Rapport 2010 du Médiateur de la République
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Pacte électrique breton : déchiffrage

Electricité Le Pacte électrique breton est un cas d’école pour comprendre les enjeux à venir sur les questions énergétiques. Quels coûts pour les productions d’énergies renouvelables (EnR), pour les productions carbonées (CCCG) ou pour les économies d’énergie (MdE). Loin des idées préconçues, ce pacte nous donne quelques clés de lecture instructives pour l'avenir.

Le Pacte électrique breton a été voté par le Conseil régional de Bretagne en janvier dernier. Il faisait suite à de nombreuses réunions telles que les Conférences territoriales des collectivités (B15) ou les Conférences bretonnes de l’énergie. Maintenant, nous connaissons donc bien ce qu’il y a dedans, mais l’avons-nous compris ? Il peut être intéressant de démêler quelques chiffres pour se rendre compte des grandes tendances à l’œuvre dans ce pacte, sur les 20 prochaines années.

Le pacte, aussi appelé le « triskell électrique breton » repose sur trois axes d’intervention : des économies d’énergie, des productions d’énergies renouvelables et une sécurisation de l’alimentation de la Bretagne. Pas de révolution en la matière puisqu’il est courant d’employer la stratégie : sobriété, efficacité énergétique et énergie renouvelables en matière d’axe de réflexion sur ce sujet.

Un triskell à géométrie variable

Premier constat, c’est d’abord un déséquilibre entre les trois axes du pacte. Si l’on se projette à 2020 (qui est l’horizon du PEB) et que l’on regarde l’énergie nouvellement produite ou économisée à l’issue du pacte, cela donne 1200 GWh/an (11%) sur les économies d’énergies, 7 080 GWh/an (67%) pour les productions en EnR et 2 250 GWh/an (22%) sur la production de la centrale à cycle combiné gaz (CCCG). On le voit, les économies d’énergie sont un peu le parent pauvre du triskell, même si elles sont largement mises en avant.

On nous l’a dit et répété, si les économies d’énergies ne sont pas au même niveau que le reste, c’est avant tout à cause de l’effort financier qu’elles nécessitent (et donc des actions à mettre en œuvre derrière). Si le pacte prévoit une enveloppe d’environ 70 millions d’euro sur 5 à 6 ans en actions volontaristes pour faciliter la mise en route d’économies d’énergies, une large part de l’effort reposera sur des financements privés (chaque propriétaire isolant sa maison, par exemple). Une estimation globale issue des groupes techniques préparatoires au PEB donne le chiffre d’un milliard pour arriver à atteindre l’objectif à 2020 de réduction de 1 200 GWh/an sur la Bretagne … ça calme !

Un milliard d’euro de maitrise de l’énergie

Doit-on se « calmer » sans réfléchir pour autant ! C’est sûr, un milliard, cela pèse, mais d’après les chiffres, la Bretagne a consommé en 2010 21,1 TWh/an, ce qui fait à 30 €/MWh produit, un budget de 633 millions d’euro par an … ça calme aussi, non ? D’autant que le milliard sur les économies d’énergie est un investissement qui s’étale lui sur 10 ans et qu’il continuera à « produire gratuitement » sur au moins 10 années supplémentaires.

Pour être juste dans l’analyse, il ne faut donc pas seulement regarder les puissances produites, mais aussi les coûts. Sauf que là, on a bien voulu nous donner les coûts sur les économies d’énergies, mais les producteurs d’énergie sont peu prolixes sur les coûts de leurs opérations. Combien coûtera une CCCG de 450 MW ? Combien coûtera un parc éolien planté en mer ou sur terre (c’est 80% des productions nouvelles EnR du pacte) ? Combien coûtera le photovoltaïque (5% des EnR du pacte) ? Combien coûtera la biomasse (10% des EnR du pacte) ? Ces chiffres, sur l’investissement et le fonctionnement, nous ne les avons à priori pas.

Toutefois, on peut aussi se lancer dans l’analyse inverse. Certes, on ne connaît pas les coûts d’investissement et de fonctionnement de ces moyens de production, mais on connaît les prix de rachat des différentes productions (voir fin de note). Partant du principe que les producteurs d’énergie ne sont pas des philanthropes, il y a nécessairement une forme d’équilibre économique entre les prix de rachat des énergies renouvelables et les coûts de production et d’investissement sur une période assez longue. On se trompe sûrement un peu, mais normalement pas d’un facteur deux.

Des coûts sur un cycle de vie de 25 ans

Ainsi, lorsque l’on se place sur une période de 25 ans, 2010-2035 et que l’on isole les actions portées par le pacte électrique breton en suivant cette hypothèse, voici ce que l’on trouve.

La centrale à cycle combiné gaz aura produit quelques 47 TWh, pour un coût de vente de l’électricité de l’ordre de 1,4 milliard d’euro, soit un coût unitaire de production de 30 €/MWh (pas de surprise, c’était l’hypothèse de départ pour la vente de courant par EDF).

Le bouquet de production d’énergie renouvelable du pacte aura produit quelques 140 TWh, pour un coût de vente de l’électricité de l’ordre de 14 milliards d’euro, soit un coût unitaire de production de 100 €/MWh.

Les actions de maîtrise de l’énergie auront économisé quelques 26,5 TWh, pour un coût de l’ordre de 1 milliard d’euro (estimation PEB), soit un coût unitaire de 40 €/MWh.

Au bilan, on peut donc dire que sur 25 années, le plus rentable resterait une centrale au gaz1 (ou même sûrement une centrale nucléaire vu le prix de vente de l’électricité !) Sauf si l’un des objectifs est de chercher à s’affranchir des productions carbonées et à économiser nos ressources énergétiques mondiales, c’est le sens des EnR !

Après, si l’on tient compte de ces deux enjeux mondiaux, cela se joue entre les économies d’énergie (la maîtrise de l’énergie) et les productions d’énergies renouvelables. Et là, il ne semble pas qu’il y ait photo ! Le coût de revient des économies d’énergie apparaît aujourd’hui environ deux fois et demi inférieur à celui des productions énergies renouvelables, telles que définies dans le Pacte électrique breton.

L’énergie la plus propre est celle que l’on ne consomme pas.

On pourrait aussi rajouter que « l’énergie renouvelable la moins chère est l’économie d’énergie ».

Dernier petit clin d’œil sur ce pacte. On le voit, le coût des EnR n’est pas neutre (c’est d’ailleurs tout le débat qui émerge aujourd’hui quand au tarif de l’électricité et notamment la fameuse contribution pour les énergies renouvelables, dans les factures EdF). Si l’on s’amuse à réfléchir à périmètre clos sur la Bretagne, en terme de production d’énergie et de tarif (ou si l’on pose que toutes les régions vont faire comme la Bretagne), l’objectif du pacte de passer à un tiers de production d’énergie renouvelable dans notre bouquet électrique conduirait mécaniquement à une hausse de plus de +40% du tarif de l’électricité en 2020, toutes choses égales par ailleurs (ce qui a une chance quasi nulle de se produire, bien-sur, au regard de l’enchérissement des ressources énergétiques primaires et de la baisse potentielle du coût de certaines EnR. Mais bon, dans toute projection, il faut bien des hypothèses !)

Un cas d’école instructif

Que conclure ? Je l’ai déjà dit ici, l’objectif n’est pas de critiquer le Pacte électrique breton qui est à mes yeux une énorme avancée politique au regard de ce qui se passait, il y a encore seulement 3 ans en France. Ce pacte est la conclusion positive d’une discussion entre la Région Bretagne et l’Etat qui reste le seul à avoir pouvoir et compétence dans le domaine. C’est donc une cote mal taillée, comme toute fin de négociation. L’intérêt majeur est que c’est la première fois que les élus d’un territoire s’emparent dans les détails de ces questions-là, ont accès à un niveau d’information suffisant pour forger un avis et ont la possibilité d’en débattre de façon éclairée. Au-delà de ce que l’on aurait pu attendre de plus de ce pacte, il aura donc été aussi un cas d’école pour observer les points durs sur la question énergétique.

Le vrai point dur est évidemment celui du modèle économique pour arriver à financer de la maîtrise de l’énergie. Toutes productions supplémentaires s’auto équilibrent économiquement sur la base des consommations (facturations EdF), mais il est beaucoup plus difficile de justifier de dépenses qui n’engendreront pas de flux, qui au contraire les éviteront. Grand paradoxe de la chose que nous permet de montrer ce pacte sur la Bretagne, c’est qu’il serait beaucoup moins cher pour tous de faire plus qu’un milliard sur la maîtrise de l’énergie et un peu moins sur la production d’EnR pour satisfaire à l’équilibre de l’alimentation électrique de la Bretagne. Au final, aussi étonnant que cela paraisse, cela nous coûterait moins cher !

Oui, mais certains diront que les EnR, c’est de l’emploi et de la croissance verte … nous répondrons que l’isolation et l’efficacité énergétique ce n’est pas moins d’emplois, simplement il est plus diffus … et donc moins sujet à un lobbying féroce auprès des politiques nationaux et des décideurs sur l’énergie en France. Par contre, la maîtrise de l’énergie a l’avantage d’emplois localisés près des consommateurs, contrairement aux panneaux photovoltaïques produits ailleurs, par exemple.

Le modèle économique de la « décroissance »

Il nous faut réfléchir sérieusement sur la difficulté que pose le modèle économique de la maîtrise de l’énergie, car ce problème est central et se posera à nous sur d’autres cas d’espèces. Ce qu’il nous faut inventer, c’est le modèle économique de la décroissance, de la sobriété. Il ne s’agit pas d’une décroissance économique puisqu’on le voit, il sera tout autant source d’emplois. Pas une décroissance baissant le confort de vie, on vit mieux dans une maison bien isolée que dans une passoire thermique surchauffée. Mais une décroissance sur des variables qui sont aujourd’hui non durables, comme l’utilisation irraisonnée d’un stock fini de matières premières et la production de CO2.

Nous devons sortir de notre ébriété énergétique et cela ne veut en aucun cas dire que cela sera moins bien après, par contre cela sera sûrement différent. Voilà ce que nous apprend le Pacte électrique breton.

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1 Il faut relativiser cette rentabilité, car le coût de 30 €/MWh est largement critiqué par le patron d’EDF (Mr Proglio) qui revendique aujourd’hui un coût réel proche de 42 €/MWh. Dans ce cas, les économies d’énergie deviendraient le levier d’équilibre la plus rentable des trois piliers du pacte.

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Hypothèses de calcul

  • Energies renouvelables (EnR) et économies d’énergies : les données de départ sont les puissances inscrites dans le Pacte électrique breton. Entre deux dates, l'hypothèse faite est une progression linéaire de l'augmentation de puissance.
  • CCCG : hypothèse d'une centrale de 450 MW produisant en semi base 5 000 h/an, à partir de l’année 2015.
  • Tarifs de rachat : l'électricité de base est estimé à 30 €/MWh (c'est le tarif appliqué à la production de la CCCG dans les calculs). On l’estime constante dans le temps, mais on sait déjà que cela ne sera pas vrai.
  • Les tarifs de rachat des EnR sont ceux prix sur le site du ministère (seuls les tarifs éoliens sont calculés dégressivement après une période de 10 années). Les tarifs de rachat sont supposés fixes au fils du temps, ce qui est probablement faux dans l'absolue, mais ces prix sont liés à des conventions de rachat de 10 à 20 ans, ce qui donne une certaine stabilité des coûts, dans les faits.
  • Feuille de calcul réalisée pour écrire la note : ici (pour ceux que cela intéresse)

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