Le temps de la parole
Réponses aux réactions des deux articles de juin

Quelques explications sur l’assignation

De la désignation à assignationJ'ai pris pour habitude de répondre aux interpellations publiques, notamment au travers de ce blog qui a l’avantage de permettre de prendre le temps d’expliquer et aller plus aux fonds des sujets … contrairement à un tweet ou un post Facebook, dont nos politiques actuels sont tellement friands. Je ne l'ai pas fait début juin lorsque deux articles sont sortis sur la démarche d’assignation en justice du Parti Socialiste que j'ai entreprise (ici et ), car le moment me semblait très mal venu, en plein milieu des élections législatives.

En effet, bien qu'elles se doivent être combattues, les pratiques opaques des partis politiques font monter l'abstention et les extrêmes. Ni l'une ni l'autre ne sont dans mes objectifs politiques. Cela étant, puisque ces méthodes déloyales prennent de plus en plus le pas sur une éthique attendue par nos concitoyens et qu'elles dirigent parfois les choix des partis, je crois à la nécessité de s’y opposer, de les combattre, mais aussi de tenter d'en comprendre les ressorts et les mécanismes de reproduction. Pour finir, l’objectif est bien de réfléchir à poser des gardes fous contre ces dérives qui minent nos démocraties modernes.

Sur le long terme, ces dérives finissent toujours par être connues et sapent la confiance des citoyens, surtout si ces pratiques semblent tolérées et acceptées, comme un fonctionnement normal. Ne rien dire, ne rien faire serait comme assumer une forme de fatalisme, voire de complicité à cet éloignement de l’éthique et de la probité de nos responsables politiques.

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Malgré ce besoin d'être accompagnées d'une parole et d'explications, les démarches que j'ai entreprises depuis maintenant plusieurs mois n'ont donc jamais eu pour objectif de jouer un rôle dans des élections sur le court terme, en sortant des brides d'informations qui déstabiliseraient une compétition électorale en cours. Si cela avait été le cas, j'aurai déjà écrit bien des choses, depuis fort longtemps !

En juin dernier, il semble que d'autres aient été moins sensibles que moi à cet aspect, puisque l'information de cette assignation a été transmise à la presse 15 jours avant le 1er tour des législatives. Chacun tirera ses conclusions sur les motivations de ceux qui ont fait sortir opportunément dans la presse cette information, suivant la règle bien connue : « A qui profite la fuite ? » J'ai ma petite idée sur la question, comme sur de nombreuses autres fuites, par le passé. Pour ma part, début juin, j’ai juste répondu aux questions que les journalistes de Ouest-France et du Télégramme m’ont posés, pour tenter de comprendre les bribes informations qu’ils avaient reçu, d’une source qui aura courageusement préféré l’ombre à la lumière.

La séquence électorale étant passée et comme je l’ai exprimé dans ma précédente note, je souhaite aujourd’hui évoquer les dérives dans nos partis politiques. Pour commencer, il me semble donc important de prendre le temps d'expliquer ma démarche, afin d'éviter toutes ambiguïtés et répondre ainsi tranquillement aux réactions qu'elle n'a pas manqué de susciter, en retour dans la presse.

Quelle procédure ai-je engagée ?

Très factuellement, j'ai assigné en justice la fédération du Parti socialiste en Finistère et le Parti socialiste national, pour non-respect de deux règles statutaires, lors de la désignation interne au Parti socialiste qui m'a opposé à François Cuillandre, pour déterminer lequel de nous deux allait être la tête de liste aux municipales de 2020.

Les deux règles que j’évoque étaient écrites clairement dans les statuts du Parti socialiste en 2019, au moment de la désignation et ont d'ailleurs été reconduites telles qu'elles deux ans plus tard, lors du Congrès de Villeurbanne en septembre 2021. Elles sont donc difficilement contestables.

La première règle est dans l'article 5.1.5 des statuts nationaux du Parti socialiste qui traite des conditions de dépôt des candidatures et de la désignation des candidats du parti, lors des élections politiques. On peut y lire :

« Les candidats à une fonction élective publique doivent être à jour de leurs cotisations d’adhérent et d’élu au moment du dépôt de candidature [...] Pour être candidat à la candidature, un élu sortant doit être à jour de ses cotisations dues pour la durée du mandat passé. »

D'après les documents aujourd'hui en ma possession, François Cuillandre n'était pas à jour de ses cotisations d'élu pour le mandat 2014-2019, qu'il venait d'effectuer. Il ne pouvait tout simplement pas se porter candidat lors de cette désignation et le parti aurait dû refuser sa candidature à ce titre.

La seconde règle est à l'article 1.4.3 du règlement intérieur du Parti socialiste qui traite de la parité, du renouvellement, de la diversité et du non-cumul. On peut y lire :

« Le nombre de présidences d’exécutifs successifs (président de Conseil régional, président de Conseil général, président d’établissement public de coopération intercommunale, maire) est limité à trois, soit dix-huit ans maximum. Ne peuvent être investis à une élection que les candidats qui s’engagent par écrit auprès des instances fédérales et nationales du Parti à respecter ces règles en matière de non-cumul. »

Suivant cette règle, il est interdit de se présenter plus de trois fois pour devenir maire ou président d'une métropole (EPCI). C’est un fait que François Cuillandre avait été élu maire et président de la communauté urbaine / métropole de Brest en 2001, 2008 puis 2020. En se présentant tête de liste en 2020, il s'engageait donc pour un quatrième mandat de maire et de président de l'EPCI. Fait peu contestable, puisqu'il occupe officiellement ces deux fonctions aujourd'hui.

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Sur la règle de non-cumul, il s'agit d’une contestation politique. Le Parti socialiste auquel j’adhérais depuis 1997 s’était fixé des règles de moralisation de la vie politique lors de conventions puis congrès nationaux (en 2012), avec cet engagement fort, gravé dans les statuts et le règlement intérieur, de ne plus autoriser plus de trois mandats, pour les fonctions les plus importantes. Actons que cet engagement n’a pas été respecté, ni à Brest, ni dans d'autres grandes villes de France, bien que présent dans les règles de fonctionnement du Parti socialiste.

Sur la règle des cotisations et de l'exigence d'être à jour sur l'entièreté du mandat passé pour pouvoir se porter candidat, il s'agit d'une contestation moins politique que morale. Si les documents en ma possession établissent une vraie réalité, il s’agirait d'un double disfonctionnement de la fédération du Parti socialiste du Finistère et par voie de conséquence du Parti socialiste national qui validera ensuite la candidature.

Le premier disfonctionnement est de ne pas avoir exigé le paiement de ses cotisations à un élu qui aura fait toute sa carrière politique grâce au Parti socialiste, sur des hautes fonctions : député et maire. Le fait est d'autant plus choquant que cet élu occupa la direction de cette fédération pendant 10 ans, jusqu'en 2003, mais aussi ponctuellement entre 2017 et 2018. 

Par ailleurs, la logique de l'article 2.1.1.4.2 des statuts du Parti socialiste est de demander à chaque élu de régler ses cotisations et en cas de non-paiement dans un délais de 6 mois, de prononcer sa radiation. Sur la base des documents, on se demande donc pourquoi François Cuillandre fut exempté de ce devoir d’adhérent, de militant et d'élu du Parti socialiste depuis au moins 2007. On peut se questionner aussi sur le fait qu’il puisse continuer, encore ces derniers mois, à revendiquer son appartenance à un parti dans lequel il ne s'est pas mis à jour de ses cotisations, en toute opacité d’une majorité des adhérents, durant tant d’années.

Le second disfonctionnement est à l'égard du militant que je fus durant 22 ans, à jour de ses cotisations. Lors de cette désignation et du fait d’une suspicion fondée, semble-t-il, j’ai demandé si François Cuillandre était lui aussi à jour de ses cotisations comme l’exigeaient les statuts. Il me fut répondu par le principal intéressé, comme par la fédération que j'ai aussi sollicité par la voix de son trésorier, que tout était en ordre, sans m'apporter aucune preuve. Cette même réponse est d’ailleurs celle encore donnée en juin 2022, dans la presse, par le premier secrétaire de la fédération du Finistère. Au moins, actons une certaine constance de leur part !

S'il est avéré, il est donc évident que ce double disfonctionnement a entraîné des conséquences et a faussé la désignation puisqu’un des deux compétiteurs ne pouvait tout simplement pas s'y présenter pour deux raisons statutaires (et au moins une raison morale cachée des militants devant se prononcer). A l'image d'une épreuve sportive où il y a des compétiteurs et une instance qui organise la compétition, cette dernière se déroule suivant des règles fixées et écrites par avance. Dans le cadre d'un parti ou d'une association, c’est pareil. Les modalités des désignations par un vote sont décrites dans les statuts et le règlement intérieur du parti. Ce n'est évidemment pas aux compétiteurs de faire respecter les règles, c'est bien aux instances qui organisent et valident les décisions, de s'assurer qu'elles sont bien respectées. C'est donc bien à ce titre que j'assigne les deux instances qui portaient la responsabilité de l'organisation et la validation de cette désignation, pour non-respect des règles statutaires, plutôt simples à comprendre.

Pourquoi avoir engagé cette démarche d’assignation du Parti socialiste ?

Sur les motivations de la démarche et comme je l’ai dit aux journalistes en juin, cela ne remettra nullement en cause l’élection municipale. L'élection est passée et l'on ne peut pas remonter le temps.

Il s'agit juste de mettre le Parti socialiste face à ses responsabilités en termes de respect de ses règles statutaires, applicables à tous ses adhérents (y compris et surtout les plus « gradés ») et s'opposer fermement à ce qui pourrait s'apparenter à du favoritisme envers un notable local. Il s’agit de rompre l'opacité, de rendre visible ce qui ne devrait pas exister et qui dégrade la vie politique aujourd’hui, les petits arrangements entre amis. Je crois essentiel de faire acter ces irrégularités, puisque nous l'avons bien compris dans la presse en juin, le Parti socialiste et surtout les responsables qui le composent aujourd'hui ne l'assumeront pas d'eux-mêmes.

Si je m’étais contenté de dénoncer publiquement les disfonctionnements du Parti socialiste, je suis sûr que plusieurs aficionados, chez les élus ou sur les réseaux sociaux, auraient mis en doute ma parole ou tout simplement, m'aurait reproché de n'avoir rien fait et de juste critiquer sans preuves. Au moins là, la démarche est claire. En assignant en justice, je demande à un juge de trancher la réalité des faits.

Pourquoi engager cette démarche, près de trois ans après les faits ?

Sur le délai de trois ans avant de contester devant la justice, il faut revenir sur la façon dont tout cela s'est passé. Comme je l'ai dit, j'ai interpellé différents responsables du Parti socialiste sur le paiement des cotisations de François Cuillandre au moment de la désignation, sans avoir aucune réponse, si ce n'est qu'il n'y avait rien à discuter. J'ai questionné par deux fois le principal intéressé, sans réponse de sa part non plus. J'ai quitté le Parti socialiste en janvier 2020, poussé dehors par ses responsables, sans avoir de réponse et surtout, sans élément de preuve malgré la suspicion forte que j'avais.

Il faudra que j'attende l'été 2021 pour avoir un document apportant une preuve que François Cuillandre n'était pas à jour de ses cotisations entre 2014 et 2019. C'est seulement à partir de là que s'est posée la question d'attaquer en justice. Monter un dossier prend du temps, je ne suis pas juriste !

Par ailleurs, m'étant aussi porté partie civile dans l'affaire Vivre à Brest, je ne voulais pas mélanger les deux dossiers. J'ai donc aussi dû attendre février 2022, que la juge clôture son instruction et que le procureur se prononce, en requérant un renvoi en correctionnel du dossier de l’affaire Vivre à Brest. Dossier dans lequel François Cuillandre a été mis en examen pour « recel d’abus de confiance », c’est-à-dire avoir bénéficier de sommes d’argents et d’avantages diverses, sous le couvert des mensonges et des détournements faits dans l’association par ses deux plus proches adjoints, Alain Masson et Jean-Luc Polard, tous deux décédés depuis.

Il faut comprendre qu'au moment de la désignation et puisque la vérité me fut volontairement cachée, je ne disposai d'aucune preuve des faits que je soupçonnais concernant les cotisations impayées de François Cuillandre. Une accusation sans preuve tombait tout à la fois sous le coup d'une diffamation et/ou d'une dénonciation calomnieuse. Le droit français est ainsi fait qu'il faut posséder la preuve de ce que l'on avance pour ne pas tomber sous le coup de la diffamation et risquer d'être condamné, même si les faits sont avérés après. Et je le rappelle, concernant des élus, la diffamation est punie beaucoup plus sévèrement puisque la peine encourue passe de 12 000 € pour un citoyen lambda, à 45 000 € pour une diffamation publique contre un élu local, un parlementaire, un policier, un gendarme ou un magistrat. Non seulement ce n'était pas mon objectif de prendre le risque de me tromper et de calomnier injustement, mais surtout, faute de preuve, j'aurai pu être légalement attaqué pour diffamation et encourir une amende pouvant aller jusqu’à 45 000 €.

Alors oui, cela a pris du temps parce que la vérité m'a été cachée lorsque je l'ai demandé aux instances organisant cette désignation. Notons bien que je n'aurai même pas dû avoir à demander si le Parti socialiste avait simplement fait respecter ses propres statuts. De plus, si la vérité m’avait été dite, j’aurais pu contester en interne au Parti socialiste, au travers de la Commission fédérale des conflits, voire nationale. 

Donc, en effet, le délai pour engager cette action fut long (pour moi aussi), mais je le considère plutôt comme un gage de sérieux de ma démarche.

Pourquoi demander de l'argent en réparation ?

C'est une question qui s'est posée. J'aurai pu demander 1 € symbolique et m'en tenir là. J'ai fait le choix de demander une somme significative (50 000 €), pour l’exemple. Ce montant est en relation avec les sommes qu’avaient oubliés de payer François Cuillandre au titre de ses cotisations depuis au moins 2007, d'après le document en ma possession.

Pour le dire d'une autre façon, si le Parti socialiste me versait les 50 000 € que je requiers et que François Cuillandre se mettait à jour de ce qu'il aurait dû payer depuis qu'il est maire, le Parti socialiste serait encore significativement bénéficiaire. De façon assez paradoxale, si mon action permettait que tout rentre dans l’ordre, je rendrais service au Parti socialiste. 

J’ai donc demandé une somme d’argent conséquente, car je crois important de sanctionner les partis là où cela fait mal, c'est à dire leur porte-monnaie. Aujourd'hui, le comportement des partis est beaucoup plus dirigé par la recherche d'argent et de financements, que par le sens de leurs actions politiques, ce qui devrait être leur vrai moteur. Une des raisons du vide idéologique de la gauche aujourd'hui est bien à chercher de ce côté-là. Taper là où cela fait mal est la seule garantie que cela produise un petit effet, ou à minima, les pousse à réfléchir sur ce qu'ils font, sur ce qu’ils sont devenus et sur ce qu'ils ne produisent plus.

Pour ma part et en amont de ceux qui ne manqueront pas de dire que je fais tout cela pour l'argent, je me suis engagé à ne pas conserver les sommes issues de ce contentieux. Si la justice me donne raison et m’octroie des réparations financières (ce que j'espère), une fois remboursés de mes frais de justice, je destinerai le restant des sommes à des associations ou à un projet d'intérêt général pour Brest. Faire don de cet argent à une cause collective sera aligné à la raison d'être de mon engagement en politique et sera pour moi, la plus belle façon de réparer le préjudice moral que j’ai subi.

À l’opposé de ce que toutes ces affaires révèlent, je crois important de porter une action désintéressée financièrement. J’ai un métier qui m’apporte tout ce dont j’ai besoin. Je ne cherche pas à faire d'argent sur cette pathétique affaire. J’agis juste au titre d’un engagement politique qui se poursuit différemment, pour une quête de plus d’éthique et de probité en politique. 

 

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