmé dans la presse qu’il m’aurait retiré mes délégations (et mes indemnités) s’il avait su que je me porterai ensuite partie civile dans l’affaire Vivre à Brest (on se demandait bien pourquoi puisqu’il se disait alors innocent !). Ce chantage aux délégations, du maire et de ses deux acolytes, fut un élément récurrent des trois mandats. Mais le maire était le seul des trois à avoir le pouvoir de le mettre en œuvre.

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