Vivre à Brest - L’histoire de la Caisse noire
lundi 18 décembre 2023
Comme nous l’avons vu dans la précédente note (ici), la Caisse noire de la majorité municipale de François Cuillandre reposait sur l’existence d’un compte bancaire issu de la création d’une association inactive depuis longtemps, nommée Vivre à Brest, et dont les raisons d'être statutaires étaient très extérieures à ce que fut l’usage du compte bancaire du même nom.
Ce compte associatif, initialement créé pour soutenir la publication d’un journal politique, va finalement surtout servir à collecter les indemnités des élus municipaux socialistes de Brest, avec le beau projet de les mutualiser. L’idéal affiché était de compenser ceux qui perdaient le plus en salaire du fait de leur mandat, grâce à ceux qui étaient bénéficiaires, pour diverses raisons [1]. Un système peu critiquable dans ses fondements pour des socialistes (bien plus dans ses méthodes 😉 !).
Le système de mutualisation semble avoir bien fonctionné jusque dans les années 2000, sous les deux mandats de Pierre Maille. Un précédent maire socialiste qui fut le président fondateur de cette petite association et, n’en doutons pas, un des penseurs de ce système mutualiste qui avait vocation à soutenir les moins bien lotis. À l'issue du dernier mandat de maire de Pierre Maille, le compte semble avoir été très bénéficiaire, malgré un engagement de l'association très au-delà du seul système de compensation des pertes de salaires [2].
La prise de pouvoir
À partir des années 2000, la Caisse noire passe sous le seul contrôle de messieurs Masson et Polard. Ils deviennent les seuls à disposer de l'historique, de la vision et des droits sur le compte bancaire. De plus, comme nous l’avons vu dans une précédente note (ici), l’association n’a plus aucune vie délibérative depuis longtemps. De fait, elle n'existe plus réellement. Seul existe le Groupe des élus socialistes municipaux chapeauté par Alain Masson, lui-même désigné d'autorité « Président de Groupe » par le maire, François Cuillandre. Le fil est coupé avec l'antériorité historique du compte qui devient une Caisse noire, la Caisse noire du Groupe de la majorité municipale, sans plus aucun contrôle que celui de Jean-Luc Polard. Même Alain Masson ne semble guère s'intéresser à l'argent qui circule sur ce compte. Alain Masson et François Cuillandre vont laisser Jean-Luc Polard gérer ce compte et faire le sale boulot, puisque c'est sous sa plume, et donc son consentement, que vont se faire tous les détournements.
Tous les mois, l'ensemble des indemnités des élus socialistes de Brest, hormis celles de messieurs Cuillandre et Masson, tombent sur le compte [3]. Jean-Luc Polard se charge ensuite de reverser leur manque à gagner sur salaire aux élus qui le demandent [4], et ce qu'ils appelaient une « prime d'habillement » commune à tous les élus. De 2008 à 2014, va aussi se greffer la « prime nounou », pour ceux qui ont de jeunes enfants.
Ça, c'était la vitrine officielle, le front office du système qui lui donnait toute sa légitimité, sa vertu. Une raison d'être qui laissait croire qu'en nous y opposant, nous remettions en cause notre engagement sur la liste, mais aussi nos valeurs socialistes.
La perception des indemnités et le versement des pertes sur salaire étaient bien-sûr le gros des volumes qui rentraient et sortaient du compte mensuellement. Mais derrière ces marées montantes et descendantes du compte, il va y avoir beaucoup d'évaporation, en dehors de toutes règles connues et seulement à la main du trio de tête. J'ai déjà détaillé cela dans mes précédentes notes et dans le livre, je n'y reviens donc pas ici.
Le système se tend et se fissure
C'est en 2014, au début du 3ème mandat de maire de François Cuillandre, que les choses vont commencer à se fissurer. Jean-Luc Polard va évoquer le fait que les indemnités reversées sur le compte couvrent tout juste les remboursements de salaires. Les entrées n'arrivent plus vraiment à équilibrer les sorties. Cette nouvelle donne conduit à l'arrêt rapide de la « prime nounou » et les nouveaux entrants du mandat (notamment des femmes) ne furent pas remboursés totalement de leur perte de salaire, comme il se devait.
Nous ne l'avons appris qu'après, mais certains élus devinrent financièrement perdants du fait de leurs activités liées à leur mandat. Ces élus avaient autorisé en confiance le reversement de leurs indemnités sur le compte, mais ils ne touchaient en retour qu'une faible part de leur perte de revenus. Le contrat moral était rompu. Certains vont d'ailleurs s'en plaindre directement à François Cuillandre, qui ne bougea pas le petit doigt et les renverra vers messieurs Masson et Polard. Un sentiment d'injustice se créa lentement, fort peu compatible avec l'idéal socialiste convoqué comme la raison d'être du système. Au fil du mandat, un fort besoin de transparence va naître de cela.
De façon amusante et comme il est le seul à avoir une vision globale sur l'économie du compte, Jean-Luc Polard va nous expliquer que ce déséquilibre vient du changement dans la sociologie des nouveaux élus. Comme il y avait de plus en plus d'élus « cadre » (dont je faisais partie, mais il n'y avait pas que moi bien-sûr), avec des salaires soi-disant plus conséquents, cela avait créé un déséquilibre dans les remboursements qui avait conduit à vider les caisses. Le système vertueux ne permettait donc plus de maintenir un équilibre financier. Des élus « perdants du système » vont alors redemander plus de transparence sur la comptabilité. Une réunion va être organisée (la seule sur 17 ans !). Lors de celle-ci, Jean-Luc Polard va nous exprimer à nouveau le même discours, en présence de messieurs Cuillandre, Masson. Pour appuyer son propos, il va nous montrer quelques chiffres anonymisés sur les remboursements mensuels de salaires, mais absolument rien sur l’autre comptabilité, celle qui se cache derrière. Cette réunion des élus socialistes, en présence du maire et donc sous son autorité, va calmer le jeu un temps.
Ce gros bobard témoigne bien de la perversion de ce système opaque qui s'est toujours auto-protégé en accusant d’autres, jouant de la culpabilité individuelle des personnes honnêtes, pour masquer des détournements d'argent plutôt décomplexés.
Maintenant que les comptes sont connus, il est clair que ce ne sont pas les « jeunes élus cadres » qui ont vidé la Caisse noire et déséquilibré le système « mutualiste ». Certains d'entre eux furent d'ailleurs globalement déficitaires et quelques autres, comme moi, faiblement bénéficiaires tous les mois. La réalité de ce qui a créé le déséquilibre financier qui a commencé par vider les caisses à partir de 2001, puis qui a mis en difficulté le système de mutualisation à partir de 2014, ce sont d'abord les deux personnes qui ont commencé à ne plus reverser d'argent sur le compte, messieurs Masson et Cuillandre, puis les « prêts » non remboursés et les dépenses plus « personnelles ». Là, ces déséquilibres ne se comptent pas en milliers d'euros, mais en centaines de milliers d'euros sur 17 ans. Notons que les prêts remboursés n'eurent pas d'influence sur la durée, ils furent neutres.
La réalité brute est donc que la majeure partie du déséquilibre de l'après 2001 ne fut pas liée au changement de sociologie des élus au fil des mandats, mais reposa donc sur des décisions structurelles, en lien avec deux personnes, qui étaient aussi au sommet de la hiérarchie de ce système sur cette période.
Le basculement
L'histoire va basculer à l'automne 2017, lorsqu'un journaliste va entendre parler de ce système opaque au cœur du fonctionnement des élus de la mairie de Brest. Il va douter de sa légalité et flairer les inévitables débordements d'un système en boucle ouverte. Il va commencer à enquêter sur l'association fantôme, en ayant toutes les peines du monde à la retrouver… Et pour cause, elle n'existe plus vraiment ! Alain Masson et Jean-Luc Polard vont alors recevoir une série de questions pointues sur le fonctionnement du fameux compte et de la mutualisation. Quelques mois plus tard, en mars 2018, sortit le premier article dans le Télégramme qui mettait en cause « la fin d’un système » (ici).
Par suite des premières questions du journaliste, la confiance des responsables du compte va s’effilocher. Début 2018, les élus versant leurs indemnités sur le compte vont avoir la consigne de demander à la RH de la métropole de les toucher sur leur propre compte, comme cela aurait dû toujours être le cas. Durant deux ou trois mois, il nous fut exigé de reverser une quote-part de nos indemnités sur le compte. Cette Caisse noire « nouvelle formule » ne payait plus les pertes sur salaires, mais permettait juste le financement des temps de rencontre entre élus socialistes, y compris le maire, autour d’un PPVR [5]. Il était logique que tous les élus socialistes cotisent. Alain Masson se mit à verser sa quote-part sur le compte, mais là encore, jamais François Cuillandre.
Le 1er mars 2018, le premier article dans la presse ébranla tous les élus participants au système. Nous fûmes une majorité à arrêter de notre propre chef les versements, dès mars ou avril. Les versements sur le compte se tarirent au printemps 2018. Le compte servira ensuite majoritairement à payer des sommes dues, des repas du groupe socialiste (PPVR) et des frais d'avocats.
Fin novembre 2018, le compte s'arrêta brutalement de fonctionner lorsque l'affaire explosa dans la presse, révélant des doubles perceptions d'Alain Masson, semant un doute légitime sur la sincérité des paroles et des déclarations des responsables de la majorité. Le maire demanda la démission de messieurs Masson puis Polard, à la fois pour calmer l'emballement médiatique, mais aussi pour sauver sa propre majorité qui exigeait avec virulence que des têtes soient coupées.
De la Caisse noire, au compte associatif
En décembre 2018, une fois la sidération passée, nous allons nous retrouver dans une situation très particulière. Nous étions face à une association qui n'avait plus existé officiellement depuis 1988, dont nous ne savions pas vraiment qui en était membre [6], mais qui était le seul « véhicule institutionnel » ayant le pouvoir de nommer de nouvelles personnes en charge du fameux compte bancaire, connu officiellement de la banque comme étant un compte associatif. Assez légitimement, au regard du rôle de fusible qui leur fut réservé, messieurs Masson et Polard avaient décidé de se mettre en retrait et de ne plus rien toucher. La justice avait saisi l’historique du compte sur 10 ans très facilement. Pour notre part, nous étions dans l'incapacité d'y avoir accès pour connaître les potentiels détournements qui s'y cachaient et donner des réponses à une opinion publique très interpellée par l'affaire.
Début 2019, et alors que nous ne connaissions absolument rien du dossier, Yann Guével, qui prendra la suite d'Alain Masson au sein du Groupe socialiste et auprès du maire, demanda à chaque élu ayant versé ses indemnités sur le compte de signer un document attestant du caractère volontaire de leur versement, pour prévenir tout risque de contestation en justice d'un élu.
En mars 2019, François Cuillandre demanda à 4 élus de confiance (dont je faisais alors partie !) de retranscrire les relevés de compte papiers, fournis par Jean-Luc Polard. Il s'agissait de connaître les différents mouvements de compte en possession de la Justice. En quelques semaines, nous allons saisir dans un tableur Excel les plus de 9 000 mouvements du compte bancaire, entre mars 2009 et novembre 2018.
En parallèle de ce travail très chronophage, nous allons remonter l'association Vivre à Brest de toute pièce, en commençant par réécrire complètement des statuts viables et nommer un bureau collégial. Cette étape commença par la convocation d'une assemblée générale extraordinaire de l'association, le 19 juin 2019.
La convocation fut signée par tous ceux qui se considéraient alors comme membres de l'association. À mon grand étonnement, François Cuillandre signa cette convocation de l'assemblée générale, se positionnant de lui-même comme membre de l'association, légitime pour décider de son avenir. Les nouveaux statuts mentionnaient le paiement d'une cotisation de 10 € pour chaque membre. La grande majorité des membres signataires de l'assemblée générale la payèrent, mais une fois encore, jamais le maire ! Dans cette affaire, François Cuillandre fut toujours là au moment des décisions stratégiques, mais oublia systématiquement de payer sa part au collectif !
Trente ans après les derniers statuts connus de 1988, la Caisse noire redevint le compte bancaire de l'association Vivre à Brest, arrimée à des statuts fraîchement réécrits en version 2019. À partir du 19 juin 2019, avec une autre élue, Patricia Salaün-Kerhornou, j’eu la mission de reprendre en gestion le compte bancaire.
Le 30 août 2019, après plusieurs semaines de tractation avec la banque qui, on l'imagine, avait suivi l'affaire et connaissait le caractère sulfureux du compte, nous avons pu reprendre le contrôle du compte. Nous avons alors découvert qu'il restait placé 45 656,40 €, sur 3 comptes courants et 2 livrets.
En dehors de percevoir les cotisations de 10 € et de payer un avocat pour se porter partie civile en tant qu'association dans l'affaire [7], les comptes ne bougeront pas en 2019.
En novembre 2019, Yann Guével me demanda de démissionner de mes responsabilités au bureau de l'association, ainsi qu'à une autre élue, Isabelle Melscoët. L'argument de cette éviction arbitraire fut que les autres élus socialistes n'avaient plus confiance en nous pour gérer l'association, car nous avions fait le choix de ne pas nous représenter sur la liste de François Cuillandre aux municipales de 2020. Chacun se fera son idée sur la logique du lien évident entre les deux faits ! 😉
Elections municipales puis confinement passèrent par-là. Il semble que la vie du compte fût calme durant ces périodes chargées par d’autres sujets plus importants.
Une association toujours aussi mal gérée
Le 11 décembre 2020, nous avons reçu un mail de convocation d'une Assemblée générale, 6 jours plus tard, alors que les jolis nouveaux statuts mentionnaient un préavis de « quinze jours au moins avant la date fixée ». Le mail était quasi anonyme, juste signé : « Le Conseil d’administration », avec un lien vers une visioconférence Zoom.
Quatre jours avant l'Assemblée générale, je reçus un mail désopilant de madame Salaün-Kerhornou, me demandant si j'avais conservé les comptes de l'association, car elle les avait perdus. Il y a décidément eu une constance dans cette association, c'est l'incapacité de ses responsables à suivre les règles et la nullité de sa gestion financière.
J'y répondrai en donnant ma démission. Bien qu'étant resté membre, à jour de ma cotisation statutaire, je n'avais plus eu aucune nouvelle depuis un an, alors que des échanges intéressant tous les membres avaient eu lieu avec la CRC. Le titre d'adhérent à l'association apparaissait comme une mascarade. En un an, l'association Vivre à Brest avait repris ses vieux travers d'opacité autour des intérêts du maire et une absence de gestion.
Sept mois plus tard, fin juin 2021, l'association se fendit d'un courrier de réponse argumenté à la Chambre Régionale des Comptes à la suite du rapport d’enquête sur l'association. D'après certaines sources, un cabinet d'avocats parisien aurait été sollicité pour faire ce courrier en défense : Le cabinet GAA - Goutal, Alibert & Associés. Il aurait coûté plus de 6 000 € au compte de l'association. Cela fait cher pour 6 pages qui ne disent rien, si ce n'est remettre toute la faute sur le dos de messieurs Masson et Polard et laisser croire que le maire n'a rien eu à se reprocher dans l'affaire ! C'était feu la période où le maire de Brest clamait son innocence. Nous noterons que se payer des conseils pour tenter de masquer la vérité derrière des bons mots, coûte souvent fort cher…
Lors de l'audience de CRPC de novembre 2023 qui reconnut François Cuillandre coupable de recel d'abus de confiance, l'avocat de l'association Vivre à Brest a affirmé que le délinquant avait remboursé à l'association, avant l'audience, les 4 000 € « empruntés » à la Caisse noire… en 2012.
Si nous faisons les totaux, il devrait donc rester environ 40 000 € sur le compte de l’association Vivre à Brest, reconstituée en 2019. Une somme surtout issue du fonctionnement passé de la Caisse noire de la majorité de François Cuillandre.
Que vont devenir les 40 000 € ?
Lorsque l'affaire avait éclaté en novembre 2019, nombre d'élus ayant participé au système de mutualisation avaient plaidé pour une dissolution de l'association, une fois la dimension judiciaire conclue. Cette dissolution conduisait de fait à une liquidation de l'actif, avec des solutions simples, comme reverser le « boni » à une association d'intérêt général, à une collectivité ou même tout simplement au CCAS de la ville [8]. J'étais aussi de cet avis qui me semblait porté par la raison. Compte tenu de l’histoire honteuse de cette association, un geste de solidarité ne pouvait pas nuire à sa conclusion. Objectivement, nous en sommes à cette étape aujourd'hui.
Dans la très grande opacité qui règne toujours autour de cette association, la question de la liquidation des biens se pose. Que vont faire les derniers élus socialistes qui ont payé en 2023 leur cotisation de 10 € à l’association Vivre à Brest ?
Au regard de l'honnêteté et de la rigueur qui a entouré ce compte depuis 40 ans, il est possible d'imaginer moulte scénario ! Certains élus « socialistes » ne pourraient-ils pas être tentés de récupérer un peu d'argent dans la caisse, sans que personne en dehors ne le voit ?! François Cuillandre, lui-même, ne pourrait-il pas prendre une cotisation à 10 € (ce serait bien la première fois !) et demander à se faire rembourser les 4 000 € qu'il a versés ou même se faire payer les 3 000 € de condamnation par la justice dans cette affaire ?! Qui sait ? Qui saura ? Sans information, sans transparence et au regard du passé, tout peut-être imaginé.
En la matière, le droit des associations est très clair. Il dit bien que le boni de liquidation ne peut être distribué aux membres de l'association. Les adhérents ne peuvent pas non plus demander le remboursement de leurs cotisations. Nous pouvons donc espérer que les scénario du dessus ne seront pas mis en oeuvre ...
Pour faire toute transparence sur cette fin d’histoire assez pathétique pour les élus socialistes brestois, les 40 000 € de Vivre à Brest devraient donc être donnés à une fondation ou un établissement public. Nous sommes impatients d'entendre ce que vont faire nos honorables élus socialistes brestois, encore membres de l'association.
Le pire n'est pas toujours certain !
La dernière option, qui serait la pire, mais aussi la plus signifiante sur ce que continuent à être les élus de cette majorité, serait de laisser se poursuivre l'association sans la dissoudre. Une façon de se faire oublier et garder sous la main l'argent de la Caisse noire, afin d'en faire un usage que nous ne connaitrons jamais. Les procès sur les campagnes de Nicolas Sarkozy sont là pour témoigner de l’imagination sans limites des responsables politiques, à l’approche des élections, lorsque plus personne ne contrôle rien et dans un entre-soi d’intérêts bien entendus.
Ce serait en quelque sorte perpétuer l'esprit de Vivre à Brest : une dérive malhonnête d'élus, au plus haut de la hiérarchie municipale brestoise, profitant sans complexe de l'opacité et de l'argent détourné.
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[1] On ne connaît pas dans le détail les raisons qui faisaient que des élus étaient « bénéficiaires ». Il y a bien sûr eu les retraités, qui ne perdaient pas d'argent du fait de leur engagement, leurs indemnités allant directement dans la case « bénéfice supplémentaire ». Mais il semble y avoir eu d'autres cas. Certains élus travaillant à l'Arsenal, dans la fonction publique ou détachés dans un syndicat ne cachèrent pas que leur engagement municipal ne conduisait pas à des pertes de salaires, malgré peu de présence à leur poste. D'autres travaillaient pour des élus politiques (députés ou ministres) qui leur laissaient une grande liberté d’action, sans perte de salaire. C'était clairement une autre époque, celle dont émergera la notion « d'emploi fictif », avec des règles assez différentes côté employeur et un regard différent de la société en général. Les années 1980-2000, avec la montée du chômage de masse, changèrent les rapports vis-à-vis de ces fonctionnements... pas des plus éthiques.
[2] Ce compte va aussi servir à financer des locaux politiques, aussi bien à Brest où une grande salle de 250 m² fut construite, très largement, voire en totalité, payée à partir de 1996 par cette Caisse noire et pour des montants très conséquents. Mais il y eut aussi quelques « facilitations financières » pour le Parti Socialiste de Plouzané et la Fédération de Quimper.
[3] Pour être complet et en fonction des mandats, deux autres élus vont aussi se soustraire du dispositif de mutualisation. Il s'agit de messieurs Sawicki et Salami. Le premier est dentiste et ses pertes sur salaire étaient bien supérieures à ce que le compte était capable de rembourser. Il fut donc décidé par Alain Masson de lui permettre de toucher ses indemnités en direct. Le second va participer à la mutualisation pendant un mandat avant de s'y opposer et de contraindre Alain Masson, avec qui il était en forte opposition, à le laisser sortir du dispositif de mutualisation et à toucher ses indemnités en direct. Mais le cas de ces deux élus n'est pas comparable à celui de messieurs Masson et Cuillandre. Aucun des deux n'a caché sa situation ou n'a caché l'antériorité (sauf en Conseil municipal plus récemment, lire ici). De plus, aucun des deux n'était décisionnaire dans le dispositif.
[4] Nous avons vu dans la précédente note (ici) que cette seule règle affichée de remboursement de perte sur salaire était fort peu encadrée et avait quelques dérogations. Ainsi, une des élues les plus bénéficiaires du système (encore élue aujourd’hui) fut une élue ne travaillant pas et ne pouvant donc pas revendiquer de « perte sur salaire ». Il semble donc aussi clairement y avoir eu des jeux d’influences et des copinages.
[5] Le fameux Pain Pâté Vin Rouge brestois, qui s'apparentait dans ce cas à un pique-nique sur table, dans une des salles du Parti Socialiste brestois, louées à la mairie et la métropole de Brest au titre des m² des groupes politiques. Des rencontres sur le temps du midi-deux durant lesquelles nous relisions les délibérations avant les conseils et nous discutions de dossiers politiques particuliers. Un repas très équilibré, entre charcuteries en tout genre, salades toutes faites et chips, agrémenté d'un coup de pif, comme disaient certains !
[6] Les derniers documents écrits en lien avec l'association Vivre à Brest datent de 1988. Après, plus rien. Lors de l'enquête, Alain Masson revendiqua être le président de l'association, car il s'appelait lui-même ainsi, mais absolument rien ne l'atteste. Dans ses fonctions au sein du Groupe de la majorité où il était aussi appelé « président », il avait plutôt le rôle de « secrétaire général ». Le rôle que l'on attribue généralement à un président dans une association, en tant que garant de la moralité et des orientations, était tenu logiquement par le maire. Ce n'est pas un hasard si le premier président de l'association fut Pierre Maille.
Jean-Luc Polard pouvait plus légitimement prétendre à être « trésorier », car c'était bien lui qui tenait tous les comptes. Pour le reste, aucun des élus passés ou présents ne savait s'ils étaient membres ou pas d'une association qui n'existait plus réellement. Nous avions tous pleinement conscience d'être membres de la majorité de François Cuillandre, mais pour le reste, nous n'avions aucune information. Nous ne posions pas de question, car nous n'avions tout simplement pas connaissance de tout cela. Tout reposait sur la confiance envers les trois personnes citées, que nous estimions intègres et tout à fait compétentes pour organiser cette mutualisation, dans les règles des lois (rappelons que le maire est un ancien inspecteur des impôts, par ailleurs professeur de finances publiques à l'UBO).
[7] Afin de montrer que nous avions été abusés par Alain Masson et Jean-Luc Polard, il avait décidé que les élus socialistes, à nouveau réunis en association, se portent partie civile dans l'affaire et de le faire savoir. Ce n'est qu'après que nous apprendrons que François Cuillandre était mouillé dans l'affaire et fut mis sur écoute, puis mis en garde à vue, avant d'être finalement mis en examen. Je doute un peu que l'on nous ait poussé à nous porter partie civile si nous avions su dès le départ, que l'Affaire Vivre à Brest, nommée l'Affaire Masson par le maire, allait aussi devenir l'Affaire Cuillandre.
[8] Je doute que l’association puisse transmettre au Parti Socialiste, car les dons aux partis sont encadrés par la loi et ne peuvent plus être faits que par des personnes physiques. Les entreprises et les associations n’ont légalement pas le droit de donner à un parti politique.