Vivre à Brest - Le mot de la fin : Démission
lundi 12 février 2024
Toute affaire a une fin, quelle qu’elle soit. Comme j’ai pu l’annoncer, ceci sera probablement la dernière note que j’écrirai au sujet de l’affaire Vivre à Brest. Je crois avoir dit ce qu'il y avait à dire, entre le livre et les différentes notes que j’ai pu écrire au cours du déroulé judiciaire (retrouver tout ici).
Pour conclure, je souhaitais laisser la parole au principal et dernier intéressé par le sujet : le maire de Brest, monsieur Cuillandre. Sans le vouloir, il a lui-même exprimé la seule conclusion respectable pour lui, dans cet extrait collector [1] qui a été immortalisé lors de la première conférence de presse [2], le 26 novembre 2018, seulement cinq jours après que l’affaire éclate.
Lors de cette conférence de presse, en dépit de toute précaution pour la présomption d’innocence, monsieur Cuillandre chargea de toutes ses forces Alain Masson. Dès l’introduction de son propos, il insista d’ailleurs pour renommer l’affaire Vivre à Brest comme « Affaire Masson » (voir article du Télégramme et argumentaire écrit de cette conférence de presse, qu'il me donna juste après, ici). Mais, là ne sont pas les paroles qui vont marquer cet entretien.
Plus loin dans son propos, il va clairement se disculper lui-même et affirmer haut et fort pourquoi il a demandé à Alain Masson sa démission :
« La question n'est pas que juridique, elle est aussi politique et éthique. Elle est éthique. Je le répète, depuis que je suis maire, mes indemnités m'étaient versées directement et non par l'association, ce qui ne m'empêche pas d'être à jour de mes cotisations à mon parti politique. Je n'y avais donc aucun rôle. Néanmoins, je crois que ce qui a été révélé dans la presse de mercredi dernier n'est pas, à mes yeux, acceptable. Alain Masson a reconnu ces jours derniers avoir perçu, au sein de l'association, une indemnité supplémentaire, mais une indemnité illégale. Il y a des règles en matière de plafond d'indemnité. Et donc, il a dépassé le plafond autorisé par la loi. […] C'est la raison pour laquelle, j'ai demandé à Alain Masson de démissionner. »
Aujourd’hui, nous savons que monsieur Cuillandre a menti en affirmant n’avoir aucun rôle dans l’association, puisqu’il a lui-même reconnu et été condamné pour un « recel d’abus de confiance ». Il a aussi menti en affirmant n’avoir rien perçu de la caisse noire [3]. A l’instar de ce qu’il dénonce alors pour Alain Masson, le bouc émissaire idéal, il n’est pas moins sous le coup de la règle du plafond des indemnités si l’on cumule les sommes qu’il a perçues en indemnité (déjà au plafond légal), et ce qu’il a perçu de l’association au cours des 17 années. Enfin, nous savons par ailleurs que monsieur Cuillandre a encore menti une troisième fois, en affirmant être à jour de ses cotisations à son parti politique. Il y a même un impayé exorbitant [4].
Au-delà de cette déclaration publique face caméra, près d’un an plus tard, le 1er octobre 2019, lors du débat interne au Parti socialiste qui m’opposa à monsieur Cuillandre pour la tête de liste aux municipales de 2020, des militants le questionnèrent sur le risque qu’il puisse être mis en examen. Très sûr de lui et avec un sourire aux lèvres, il répondra : « Si je pensais courir le risque d’une mise en examen, je ne me présenterai jamais devant vous. » Seize jours plus tard, le 17 octobre 2019, il fut mis en examen.
Dix-huit jours plus tard, le lundi 4 novembre 2019, après une pathétique conférence de presse au PS Brestois (ici), monsieur Cuillandre annonça qu’il maintenait sa candidature pour les municipales. Lors de la réunion du Comité de ville qui suivit et que je présiderai pour la dernière fois avant de donner ma démission, des adhérents socialistes inquiets le questionnèrent sur sa décision. Après avoir vilipendé la juge d'instruction qui ne comprenait rien à la politique, les journalistes qui voulaient sa peau et le premier secrétaire du Parti Socialiste, Olivier Faure, qui ne voulait pas lui accorder l’investiture, très sûr de lui encore, il réaffirma son innocence et rassura les militants en déclarant : « Si je suis condamné en correctionnel, je démissionnerai ». Le 12 février 2022, nous apprendrons que le parquet avait requis un renvoi en correctionnel de monsieur Cuillandre pour recel d’abus de confiance. Ce dernier a ensuite reconnu les faits en plaidant coupable, le jeudi 16 novembre 2023 (ici et là), afin de s’éviter un procès public et une confrontation avec des parties civiles qui avaient travaillé le dossier et en connaissaient long sur l’affaire.
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Alors, je crois que ce sont ses propres paroles qui expriment le mieux la situation dans laquelle il est aujourd’hui. Les paroles qu’il a lui-même exprimées envers Alain Masson, le condamnant sans procès équitable à la fin que nous connaissons.
Monsieur Cuillandre, « la question n'est pas que juridique, elle est aussi politique et éthique. Elle est éthique. » Les hommes politiques comme vous ternissent la parole publique, font monter la défiance envers nos institutions politiques et construisent le lit de l’arrivée du RN au pouvoir. Vous donnez l’exemple, le mauvais exemple. L’exemple qui conduit nos concitoyens au cynisme et à la résignation face à un pouvoir accaparé par des rentiers. Des élus sans plus d’ambition et de vision politiques, si ce n’est pour se maintenir au pouvoir, aux affaires, encore et toujours. Vous desservez la cause que vous dites servir. Tout n’est plus que mensonge, si la parole d'un élu se mélange en permanence entre vérités et contrevérités démontrées.
Comme vous l’avez fait sans une once d’hésitation ni regret lorsqu’il s’est agi d’Alain Masson, pourtant alors présumé innocent contrairement à vous aujourd’hui, je vous demande de mettre en accord vos paroles et vos actes. Je vous demande de démissionner.
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Pour ma part, ce sera le mot de la fin de l’Affaire Vivre à Brest sur ce blog. Connaissant l’éthique et le rapport à la vérité du maire délinquant qui siège aujourd'hui à Brest, j’ai parfaitement conscience que la probabilité d’un accueil positif de ma demande est proche de zéro. Mais je crois qu’il fallait que quelqu’un dans cette ville ait le courage de dire tout cela et fasse la demande claire d’une démission. C'est une question de principe envers tous les citoyens qui espèrent pouvoir encore croire dans la politique. C'est aussi une question de devoir envers toutes les nombreuses personnes qui pensent comme moi, sans plus pouvoir l’exprimer dans ce qui pourrait être aujourd’hui appelée, l’omerta brestoise.
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[1] J’ai déjà évoqué cet extrait collector dans ma toute première note de l’affaire (ici). Voilà qui permet de boucler la boucle !
[2] Vous pouvez retrouver l’article de la conférence de presse, ainsi que la vidéo du Télégramme sous le lien ici
[3] Vous pouvez retrouver dans le livre l’ensemble des éléments de l’enquête sur les bénéfices de monsieur Cuillandre, mais aussi dans deux notes plus synthétiques sur ce blog : Trois vérités qui auraient mérité une audience correctionnelle et L’histoire de la Caisse noire.
[4] Par suite d’une commission rogatoire de la juge d’instruction vers la Fédération du Parti Socialiste Finistérien, il a été révélé que monsieur Cuillandre n’a pas payé ses cotisations d’élu durant de nombreuses années à son parti, alors qu’il en fut le premier secrétaire. Le montant des impayés de cotisation est évalué à environ 50 000 € sur les seules années couvertes par l’enquête. Il est donc pour le moins cocasse que l’intéressé affirme « être à jour de mes cotisations à mon parti politique », sans la moindre honte. Cela témoigne tout à fait du sentiment d’impunité de ces élus et de sa réalité, puisque le Parti Socialiste l’a soutenu malgré cela ! (lire ici)