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Les primaires sont-elles un bien pour la démocratie ?

Primaire vs démocratieLes primaires à gauche comme à droite sont globalement bien perçues. Leur taux de participation laisse à penser qu’elles sont plébiscitées par la population, en contraste avec des partis dont les effectifs ne font que décroître. S’agissant d’un vote de la population, elles apparaissent comme un acte de démocratie directe permettant de donner plus la parole à tous les citoyens. Toutes ces considérations peuvent s’entendre, mais n’est-ce pas regarder la primaire par le petit bout de la lorgnette ? Analyse.

Lors des premières primaires de la gauche en 2011, j’avoue avoir été plutôt favorable. Les arguments m’avaient convaincu qu’une plus grande ouverture sur les citoyens permettrait à plus de monde de participer aux choix politiques. Force est de constater que cette réalité est largement contrebalancée par d’autres phénomènes, qui me semblent bien moins probants vis-à-vis de l’idéal démocratique.

Les primaires produisent-elles des dirigeants faibles ?

Le premier point est probablement la question du « produit de sortie » de la primaire. Si on s’arrête au fait que la primaire doit désigner un candidat, alors l’objectif est pleinement atteint. Mais l’élection n’est pas une fin en soi. Elle n’est qu’une étape dans l’exercice du pouvoir et c’est là que le bât blesse.

Suite aux premières primaires citoyennes de 2011, qui ont vu la désignation de François Hollande à plus de 56% des votes, peut-on dire qu’elles aient permis ensuite au candidat de s’imposer et de gouverner comme nous le souhaitions ? Pas vraiment… Au-delà d’une droite sortante qui s’est positionnée dans une accusation d’illégitimité à gouverner du Président élu, il y a aussi eu une très forte opposition à gauche, y compris dans les rangs de ceux ayant participé à la primaire. Ainsi, nous sommes en droit de nous demander si les frondeurs sont le produit des politiques mises en place ou tout simplement l’opposition persistante d’un courant plus à gauche, battu de la primaire en 2011, mais qui prépare le coup d’après. Arnaud Montebourg et quelques autres sont-ils réellement sortis de la logique de la primaire durant ce mandat ? Je n’en suis pas sûr.

C’est la première faiblesse de la primaire que d’allumer un feu dans son propre camp, celui qui sera amené ensuite à diriger, et ne pas être en mesure de l’éteindre rapidement tant la tension est montée haute. Gouverner en démocratie, ne s’arrête pas au seul fait d’être élu, mais à la capacité à animer une majorité autour d’un projet. A elle seule, l’élection divise deux camps entre majorité et opposition, mais si en amont la majorité est fragmentée, gouverner devient alors ensuite beaucoup plus compliqué, voire impossible. Et sans leadership fort issu de l’élection, point d’actions d’envergure et de réformes promises non plus.

Probablement encore plus à gauche qu’à droite où la légitimité du chef est culturellement ancrée (la gauche a plutôt une culture de la défiance vis-à-vis du pouvoir), la primaire sème les graines de la discorde dans son propre camp qui écloront dès l’accès au pouvoir. De ce point de vue, la primaire apparaît clairement comme un élément d’affaiblissement de la capacité à gouverner à terme.

Les primaires désignent-elles les candidats du peuple ou ceux d’une partie fortement mobilisée de l’électorat ?

Les primaires récentes nous offrent aussi un autre retour d’expérience, moins sur le mandat qui en sera issu que sur les candidats finalement désignés par ces compétitions. L’arrivée de Trump au pouvoir et l’émergence d’un François Fillon sont-elles le reflet de ce que sont les droites de ces deux pays ? J’en doute. La « droite réac française » n’est pas la droite majoritaire en France, pas plus que la « droite populiste et grossière » aux Etats Unis. Mais ce sont bien des primaires qui auront contraint le vote final sur ces candidatures bien particulières.

Tant dans les primaires américaines que dans les primaires de la droite française, le poids des réseaux sociaux aura été supérieur à tout ce qui avait été connu jusqu’à présent et pas dans un sens positif. La quantité d’information produite semble malheureusement inversement proportionnelle à sa qualité. Cette information est beaucoup moins tournée vers des programmes politiques ou même la construction d’une pensée politique. Il s’agit plus d’un jeu sur les émotions et les attitudes, baigné dans une nasse d’informations non vérifiées et trop souvent mensongères, dont l’objectif est de cliver et de semer le doute.

Mensonges et calomnies comme moteur pour gagner

Le phénomène grandissant des « fake news » (lire ici et ), qui furent la source dominante d’informations des électeurs aux dernières élections américaines (voir ici) se devra d’être plus contrôlé par les Etats lors des élections démocratiques. Mais elles ne pourront jamais l’être dans des primaires internes auto-organisées.

Le bon fonctionnement du vote démocratique repose d’abord sur un choix éclairé du peuple. Que penser alors de choix qui se baseraient majoritairement sur une vision manipulée de la réalité ? Ils renforceraient ceux qui s’autorisent aux mensonges et à la calomnie. Est-ce ceux-là que le peuple cherche à plébisciter par le vote ? Pas sûr. Les primaires sont en soi un mécanisme de désignation ayant leurs propres règles, mais qui imposent leurs candidats à l’élection démocratique finale.

Enfin, tant que les primaires ne sont pas une obligation collective et contrôlée dans le processus électoral, il y aura ceux qui respecteront les règles collectives et les autres. Cela devient donc un mécanisme à deux vitesses sur lequel il devient possible de spéculer dans sa stratégie de candidature. Est-ce une bonne chose ? Probablement pas non plus.

La primaire est un leurre de notre incapacité trancher qui conduit à des désillusions

Tout cela pose donc la question de l’opportunité des primaires dans le cycle électoral, à quelques niveaux que cela soit. La première primaire de 2011 fut la plus « propres », nous observons aujourd’hui un dérapage qui pourrait se résumer par les mots très dures d’Alain Juppé qualifiant la campagne des primaires de la droite : « dégueulasse » (ici). Souhaitons-nous transformer l’arène politique en espace où tout serait permis, au détriment du fond et de la sincérité ? Les chiffres de vente d’une certaine presse y gagneraient surement, les citoyens et la démocratie c’est moins sûr.

La première primaire citoyenne de 2011 fut une réaction face à la crainte d’un second 21 avril, face à la montée du FN au second tour. Le risque d’éparpillement à droite comme à gauche conduit aujourd’hui au risque de disqualification du second tour face à un parti, le FN, qui ne fera jamais de primaires et qui est d’ailleurs dans sa gouvernance interne ce qui se fait de pire, à mes yeux. En trois mots : la division tue ! Dont acte, mettons réellement cela à profit.

La primaire ne produit qu’un rassemblement artificiel qui éclate une fois au pouvoir. Au lieu de travailler ensemble à un programme commun, les candidats d’un même camp ne font que s’opposer. L’illusion du rassemblement ne tient que le temps de l’élection qui suit la primaire. A l’inverse de la logique des primaires, ne conviendrait-il pas de promouvoir les candidats qui rassemblent et savent travailler en intelligence avec le plus grand nombre, en amont de l’élection ?

Les désignations des candidats doivent rester dans les prérogatives des partis politiques, parce que c’est encore là que se situent les temps de réflexion et de discussion les plus approfondis. Même si la santé des partis n’est pas au mieux, il n’y a pas de fatalité, leurs portes restent ouvertes et les débats en leur sein sont de bien meilleure qualité que ce que l’on trouve sur les réseaux sociaux, tant en termes de qualité de l’information partagée que sur la qualité des échanges et du respect des personnes. La démocratie n’est pas un objet de consommation qui se tranche sans prendre son temps, sans poser et respecter des méthodes et sans peser sa réflexion et ses choix.

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La primaire fut une belle idée et elle partait d’une bonne intention : faire participer le plus de citoyens à la politique et à ses choix, mais nous devons reconnaître qu’elle se heurte à une réalité tout autre. Il est temps de comprendre que nous avons mis la charrue avant les bœufs. Plutôt que d’externaliser les choix de nos candidats, les partis auraient tout à gagner à plus travailler avec les citoyens sur la réflexion, les idées et le fond, sur la construction social et sociétal de la démocratie à laquelle nous aspirons. D’abord cela ferait revenir des citoyens à la politique, ensuite cela permettrait de préparer le changement, enfin cela produirait des choix éclairés. Et c’est bien ce que notre démocratie a le plus besoin dans la période.

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