Eléments de compréhension de « l'affaire Alain Masson »
jeudi 29 novembre 2018
La dernière semaine fut particulièrement éprouvante pour les élus socialistes de la ville de Brest, mais aussi ceux de la majorité municipale. Des mises en cause sont parues dans la presse locale. Nous devons quelques explications.
Une part de celles-ci ont été données par le Maire de Brest dans une conférence de presse lundi. Voici quelques autres éléments qui permettent de faire œuvre de transparence sur ce qui était et sur ce qui s’est passé.
Association « Vivre à Brest »
L’association « Vivre à Brest » est une association créée en 1985 par les élus socialistes brestois de l’époque alors dans l’opposition. Cette association permettait de financer les pertes de salaires de certains élus, au regard de leurs absences nécessaires pour exercer leur mandat (absences non rémunérées par leurs employeurs).
Le principe des indemnités d’élus est fixé par barème dans la loi, quelle que soit l’activité professionnelle extérieure au mandat de l’intéressé. C’est un principe d’égalité de traitement, pour tous les élus français, en fonction de la taille de la collectivité et du type de mandat exercé. Les montants maximums sont encadrés par la loi. Les élus de Brest n’ont pas voté le montant maximum d’indemnités ouvert par la loi.
Ce principe d’égalité n’est pas nécessairement juste. Certains élus à la retraite touchent leur pension en plus de leur indemnité, quand d’autres élus plus jeunes ont des pertes sur salaire pour leurs absences professionnelles. Ces mêmes indemnités, sont parfois très faibles pour un simple élu. Certains jeunes élus peuvent compter aussi des frais de garde d’enfants conséquents.
Le principe posé sur Brest par les élus socialistes était plus un principe d’équité. Les élus acceptaient de ne pas percevoir leurs indemnités, qui étaient alors versées à l’association, mais recevaient de celle-ci une somme correspondant à leur perte salariale (variable pour chaque élu en fonction de leur activité professionnelle) puis une seconde somme identique pour tous, permettant de compenser les dépenses faites pour exercer leur mandat.
Certains élus socialistes à leur compte (commerçants ou professions libérales) n’étant pas en mesure de chiffrer leur perte de rémunération liée à leurs absences touchaient leurs indemnités directement, sans passer par l’association. De la même façon et depuis le début de l’association, le Maire est toujours resté extérieur à ces modalités de redistribution, en touchant ses indemnités en direct. Le niveau d’engagement personnel d’une responsabilité de Maire/Président et la nécessité d’abandonner son activité professionnelle justifiant cette exception.
Au-delà des versements faits aux élus socialistes concernés, l’association a participé aux financements de certains investissements (notamment sur les locaux du PS à Brest) et organisait parfois des réunions sur le temps du déjeuner, pour permettre de discuter les délibérations des conseils entre élus socialistes.
Ce fonctionnement a cessé le 31 décembre 2017. L’arrêt de la possibilité du prélèvement à la source forfaitaire de l’imposition sur le revenu a rendu le principe de mutualisation trop complexe à gérer. Depuis cette date, tous les élus socialistes perçoivent directement leurs indemnités et payent chacun leur cotisation d’élu de 8% à la fédération PS29. Il n’y a plus de mutualisation pour prendre en compte les pertes de salaires de certaines et certains élu-e-s.
Critique de l’association « Vivre à Brest » dans la presse
Début 2018, le Télégramme de Brest a sorti des articles critiquant le fonctionnement de l’association « Vivre à Brest ». Ces articles mélangeaient beaucoup de choses plus ou moins vraies, plus ou moins fondées, mais surtout prenaient un parti pris à charge sur de possibles suites judiciaires. Les élus brestois se sont alors exprimés collectivement pour défendre les modalités du fonctionnement de l’association, qualifié de solidaire et vertueux.
Solidaire et vertueux, car le principe d’équité permettait de redistribuer aux élus qui perdaient le plus et de fait, une plus grande diversité d’horizons et d’âges dans les engagements. Solidaire et par conséquent vertueux, car le fait que des indemnités d’élus participent aux financements des moyens collectifs de leur parti est un principe d’intérêt général que l’on retrouve souvent dans d’autres partis de gauche.
Il est difficile de se faire soi-même juge dans ce cas d’espèce. Cela étant la Chambre Régionale des Comptes (CRC) a effectué récemment un audit de la Ville de Brest et elle n’a pas manqué de se pencher sur les indemnités des élus. Elle a fait connaitre ses premières conclusions, encore sujettes à un débat contradictoire. Son rapport définitif, comme à chaque contrôle de la ville et de la métropole de Brest effectué par la CRC, sera public et débattu en conseil.
La CRC indique que les indemnités versées à l’ensemble des élus de la ville de Brest sont bien conformes avec le cadre légal et sont en effet plus basses que le montant maximum prévu par la loi.
Seules deux observations sont faites sur le versement des indemnités à l’association « Vivre à Brest » :
La première fait un rapprochement avec une récente condamnation (juin 2017) de la Commune de Bonneuil sur Marne, dans laquelle une élue voyait ses indemnités versées directement à son parti, sans qu’elle y ait elle-même consenti. Elle a donc attaqué sa commune afin de faire valoir ses droits. Après avoir été déboutée en première instance, la Cour d’appel lui a donné raison.
Dans le cas de Brest et comme le confirme la Chambre Régionale des Comptes, les indemnités des élus socialistes de Brest étaient bien versées à un tiers. Mais sur autorisation individuelle signée de chaque élu souhaitant y participer. Le consentement individuel était clair. Les élus ayant quitté le groupe socialiste en cours de mandat n’ont d’ailleurs pas eu de difficulté à retrouver la jouissance de leurs indemnités.
La seconde observation concerne le caractère potentiellement « non libératoire » du versement d’une indemnité, non pas à l’élu concerné, mais à une association. Selon cette hypothèse juridique, l’argent public versé à l’association conserverait son caractère public et non privé.
En réponse à ce questionnement, la ville de Brest a fait valoir à la Chambre Régionale des Comptes que le contrôle du caractère libératoire d’un versement relevait non pas des élus (ordonnateur), mais du trésorier payeur (comptable public). Depuis plus de 30 ans que ces versements existent, aucun des trésoriers successifs n’a émis de remarque sur le caractère illégal de ces versements. Aucune alerte n’est venue non plus des autres institutions ayant un contrôle sur ce que fait la collectivité.
Enfin, une part des critiques porte sur la potentielle absence de paiement des prélèvements sociaux ou sur la fiscalité sur le revenu. Rappelons que, comme sur une feuille de paie, les cotisations sociales sont prélevées directement sur le brut et seul le net était versé à l’association « Vivre à Brest ». Par ailleurs, il existait jusqu’en 2017, pour les élus, un régime dérogatoire de prélèvement à la source forfaitaire. La fiscalité sur le revenu était donc bien perçue par ce biais pour tous ceux qui avait opté pour ce régime (les autres devant déclarer normalement). Il est donc faux de dire que la fiscalité a été contournée volontairement par l’association. L’ensemble des prélèvements fiscaux et sociaux correspondant aux indemnités des élus concernés ont respectivement et strictement été versées par la ville de Brest et Brest métropole.
Opacité de l’association
Cette critique sur l’opacité du fonctionnement interne de l’association est légitime et réelle. Elle tient pour une large part à la nature des versements qui correspondaient aux manques à gagner sur salaires professionnels, consécutifs à l’exercice du mandat d’élu.
En France, la question des salaires reste taboue. Aucun des élus ne souhaitait que son salaire professionnel soit connu publiquement et il s’est donc installé un fonctionnement où seuls deux personnes discutaient du montant des versements avec chacun des élus concernés. Le premier était Alain Masson (Président de l’association « Vivre à Brest »), et le second Jean-Luc Polard (Trésorier de l’association). Chacun de ces deux élus d’expérience avait des responsabilités et des fonctions qui portaient à donner sa confiance dans la gestion de l’association « Vivre à Brest ».
La règle de péréquation sur les salaires professionnels étant simple et inchangée dans le temps, il n’y avait pas grand-chose à discuter sur le fonctionnement de l’association. Dans les faits, s’il n’y avait pas de « vie associative », la vie d’une équipe municipale conduisait à se retrouver ensemble très régulièrement, dans les réunions de la ville et de la métropole ou dans notre parti. Les élus n’ont jamais manqué de contact. La charge des mandats respectifs étant déjà suffisamment lourde, les élus n’en parlaient simplement pas, ou peu.
Les derniers évènements de la semaine passée
Les « révélations du Télégramme » de début d’année ont conduit à l’ouverture d’une enquête de Police sur l’association « Vivre à Brest ». Nous n’avons pas connaissance aujourd’hui de ce qu’il y a dans l’enquête.
En tant que responsable de l’association, Alain Masson et Jean-Luc Polard ont été entendus vendredi 16 novembre à la PJ de Brest. Moins de trois jours plus tard et sans que l’on sache comment, les comptes rendus des auditions ont été portés à la connaissance du journaliste du Télégramme ayant écrit les accusations contre l’association « Vivre à Brest ». Un élément de ces auditions révèle qu’Alain Masson indique avoir perçu de l’association une somme mensuelle de 3470 €, alors qu’il ne versait pas ses indemnités d’élu à l’association.
Au-delà des autres affirmations plus ou moins vraies de l’article, ce seul fait suffit à rompre la confiance mise dans Alain Masson durant toutes ces années. Sa démission a donc suivi et il n’y a eu aucun débat sur le sujet.
Les questions se sont alors reportées sur Jean-Luc Polard qui était Trésorier de l’association et aurait donc dû avoir connaissance des versements à Alain Masson. Celui-ci a bien confirmé les versements de 3470 € qui, pour lui, correspondaient à la compensation du mandat d’adjoint et du mandat de vice-président d’Alain Masson. Mais il n’a jamais imaginé que ce dernier n’avait pas mis en place les reversements de ses indemnités sur le compte de l’association. Le versement des indemnités des élus concernés sur le compte de l’association se faisant de manière anonymisée, le non versement des indemnités d’Alain Masson n’apparaissait pas de manière visible. Jean-Luc Polard a indiqué devant la Police avoir eu connaissance des faits suite à l’ouverture de l’enquête. Une vigilance particulière a alors été portée sur les comptes de l’association, révélant le subterfuge.
Après l’avoir entendu et avoir vu les relevés concernés, nous pensons que Jean-Luc Polard s’est bien fait abuser dans cette affaire, comme les autres élus ayant versé leurs indemnités à l’association afin de participer à la péréquation en faveur d’élus subissant des pertes de salaire. Il a reconnu qu’étant en charge de la trésorerie de l’association, il portait une part de la responsabilité et qu’il aurait dû moins faire confiance et vérifier chacun des versements d’indemnités. Ne souhaitant pas mettre en péril une majorité déjà ébranlée par cette affaire, il a décidé de donner sa démission dès vendredi dernier.
Que penser de tout cela ?
Contrairement à ce qui a pu être écrit, aucune somme non prévue par la loi et par le vote public des assemblées n’a été versée par la ville et la métropole. L’enquête dira si les impôts ont eu un manque à gagner, mais comme cela a été dit, le prélèvement à la source faisait que les indemnités nettes versées à l’association « Vivre à Brest » étaient déjà normalement bien soumises aux prélèvements légaux.
Pour ce que l’on en sait aujourd’hui, rien ne permet d’affirmer que l’association « Vivre à Brest » avait un objet frauduleux et aurait lésé d’une façon ou d’une autre des personnes extérieures à l’association. Les révélations récentes sur « l’affaire Alain Masson » témoignent seulement d’un abus de confiance du Président d’une association vis-à-vis du trésorier et des autres élus membres de de cette dernière Ce sont bien eux qui ont été désavantagés.
Ce genre de malversation de la part d’une personne isolée est malheureusement un fait que l’on retrouve dans beaucoup de milieux : entreprises, administrations, partis, syndicats ou associations. Il n’est pas tant le fait de la nature de l’activité concernée, mais plutôt de la nature des personnes qui commettent ces faits et trahissent la confiance qui leur a été donnée. Il est clair que l’absence de contrôle collectif sur l’association est un facteur qui aura permis à ce dysfonctionnement de perdurer.
L’arrêt du versement des indemnités d’élus à l’association au 31 décembre 2017 a mis fin à ces modalités de fonctionnement. Aux membres de l’association de décider collectivement dans les semaines à venir du devenir de l’association « Vivre à Brest » qui n’a plus de raison d’être depuis fin 2017.
Nous avons collectivement bien conscience que ce malheureux épisode jette un soupçon sur l’ensemble des élus socialistes et par voie de conséquence sur notre majorité. Nous sommes meurtris par ces faits tant les engagements politiques de chacun aspirent à porter d’autres valeurs. Ces agissements sont extérieurs au fonctionnement de la collectivité et à notre parti. Ils sont le fait d’une personne dont les actes ont trompé notre confiance. Cela engage la responsabilité de celle-ci, pas du collectif.
Le collectif, c’est mener à bien les engagements de transformation de Brest, de renforcement de la solidarité et de l’attractivité de notre territoire. Collectivement avec nos partenaires de gauche, il nous reste de beaux chantiers à mener pour toutes et tous les habitants.