Le maire de Brest, un délinquant pas comme les autres
Vivre à Brest - Réaction suite au Conseil métropolitain

Affaire Vivre à Brest : Trois vérités qui auraient mérité une audience correctionnelle

Pieds Nickelés Image À la suite de la CRPC (Comparution pour Reconnaissance Préalable de Culpabilité) ayant vu monsieur Cuillandre condamné pour recel d'abus de confiance, l'affaire Vivre à Brest est close. La décision très discutable du procureur de Brest d'offrir au maire une justice dérogatoire à ce qu'avait proposé la juge d'instruction conduit au classement de l'affaire, sans possibilité de contester ou d'aller plus en avant pour faire la vérité. L’opacité restera donc sur le système de gouvernance brestois, qui aura existé de 2001 à 2017 et qui continue à produire ses effets encore aujourd'hui.

Dans les affaires qui secouent en ce moment même notre démocratie, au plus haut sommet des responsabilités, les audiences correctionnelles montrent comment les juges se font une opinion beaucoup plus éclairée sur le fond d’une affaire. Le travail d’un juge d’instruction est, comme son nom l’indique, de rassembler des faits. C’est l'audience correctionnelle qui permet de faire intervenir, de questionner, de croiser les témoignages des accusés, des parties civiles et aussi aux citoyens et à la presse de pouvoir écouter et se faire son opinion. À Brest, le mois dernier, le procureur nous a privés de cet espace de discussion, de confrontation et de justice [1]. Ce n'est pas pour autant qu'il faut passer à autre chose sans poser les questions qui dérangent.

Lors d'une audience correctionnelle, au moins trois sujets auraient mérité d'être questionnés sur leur sincérité. Derrière ces seules trois questions, probablement qu’une autre réalité, une autre histoire, serait apparue aux yeux de tous. Je vous propose donc, dans cette presque dernière note sur l'affaire, de s'autoriser à lever le tapis sous lequel ont été balayées trois grandes vérités qui divergent profondément du discours qui nous a été servi :

  • Le lieu : une association qui n'existait plus
  • Les protagonistes : une alliance improbable
  • Les bénéfices : la réalité cachée des détournements

Une association … qui n’existait plus

Le premier point essentiel qu'il aurait fallu clarifier lors d'une audience correctionnelle est l'espace dans lequel s'est déroulée l'affaire dite Vivre à Brest.

Depuis le départ, l'affaire tire son nom de celui d'une association créée le 15 janvier 1985 par Pierre Maille, avec pour objet statutaire « d'éditer la publication "Vivre à Brest", journal des élus socialistes du Conseil Municipal de Brest ». Ses statuts furent modifiés fin 1988, pour étendre leur champ d'action à « la promotion de toutes les formes d'action, d'information et de formation au niveau de la culture socialiste. » Et c'est tout. Fin de l'histoire de cette association. On ne retrouve plus aucun écrit qui donne sens ou vie à l'association. À aucun moment, il ne fut écrit le fonctionnement qui a conduit à l'affaire : le versement quasi-contraint [2] de leurs indemnités des élus socialistes, sur un compte bancaire tenu par Jean-Luc Polard, puis une redistribution suivant une règle associée à leurs pertes de salaires, sans aucun contrôle.

Il est donc clair que le compte bancaire de l'association a été détourné pour faire ces transactions qui représentèrent plus de dix millions d'euros sur la durée. Mais peut-on raccrocher cette affaire à une association qui n'a plus eu aucune vie après 1988 ? Peut-on juger un dysfonctionnement qui n’est ni sur « l'édition de publications », ni sur le « développement de la culture socialiste », seuls deux objets connus de l’association ? Probablement pas. Il semble plutôt évident que l'on nous a une nouvelle fois vendu une jolie histoire, un joli paravent, pour cacher une autre réalité plus compromettante ?

Il est aussi acté que les élus qui vont successivement s'inscrire dans la démarche à partir de 2001, n'auront pas connaissance de cette association. Ils s'engageront par écrit à « être adhérent du groupe des élus socialistes et à lui verser intégralement leurs indemnités ». Nulle mention d'une association, seulement du Groupe de la majorité municipale de François Cuillandre.

Lors des auditions, la totalité des « responsables » qui furent entendus affirmèrent [3] qu'il y a eu confusion entre l'association et le groupe municipal des élus socialistes. L’association sans vie, dont le compte bancaire est bien resté très actif, s’est dissoute dans le Groupe majoritaire municipal du maire.

Le principal facteur ayant conduit à cette confusion fut le cumul des fonctions que François Cuillandre assigna d’autorité à Alain Masson, en tant que candidat puis maire de Brest. Lors des trois premiers mandats de François Cuillandre, à chaque élection, il le nomma directeur de sa campagne, puis président du groupe socialiste et du groupe de la majorité. Il fut de plus nommé premier adjoint, puis premier vice-président. C'était grâce aux nominations de François Cuillandre qu'Alain Masson tirait toute son autorité sur le reste des élus. Ce cumul au plus proche du maire/président le légitimait[4] pour organiser la répartition des indemnités entre les élus socialistes, via le compte bancaire que seul Jean-Luc Polard semble avoir tenu.

En 2001, lorsque le système va diverger au début de la mandature de François Cuillandre, il n'y a donc plus d'association Vivre à Brest. Il y a juste un vieux compte bancaire ouvert à la création de l'association du même nom, tenu par Jean-Luc Polard, sous l'autorité d'Alain Masson qui devient l'homme à tout faire du maire. Ce compte bancaire aurait dû être fermé. L'association n'est plus, le système est en roue libre, sans aucune gouvernance, mais les comptes bancaires sont pleins. Suffisamment plein pour faire tourner les têtes de ceux qui les connaissent et y ont accès. Suffisamment plein pour devenir la Caisse noire du groupe des élus socialistes, rapidement devenu celle de l'ensemble de la majorité municipale et communautaire de François Cuillandre, au regard de l'extension des usages, bien au-delà des seuls socialistes, dès l'année 2000.

Pour ma part, je conteste que cette affaire concerne une association, sorte de véhicule indépendant des groupes politiques de la Ville et de la Métropole de Brest. Si ce système a pu fonctionner grâce à un compte anciennement ouvert au nom d'une association qui n'existait plus, ce compte opaque est devenu au moins à partir de 2001, la Caisse noire de la majorité municipale de François Cuillandre, tenu par ses deux plus proches adjoints. L'affaire Vivre à Brest, ce qui se lit dans les livres de comptes, c'est l’histoire du fonctionnement de la majorité de François Cuillandre durant trois mandats :

  • Un contrôle des élus socialistes par l'argent,
  • Une forme de clientélisme sur les autres groupes politiques, financé par la Caisse noire,
  • L’assurance de la loyauté du bras droit du maire, Alain Masson, par une « rémunération indirecte opaque » consistant à percevoir des versements de l'association, mais sans y verser ses indemnités,
  • Enfin, des détournements d'argents, notamment par ce qui fut appelé fort mal à propos « des prêts », dont personne ne vérifiait le remboursement lorsqu'il s'agissait de messieurs Masson et Cuillandre.

L'affaire Vivre à Brest aurait pu s'appeler « l'affaire de la Caisse noire de la majorité du maire François Cuillandre ». L'association n'a servi qu'à détourner l'attention de l'espace où tout cela s'est réellement déroulé, entre 2001 et 2017.

L’histoire improbable d’un binôme impossible

En second point, une audience correctionnelle aurait permis de percer l'improbabilité du binôme Masson/Polard pour tenir la Caisse noire.

L’histoire officielle voudrait nous faire croire qu’il y a eu un grand gagnant, Alain Masson, qui aurait détourné environ 700 000 € entre 2001 et 2018 et de l’autre, un très grand perdant, Jean-Luc Polard, qui aurait perdu pas loin de 400 000 € sur la même période [5].

L’histoire officielle voudrait aussi nous faire croire que tout cela s’est passé sans que Jean-Luc Polard, qui gérait la Caisse noire, le sache. Durant 17 ans, il ne se serait jamais rendu compte qu’Alain Masson ne versait plus ses indemnités. Pas très crédible pour un agent de banque de profession ! Par ailleurs, trois lignes datant de 2002 dans les livres de comptes, tenus à la main par Jean-Luc Polard, mentionnent une augmentation du versement à Alain Masson, par suite d’une baisse des montants perçus sur ses indemnités. Bizarre, bizarre ! Il avait alors donc bien connaissance des versements qu'il faisait à Alain Masson et des indemnités que ce dernier percevait. De plus, Alain Masson a de son côté toujours affirmé que Jean-Luc Polard savait qu'il ne versait plus ses indemnités sur le compte, à partir de 2001. Enfin, dans la toute première audition de police, alors que l’enquête n’a pas démarré, Jean-Luc Polard confirme bien avoir connaissance de la situation d’Alain Masson et sa double perception. Ce n’est que quatre mois plus tard qu’il reviendra sur sa déclaration, affirmant ensuite n’avoir jamais rien su.

Je ne sais pas ce qu’en aurait pensé un juge en correctionnel, mais pour ma part, il n’y a pas de doute que Jean-Luc Polard savait dès 2001 qu’Alain Masson percevait ses indemnités en direct et qu’il lui versait en plus de l’argent du compte qu'il tenait, tout comme les « prêts » jamais honorés de remboursement, dont il n'a jamais nié la connaissance.

Donc, par un très grand mystère, certains voudraient nous faire croire que deux personnes ont tenu une Caisse noire et que l’un se serait arrangé pour être bénéficiaire de +700 000 €, quand l’autre y aurait laissé pas loin de 400 000 €. Et pour couronner le tout, le grand perdant fut celui qui tenait la Caisse noire. Waouh, super intuitif, surper logique ! J’espère que des sociologues émérites se pencheront sur ce cas d’espèce hors du commun.

Comment expliquer qu’un grand gagnant et qu’un grand perdant aient pu tenir à deux une Caisse noire durant 17 ans, sans jamais se quereller ou simplement que le grand perdant finisse par demander sa part ? Cela ne s’explique pas ... sans intervention extérieure. On laissera de côté l’intervention divine, vu que les deux étaient assez peu sensibles aux voix venant du ciel. Reste celle d’une autorité supérieure. François Cuillandre, en tant que candidat, puis maire-président, détenait cette autorité sur ses deux plus proches adjoints. Nous regrettons d'ailleurs qu'il ne l'ait jamais utilisé durant 17 ans pour contrôler ou simplement mettre fin à ce système qu'il connaissait fort bien. Ha oui, j'allais oublier qu'il avait avoué en avoir fait recel !

Une audience correctionnelle aurait permis de lever le voile sur ce grand mystère, en élargissant un peu la vision aux autres revenus de ces personnes [6], d’ailleurs. Elle aurait peut-être aussi permis de questionner la légitimité d’Alain Masson à avoir perçu ses doubles indemnités. S’il est un fait incontestable que tout cela a été caché aux autres élus, a-t-il été autorisé à percevoir ces versements de la Caisse noire, en plus de ses indemnités, comme il l’a toujours affirmé lors de l’enquête ? Qui ment ?

Un système de mutualisation détourné

C’est un fait que la majeure partie des sommes qui ont transité par le compte bancaire de la Caisse noire étaient liées au mécanisme, pour partie dévoyé, de mutualisation. Mais ce compte va avoir d’autres usages, plus opaques. C’est ceux-là que questionne l’enquête et qui permettent d’analyser un peu plus les possibles tireurs de ficelles du système, qu’une audience correctionnelle aurait pu permettre de mettre au grand jour.

Tous ces détournements du sens initial ou même de la « vertueuse mutualisation » sont détaillés dans le livre que j’ai écrit pour comprendre cette histoire (ici). En voici une synthèse rapide.

  • Dès 2000, le compte bancaire va financer discrètement un logement à Brest pour un candidat (non socialiste) que François Cuillandre veut sur sa liste aux municipales de Brest, mais qui n’habite pas à Brest.
  • Dès 2001, le compte bancaire va compléter les indemnités d’Alain Masson qui dira que c'était un fait connu et une contrepartie au travail qu’il fournissait en tant que chef de la majorité de François Cuillandre, alors qu’il ne cumulait aucun autre mandat.
  • Le compte bancaire va financer de nombreuses campagnes, en direct ou par des prêts remboursés, y compris pour des campagnes non socialistes parfois (jeux d’alliances politiques dans la majorité municipale du maire). Le compte va notamment payer certaines actions des campagnes législatives de François Cuillandre qui se présentait sur la circonscription Brest rural, mais jamais celles de Patricia Adam qui se présentait sur celle de Brest centre, par exemple. 
  • Tout au long des trois mandats, le compte va servir à animer la vie de la majorité de François Cuillandre, en y intégrant même parfois les autres élus socialistes de la communauté urbaine. Il s’agira de coûteuses soirées, voire d'extras alcoolisés en marges de séminaires d'élus. La volonté était de maintenir une cohésion dans la majorité du maire, en proposant gratuitement aux autres composantes des temps forts financés par le compte bancaire issu des indemnités des autres élus socialistes.
  • Pendant 13 ans et pour près de 60 000 €, le compte va servir à rembourser en totalité François Cuillandre d’une assurance qu’il payait en direct, censée protéger tous les élus de sa majorité municipale, y compris lui-même. Dans les faits, cette assurance ne fut quasiment pas connue des autres élus et seul François Cuillandre en fut utilisateur avant de l’arrêter d’autorité en 2014, sans même en parler aux autres élus assurés.
  • En 2008 et pour 4 234 €, le compte va financer un blog au nom de François Cuillandre qui fut utilisé très brièvement, avant de disparaître, faute d'écrit du principal intéressé.
  • En 2007, le compte va servir à financer 3 000 € de cotisation d'élu de François Cuillandre au Parti socialiste (jamais remboursés), pour lesquels il se permettra l’année suivante de faire jouer la déduction fiscale sur les dons aux partis politiques ! Interrogé par la juge d’instruction, il reconnaîtra lui-même que cette déduction fiscale était pour le moins « indue ».
  • En 2012, le compte va servir à financer un prêt de 4 000 € à François Cuillandre, qui ne sera jamais remboursé avant l’ouverture de l’enquête de justice.
  • Fin 2016, le compte va servir à financer un second prêt de 2 000 € à François Cuillandre qui servira à payer ce qu’il va verser au titre de sa cotisation d'élu au Parti socialiste, dont le montant aurait dû être plus proche de 6 000 € à 7 000 €, que de 2 000 €. Enigme sans réponse de l’enquête, les livres de compte mentionnent quelques mois plus tôt de la même année un versement à la Fédération du PS de 7 500 €, ce qui correspond plus à ce qu’aurait dû payer François Cuillandre au titre de ses cotisations d’élu. Les enquêteurs retrouveront la souche du chèque mentionnant « solde des cotisations », mais barré. Aucune trace de ce chèque ne figura sur les relevés de comptes bancaires. Le chèque ne fut donc jamais tiré, mais persiste l’hypothèse que ce chèque de 2016 aurait dû servir à payer des cotisations manquantes à la Fédération.

Au-delà de ses usages détournés de l’argent du compte, il faut noter que c’est aussi en 2001 que deux personnes vont ensemble se permettre de ne plus contribuer à la règle de mutualisation des élus socialistes à la mairie de Brest, qui est la doctrine d’usage connue (et signée à chaque candidature). Nous le savons aujourd'hui, Alain Masson va arrêter de verser ses indemnités en 2001, dans la plus grande discrétion des autres élus qui y versaient leurs indemnités. Mais, c’est aussi à cette époque que semble apparaître une nouvelle règle orale qui veut que le maire ne contribue pas à cette mutualisation. Ce discours est conjointement tenu par messieurs Masson, Polard et Cuillandre aux autres élus socialistes, comme une règle d'évidence. Les trois la réaffirmeront lors de l’enquête.

Cette évidence énoncée à trois voix de façon décomplexée est toutefois contredite par les livres de compte antérieurement à 2001, toujours tenus par le binôme Masson et Polard. Ils ne peuvent donc pas ignorer que le précédent maire, qui fut à l’initiative de l’association Vivre à Brest et probablement aussi de ce concept de mutualisation très socialiste, versait une part de ses indemnités sur le compte bancaire de l’association. C'était d'ailleurs plutôt logique que celui qui percevait le plus d’indemnités contribue aussi, d’autant qu’il bénéficiait tout autant des avantages de l’association en termes de soirées ou d’assurance, par exemple. Sur plus de 10 ans, les livres de compte mentionnent 89 versements volontaires plus ou moins réguliers de Pierre Maille, pour un total un peu inférieur à 500 000 francs. Moyenné sur la période, corrigé de l’inflation et passés en euro, cela représenterait plus de 10 000 €/an, en équivalent 2020.  Le maire suivant, François Cuillandre, malgré ses différents bénéfices tirés de l’association, n’y versa jamais un euro de ses indemnités.

En 2001, il n’y a donc pas eu qu’Alain Masson à avoir changé une règle, mais il y a eu aussi François Cuillandre, avec la complicité et le consentement de messieurs Masson et Polard. 

Petite parenthèse pour rappeler que l'enquête permet aussi d'établir que François Cuillandre va aussi « oublier » de payer, pour partie ou en totalité, ses cotisations d'élu au Parti Socialiste durant la totalité des 12 années analysées par les enquêteurs. Nous sommes donc fondés à penser qu’il le faisait aussi avant 2007, alors qu'il fut le premier fédéral du Parti Socialiste en Finistère.

De façon amusante et fort signifiante, ce même document de l'enquête, issu d'une commision rogatoire au Parti Socialiste, montre que messieurs Masson et Polard étaient, quant à eux, beaucoup plus rigoureux et honnêtes dans le paiement de leur cotisation à leur parti. Cherchez l’erreur ... ou plutôt, cherchez l'intrus ! Fin de la parenthèse.

En s’affranchissant de verser une part de ses indemnités de maire/président sur le compte de « mutualisation des élus socialistes », à l’instar d’Alain Masson qui se mit à percevoir ses indemnités en direct, François Cuillandre a tiré un bénéfice très significatif sur 17 ans. Bien au-delà des seuls 4 000 € que la juge a retenus, pour raison de prescription.

En conclusion

Cette affaire ne s’est pas réellement déroulée dans une association, mais au sein du Groupe de la majorité plurielle du maire de Brest, au travers d’un ancien compte associatif, laissé actif mais détourné de sa raison d'être initiale.

Il est extrêmement peu probable que les deux tenanciers du système aient pu agir seuls, d’un commun accord, durant 18 ans, alors que l’un perdait des centaines de milliers d’euros, quand l’autre en gagnait encore plus. Cela ne marche pas comme explication. Il est très probable qu'il ait fallu qu’une autre partie les mette d’accord et nous avons vu que Jean-Luc Polard tirait lui-même d’autres bénéfices liés à des situations dérogatoires concédées par le maire/président.

Enfin, si Alain Masson semble avoir tiré le plus gros bénéfice d’une situation qu’il explique comme ayant toujours été connue, il fut loin d'être le seul. François Cuillandre est le second grand gagnant, notamment de l'évolution des règles qui apparurent d'autorité lors de la campagne des municipales de 2001.

Cinq jours après la démission d’Alain Masson, François Cuillandre va faire une conférence de presse où il commença par affirmer haut et fort qu’il s’agissait de « l’affaire Masson ». Loin de toute précaution oratoire dans le respect d'une présomption d’innocence qu’il revendiqua ensuite fermement pour lui-même, il va désigner un coupable et inventer une histoire avec laquelle il n’aurait eu aucun lien, puisque ne versant pas ses indemnités dans la fameuse association [7]. Cette belle déclaration visant à s'auto-innocenter ne l’empêcha pas de plaider coupable, cinq ans plus tard.

Si correctionnel il y avait eu, nul doute que j’aurai pu développer devant le juge les trois arguments ci-dessus issus des auditions et des découvertes de l'enquête et de l'instruction. Trois vérités cachées qui mettent à mal le récit bien simpliste qui fut diffusé par François Cuillandre, au lendemain de la sortie de l’affaire dans la presse et qui est encore aujourd'hui celui conté par le maire et ses proches. Peut-être bien qu'à cette occasion l’affaire Vivre à Brest aurait été gentiment renommée « l’affaire Cuillandre » et que ses deux bras droits, décédés peu de temps après leur mise au banc, auraient été rétablis au juste rôle qu’ils ont probablement tenu dans cette affaire, loin de l'infamie dans laquelle ils ont été projetés.

Certains remercieront sûrement chaleureusement le procureur de Brest pour cette CRPC qui est arrivée à point nommé. Une fuite des responsabilités qui semble devenir le trait de caractère transpartisan d'un nombre toujours grandissant de nos « responsables publics ». Il est à regretter que la Justice serve de marchepied à cette dérive. La transparence de notre gouvernance politique a été bafouée, c'est toujours un grand désaveu démocratique et aussi une belle opportunité pour les extrêmes qui n’attendent que des élus sans probité pour prospérer.

-/-

Nous arrivons tranquillement au terme de cette enquête/analyse. Encore deux dernières notes à venir et il sera temps pour moi de refermer ce dossier brestois.

Pour la prochaine note, nous nous intéresserons à la grande oubliée de cette affaire … pourtant centrale dans le jeu de dupes ! 😉

 

[1] Une CRPC a du sens dans la petite justice du quotidien, les petits larcins, mais quand il s'agit d'une personnalité publique, notamment du plus haut magistrat d'une grande ville qui décide de l'allocation de 3 milliards d'euro par mandat, faire de la justice à la va-vite est un contresens pour l'intérêt public. D'abord parce que les dossiers sont complexes et que plusieurs vérités se confondent grâce aux contre-récits trompeurs et à l'influence dont bénéficient certains accusés, mais aussi parce que ces personnes sont au pouvoir et poursuivent les mêmes pratiques si rien n'est fait pour les démasquer, souvent dans des intérêts particuliers éloignés des intérêts publics. Le gain d'une procédure allégée est souvent bien faible face aux pertes dues à des dirigeants dont la probité est entachée.

[2] Il y eut de nombreux débats sur le caractère obligatoire du versement de leurs indemnités pour figurer sur la liste de François Cuillandre, nous noterons ici simplement ce que Jean-Luc Polard finira par dire lors de sa dernière audience devant la juge qui le questionnait sur le sujet : « C'est vrai que c'était une demande impérative » pour être retenu sur la liste aux municipales. Si tout le monde ne s’est pas senti « obligé », car une mutualisation faisait sens, l’adhésion au système n'était pas une option.

[3] Alain Masson, Jean-Luc Polard, François Cuillandre, Bernadette Abiven et Marc Labbey (qui fit l'intérim d'Alain Masson quelques mois) reconnurent la confusion entre l'association et le groupe des élus socialistes, voire du groupe de la majorité municipale. Après réflexion sur ce que nous avions vécu durant ces années, j'ai rejoint cette analyse. L'association n'a jamais existé, seul le Groupe majoritaire, autour du maire, se réunissait très régulièrement et donnait du pouvoir à messieurs Masson et Polard sur les autres élus du fait du role que le maire leur donnait.

[4] Fait remarquable dans la sphère du pouvoir politique et qui conforte la thèse qu’Alain Masson tirait sa légitimité de l’autorité du maire et non d’une « gouvernance associative inconnue » : aucune autre personne ne revendiqua cette fonction durant 18 ans. Pourtant, il est bien connu qu’en politique, un seul gramme de pouvoir fait facilement tourner la tête à plus d’un ! Ici, point de tout cela, une stabilité exemplaire et non contestée, alors que nous parlons du pouvoir sur une Caisse arbitrant des millions …

[5] Les vrais chiffres de l’enquête sont 486 000 € entre janvier 2007 et avril 2018, soit plus de 3 500 €/mois de bénéfice moyen pour Alain Masson. Pour Jean Luc Polard, environ 170 000 € de perte entre juillet 2010 et décembre 2017, soit une moyenne de 1900 €/mois. Or, cette situation perdurait a priori depuis l'élection de 2001. En faisant l’approximation d'écarts identiques entre 2001 et 2007, sur les trois mandats de François Cuillandre, Alain Masson aurait été gagnant d’environ 700 000 €, lorsque Jean-Luc Polard aurait laissé environ 390 000 €. Il s'agit d'une approximation pour donner des ordres de grandeur. Il existait donc une différence relative de l'ordre du million d'euros entre les deux comparses, entre gains et pertes respectifs… Pas vraiment une bagatelle !

[6] Jean-Luc Polard passe dans l’affaire Vivre à Brest pour le « grand perdant » face à Alain Masson. Mais ce n'est la réalité que si l'on se cantonne au périmètre d'une association ... qui n'existait pas. Pour mieux comprendre, il convient d'analyser tous les revenus issus des mandats électifs, plus largement.

Alain Masson s’est consacré à 100 % à la mairie et la métropole de Brest, il a lui-même dit que c'était la raison de ces versements en plus de ces indemnités d’ailleurs. Il passait de longues journées pour les deux collectivités et son bilan politique pour Brest est très important et tout à son honneur. Il n’a jamais cumulé avec un autre mandat. Ils ne percevaient donc que des indemnités du bloc communal. Ce fut moins le cas pour d’autres élus comme Jean-Luc Polard ou même Bernadette Abiven qui furent aussi élus du département, passant nettement moins de temps pour la ville et la métropole, mais cumulant plus d'indemnités (ils étaient loin d'être les seuls cumulards, encore vrai aujourd’hui).

Le cas de Jean-Luc Polard est atypique sur un dernier point qui apporte un autre éclairage. Il en parlait assez librement sans donner de montant. A ma connaissance, il fut le seul adjoint/vice-président de François Cuillandre à être PDG d’une SEM et à en percevoir une rémunération pendant plusieurs années. Même Alain Masson, pourtant président de la puissante SEMTram, n’eut pas le droit à cet avantage pécuniaire. Les revenus de PDG de Jean-Luc Polard, tout comme ses indemnités du département, étaient exclus du système Vivre à Brest. Il est donc un peu rapide de parler de « perdant ». Grâce à l’autorisation à recevoir une rémunération sur une présidence de SEM que lui consentait le président de la métropole et son cumul au département, il bénéficiait aussi de revenus complémentaires, probablement un total de revenus issus de ses mandats pas très éloigné de celui d'Alain Masson... et de François Cuillandre !

[7] C’est encore le discours trompeur des élus proches de François Cuillandre, notamment dans le courrier qu’ils enverront en réponse au rapport de la CRC en 2021 (ici).

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Image issue de la couverture de la BD Le meilleur des Pieds Nickelés - Tome 2

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