Affaire Vivre à Brest : Trois vérités qui auraient mérité une audience correctionnelle
Vivre à Brest - L’histoire de la Caisse noire

Vivre à Brest - Réaction suite au Conseil métropolitain

Cuillandre-Francois-IMG_3050-002Je dois dire que j'ai été passablement agacé en lisant le Télégramme samedi matin (ici). L'article retraçant les échanges en Conseil de métropole sur l'affaire Vivre à Brest témoigne bien de ce qui était à craindre. Une fois la pression du jugement retombée et même s'il y a eu condamnation, l'histoire est vite réécrite et le fond du dossier oublié.

On aurait pu espérer qu'à quelques jours de sa condamnation, le maire ferait profil bas, comme cela fut le cas devant la juge, lors de l’audience de CRPC que j'ai racontée ici. Il aurait pu faire amende honorable et bien non, il ne l'a pas fait. Comme depuis plus de 20 ans, lors des repas de pré-conseil à Kerbriant, les contre-arguments avaient été affutés, les rôles distribués et il ne restait plus qu'à contrecarrer fermement quiconque oserait évoquer le sujet. Aidé de trois valeureux vice-présidents venus à sa rescousse, monsieur Cuillandre semble avoir fait feu de tout bois pour tordre la réalité de ce que furent les dessous de l’affaire Vivre à Brest.

Je ne comptais pas évoquer ce que je vais écrire ci-après, mais ce Conseil montre à quel point ces élus au pouvoir à Brest sont dans l’affirmation décomplexée de contre-vérités déniant toute réalité de ce qui fut mis au jour par l'affaire.

Commençons par les propos de monsieur Cuillandre, retenus par le journaliste du Télégramme dans l'article :  

« Moi, dans l’affaire Vivre à Brest, j’ai laissé 100 000 € de cotisations. J’ai dû emprunter 4 000 € pour mon fils, que j’ai remboursés. »

A l'entendre, il serait presque la victime de cette affaire, dans laquelle il vient d'être condamné pour recel d'abus de confiance ! Mais le problème n'est pas là, il est sur le fond de l'affirmation.

Une bonne fois pour toute, il faut arrêter de laisser croire que les 4 000 € étaient « pour son fils ». Un rapport de la police judiciaire a analysé scrupuleusement les comptes de monsieur Cuillandre durant l'enquête et conclut :

« Suite à l'encaissement du chèque de 4 000 € le 22/08/2012 provenant de l'association "Vivre à Brest" sur le compte n°XXXXXXX de M. François Cuillandre, ne constatons aucun mouvement en faveur du fils de M. Cuillandre ni aucune dépense en relation avec l'achat de matériel de pêche. »

Stop à l’intox. S'il est vrai que monsieur Cuillandre a versé quelques milliers d’euros à son fils plusieurs semaines avant, probablement en lien avec son activité professionnelle, comme le dit le rapport de police, il est largement abusif de lier cela aux 4 000 € pris dans la Caisse noire du système Vivre à Brest. Pourquoi ?

En 2012, année où ce « prêt » est contracté avec la Caisse noire, monsieur Cuillandre dispose de plus de 100 000 € net de revenu, d’après sa propre déclaration HATVP (8620 € net/mois), principalement au titre de ses indemnités de maire/président et de façon secondaire, en tant qu’enseignant chercheur. Lorsque l'on dispose de ces sommes-là en revenu, normalement, on n’a pas besoin d’aller taper dans une obscure Caisse noire, financée par d'autres, même pour aider son fils. Soit on prend sur son épargne personnelle, soit on demande à sa banque de faire un prêt à la consommation, et elle s'occupe gentiment de nous le faire rembourser. C’est ainsi pour la très grande majorité des Français, qui sont bien loin de toucher plus de 8 600 €/mois [1].

Alors pourquoi monsieur Cuillandre va aller taper dans la caisse de mutualisation des autres élus socialistes ?

Devant la juge d'instruction qui lui a posé la question, le prévenu fut moins arrogant que vendredi dernier, sur son perchoir de président de la Métropole, face à son opposition. Le 17 octobre 2019, lors de sa comparution devant la juge d’instruction, l’argument du fiston ne va pas tenir longtemps. La réponse, monsieur Cuillandre va finalement la donner à la juge. La véritable raison au fait de ne pas avoir contracté un prêt personnel dans une banque permettant de couvrir les 4 000 € est très claire : « Parce que j'aurais été en surendettement. »

C’est une réalité des non-dits de l’affaire Vivre à Brest. Une vérité gênante à exprimer sur celui que les rumeurs accusaient plutôt d'avoir acquis un triplex aux Capucins, grâce à ses hauts revenus de maire/président, comme il s'en défendait lui-même. Une réalité qui explique une large part de la longévité du système Vivre à Brest, qui lui bénéficiait financièrement de multiples façons. Une réalité qui explique le fait que monsieur Cuillandre n’ait plus contribué à la mutualisation, contrairement à son prédécesseur, Pierre Maille. Une réalité qui explique les nombreuses années d'impayés de ses cotisations d'élu au Parti Socialiste, malgré ses hauts revenus mensuels. En 2012, non seulement monsieur Cuillandre n’avait aucune épargne personnelle en capacité à assumer des comptes personnels négatifs, mais il était au bord du surendettement, comme il l'avoua à la juge d'instruction. Voilà la vraie raison pour laquelle il s’est retourné vers Jean-Luc Polard et s’est servi dans la Caisse noire.

On aurait pu espérer pour lui une situation précaire, très temporaire. Mais en 2016, il sollicita Jean-Luc Polard à nouveau pour 2 000 €, afin de payer un bout de ses cotisations dues au Parti Socialiste. C’est par 4 chèques de 500 € qu’il remboursa, 8 mois plus tard, en 2017. Cinq ans après 2012, alors que sa déclaration HATVP montre qu’il touchait alors 113 000 €/an net (9400 € net/mois), il n'était toujours pas capable de payer les 6 000 à 7 000 € de cotisation d'élu. Il va donc devoir emprunter à nouveau 2 000 € pour s'affranchir seulement d'un tiers des cotisations qu'il doit cette année-là.

Alors, quand ce weekend, je lis qu'il a rétorqué publiquement avoir emprunté 4 000 € à l’association « pour son fils », les bras m’en tombent. L’aide à ses enfants n’est pas niée, mais objectivement, ce n'est pas l'aide qu'il va apporter à son fils qui le conduit à emprunter 4 000 € dans la Caisse noire et à ne pas les rembourser, c’est sa gestion financière personnelle.

En jouant sur la corde sensible paternelle, monsieur Cuillandre se moque des Brestois comme il s'était moqué de nous en 2019, en nous racontant aussi cette histoire pour se justifier des 4 000 € non remboursés. En 2019, je l'avais cru sincèrement, mais plus aujourd'hui, car ce n'est tout simplement pas la réalité. L'enquête de police l'a mis au jour et il a exprimé lui-même la réalité des faits dans le bureau de la Juge d'instruction. Il est honteux que, du haut de son statut de président de la Métropole, monsieur Cuillandre nous ressorte ces arguments démontés par la Justice.

Au-delà de la contre-vérité énoncée froidement dans le seul but d'avoir le dernier mot et de moucher son opposition, la gestion personnelle du maire/président est très préoccupante à la tête d’une collectivité qui gère 3 milliards d’argent public par mandat et qui est sur le point de s’endetter gravement pour faire bonne figure en 2026. Un surendettement qui ne laissera plus aucune capacité financière à notre collectivité pour les mandats futurs.

Il est aussi très questionnant de lire le même jour que la ville de Brest va faire un chèque de 15 millions d’euros à la métropole, soi-disant pour le chantier du tramway, alors que c’est quasiment la somme que la métropole va injecter en direct ou via ses EPL dans un nouveau stade qui nous avait été vendu financé à 100 % par le privé et sans argent public. Là encore, on a vraiment l'impression de se faire mener en bateau par cette équipe prête à tout pour faire passer des projets très controversés, aux prises de décisions opaques avec des acteurs privés et sans débat public réel.

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Quant aux 100 000 € que monsieur Cuillandre affirme avoir laissés dans l’affaire Vivre à Brest. Là encore, il refait l’histoire. S’il a « laissé » 100 000 €, c’est qu’il n’avait pas ou très peu de perte de salaire [2]. C'était le principe (socialiste) du système de mutualisation vers des simples élus municipaux qui « ne comptaient pas leur temps », comme il l’a lui-même dit avant de se faire rattraper par la Justice. Il peut difficilement aujourd’hui le contester, après avoir plaidé pour la vertu du système et avoir laissé ses deux bras droits l'imposer aux autres élus pendant ses trois premiers mandats, en prenant soin de ne plus y participer lui-même.

À entendre celui qui se présentait comme agent du ministère des Finances et ex-inspecteur des impôts (sans compter professeur de finances publiques !), si on paye ses impôts pendant des années, cela donne-t-il le droit de frauder quelques années plus tard ? « Ben oui, mon cher monsieur, avec tout ce que j’ai payé par le passé, vous n’allez pas me reprocher ce petit oubli ! » Quel inspecteur des impôts digne de ce nom accepterait ce discours ? C'est juste absurde comme argument.

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Sur les autres interventions, nous retiendrons que de parler d'éthique en politique et de vérité des faits est de la « basse politique » qui entretient un « discours du tous pourris » pour monsieur Guével. Très amusant comment il clôt un débat, en laissant croire que parler d'absence de probité porterait la responsabilité de la montée des extrêmes. Ce sont bien ceux qui agissent de façon malhonnête et n'en tirent pas les conclusions pour eux-mêmes, qui détruisent la confiance des Français dans leurs responsables politiques. Monsieur Guével tente de nous la faire à l'envers, comme on dit ! Voilà une jolie posture de « dominant », comme celles qui ont permis aux affaires de harcèlement de perdurer si longtemps, par exemple. Une façon de faire qui pourrait largement s'apparenter à ce que l'on nomme aussi : Omerta !

Monsieur Nédélec s'y prend autrement, par les sentiments. C’est souvent le cas lorsque l’on manque d’arguments. Il a regretté l'absence de positivité des propos de l'opposition sur cette affaire, invitant « à sourire, à être plus bienveillant et à adresser des félicitations ». Bon, il ne semble pas s’être foulé pour défendre son président. Nous sommes en plein dans le sujet de fond. Merci pour son intense réflexion et contribution. C'était rafraichissant !

Enfin et c'est rare, Monsieur Gourtay est monté au créneau en exprimant, son sentiment à l’égard des propos de madame Malgorn : « J'ai trouvé votre intervention dure, excessive. Elle concourt au sentiment de rejet de l'action publique. » J'avoue que celle-là, je ne m'y attendais pas, surtout venant de sa part. Je retiens la citation, je saurai la ressortir en temps voulu... à ce cher monsieur Gourtay.

Au bilan, un échange assez pathétique qui témoigne que la majorité municipale de Brest est dans le déni complet de ce qui s'est passé durant trois mandats avec l'affaire Vivre à Brest. Elle n'a toujours pas compris la fuite en avant dans laquelle elle est entraînée et qui risque de coûter fort cher aux Brestois.

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N.B.1 : j’ai longtemps hésité avant de publier cette note à laquelle j’avais pourtant souvent pensé. Sur ce blog, je n’ai ni l’envie, ni l’habitude de révéler des faits personnels, comme je viens de le faire. Je trouve normal que les personnalités publiques aient le droit à une vie privée.

Pourtant, parfois, malheureusement souvent, le privé interfère avec l’action publique, comme ce fut le cas dans cette affaire. Il est très difficile de comprendre les ressorts qui ont fait perdurer aussi longtemps un système corrompu comme celui de Vivre à Brest, sans chercher à comprendre ce qui a poussé messieurs Masson, Polard et Cuillandre à agir ainsi. Forcément, une part de vérité relève de la sphère privée, car les usages de l’argent détourné le furent aussi. Monsieur Cuillandre n'hésite d'ailleurs pas lui-même à mettre en avant son fils, pour justifier son acte et sa condamnation.

La seconde raison qui m’a poussé à faire la transparence sur ce point, que je n’avais jamais évoqué auparavant, y compris dans mon livre, c’est la décomplexion des attaques publiques que ces élus se permettent en plein Conseil, à l'égard de celles et ceux qui leur demandent juste des réponses sincères. Encore une fois, ont été ressorties les fausses raisons et surtout, un rejet de toute forme d’autocritique très inquiétante pour des responsables publics, malgré une condamnation bien réelle, il y a juste quelques jours.

Enfin, et c’est la dernière raison qui m’a conduit à exposer ces faits dans cette note, je trouve très inquiétant que notre ville soit dirigée par une personne fort bien rémunérée, techniquement compétente en matière de gestion financière, mais sujette à du surendettement. C’est bien-sûr inquiétant pour les finances de nos deux collectivités, mais c’est aussi inquiétant parce que cette fragilité augmente très significativement la sensibilité aux conflits d’intérêts, dans la pratique des responsabilités publiques. L’existence de l’affaire Vivre à Brest, que monsieur Cuillandre aurait pu stopper dès son premier mandat, plutôt que d’en faire le recel, en est l’exemple même. Je trouve tout aussi inquiétant de voir tous ces élus socialistes, tout comme moi très au courant de cette affaire, continuer à soutenir sans rien dire cette fuite en avant. Un système toxique autour de dépendances financières d'élus à leurs indemnités, avec lequel le maire joue en menaçant de retirer les délégations (et les indemnités) aux « camarades » moins soutenant.

Ce sont ces raisons, complètement en lien avec le débat public et notre démocratie locale, qui m’ont poussé à franchir ce pas que j’aurai préféré éviter. Mais comme l’a dit un homme sage : « Celui qui voit un problème et qui ne fait rien, fait partie du problème. »

Cela fait maintenant plusieurs années que j’ai pris la sage décision de ne plus faire partie du problème au sein de l’exécutif des deux collectivités brestoises.

N.B.2 : pour ceux qui ne l'ont pas encore compris, je viens d'écrire dans cette note pourquoi le maire de Brest s'est présenté pour un quatrième mandat en 2020. Pourquoi aussi, depuis le début du mandat, il réfléchit sérieusement à se représenter pour un cinquième mandat en 2026. Ce n'est clairement pas pour une vision politique pour Brest.

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[1] D'après l'Observatoire des inégalités, plus de 98 % des Français ont un revenu inférieur à 8000 € net/mois, avant impôt. Monsieur Cuillandre ne se classe donc pas dans les plus démunis de la population.

[2] Rappelons aussi que durant ces années-là, monsieur Cuillandre était censé travailler pour Louis Le Pensec. Il me raconta lui-même que ce dernier n'était pas très regardant sur ses activités. Il était de plus premier fédéral en Finistère et adjoint de Pierre Maille à la ville de Brest, chargé de l’environnement (ça fait sourire 😊 ). A priori, c’est moins en tant qu'adjoint à l'environnement qu'en tant que premier fédéral qu’il a laissé des souvenirs.

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