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L’affaire Vivre à Brest : la gouvernance

L'affaire Vivre à Brest

Mairie de BrestIl y a 4 ans presque jour pour jour, le mercredi 21 novembre 2018, éclatait dans le Télégramme l’affaire Vivre à Brest. Le soir même, mis sous la pression médiatique et celle du maire, Alain Masson démissionnait. Dès le lendemain, tous les regards se tournèrent vers Jean-Luc Polard. A l’issue de la plus avilissante et la plus inutile réunion des élus de la majorité à laquelle j’ai participé, Jean-Luc Polard finira par donner sa démission, le vendredi 23 novembre. Au terme de cette semaine tourmentée, le maire de Brest venait de perdre ses deux plus proches adjoints.

Le lundi 26 novembre au soir, dans les bureaux du maire, François Cuillandre s’exprima publiquement pour la première fois sur l’affaire. Dès ses premières paroles, le ton fut donné. Il parla d’entrée de jeu de « l’affaire Alain Masson » et expliqua : « J'interviendrai pour l'essentiel en tant que maire de Brest, d'autant que comme il a été dit devant l'officier de Police judiciaire […] je percevais mon indemnité de maire directement, sans lien avec l'association Vivre à Brest. » Dès son propos introductif, il désigna ostensiblement un coupable et s’affranchit lui-même de potentiels liens avec l’association.

Plus tard, dans cette longue conférence de presse filmée par le Télégramme, François Cuillandre reviendra sur le sujet, en appuyant son propos :

« La question n'est pas que juridique, elle est aussi politique et éthique. Elle est éthique. Je le répète, depuis que je suis maire, mes indemnités m'étaient versées directement et non par l'association, ce qui ne m'empêche pas d'être à jour de mes cotisations à mon parti politique. Je n'y avais donc aucun rôle. Néanmoins, je crois que ce qui a été révélé dans la presse de mercredi dernier n'est pas, à mes yeux, acceptable. Alain Masson a reconnu ces jours derniers avoir perçu, au sein de l'association, une indemnité supplémentaire, mais une indemnité illégale. Il y a des règles en matière de plafond d'indemnité. Et donc, il a dépassé le plafond autorisé par la loi. […] C'est la raison pour laquelle, j'ai demandé à Alain Masson de démissionner. » (Voir ici)

Cet extrait de la conférence de presse de François Cuillandre est « collector ». En quelques secondes, face caméra, il va affirmer trois propos pour le moins étonnants.

  1. Le premier est qu’il perçoit ses indemnités directement et non via l’association. Cela lui permet alors d’affirmer qu’il n’a eu aucun rôle dans l’association. Mais c’est aussi le cas d’Alain Masson, qui avait avoué cinq jours plus tôt le fait de percevoir aussi ses indemnités en direct. Les deux étaient donc dans la même situation. Mais l’un était responsable de tout et l’autre de rien.
  2. Le deuxième propos est qu’il affirme être à jour de ses cotisations à son parti politique. Or nous savons, depuis les notes que j’ai publié en octobre (ici), qu’il n’en fut rien. Sur la période où existait Vivre à Brest, François Cuillandre s’est surtout employé à ne pas payer ses cotisations, laissant justement un impayé « exorbitant » sur ses cotisations d’élu de plus de 50 000 €. Qu’il puisse ainsi affirmer le contraire devant des journalistes, afin de se faire passer pour un militant irréprochable, est pour le moins stupéfiant.
  3. Le troisième et dernier propos est qu’il qualifie d’illégal les indemnités perçues par son 1er vice-président, Alain Masson, parce que dépassant le plafond légal des indemnités pour les élus locaux. Mais pour arriver à cette conclusion, François Cuillandre cumule des indemnités perçus par Alain Masson et les sommes que lui versaient en plus l’association. Or François Cuillandre, qui cumule ses indemnités de maire et de président de la métropole, est lui-même durant toutes ces années au plafond légal. Nous verrons qu’il a aussi bénéficié d’importants avantages de l’association, y compris financiers. Suivant son propre raisonnement, il est dans le même cas qu’Alain Masson. Il est donc très surprenant qu’il ne soit pas arrivé à la même conclusion … et ait exigé de lui-même sa propre démission !

Toutefois, il y a un point avec lequel je suis en parfait accord avec le propos tenu en novembre 2018 par le maire de Brest, face aux journalistes. C’est que l’affaire Vivre à Brest, (qui n’est pas « l’affaire Masson », comme posé en préalable), n’est pas qu’une question juridique. Cette affaire pose en effet des questions politiques et éthiques.

Puisque depuis quatre ans, ce travail d’analyse politique et éthique n’a pas été fait par ceux qui en porte la plus lourde responsabilité, je crois important d’en ouvrir quelques pages et de découvrir ensemble une autre réalité que celle qui nous a été contée, notamment lors de cette première conférence de presse. Une réalité masquée derrière ce qui est resté publiquement un récit tronqué et, pour une large part, falsifié.

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Introduction

L’affaire Vivre à Brest, qui aura défrayé la chronique politique brestoise en 2018 et dont le jugement n’est toujours pas rendu en novembre 2022, est intéressante pour plusieurs raisons.

La première raison d’intérêt pour cette affaire est la qualité du matériel qui permet de produire, si ce n’est quelques réponses définitives, au moins une analyse. C’est un dossier qui a fait l’objet d’une véritable investigation, lancée par un Procureur de la république, pilotée par une Juge d’instruction et dont l’enquête de terrain a été menée par un Commandant de la Direction Interrégional de la Police Judiciaire (DIPJ).

Le dossier d’instruction de l’affaire Vivre à Brest, ce sont 265 documents, numérotés, archivés et connus de la justice. Ce sont des perquisitions, de mises sous scellés, des réquisitions, des mises sur écoutes et des géolocalisations de portables, qui ont conduit à trois gardes à vue, suivies de trois mises en examen. Mais ce sont surtout près de 57 auditions réalisées avec le professionnalisme qui convient, par la police judiciaire ou une juge d’instruction. Des auditions qui représentent près de 500 pages de procès-verbaux retranscrits, auxquels s’ajoutent 35 pages d’écoutes téléphoniques. Il s’agit aussi d’un travail très conséquent d’analyse des comptes de l’association et de recalcul, pour chacun des élus auditionnés, des sommes qui le concernent. Enfin, l’enquête de Vivre à Brest est un travail important de synthèse de tous ces éléments, permettant de faire avancer la compréhension de ce qui s’est passé au sein de l’association.

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Cette affaire est aussi intéressante car même si les protagonistes ont tout fait pour essayer de la cantonner à la seule association du même nom, dès le départ de l’enquête, c'est tout sauf là où il faut rechercher des réponses … si nous cherchons vraiment à comprendre !

L'association Vivre à Brest fut pendant près de 30 ans, entre 1989 et 2017, une coquille vide, une sorte de trou noir institutionnel : sans réunion, sans aucun compte rendu, sans statuts tenus à jour. Durant toute cette période, notamment les 20 dernières années, l’association Vivre à Brest n’a existé qu’autour d’un livre de comptes, tenu plus ou moins régulièrement à la main par celui qui faisait office de trésorier, associé à un compte bancaire, dans une banque de la rue Jean Jaurès.

L’association Vivre à Brest fut un satellite, gravitant autour de deux entités bien visibles, concrètes, plus actives et qui perdurent encore aujourd’hui. D'un côté le groupe de la majorité des élus municipaux de Brest, où s’instaurèrent les rapports d’autorité. De l'autre, le Parti socialiste finistérien, au travers duquel se fondait une large part de l'autorité qui fit fonctionner cette association. Une association dont furent membres de nombreux élus de Brest depuis 30 ans et qui aura brassé des sommes d'argent très conséquentes, sans que (presque) personne ne contrôle et ne conteste rien. Il faudra qu'un journaliste du Télégramme en entende parler, se questionne sur la potentielle irrégularité de l’objet et la faiblesse de sa gouvernance, pour qu’à force de questions qui ne purent être posées en son sein, l'affaire soit lancée et révèle une réalité inattendue.

L'affaire Vivre à Brest est intéressante car elle dévoile un fonctionnement de la politique fait de confiances, de croyances, de rapports de pouvoir, d’absence de limites posées et de dérives contre lesquelles il convient de lutter si nous voulons vraiment recentrer la vie politique sur l’intérêt général. Ce qui s'est passé au cours de ces 30 années, au travers de cette association, est symptomatique de ce qu’il est possible d’observer dans le fonctionnement des partis politiques, encore aujourd’hui.

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L'association Vivre à Brest a été mise en place en 1989, avec des objectifs louables, sincèrement en ligne avec le projet politique socialiste. Je n'ai rien trouvé qui contrevienne à cela. En revanche, il est très intéressant d'analyser comment ce système, qui a été qualifié de « honnête et juste » va être détourné vers des intérêts particuliers au fil des années. Comment cette respectable « raison d'être » initiale va servir à dissimuler des agissements a minima discutables et dans certains cas, probablement condamnables (la justice le dira).

Grâce au travail de la police et de la justice pour tenter de s’affranchir des mensonges et des « oublis », grâce aux documents et aux témoignages récupérés, grâce à la mémoire de cette période vécue par certains de ses membres, dont je fus, l’affaire Vivre à Brest devient un laboratoire à ciel ouvert de ce qui peut se passer dans les arrière-cuisines du monde politique, lorsqu’aucune limite n’est posée.

Ce dont l’affaire Vivre à Brest témoigne, c'est la toxicité des rapports d'autorité qui, en l’absence de cadre défini, partagé et transparent, finissent un jour ou l'autre par être détournés de leur objectifs initiaux et du sens politique qu’ils sont sensés défendre et incarner. N’oublions pas que tout cela interviendra dans la « sphère socialiste », très très loin des préceptes dictés par la philosophie du socialisme et de la pensée des figures tutélaires qui en écriront l’histoire.

Dans les chapitres qui vont suivre, je parlerai d’abord des rapports d'autorité et de dépendance, qui sont les seuls à pouvoir expliquer la longévité d’un fonctionnement en dehors de toute règle. Je reviendrai ensuite sur les contrevérités qui ont été énoncées, comme pour mieux noyer la réalité, une vérité crue et tue. Enfin, sans conclure définitivement, j'essayerai d’explorer différentes compréhensions des faits connus, mais surtout, les ressorts qui ont rendu cette affaire possible. Car c'est bien cela qu'il faut appréhender pour l’intérêt public, afin d’y poser les bonnes limites.

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Photo : Mairie de Brest

Extrait vidéo issu de l'article du Télégramme : Affaire Masson. François Cuillandre se dit « trahi » [Vidéo]

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