Voyage dans l’histoire et dans le temps
Voiture sans conducteur et acceptabilité sociale

Voiture sans conducteur et transport public

HirikoComme je l’ai écrit dans ma précédente note : Le paradigme de la voiture sans conducteur, l’arrivée sur le marché de la voiture autonome va progressivement modifier notre façon de concevoir nos déplacements. Il est fort probable que la relation à la voiture personnelle soit rapidement remise en cause et qu’en contrepartie se développe une offre, publique ou privée, de transport à la demande.

On le sait, le modèle de la voiture personnelle est un modèle qui marche sur la tête, tant en terme de coûts de possession, qu’en termes écologiques. Les véhicules roulent très peu et ont par conséquent une forte empreinte sur l’espace public ; ils ne savent pas s’adapter aux usages et donc sont surdimensionnés pour transporter majoritairement le seul conducteur ; ils fonctionnent sur la base de choix individuels calés sur des organisations collectives, ce qui crée des problèmes de flux (embouteillages) ; pour finir, ils sont majoritairement conduits par de bien médiocres « pilotes » qui, malgré la contrainte d’une attention continue à la route, maîtrisent mal les performances mécaniques (consommation d’énergie) et sont générateurs d’accidents graves et mortels. Tous ces faits traduisent une perte de valeur collective bien réelle importante que nous connaissons bien et que nous acceptons faute de mieux. La voiture autonome peut produire des réponses à chacune de ces faiblesses du modèle actuel.

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En quelques décennies, la voiture a pris une place centrale dans nos modes vies. Dans les premiers temps, « voiture » fut associée à « ménage ». On possédait une voiture comme on possédait un logement. Puis peu à peu, la voiture fut associée à « adulte en capacité à conduire ». Aujourd’hui, plus de 80% des ménages possèdent une voiture et plus de 40% d’entre eux en possèdent deux ou plus1. Ce chiffre a plus que doublé en 30 ans. Aujourd’hui, la part des adultes sans voiture individuelle est donc faible en France.

Cette évolution pourrait prendre rapidement fin avec l’émergence de la voiture autonome. Il est probable que la seconde voiture soit rapidement sacrifiée au profit d’un report modal vers un « transport collectif » d’une forme nouvelle (notamment parce que cela sera tout simplement plus économique et plus pratique). Mais sous quelle forme ?

L’arrivée des voitures sans conducteur ne conduira pas à des bus sans conducteurs dans les transports publics de proximité (ou alors très à la marge), mais à des flottes de véhicules sans conducteur. Le transport collectif, le transport public à toutes les chances de passer d’un modèle rigide comme actuellement (horaires et lieux prescrits), à un modèle flexible qui s’apparentera au concept du « Door to door » que Dominique Rouillard développe avec les VEEC.

Rendu autonome, le véhicule viendra vous prendre là où vous lui demanderez et vous amènera là ou vous le désirez, avant de repartir vers sa course suivante. La gestion des flux sera centralisée pour adapter les flottes de véhicules au plus près des besoins en matière de déplacement, avec probablement une « stratégie logistique prédictive » comparable à celle qu’Amazon réfléchi pour la livraison de ses colis, avant même qu’ils ne soient commandés2. Contrairement à tout ce qui existe aujourd’hui et qui nécessite obligatoirement l’assistance humaine pour se mouvoir, la robotisation des véhicules amènera de la fluidité, de la liquidité dans les flux, de l’agilité3. Fini les stocks, les parkings pleins, place à une gestion en flux tendue et au juste-à-temps dans les déplacements !

Comme pour les trains ou les avions, la tarification jouera un rôle de régulation sur les pointes d’usage, ce qui devrait aussi jouer un rôle sur la fluidification du trafic dans les zones urbaines. Ceci viendrait en plus d’une fluidification au travers une meilleure gestion des parcours et des flux par une gestion centralisée des déplacements sur le territoire. En plus d’être allégé de la contrainte de la conduite, nous éviterons probablement les gaspillages de temps dans les fameux bouchons qui polluent la vie des habitants de certaines grandes métropoles.

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Sur la forme des véhicules, nous verrons surement émerger de nouveaux véhicules à une place, qui sont le gros des besoins en déplacements aujourd’hui. Les véhicules plus familiaux seront probablement ceux qui resteront encore quelques temps en propriété des ménages, pour leur polyvalence. Mais il est aussi possible qu’une grande variété d’offres se fassent jour. Nombre de passagers à transporter (ou de bagages), confort, offre publique ou privée, services, etc seront autant de paramètres qui diversifieront l’offre.

Dans ce schéma, il est probable que les territoires les plus urbanisés voient se développer rapidement des offres sur des véhicules autonomes4, soit au travers d’une offre publique, soit une offre privée concurrentielle à celle publique, soit pourquoi pas par une offre commerciale en lien avec une finalité particulière (les grandes enseignes proposeront des offres spécifiques, soit pour venir vous chercher chez vous pour consommer chez eux, soit pour vous livrer automatiquement ce que vous aurez commandé sur internet).

Sur le plan écologique (et économique) enfin, ce modèle à tous les intérêts : moins de voitures à produire donc des voitures faites pour rouler plus longtemps (fin de l’obsolescence programmée) ; moins d’espaces publics utilisés à la seule fin de stationner des véhicules faiblement utilisés ; moins d’embouteillages grâce à une fluidité de la circulation ; des véhicules adaptés à leur « charge utile » et beaucoup plus légers (5 fois, 10 fois, 20 fois ?) donc une consommation bien moindre et une autonomie supérieure ; une baisse significative des accidents (moins de drames humains et des économies significatives sur les régimes de santé) ; probablement enfin aussi une réduction des travaux d’infrastructures routières du fait de véhicules connectés et donc toujours mieux renseignés.

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Ces flottes de véhicules autonomes se développeront-elles principalement sur les centres urbains et pour les centres urbains ou alors sur l’ensemble du territoire ? Dans un premier temps, la première hypothèse semble la plus probable. Associées à un territoire, ces flottes permettront avant tout des déplacements sur les bassins de vie. Si le modèle se généralise, sur des distances plus lointaines, il y aura un intérêt à prendre le train ou l’avion pour se déplacer plus rapidement sachant qu’à l’arrivée, il sera aussi possible de disposer de véhicules autonomes sur demande.

Aujourd’hui, le service public des transports organise et subventionne le réseau de transports collectifs. Quel sera dans ce nouveau modèle le rôle de l’autorité organisatrice des transports ? Plusieurs hypothèses peuvent s’envisager. Restera-t-elle propriétaire des véhicules ou ce rôle sera-t-il laissé à des entreprises dans le champ concurrentiel ? Restera-t-elle organisatrice des transports ou gérera-t-elle cela par des normes ? Comment l’accessibilité sociale aux transports sera gérée ? Autant de question qui, on l’imagine bien, dépendent pleinement des logiques politiques au pouvoir au moment de ces basculements … et aussi de la capacité de lobbying des firmes qui tenteront d’organiser l’ensemble afin de maximiser la valeur ajouté dans leur escarcelle !

Dans les prochaines années, nous allons vivre la fin des « transports publics collectifs » tels que nous les avons toujours connus. Ce basculement sera probablement le temps de nombreux choix, de stratégies qui définiront à terme un modèle nouveau. Si nous ne voulons pas que cela ne se fasse qu’au travers d’une succession de non-choix ou d’une libéralisation qui dépossédera des choix, nous devons anticiper sur le modèle que nous souhaitons voir jour. Nous devons créer les conditions pour qu’émerge un nouveau modèle de transports publics qui permette à chacun de se déplacer, soit économe en matière d’argent public et arrive à accompagner les emplois qui devront muter.

A suivre

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1/ A mettre en relation avec la structure des ménages en France, seul 55% des ménages se composent de deux adultes (avec ou sans enfants).]

2/ La stratégie logistique prédictive d'Amazon peut paraître un peu ambitieuse, mais il existe un autre modèle de prédiction qui fonctionne déjà très bien à partir d'un "big data" plus ancien. C'est en matière de consommation d'électricité en fonction des différents paramètres, usages, météo, etc ... L'exemple sur la page de RTE ici. La prévision à J-1 a une marge d’erreur extrêmement faible. Nous sommes donc déjà à l'heure de la stratégie logistique prédictive en matière d'électricité.

3/ En exemple d'agilité, la possibilité de supprimer les feux rouges, et donc les arrêts aux feux rouges, comme viennent de le prototyper le MIT. Lire : "Des routes ans feu rouge ni stop", c'est possible dans les Echos de ce mois-ci.

4/ Deux exemples de prototypes déjà en création pour les centres urbains : ici et

[Image : concept Hiriko]

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