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« Shame on you », un podcast remarquable et passionnant sur l’affaire DSK

Podcast Shame on you - Affaire DSK - Marine Pradel et Anne-Cécile Genre _Fin février, sortait le dernier épisode de la série « Shame on you ». Un podcast passionnant de 8 épisodes sur l’affaire DSK. Une affaire que l’on redécouvre par les yeux et surtout par la sensibilité de deux journalistes, Marine Pradel et Anne-Cécile Genre. Deux femmes qui ont couvert l’affaire, en 2011, au plus près, à New York. Deux personnes qui, comme beaucoup d’entre nous, ont subi le déroulé des faits sans vraiment en comprendre toute leur portée. Douze ans plus tard, elles reviennent sur cette affaire qui aura marqué le monde, comme la goutte d’eau qui engendra ensuite la vague #Metoo dans le cinéma américain, avant de déferler sur l'Occident tout entier.

Les deux histoires

Ce podcast, raconté avec une grande précision et étayé de nombreux témoignages, raconte finalement deux histoires concomitantes.

La première, la plus singulière, est celle qui en fit un phénomène mondial. C’est le contre-récit des contes anciens ou modernes, dans lesquels le puissant prend justement soin de la plus faible. Au fil des épisodes, nous découvrons la vérité d’alors, un homme au plus haut de l'échelle sociale occidentale, le directeur du FMI : riche, décomplexé, ivre de sa toute-puissance, dont il mesure parfaitement la protection sociale qu’elle lui offre. De l’autre côté, une jeune femme africaine, émigrée aux États-Unis dont elle ne maîtrise pas les codes et qui a déjà dû acheter sa liberté par deux fois, pour acquérir un petit espace d’indépendance. Une petite porte de liberté lui ouvrant le droit d'être femme de ménage, dans un Sofitel new-yorkais.

Cette première histoire, presque caricaturale si elle était écrite dans un roman, c’est cette rencontre entre ces deux mondes, ces deux êtres en tous points opposés. Là, dans cette chambre d'hôtel, va se jouer la réalité de chacun. La domination sexuelle consommatrice de l’un sur l’impossibilité de réagir de l’autre, prise dans sa précarité sociale, cumulée à une soumission culturelle qui l’astreint au silence pour garder son honneur.

La première histoire finit par la faillite de la justice et de la presse, parfaitement analysée au fil des échanges, qui s’acharnera sur la victime plutôt que de la soutenir et de lui rendre sa dignité. L’homme riche et puissant peut se payer des avocats qui fouillent la vie de sa victime pour travestir la vérité à son avantage. La femme précaire et isolée ne donne pas les bonnes réponses et n’offre pas les bonnes images, à une presse avide de sensationnel. La messe est dite dans cette Amérique surmédiatisée, hystérisée. La Justice n’a pas parlé.

La seconde histoire, c’est celle de la banalité de ce qui va se passer dans cette chambre d’hôtel du Sofitel de New York. C’est la banalisation des rapports de domination entre les hommes et les femmes, la cécité de nos regards et de nos consciences collectives, l’absence de reconnaissance des agressions sexuelles et finalement, une très faible pénalisation de ces prédateurs qui continuent à jouer de leur toute puissance, en choisissant avec précaution leurs victimes parmi les plus faibles socialement.

J’encourage tout le monde à écouter ce podcast, qui décortique méticuleusement notre société et nos consciences. Point de culpabilité, juste un éveil. Les deux journalistes sont les premières à avouer comment elles sont rentrées elles-mêmes dans le jeu médiatique, comment elles ont pu aussi douter de la victime. Mais, après ce maelstrom médiatique qui empêcha tout recul, elles ont aussi cherché à comprendre. Elles ont cherché leur part de vérité dans cette histoire manipulée de toute part. Elle nous la livre à leur façon et le résultat est riche d’enseignement, tant sur le récit que sur notre propre regard dessus.

Protégé par le silence de la justice et le doute

L’affaire DSK, chacun de nous l’a vécu, de là où il était. Pour ma part, actif politiquement à cette époque, j'étais favorable à sa candidature à la présidentielle de 2012. Je voyais en lui un esprit, une intelligence, une sensibilité de gauche en capacité à relever une part des défis que la France affronte dans un monde de plus en plus complexe. Ce 14 mai 2011, lorsque j’ai appris la nouvelle de son arrestation par les médias, menottes aux poignets, j’ai été choqué. Ma première réaction a été de douter de la réalité de ce qui lui était reproché. Pour moi, simple citoyen, un homme destiné à un avenir aux plus hautes responsabilités ne commet pas ce genre d’acte, ce genre d’erreur. C'était juste impossible … dans mon propre système de valeur !

Au plus profond de moi, j’ai probablement encore douté de ce qui s'était passé dans la suite 2806 du Sofitel de New York, jusqu'à écouter ce podcast et tous ces témoignages. C’est bien là le problème. De nombreux harceleurs ou délinquants sexuels jouissent du bénéfice du doute, quand les victimes doivent affronter leur propre culpabilité, cumulée à une société mettant en doute leurs propos, leurs intentions ou même leur consentement.

Pourtant, DSK, tout le monde au PS connaissait ses penchants et ses méthodes. Y compris le simple militant brestois que j'étais avait pu constater des comportements déplacés, lors de ses passages à Brest. Au lendemain d’une de ses visites, une jeune militante avec qui je déjeunais, continuait à recevoir ses nombreux SMS insistants, l’invitant à le revoir. Cela me semblait tellement irréel et lourdingue. Cela m’avait fait sourire. Elle beaucoup moins. Elle n’avait fait que le croiser la veille, lors d’un pot, avant qu’il ne jette son dévolu sur elle. Quelques amis avaient réussi à l’exfiltrer de ce traquenard, mais un servile strauss-kahnien finistérien avait dû se charger de transmettre son 06 au « vieux séducteur ». Nous ne connaitrons bien-sûr jamais le nom de celui qui fuita bassement le numéro de la jeune femme, sans son consentement évidemment. Le sacrifice d’une jeune militante valait bien le bénéfice d’une future faveur, de celui qui avait le potentiel de gagner une présidentielle.

Je savais donc. Mais cela ne m’a pas empêché de douter, longtemps.

Comme en témoigne le podcast, l’affaire DSK fut le déclencheur de l’affaire Weinstein, qui fit émerger le mouvement Metoo dans le monde du cinéma, puis de l’hashtag accusateur Balancetonporc en France.

Une France où il y aurait beaucoup à dire. Ainsi, on découvre dans le podcast que le loup aux yeux exorbités et à la langue pendue au passage des jolies femmes dans les Tex Avery représente dans de nombreux pays la caricature du Frenchie. Une France qui a vu le phénomène MeToo arriver plus tardivement dans le monde de la culture, mais qui cette année fait largement parler de lui avec des prises de parole courageuses de nombreuses femmes, dont notamment Judith Godrèche et la succession d’affaires de ceux qui se pensaient des intouchables : Patrick Poivre d’Arvor, Depardieu, ou même Gérard Miller.

Et #Brest, on en parle ?

La cité du Ponant n’est pas épargnée, puisque les langues s’y délient aussi. Enfin, les victimes de violences sexuelles osent prendre la parole et dénoncer les personnalités publiques ou d’autorités qui abusent de leur pouvoir et gangrènent de leurs agissements la sphère publique.

La parole se libère à Brest et c’est tant mieux.

Un autre nom

En tant qu’ancien membre de cette majorité, plusieurs personnes : amis, collègues, militants, élus ou même journaliste, viendront me parler de ces deux élus accusés dans des affaires d’agressions sexuelles. À chaque fois, avec ceux pour qui la sphère politique n’est pas étrangère, nous ferons le constat que ce n’est aucun de ces deux noms-là auquel nous nous attendions, mais bien un autre.

À Brest, de nombreuses personnes s'attendent à voir apparaitre un autre nom, depuis des années. Une personne dont les comportements ont même servi d'inspiration à un passage plutôt explicite, dans un roman sorti il y a déjà deux ans. Un livre qui porte bien son nom, « Surtout pas de scandales » [1], écrit par une courageuse brestoise d’adoption, Fanette Lallier, ayant gardé le franc-parler de ses origines marseillaises. 

Un livre que la librairie Dialogues semble avoir rechigné à mettre dans ses rayons. Serait-ce la peur de déranger nos édiles brestois ou celle de faire resurgir de vieux démons [2] ? Un livre qu’aucun des médias locaux ne couvrira non plus. Là encore, un silence assourdissant qui n'évoque qu’un mot : Pourquoi ?

La réponse se trouve peut-être bien dans les quelques pages qui suivent la description d'un « sale prédateur », dénonçant les entrelacs opaques d’un entre-soi bien entendu, où les compromis sur le silence des mains baladeuses des uns seraient rachetés par des menus privilèges, au parfum de corruption. Un petit monde masculin, paternaliste, qui s’arrange finalement bien de ces « petits » excès sur le corps féminin.

Des tordus à qui pouvoir et impunité sont laissés

Comme d’habitude dans ces affaires, la rumeur cours bien avant la crise en devenir, mais chacun se tait, sous le prétexte qu’il n’y a pas de preuve, pas de plainte. Il faut rajouter à cela le caractère agressif de ces prédateurs, qui n’hésitent pas à user de procédures baillons, attaquant pour diffamation leur victime ou toutes personnes évoquant les faits [3]. À noter que lorsque ces affaires sortent, nous découvrons qu’il y a malgré tout souvent eu des tentatives de plaintes par le passé, mais qu’elles ont été étouffées par ceux qui protégeaient ces détraqués.

La justice ne peut effectuer son travail que sur la base de faits vérifiés ou de plaintes des victimes déposées. C’est normal. Mais dans toutes ces affaires, ce qui apparait toujours a posteriori et qui devrait aujourd’hui nous interroger, ce sont les traînées d’indices qui précèdent quasiment toujours le passage de ses sociopathes. Malgré ces signes annonciateurs souvent évidents, les plus hauts responsables sensés agir continuent à tolérer encore ces profils dans leurs rangs. Alors que nous ne manquons pas de citoyens honnêtes et sincères, prêts à s’engager pour l’action publique, les dirigeants continuent à s’entourer de médiocres et de tordus, à offrir impunité et pouvoir sur autrui à des individus en sursis.

La tolérance complice avec ceux qui abusent des femmes est malheureusement révélatrice d’un problème bien plus profond. Elle n’est qu’un des symptômes visibles d’une dérive éthique de ces sphères dirigeantes, où le cynisme a supplanté la vision politique. La volonté partagée de changement du monde a été remplacée par de « sombres coopérations », des renvois d’ascenseurs et des secrets d'alcôves bien gardés, nouant solidement des rapports sociaux toxiques.

A Brest, les amitiés du maire

Après l’affaire DSK et les révélations dans le monde de la culture en France, nous attendons le #Metoo brestois.

J'en viendrais presque à plaindre notre « très chère » première adjointe à l'égalité entre les femmes et les hommes, qui devrait être aux premières loges de ce sujet épineux. Je dois dire qu’on l’entend assez peu dans cette période troublée. Doit-elle composer politiquement avec un maire (et professionnellement avec un PDG) aux embarrassantes anciennes amitiés sur ce point ? Ci-dessous, une jolie photo souvenir de retrouvailles moléanaises, que l’on retrouve encore aujourd’hui sur les réseaux sociaux liés à la collectivité.

François Cuillandre et PPDA à MolèneFC & PPDA en visite à Molène (août 2019)

Pour finir sur l’affaire DSK qui a commencé cette note, on notera avec amusement qu’en 2014, le réalisateur Abel Ferrara sortit le film Welcome to New York, si fortement inspiré de l’affaire que Dominique Strauss-Kahn l’attaqua en justice pour diffamation (ici). Le rôle principal était joué par un certain Gérard. Au moins, il n’y eut pas d’erreur de casting !

Dans une interview de la télévision suisse (RTS) de 2012 (ici), Gérard Depardieu dira avoir voulu ce rôle parce qu’il n’aimait pas DSK, jugeant qu’il n’avait pas de dignité. Le journaliste lui demanda alors si son aversion pour son personnage venait de ses pulsions (sexuelles). Il répondit : « C'est pas ça qui ne me le rend pas sympathique. C'est ce qu'il est, quand il marche, quand il est sa main dans la poche. On peut tous avoir des saloperies dans notre tête. » Entre prédateurs concurrents, une démarche, une posture semblent plus importantes que leurs attitudes vis-à-vis des femmes.

Nafissatou Diallo, une femme qui aura assurément marqué l’histoire

Je ne voulais pas terminer sans rendre un hommage appuyé à celle qui n’avait rien demandé. Celle qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment et pour qui la vie fut complètement bouleversée par l’agissement d’un homme (elle n’est pas la seule d’ailleurs). Celle qui a dû vivre terrée de longues années et sur laquelle on peut lire encore pas mal d'âneries et de méchancetés, laissant croire à un complot de sa part. Une thèse fallacieuse très bien déconstruite dans le podcast, qui montre plutôt la banalité de ces faits dans ce monde-là. Un monde d’intouchables, dans lequel toute victime pauvre est forcément au moins en partie coupable, qui plus est si c’est une femme.

Sur la page Wikipédia de Nafissatou Diallo, cette femme qui aura changé une partie de la face du monde dans les rapports de domination entre les hommes et les femmes, il n’y a quasiment rien : « Nafissatou Diallo, (née en 1978), principale protagoniste de l'affaire Dominique Strauss-Kahn en 2011 » sur la version française (ici) et « Nafissatou Diallo, maid at the centre of the New York v. Strauss-Kahn case » sur la version américaine ().

À contrario, aujourd'hui, la page Wikipédia de Dominique Strauss-Kahn fait 24 pages imprimées et celle intitulée L’affaire DSK en fait 36. Si la page de l’affaire semble encore faire la part belle à l’ex-candidat à la présidentielle, on apprend sur sa page personnelle qu’il fut nommé dans les Panama Papers et les Pandora papers pour avoir joué avec des paradis fiscaux et qu’il est le fondateur d’une « banque d’affaire » en faillite, sur laquelle une enquête de justice est ouverte par le parquet de Paris. Il comparait comme témoin assisté, soupçonné d’avoir couvert une pyramide de Ponzi (dont le cas le plus célèbre est celui de l’escroc Madoff).

Cette dysmétrie tant quantitative que qualitative est à l’image de cette affaire et de toutes celles du même genre. La victime n’existe qu’au travers de son bourreau. Pourtant, la personne qui a eu le plus de mérite et qui aura changé la vie de nombreuses femmes dans le monde, par son courage et sa volonté, c’est bien cette jeune femme peule, Nafissatou Diallo, émigrée aux États-Unis comme elle aurait pu l'être en France, en espérant y vivre une vie normale.

Ça, c'est bien la morale de cette histoire ! 👏👏👏

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Grand merci enfin aux deux créatrices de ce podcast, Marine Pradel et Anne-Cécile Genre, qui ont eu le courage de mettre dans un récit plein d'humanité ce drame qui s'est déroulé en 2011. Par la voix, elles nous permettent de changer nos regards sur une affaire encore baignée dans l’ombre de la mal-information. Une situation de domination trop courante dont souffrent encore de nombreuses femmes, à Brest comme ailleurs dans le monde.

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[1] Il ne faudrait pas résumer le livre de Fanette Lallier, Surtout pas de scandales, à cette seule description d'un « sale prédateur », issue de la nouvelle Ici, c'est chez nous, en référence à une ville où il ne pleuvrait que sur les cons. L'animal toxique n'est qu'un fragment du bestiaire humain que l'autrice dépeint. Le livre est une série de six récits qui décryptent par sa pensée, avec un style bien à elle, des situations que l'on imagine croisées. Le verbe est brut, cruel parfois, mais il semble sincère sur la dureté des rapports humains, au travers de récits alternant le grave et le léger. Un témoignage personnel vécu d'un monde qui ne plaira certainement pas à tous ceux qui préfèrent vivre derrière une opacité protectrice, qu'ils alimentent à dessein, pour tromper la réalité de ce qu'ils sont devenus. Ces petites tromperies du quotidien, qu'il ne faudrait pas montrer. Surtout pas de scandales ...!

[2] J’opterai pour la première option. Pour la petite histoire, le livre que j’ai moi-même écrit, L’affaire Vivre à Brest, ne trouva jamais sa place dans les rayons de notre chère « grande » librairie locale. Après deux relances, dont la dernière écrite, M. Jolivet (nouveau propriétaire de Dialogues) me téléphona personnellement pour m'exprimer son refus définitif que le livre soit mis en vente dans sa librairie (ou en ligne), malgré qu’il n’ait fait l’objet d’aucune contestation et d’aucun recourt. Je lui demanderai une réponse écrite, qui ne viendra jamais, bien-sûr. À la librairie Dialogues, on peut acheter du Le Pen et du Zemmour, mais pas du Fayret ! N’est pas Charlie qui veut. À Brest, la liberté d’expression se heurte trop souvent à quelques limites bien réelles, lorsque l’on ose aller contre les vents dominants !

[3] L’affaire DSK est un bon exemple d’une succession de procédures bâillons, dont les dernières furent d’ailleurs gagnées par le principal intéressé. Revenu des États-Unis après que le juge pénal ait abandonné ses poursuites et qu’un accord financier ait été trouvé au civil avec sa victime, DSK attaqua en justice des auteurs et des réalisateurs dont les récits parlaient de l’affaire.

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