Réponses aux réactions des deux articles de juin
Réflexions autour de l’article du Télégramme du 28 septembre

Deux contrevérités et un aveu du maire

Deux contrevérités et un aveuPar suite de mes deux premières notes sur l’assignation que j’ai engagée (ici et ), je voulais terminer sur le propos étonnant de François Cuillandre à mon égard, rapporté dans le Télégramme (ici) :

« Il a attendu fin juin 2020, après l’élection, pour se porter partie civile dans l’affaire Vivre à Brest, pour ne pas risquer de perdre ses délégations. Il est resté premier adjoint et vice-président aux finances, sans mettre les pieds à la mairie, en empochant 5 000 € par mois. Tout ça, en pleine crise sanitaire quand nous étions quelques-uns à avoir les mains dans le cambouis ! »

Trois angles différents méritent que l’on s’intéresse à ce court propos, qui n’a pas été (encore) démenti par son auteur. La vocation initiale principale de ces mots était de disqualifier le sens de mon action en justice, ce qui est de bonne guerre, pourrait-on dire ! Mais nous allons voir que cela en dit beaucoup plus sur François Cuillandre, que sur moi.

Contrevérité #1

Le premier point est plutôt anecdotique, mais tant qu’à citer des chiffres, autant que cela soit les bons. En tous cas, c’est pour ma part ce que je m’efforce de faire sur ce blog.

Lors des six derniers mois de mandat, je n’ai pas « empoché 5000 €/mois » comme il est écrit, mais 3950 € (soit 25% de moins). Ce montant représente la double indemnité d’un adjoint et d’un vice-président. Je les ai touchés à partir du second remaniement début 2018, lorsque François Cuillandre me nommera lui-même adjoint et vice-président aux finances de la ville et de la métropole. Pourtant, je ne demandais rien de tout cela. Ma seule vice-présidence à l’urbanisme m’allait fort bien et m'occupait déjà largement. Je n’ai donc rien demandé de tel, mais ces deux indemnités allaient de pair avec ces deux délégations que François Cuillandre m'a lui-même demandé de prendre. Elles étaient votées en conseil et étaient les mêmes que tous les autres élus partageant des fonctions exécutives. François Cuillandre ne fait donc qu'exprimer-là le droit commun indemnitaire de son conseil (majoré « par erreur » de 25 %).

J’ai toujours entendu François Cuillandre traiter de « populistes » les personnes qui critiquaient publiquement les élus via les indemnités légales et votées par le conseil qu’ils percevaient. Je dois dire que je rejoignais son avis sur ce point. Il semble, qu’avec le temps, son appréciation ait changé. La mienne, n'a pas changé d'un iota. 

On notera que cela ne l’empêchera pas de quasiment doubler l’indemnité de la première adjointe qui me succédera, lors du premier conseil municipal de ce mandat, juste après une crise sanitaire durant laquelle de nombreux habitants avaient dû se serrer la ceinture (déjà évoqué ici).

Comme quoi, cette petite pique semble bien à géométrie variable. Gageons que la première adjointe en place mette deux fois plus que moi les pieds en mairie … et les mains dans le cambouis !

Contrevérité #2

Le second aspect intéressant dans le propos rapporté par cet article est justement sur le fait que je n’aurai pas mis les pieds à la mairie, en pleine crise sanitaire, tout en empochant les fameuses indemnités, pendant que les autres élus auraient eu les mains dans le cambouis. Cette affirmation est fondée sur une part de vérité. Toutefois, il est assez surréaliste qu'elle soit utilisée ainsi, sortie de son contexte, en me faisant porter la responsabilité du limogeage en bon et due forme que j’ai dû subir de la part du maire et de tous les élus rangés derrière sa candidature, lors des dernières municipales.

Ce qui s’est réellement passé durant cette période de crise au sein même de l’exécutif municipal a dépassé l’entendement et j’étais plutôt porté à ne jamais en reparler. Mais puisque François Cuillandre s’autorise à l’évoquer, qui plus est à charge contre moi, je vais m’autoriser à lui donner ma vision. Cela précisera quelques faits que sa mémoire semble avoir oubliés.

Tout d’abord, je ne crois pas que mon engagement dans mes mandats puisse être remis en cause. Il est plutôt amusant de me voir décrit comme un élu absent par celui qui s’appuiera sur mes compétences et me propulsera pendant trois mandats dans sa hiérarchie municipale, jusqu'à devenir son premier adjoint. La presse de l'époque semblait aussi avoir un avis différent, puisque j'y fus qualifié d'élu « bosseur », et non d'élu « glandeur » (je ne donnerai pas de noms). Les plus de 500 notes de ce blog apportent d'ailleurs un témoignage de cet engagement et aussi de cette volonté d'en rendre compte qui m'a toujours animée. Mais restons sur l'histoire, de cette mise à l'écart.

Suite à sa mise en examen, à partir de novembre 2019, j’ai annoncé publiquement que je ne repartirai pas derrière François Cuillandre, mais que je souhaitais rester fidèle à mes engagements en tant qu’élu, jusqu’à la fin du mandat. Le 6 décembre 2019, en préparation du Conseil de métropole où j’allais présenter le DOB (Débat d’Orientation Budgétaire), je fus soumis à un véritable interrogatoire par le maire et les quatre autres élus présents, qui supputaient mon ralliement à la liste écologiste et me demandaient d’en tirer les conséquences immédiatement, c’est-à-dire de démissionner de mes mandats. A ce moment-là, je n’avais pris aucune décision vis-à-vis de la liste écologiste. Ma seule certitude de l’époque était juste que j’allais avoir beaucoup de mal à voter pour une liste dirigée par une tête de liste mise en examen, se lançant dans son quatrième mandat (je ne parle même pas de l’histoire des cotisations impayées, que je soupçonnais aussi). Les discussions avec la liste écologiste de Ronan Pichon ne commenceront réellement qu’un mois plus tard, en janvier 2020.

Mais à partir de ce jour de début décembre, je ne fus plus invité à aucune réunion politique de la majorité municipale. Les seules réunions auxquels je fus invité furent les réunions « légales », dans lesquels je siégeais et où je continuais de tenir ma délégation d’élu, comme je m’y étais engagé. Je fus black-listé de toutes les réunions de préparation et il parut assez évident que des ordres avaient été données aux services pour ne plus me transmettre d’informations, en dehors de celles nécessaires pour que je donne ma signature en tant que responsable des finances.

Cette posture, assez éloignée de l’intérêt général, ne me surprendra pas vraiment. Je les savais capable de cela et j’en ai pris acte avec philosophie. A partir de décembre, j’ai tenu ma délégation aux finances comme je le devais (sinon les deux collectivités se seraient arrêtées, puisque je devais notamment signer chaque jour toutes les recettes et les dépenses), mais sans plus aucun contact ni avec le maire, ni avec les élus de la majorité municipale rangés derrière lui. La campagne avait pris le pas sur le fonctionnement des deux institutions. C'était ainsi et ce n'était pas un fait singulier en politique.

Le vrai problème de fonctionnement intervint entre les deux tours. Une période qui durera exceptionnellement plus de 100 jours. Seize longues semaines durant lesquels une crise sanitaire s’est invitée dans le monde. Dans la majorité des grandes villes Françaises, la campagne fut mise entre parenthèses et les équipes se remirent à travailler ensemble pour l’intérêt général, toutes couleurs politiques confondues (bien souvent en y intégrant véritablement l’opposition d’ailleurs). Chacun travaillant alors dans sa délégation, avec son réseau et avec les habitants, au regard de la situation exceptionnelle de confinement que nous vivions tous. Cette « trêve sanitaire républicaine » ne verra jamais le jour à Brest où seule une réunion d’information hebdomadaire, à destination des seuls responsables de groupes politiques, fut organisée.

Bien qu’étant le premier adjoint de la ville de Brest, je n’ai eu accès à aucune de ces informations. Je ne fus pas une seule fois invité dans la cellule de gestion de crise où se partageaient les informations et se discutaient les décisions opérationnelles. On ne me sollicitera jamais, bien qu’avec d’autres élus nous ayons pris l'initiative de proposer de nombreuses actions pouvant servir l’intérêt des habitants. Cette mise à l’écart volontaire fut exactement la même pour tous les élus qui avaient fait le choix de ne pas repartir avec le maire sortant. Ainsi, Isabelle Melscoët, pourtant en charge des personnes âgées, subit le même sort que moi. Il lui fut demandé de rester chez elle. Elle non plus ne fut jamais invitée dans la cellule de gestion de crise. Pourtant, il est un fait que la gestion des EHPAD fut un petit sujet durant ce premier confinement. Si à l'extérieur de la mairie, la campagne a semblé s'arrêter, François Cuillandre maintiendra un blackout total pour tous les élus qui n'étaient pas de son côté, les empêchant de fait d'agir dans l'intérêt des habitants.

Encore plus choquant fut l’attitude du maire sur la question des masques, bloquant durant plusieurs semaines leur achat par la ville, au motif récurant que c’était à l’Etat de payer. Indignés par cette attitude peu responsable, en décalage avec ce que faisaient d’autres grandes villes et en l'absence d'une possibilité d'échange normal, certains militants de la liste écologiste finirent par s’en émouvoir sur les réseaux sociaux. Comme d’autres élus placardisés, le 24 avril 2020, je reçu un mail accusateur directement de François Cuillandre qui se terminait par :

« Partages-tu ou pas les propos qui mettent en cause l’ensemble de l’équipe municipale dont tu fais partie, et que beaucoup de collègues ont perçus comme une insulte ? J’aimerais avoir, si possible rapidement, ton avis sur cette interrogation, si possible par écrit sur ma boîte mel, et les conclusions politiques que tu en tires. »

Cette réaction virulente peut faire sourire, après les années que nous avons vécu un masque sur le nez. Nous ne demandions que l’achat de masques par la collectivité, pour les habitants de Brest … et la réponse politique du maire était juste la demande de notre démission ! Il nous relancera le lendemain soir par des SMS personnels.

Nous ne donnerons évidemment pas notre démission, en pleine crise sanitaire et dans l'entre-deux tours. Cela n’aurait pas eu de sens de « lâcher » nos délégations, même si nous étions réduits à l'impuissance par le premier magistrat de la ville. En pleine crise, cela serait apparu comme la preuve d’une très grande irresponsabilité. Je ne doute d'ailleurs pas une seconde que c’était l’effet attendu. Une démission qui n’aurait pas manqué d’être dénoncé publiquement, dans une logique bien électoraliste.

Alors oui, François Cuillandre ne ment pas lorsqu’il dit que je n’ai pas mis les pied à la mairie pendant le confinement, car tout a été mis en œuvre que cela en soit ainsi. Par notre choix de ne pas suivre un maire mis en examen se représentant pour un quatrième mandat, avec d’autres élus de la majorité municipale, nous avons dû subir cette mise à l’écart prolongée, mais en aucun cas souhaitée par nous et encore moins à l’image de notre volonté à servir les habitants durant cette crise sanitaire.

Il y a donc un peu d’ironie à lire aujourd’hui que j’aurai déserté mes fonctions durant cette crise sanitaire, de la bouche de celui qui a tout fait pour nous tenir à distance, dans un esprit fort peu républicain et en contradiction totale avec l’intérêt des habitants.

L’aveu du maire de Brest

Le troisième et dernier propos est le plus inattendu de l’article. Ce n’est rien de moins qu’une forme d'aveu de celui qui est toujours mis en examen dans l’affaire Vivre à Brest, après avoir tenté de faire porter l’entière responsabilité sur ses deux bras droits, messieurs Masson et Polard.

Il s’agit de la phrase :

« Il a attendu fin juin 2020, après l’élection, pour se porter partie civile dans l’affaire Vivre à Brest, pour ne pas risquer de perdre ses délégations. »

--v-- Explication de texte --v--

Par ces quelques mots à première vue banals, François Cuillandre dit que le fait de me porter personnellement partie civile dans l’affaire Vivre à Brest, avant la fin du mandat, aurait pu conduire à ce que je perde mes délégations. Rappelons que mes délégations étaient alors : premier adjoint de Brest et vice-président de la métropole aux finances. Il faut comprendre la portée de cette affirmation de la part de celui qui a répété devant la justice n’avoir jamais eu de lien ou d’influence sur ce qui s’était passé dans l’association Vivre à Brest. Il a aussi nié avoir eu connaissance des pressions qui auraient été faites sur des élus qui critiquaient le fonctionnement opaque de l’association.

En effet, lors des auditions à la police judiciaire, quelques élus vont témoigner avoir subi des pressions de ce genre en cours de mandat (notamment en 2008) de la part de messieurs Masson et Polard, en présence de François Cuillandre. Ces élus ont témoigné devant la police judiciaire avoir été menacé par les dirigeants de l’association de se voir retirer leur délégation et de ne plus être sur la prochaine liste aux municipales, s’ils refusaient de « donner » leur confiance aux responsables de l’association, en consentant donc au fonctionnement opaque imposé. Mais, durant les auditions de justice, François Cuillandre a nié tout lien personnel avec ces menaces et renverra toute la responsabilité de ces discussions sur ses deux bras droits, Alain Masson et Jean-Luc Polard.

Mais en 2020, année dont fait état François Cuillandre dans l’article du Télégramme de juin dernier, nous sommes alors plus d’un an après la démission d’Alain Masson et de Jean-Luc Polard. À cette époque, ils n’ont donc plus aucune influence sur ce qui se passe dans la collectivité et encore moins sur l’attribution des délégations, voire la nomination du premier adjoint que j’étais. Comme en 2008 d’ailleurs, le seul à avoir ce pouvoir pour attribuer ou retirer une délégation à un adjoint ou un vice-président est bien François Cuillandre lui-même, en tant que maire ou président de la métropole.

Certainement sans le vouloir, parce que c'est une évidence pour lui et un mode de fonctionnement depuis 2001, François Cuillandre exprime ouvertement dans l’article du Télégramme le pouvoir qu'il a sur la nomination des élus et dont il a joué régulièrement pour maintenir son autorité sur les élus de sa majorité. Le fait nouveau de ce propos daté de 2022 est bien que ce pouvoir ait pu s’exerçer aussi, sous forme de menace, sur ce qui a trait à l’association Vivre à Brest. Son propos lie clairement le fait que j’ai pu risquer perdre mes délégations, au fait que je me sois porté partie civile dans l’affaire Vivre à Brest. C’est à dire au fait que je conteste individuellement ce qui s’était passé dans Vivre à Brest.

Cette phrase que le journaliste rapporte dans son article est l’aveu, par le seul qui détient ce pouvoir, que le fait d’aller contre l’association Vivre à Brest en se portant partie civile aurait pu conduire à une sanction de la part du maire. Comme en témoigneront certains élus, le pouvoir d’attribution des délégations par le maire semble bien avoir joué un rôle dans le rapport d’autorité qui fut exercé sur les élus qui s'opposeront au fonctionnement de l’association Vivre à Brest. Ce rapport d'autorité du maire est une des clés essentielles pour comprendre la longévité et la stabilité de cette association.

Même s’il a prouvé qu’il était capable de le faire en retirant leurs mandats à Marc Coatanéa et Pierre Karleskind en 2017, je doute que j’aurai pu subir le même traitement dans l’entre-deux tours et en pleine crise sanitaire. Cela aurait été inexplicable publiquement et aurait joué contre lui. Il ne l’aurait jamais fait et je n’ai jamais craint qu’il le fasse d’ailleurs. La raison de me porter partie-civile seulement en juin 2020 fut juste le temps nécessaire pour décrypter les comptes de l’association et monter le dossier.

Mais le simple fait de l’évoquer ainsi en juin 2022, comme si c’était une évidence que je puisse avoir temporisé le fait de me porter partie civile pour éviter une sanction de sa part (la perte de mes indemnités, par la suppression de mes délégations) est une forme d’aveu qu’il fut bien, pour une part qu’il reste à définir, l’autorité ayant permis la loi du silence qui a régné autour de l’association Vivre à Brest.

Je remercie François Cuillandre pour cette parole sincère qui nous laisse entrevoir son système de pensé, mais aussi une part de vérité dans ce qui s’est passé pendant 17 ans au sein de l’association Vivre à Brest et plus généralement au sein du Groupe des élus socialistes de Brest. Un point central dans la compréhension de l’affaire Vivre à Brest, que la justice en charge de cette affaire appréciera.

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Pour revenir à l’assignation que j’ai engagé en mai dernier, je crois important de conclure en notant les grandes similitudes qu’il y a pu exister durant cette désignation, que je considère comme irrégulière, et le fonctionnement de l’association Vivre à Brest, tel qu’il sera révélé par l’enquête de justice.

Dans les deux cas, on notera des passe-droits pour des personnes représentant l’autorité, ainsi que le non-respect de règles collectives engageant de l’argent. Dans les deux cas aussi, a existé une solide loi du silence de ceux qui ont chapeauté le système, durant de nombreuses années, permettant de le faire perdurer.

Pour finir, la dernière raison pour laquelle il me semblait important de porter en justice les irrégularités constatées lors de la désignation, c’est tout simplement parce qu’elles montrent aussi la perméabilité des pratiques de l’association Vivre à Brest et ce que l’on a pu observer dans la fédération du Parti socialiste en Finistère, notamment en 2019. Des pratiques de parti bien loin de l’idéale socialiste et de l’éthique attendue par nos concitoyens. Des pratiques auxquelles il est urgent de mettre un terme, si l’on ne veut pas d’un pays ingouvernable et/ou dirigé par des extrêmes.

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