Réponse à la tribune de Monsieur Alexandre Lhomme
Voyage dans l’histoire et dans le temps

Le paradigme de la voiture sans conducteur


1217864_la-voiture-sans-conducteur-de-volvo-testee-a-londres-des-2017-web-tete-021881615662Historiquement, la structure des villes étaient en lien avec leur capacité à protéger des attaques extérieures la population qui y vivait. Au fils des siècles, la menace s’est peu à peu élargie, puis globalisée. La ville n’étant plus un rempart efficace en soi, elle s’est naturellement étendue, reliant les centralités entre elles, en conservant des logiques de quartiers. Il y a près d’un siècle, la voiture est apparue et au fils des ans, a fini par structurer la ville. Aujourd’hui, la ville fonctionne autant autour des flux de communications et de déplacements, que sur des logiques historiques de proximité. Les déplacements et la voiture, au premier rang de ceux-ci, ont construit notre rapport aux territoires et à nos usages quotidiens. L’arrivée de la voiture sans conducteur risque de provoquer un grand bouleversement dans notre quotidien et notre société. Que se passera-il dans 20 ans, quand tout aura changé ?

On s’inquiète (à juste titre d’ailleurs) de la question du réchauffement climatique et de la montée des océans sur les infrastructures urbaines, mais l’horizon est à 50 ou 100 ans. Nous oublions un peu vite qu’à un horizon bien plus proche, quelques avancées techniques vont profondément bouleverser la ville et l’emploi, tout en apportant peut-être aussi quelques réponses sur la réduction des GES1.

Dans une autre sphère que je connais aussi un peu : les technologies de défense, les réflexions sur les véhicules autonomes datent déjà de 20 à 30 ans. Ma première mission en rentrant à Thales en 1995 fut un travail prospectif sur ce que donneraient des drones sous-marin en matière de détection sonar, c’était une étude papier. Dix ans plus tard, je travaillais sur le premier programme d’un drone expérimental de surface : Spartan. Dix ans plus tard, cette réflexion se poursuit et se déploie dans toutes les opportunités où la machine peut remplacer l’homme.

L’émergence des drones dans le monde de l’armement est une révolution encore en marche, mais on mesure régulièrement la façon dont cela change le rapport aux théâtres d’opérations et aussi le rapport aux conflits, à la guerre. Un exemple de ces transformations radicales a été mis en images dans le film « The good kill », sorti en 2014.

La question de la voiture autonome, la voiture sans conducteur, fait encore sourire et est vécue par beaucoup comme un objet futuriste encore hors de portée pour longtemps. On se trompe. L’horizon est aujourd’hui probablement à 10 ans. Les technos ont déjà été développées pour la défense, reste à les adapter et en en faire baisser les couts par des productions de masse. Mais la voiture autonome sera demain sur les étagères de nos constructeurs automobile, c’est une certitude.

Une décennie, c’est super court pour ce qui relève de l’urbanisme et des grands travaux d’infrastructures qui organisent la ville. C’est aussi court pour ce qui relève de mutations professionnelles et d’enjeux économiques associés. Dix ans, c’est demain. Il est donc plus qu’urgent de se poser les questions de ce que seront demain nos villes et nos usages avec cette voiture autonome.

Pour aider à préfigurer ces enjeux, voici quelques expériences ou documents récents qui dessinent déjà probablement le changement de paradigme que représentera cette voiture autonome dans nos vie et dans nos villes.

France Stratégie vient de sortir un rapport sur le sujet : « La voiture sans chauffeur, bientôt une réalité ». Probablement par peur de passer pour des illuminés, les auteurs restent plutôt frileux dans leur propos sur l’émergence rapide de cette voiture autonome, mais les exemples qu’ils prennent donnent bien la réalité de ce qui est en train de se produire, dans une concurrence féroces entre grands acteurs. Malgré ce bémol, le rapport ouvre bien toutes les perspectives que cette évolution fera émerger.

La conférence TED d’un des membres de l’équipe de la GoogleCar, Chris Urmson : « Comment une voiture sans conducteur voit la route », datée de moins d’un an, explique bien l’opportunité de la voiture autonome. Il fait un tour d’horizon des avantages certains du concept, tout en posant bien les enjeux encore à résoudre. Il met en évidence les deux facteurs qui pousseront au développement de la voiture autonome : la libération du temps perdu à conduire et la diminution des accidents de la route. Il conclut en donnant le timing : « Voici mes deux garçons. L'aîné à 11 ans. Dans 4 ans et demi, il pourra obtenir son permis de conduire. Avec mon équipe, je m'engage à faire tout pour que ça n'arrive pas. »

La conférence TED du co-fondateur et PDG d’Uber, Travis Kalanick : « La stratégie de Uber pour mettre plus de personnes dans moins de voitures », daté du mois de février dernier. Il ne s’agit pas de polémiquer ici sur « l’Uber-isation » de l’économie ou les VTC, mais sa conférence ouvre bien le champ des possibles en matière de mutualisation des déplacements, au travers de la capacité de connexion des acteurs. Il élude la question de la voiture sans conducteur (on imagine pourquoi, c’est le principal concurrent à son service actuel, mais on peine à penser qu’il ne soit pas à 200% sur le concept).

L’intervention de Dominique Rouillard, lors des Utopiades dans le cadre du Printemps de l’architecture en mars 2016 à Brest, sur le concept des VEC : Véhicule Electrique / Écologique & Communiquant. Architecte et urbaniste de formation, elle s’est intéressée aux changements que proposeraient des véhicules différents2. Elle analyse les impacts de la « voiture servicielle », transformant la ville des proximités en ville des accessibilités3. Elle imagine l’apport de véhicules partagés, en libre-service, plus recentrés sur un usage de proximité dans un cadre urbain. Elle définit définit le VEC comme épidémique et réparateur des problèmes urbain. Elle est co-auteur avec Alain Guiheux du livre "Door to door, futur du véhicule-futur urbain" qui est le produit d'une recherche très instructive sur l'urbanisme que pourrait engendrer ses nouveaux véhicules4.

L’article du 22 avril du Télégramme : « L’auto-partage intergénérationnel : Génération mobilité », sur des nouveaux usages qui émergent naturellement sur la base des besoins de chacun, avant même les transformations techniques des véhicules : un prêt de voiture propriété d’un senior, à des jeunes sans voiture, sous condition de rendre quelques services pour des déplacements. Nous sommes bien loin d’Uber, mais il s’agit juste là-aussi de l’expression de deux besoins non satisfaits, associé à un peu d’intelligence et d’innovation, sur la base d’un portage par un opérateur de confiance.

Une initiative d’auto-partage à Brest qui émerge de l’envie de voisins coopératifs de partager un seul et même véhicule. Lauréats du concourt Le Climat déclic 2015, l’association Les Partageurs travaillent sur le déploiement du concept plus largement que leur seule initiative. Au-delà de cette expérience locale innovante bien réelle, certains promoteurs commencent aussi à réfléchir à livrer leur immeuble avec une voiture en auto-partage (ici), le concept marche bien depuis plusieurs années avec l’ascenseur ! Plus proche et encore plus récemment (aujourd’hui), cette initiatives d'étudiants de Télécom Bretagne : En route vers l'auto-partage sur le campus !

Enfin, un article de fin avril sur la déclinaison sur le monde de la logistique et des transports : « The driverless truck is coming, and it’s going to automate millions of jobs ». Sans rentrer dans les détails, l’article pointe bien à la fois les gains à attendre, tant financier qu’écologique, mais aussi les pertes directes ou indirectes à anticiper en terme d’emploi. Et ce qui vaut pour les camions vaudra aussi pour les tracteurs, les trains et un jour aussi peut-être les avions …

Dix ans, c’est demain ! Un véritable changement de paradigme nous fait face. Il sera rapide et brutal au regard des évolutions que la société est capables d’absorber. La question n’est plus de savoir si cela existera ou pas, mais comment nous devons anticiper ces changements pour nous y adapter. Quels investissements faire ou ne plus faire ? Quels métiers à transformer, quels autres à créer ? On le sait, tous les changements brutaux génèrent leurs gagnants et leurs perdants. Plus nous anticiperons et plus nous créerons de la valeur, tout en minimisant les risques.

A suivre...

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1/ Les déplacements sont la seconde source d’émission de Gaz à Effet de Serre, après l’habitation

2/ Lent et léger, le VEEC consommerait 20 fois moins de carburant que la voiture aujourd’hui. Il serait en prêt ou en libre-service.

3/ Le VEEC transformerait la proximité qui est plutôt liée à la notion de marche à pied, à celle d’accessibilité, plus liée au temps court pour se rendre d’un point à un autre, quel que soit le mode de déplacement. On parle alors d’une France des 20 minutes avec un périmètre bien plus élargie que la seule proximité.

4/ Door to door est un livre qui va très loin dans l'analyse des des véhicules futurs. L'étude propose à la fois un panorama des potentiels véhicules à venir et de leurs caractéristiques, analyse les usages qui naîtront et regardent enfin les conséquence possibles en matière d'urbanisme et d'organisation spatiale de la mobilité. Ce travail est une source très complètes de références en la matière.

Image : les Echos

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