Le PS est-il devenu une imposture du socialisme ?
Droit de réponse à Ouest-France

Faux témoignage en Conseil municipal de Brest

Réza SalamiJeudi dernier avait lieux le Conseil municipal de Brest. Premier de l’année 2023, mais surtout, premier Conseil après l’annonce du renvoi en correctionnel du maire, François Cuillandre. L’affaire Vivre à Brest où il fut mis en examen, dès octobre 2019. Il aurait été surprenant que l’affaire ne soit pas évoquée à la suite de ce rebondissement, après 40 long mois d’attente. Aucun doute que chacun avait fourbi ses arguments, en prévision d’une passe d’armes attendue, lors du débat de politique général ouvrant chaque Conseil.

La presse locale s’en fait écho dans un article du Télégramme (ici) et un article du Ouest-France ().

Madame Malgorn semble avoir ouvert le bal en tirant une salve, pour le moins retenue, dont principal extrait cité est :

« Ce qui nous a choqués, c’est que nous avons découvert qu’un certain nombre de collègues élus étaient liés par des arrangements financiers de nature à aliéner leur liberté au sein de notre assemblée. »

Je ne sais pas si madame Malgorn a lu le livre que j’ai écrit sur cette affaire (ici), mais en effet, c’est le moins que l’on puisse dire.

Monsieur Salami semble avoir été l’élu désigné pour mener la contrattaque à l’interpellation du maire par son opposition et lancer un contre-feu pour détourner le sujet. Pour reprendre le propos rapporté dans le Ouest France, il aurait dit :

« Faux, répond l’élu socialiste Réza Salami : « Je ne faisais pas partie de cette association (Vivre à Brest, NDLR) et je n’ai jamais subi de pressions. J’ai continué d’exercer en tant qu’adjoint ».

Le télégramme complète son propos :

« C’est Reza Salami qui, après avoir rappelé qu’il n’avait pas fait partie des élus socialistes concernés par une redistribution de leurs indemnités, s’est offusqué. Vous continuez à planter les graines de la discorde, du discrédit, de la confusion dans le but de récolter quelques fruits qui ne poussent que dans les jardins des populistes. Ce n’est pas digne de notre instance démocratique. Nous n’avons jamais évoqué ici les manifestations à Rennes en 2006, quand vous étiez préfète de région et que les étudiants vous appelaient Mère Fouettard ou Bernie la matraque ! Vos calculs électoraux sont voués à l’échec, élection après élection ».

Vous pouvez retrouver l'intégralité de l'intervention de monsieur Salami ici, où l'on découvre dans son propos (1'50) que l'association « vertueuse, solidaire et mutualiste » est qualifiée aujourd'hui de « fond privé ». Actons qu'un fond privé aurait sans nul doute demandé à monsieur Cuillandre le remboursement des sommes empruntées qui le conduisent aujourd'hui en correctionnel.

Monsieur Salami fait bien d’engager une diversion rapide sur le passé de Madame Malgorn (artifice de dialectique bien connu), parce que concernant l’affaire Vivre à Brest, ces seuls deux arguments sont juste deux mensonges éhontés pour tous ceux qui ont vécu cette époque.

Deux contrevérités – Deux explications

Tout d’abord, monsieur Salami se pose en personne neutre en affirmant n’avoir pas fait partie de l’association (notons au passage que cela sera aussi, dès le début de l’affaire, l’argument qu’utilisa François Cuillandre pour mieux « s’auto-innocenter », avant que la justice ne le rattrape). Monsieur Salami dit-il la vérité ? Ou somme-nous encore, comme depuis le départ, dans un jeu de dupes où les acteurs se succèdent autour du maire, pour masquer la vérité sur ce qui se passa au sein de l’association Vivre à Brest ?

Nous pouvons acter qu’il ne dit pas la vérité. Monsieur Salami fera bien partie du système de mutualisation durant le mandat 2008-2014. De nombreux élus (présents en Conseil jeudi) le savent parfaitement. C’est un fait connu dont il parla ouvertement. Il est très étonnant qu’il l’ait lui-même « oublié », car les comptes de l’association (confirmé par l’enquête de la police judiciaire) montrent que, sur la période où il a participé au système de Vivre à Brest, il perçu 30% de plus que ses indemnités reversées ont rapporté à l’association. D’après l’enquête de justice, sur la période observée, il fut même financièrement le 4ème plus gros bénéficiaire du dispositif !

Ça en met un petit coup à la parole innocente qui s’exprime sans parti pris sur l’affaire !

La seconde partie de son propos est d’affirmer « Je n’ai jamais subi de pressions. J’ai continué d’exercer en tant qu’adjoint ».

Là aussi, ce n’est pas ce qu’il nous raconta durant toute la période où il s'opposa à messieurs Masson et Polard, pour sortir de l’association, sous l’œil agacé de monsieur Cuillandre. 

Sa déclaration aux enquêteurs de 2019 est d'ailleurs conforme à cette version des faits. Il a dit avoir d’abord trouvé le mécanisme de mutualisation normal et vertueux avant d’être élu, puis l’avoir ensuite contesté une fois élu. Il a déclaré avoir été mis à l’écart, en raison de sa contestation du système. Il a affirmé que messieurs Masson et Polard avaient un tel pouvoir qu’il lui était impossible de lutter. Enfin, il a avoué être allé jusqu'à consulter un avocat.

Cette contestation du système de Vivre à Brest par monsieur Salami est même citée dans l’ordonnance de renvoi en correctionnel dont « la presse a pu avoir lecture », comme on dit pudiquement. 

S’il est vrai que monsieur Salami a continué a exercer son mandat d'adjoint, parce qu’il s’est plié à la règle jusqu’à la fin du mandat 2014, ce qu'il raconta aux autres élus et à la justice collent assez peu avec ses dernières paroles en Conseil, affirmant n'avoir jamais subi de pression.

Un pouvoir contre lequel il était impossible de lutter

Deux choses sont intéressantes. La première est dans le propos qu’il tiendra à la police en affirmant que messieurs Masson et Polard avaient un tel pouvoir qu’il lui était impossible de lutter. De quel pouvoir surnaturel étaient investis messieurs Masson et Polard, pour arriver à tenir tête à un élu qui raconta en 2022 avoir fui la dictature iranienne à la suite de son engagement pour son pays ? Ce pouvoir ne venait clairement pas du Parti socialiste. Le premier fédéral de l’époque s’était lui-même opposé au système de Vivre à Brest dès 2008, avant de se faire remettre à sa place. Quel était donc ce mystérieux pouvoir ?

On le sait aujourd’hui, par les récits de ceux qui le vécurent. Ce « pouvoir » qu’avait messieurs Masson et Polard était la menace de faire retirer leur délégation aux élus contestataires du système (et de  perdre les précieuses indemnités d'élu), et de ne pas les reprendre sur la liste à l’élection suivante. Un pouvoir que seul possède … un maire.

Un adjoint qui affirme des contrevérités et des élus qui cautionnent

Le second fait marquant de cette passe d’armes en Conseil municipal de Brest est que tout cela se passera devant le maire et les élus de sa majorité. Or un nombre significatif d’élu.e.s savent parfaitement que monsieur Salami « mythonne » lorsqu’il affirme ne pas avoir fait partie de l’association Vivre à Brest et n’avoir jamais subi de pressions. Je ne suis pas le seul à avoir vécu cette période et je suis loin d’être le seul à avoir connaissance du dossier de justice. Le maire l’a. Le Parti socialiste l’a. Les élus socialistes encore membres de l’association Vivre à Brest l’ont. Comment peut-on encore laisser dire de tels propos, dans la salle du Conseil municipal de Brest, alors que l’on sait pertinemment qu’ils sont faux.

Ce n’est pas madame Malgorn qui « plante les graines du discrédit, de la confusion dans le but de récolter quelques fruits qui ne poussent que dans les jardins des populistes. » C’est bien monsieur Salami et tous les élus qui avalisent sans rien dire des mensonges. Ils font encore un peu plus monter la défiance dans les élus de notre République et nourrissent le jeu des extrêmes. En effet, tout cela n’est pas digne de cette instance démocratique et encore moins de notre ville.

Le pion sacrifiable et le roi

Dernier point, mais qui n’est pas si anecdotique dans le jeu politique brestois : comment un grand maitre international aux échecs peut-il commettre une telle erreur tactique, en exprimant publiquement, face caméra, deux affirmations si facilement réfutables ?

Pour avoir participé pendant tout un mandat aux repas de pré-conseil au manoir de Kerbriant, je sais que les prises de parole sur les dossiers sensibles sont préparées et savamment orchestrées par le maire et sa garde rapprochée. Les intervenants, les éléments de langage et les angles de contrattaque étaient alors choisis en compagnie du DirCab et du DGS. Peu de chance que cette intervention de monsieur Salami, pour le moins attendue, ne fut pas préparée à l'avance.

L’hypothèse la plus probable est qu’il était en « service commandé » pour celui qui était la véritable cible des attaques, monsieur Cuillandre, et potentiellement à la demande du chef du groupe socialiste ayant pris la suite d’Alain Masson, monsieur Guével. Un chef socialiste qui ne semble pas avoir souhaité mouiller sa propre chemise pour défendre son grand chef, mais semble plutôt avoir gentiment envoyé au feu un concurrent éventuel, en sachant bien qu’il risquait de s’y bruler les ailes [1].

Par suite d'une candidature aux législatives décevantes, dans lesquels il a frondé le PS en s’opposant au candidat NUPES, Monsieur Salami est un élu affaibli. Il fut suspendu du Parti socialiste et peut donc difficilement refuser de soutenir ses derniers alliés, du clan hollandais. Serait-il devenu un nouveau pion sacrifiable, pour sauver le roi ? L’occasion serait tentante de se séparer de cet élu peu contrôlable (lire ici). L'avenir le dira !

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[1] : Monsieur Guével et moi sommes probablement les deux brestois connaissant le mieux le dossier de Vivre à Brest. Il a vécu les mandats de 2008 à 2020, dispose comme moi de l’ensemble des comptes et, en tant que responsable de l’association Vivre à Brest, a aussi accès à l’ensemble du dossier de la partie-civile. Depuis la mise en examen de François Cuillandre, il s'est taillé une place de confiance à ses cotés en ayant repris les fonctions de président de groupe, à la suite d'Alain Masson. Nul doute qu'il en connaisse aujourd'hui bien plus que moi sur les dessous cette affaire.

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-------------------  SUPPLEMENT  -------------------

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Pour ceux que je n’aurai pas encore épuisé (oui, je sais, je suis long ! 😉), un dernier commentaire.

La rédaction du Télégramme s’autorise à apporter une précision au propos cité de madame Malgorn :

« Ce qui nous a choqués, c’est que nous avons découvert qu’un certain nombre de collègues élus (socialistes, ndlr) étaient liés par des arrangements financiers de nature à aliéner leur liberté au sein de notre assemblée ».

La rédaction du Télégramme aurait pu s’abstenir ! Si elle avait lu le livre que je leur ai fourni, elle saurait bien que Vivre à Brest n’est pas qu’une affaire de socialistes, mais de tous les élus de la majorité de monsieur Cuillandre. On retrouve des versements à des élu.e.s non socialistes (encore présent.e.s en Conseil municipal jeudi pour certain.e.s d'ailleurs), pour des sommes non négligeables. Ce qui est vrai, en revanche, c’est que seuls des élus socialistes furent les perdants financièrement de ce système « solidaire et vertueux » !

L’association Vivre à Brest a servi l’ensemble de la majorité brestoise et même, plus ponctuellement, des élus de gauche d'autres communes de la métropole. Si pour certains élus le bénéfice fut direct et financier, il y eu bien aussi des bénéfices indirects pour l’ensemble des élus de la majorité de monsieur Cuillandre :

  • L’association finança les campagnes électorales brestoises, dont je ne crois pas que les socialistes furent les seuls bénéficiaires,
  • L’association finança une assurance, qui couvrait l’ensemble des élus de la majorité (SMACL) entre 1998 et 2014, pour plusieurs dizaines de milliers d’euros.
  • L’association finança ce que la juge a appelé pudiquement dans son ordonnance de renvoi en correctionnel : « les nombreuses manifestations récréatives », qui portaient plus officiellement le nom de : « séminaires de la majorité brestoise, élargie aux communes de gauche de la métropole ». Des manifestations dont certains élus ne se relevaient pas le lendemain matin, mais dont aucun ne viendra se plaindre que Jean-Luc Polard sorte le chéquier de l’association, pour régler la note des nombreuses boissons alcoolisées ingurgitées la veille, voire tôt le matin !

Toutes cela contribua à construire les rapports d’autorité de la majorité, selon l’adage bien connu que le maire aimait rappeler : « C’est celui qui paye qui décide ». En l'occurence, ce furent surtout les élus socialistes brestois qui payèrent ces fois-là !

C’est donc aujourd’hui un fait connu et on peut se demander pourquoi le Télégramme continue à colporter la fable d’un fonctionnement cantonné aux seuls élus socialistes, quand toute la majorité de monsieur Cuillandre croqua dans la belle pomme !

Même remarque pour le commentaire de monsieur Guellec qui semble avoir été, lui aussi en « service commandé » :

« L’affaire Vivre à Brest « est totalement extérieure au fonctionnement de la municipalité. Les Brestois savent faire la part des choses », a estimé Eric Guellec, élu communiste. » (Télégramme)

Vous pouvez retrouver la vidéo de l'intervention de monsieur Guellec ici.

Contrairement à l’affirmation de monsieur Guellec en Conseil municipal, le fonctionnement de l’association Vivre à Brest a bien été parfaitement intégré au fonctionnement de la municipalité. Comme je le rappelle dans le livre, messieurs Masson, Polard, Cuillandre, Labbey, ainsi que madame Abiven témoignèrent devant la justice que l’association Vivre à Brest et le groupe de la majorité municipale se confondaient. J'en ai témoigné aussi. Rappelons que le groupe de la majorité municipale fut (et est surement encore) l’armature de la gouvernance des deux collectivités et des politiques qui y sont menées.

Certes, il bien est acté qu’il n’y eu aucun lien financier illicite entre les deux collectivités et l’association, mais il est faux de dire que le fonctionnement de l’association était totalement extérieur à ce qui s’est passé dans les deux collectivités entre 2001 et 2018.

Au regard du faux témoignage tenu par monsieur Salami dans la grande salle du Conseil municipal de Brest jeudi dernier, devant le premier magistrat de la ville et tous les élus, je considère personnellement que le système Vivre à Brest continue à jouer un rôle important dans le fonctionnement et la gouvernance de la majorité actuelle … et messieurs Masson et Polard ne pourront plus aujourd’hui servir de bouc-émissaires.

 

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