Repenser la gauche et sécuriser les parcours politiques
lundi 09 juin 2014
Ce que l’on découvre lorsque l’on fait de la politique en tant qu’élu, c’est la brutalité du processus électoral. Les élections sont le cœur du fonctionnement de la démocratie. C’est le temps pendant lequel le peuple reprend le pouvoir sur ces élus et tranche entre les propositions individuelles ou collectives qui lui sont faites. Rien à redire sur la finalité. Par contre, il convient de peser le coût de ce processus compétitif et les limites que celui-ci imposent.
Une élection est à la fois un processus de sélection, de désignation, mais c’est aussi un processus d’élimination. Il s’agit bien d’une confrontation au cours de laquelle plusieurs personnes ou plusieurs équipes vont s’affronter avec souvent comme règle : « il ne peut en rester qu’un ». C’est par ailleurs une compétition qui a lieu en public et c’est de plus en plus vrai du fait de la place prise par la presse dans notre société moderne.
Individuellement, ou collectivement quand il s’agit d’une équipe (même si la tête de liste endosse naturellement plus la responsabilité que les autres), c’est un processus violent psychologiquement. Pour bien connaitre aussi le monde de l’entreprise, je m’étais essayé à comparer des deux statuts en termes de « sélection » et « d’élimination ». Bien qu’un licenciement professionnel, collectif ou individuel, soit évidemment douloureux pour le salarié, il faut reconnaitre qu’il dispose de recours par la loi pour se défendre et de l’appuie de syndicats ou d’avocats pour l’accompagner. Le processus électoral est pour le coup plus rapide, sans recours et aussi public.
L’élection est violente du fait de la compétition entre les candidats. La violence de l’élection est pour partie contenue dans la campagne elle-même, lorsque l’affrontement prépare le jour de l’élection et donne libre cours aux mensonges, à la mauvaise foi et aux attaques personnelles. L’élection est un processus compétitif qui tire rarement vers le haut !
L’élection est violente, d’autant plus que le candidat s’est investit personnellement, voire même plus : s’il est sortant. Il s’agit alors de ce que l’on appelle en jargon RH d’une sorte « d’évaluation à 360° », mais sans les commentaires, sans l’analyse et le décryptage des positionnements. Seul le résultat final est lisible.
La question n’est pas de remettre en cause l’élection mais de comprendre que cette violence faite aux candidats a une incidence significative dans le fonctionnement de la démocratie. Le fait d’insécuriser un individu conduit toujours celui-ci à développer des stratégies d’auto-défense et d’autoprotection. C’est naturel et plutôt une bonne chose pour la santé mental de l’individu concerné. Par contre, cela peut aller à l’encontre des objectifs visés.
Le cumul des mandats est probablement un de ces travers, mais la difficulté à travailler avec plus de transparence, à partager le pouvoir en est aussi un autre. Idem sur le fonctionnement des partis qui se concentrent aujourd’hui plus sur les stratégies de conquête du pourvoir, au détriment de stratégies de transformation de la société (alors que c'est un peu le rôle attendu, semble-t-il !) Plus profond que cela encore, je pense que la difficulté à se comprendre, le creusement d’un fossé entre les citoyens et leurs élus vient aussi pour partie de cela. Si l’élu ne se sent pas aimé ou même, anticipe la possibilité d’un rejet, il risque de développer le même sentiment pour ceux qu’il est sensé représenter. C’est probablement le risque le plus grand, car le rôle de représentant, le rôle d’élu nécessite de l’empathie pour ceux que l’on représente et celle-ci ne peut exister sous la menace ou le sentiment de rejet. L'élitisation des élus ne serait-elle pas un des symptômes à ce mal ?
La télévision aime montrer les politiques qui trahissent leur mandat, ceux qui finissent en justice (ou en sont proches !) Dans ce cas-là, on peut comprendre que l’élection soit alors une sanction qui rende finalement justice à la population. Il y a donc une forme de « morale démocratique » là-dedans. Mais la réalité de la grande majorité des élus (de tous bords) est qu’ils consacrent leur temps et leur énergie pour leurs convictions (bonnes ou mauvaises), c’est tout de même très différent.
A ce sujet, j’ai déjà entendu des personnes dire : « les politiques ne sont pas à plaindre, c’est eux qui le veulent, c’est eux qui se sont présentés ». Je suis toujours heurté par de telles réflexions. Pour poursuivre l’analogie, c’est comme si l’on répondait à un salarié licencié ou harcelé : « De quoi te plains-tu ? N’est-ce pas toi qui a voulu le job ? » Mais la remarque trahi bien la relation d’aujourd’hui entre les citoyens et leur représentants : une forme de désamour et de défiance.
Le travail sur le statut des élus doit avancer pour permettre à ceux-ci de percevoir sereinement un après-mandat sécurisé. Cela permettra probablement de diminuer les tensions durant les campagnes en sécurisant les parcours. Ce faisant, cela permettra peut-être de se centrer un peu plus sur le sujet politique et des attentes de notre temps ! Cette réflexion a déjà eu lieu dans le monde professionnel. Dans certaines grandes entreprises, les syndicalistes possèdent des droits en lien avec leur niveau d’engagement. Cela évite que les sujets se mélangent entre revendication personnelle et revendication pour le personnel. C’est une réflexion que nous devons mener rapidement.
Enfin, nous devons réfléchir collectivement à tout ce qui rend l'élection violente, notamment en termes de communication. Relayer les petites phrases et les invectives entre candidats fait probablement de l'audience, mais affaiblit aussi la démocratie dans son ensemble. Quand on met des joueurs dans une arène, il ne faut pas s'attendre à ce qu'ils se prennent dans les bras ... cela n'empêche pas que l'on puisse mettre en valeur un peu plus les belles actions et un peu moins les coups bas.