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Démographie, une brève histoire du temps et des territoires

DemographieLes chiffres du recensement de la population arrivent chaque année entre le sapin de noël et le réveillon du nouvel an. Le traitement qui en est fait se résume souvent à une classification des communes, entre celles qui perdent et celles qui gagnent, sans vraiment chercher à comprendre les mécanismes en jeux et surtout les dynamiques à l’œuvre. C’est dommage, parce que l’analyse de la démographie nous apprend beaucoup sur notre territoire, notre histoire et notre société. Encore faut-il prendre la bonne distance et un peu de temps pour décrypter ces chiffres qui tombent chaque année. Alors, allons-y ! Regardons ensemble ce que nous racontent ces chiffres, à la fois sur notre passé, notre présent et notre avenir.

Pour comprendre, il faut d’abord prendre conscience que les chiffres de la démographie, à Brest comme ailleurs, doivent se lire à l’horizon de deux fractures majeures de notre histoire : la première et la seconde guerre mondiale. Dans notre monde qui avance à toute vitesse, nous oublions souvent que notre société reste encore très fortement impactée par ces deux guerres. L’analyse structurelle de la démographie doit donc encore se lire au travers de l’onde de choc que furent ces deux conflits du XXème siècle.

La seconde guerre mondiale, point de départ d’une transformation en profondeur

Démographie Brest métropole depuis 1790Au niveau démographique, les deux guerres furent évidemment des périodes de baisse de la population. Une petite hausse exista entre les deux guerres, mais rien de majeur (voir graphique démographie consolidée des communes la métropole depuis 1790 ci-contre). La vrai transformation des territoires apparue à la fin de la seconde guerre mondiale et pendant trente ans environ. Ce fut tout à la fois la période de reconstruction, les trente glorieuses et le baby-boom !

Durant cette période de l’après-guerre, notre territoire de vie (le Pays de Brest) se transforma en profondeur.

Entre 1946 et 1975, alors que le territoire français portait une croissance démographique de +31%, la population du Finistère ne crût que de +11%. Pourtant, la population de Brest grimpa de +67% et celle à l’échelle de ce qui allait devenir la Communauté urbaine doubla, avec plus de +107% de croissance ! Pendant cette même période, le territoire autour de Brest fut soit en stabilité démographique (donc en décroissance relative face à la démographie globale), soit en forte décroissance (avec des baisses notoires de certaines communes perdant plus d’un quart de leur population). Seuls les deux polarités de Landerneau et Landivisiau connurent aussi des croissances significatives, respectivement de +32% et +40%.

Si cette période connue une croissance démographique globale toute relative de notre territoire de vie, elle connut surtout un important rééquilibrage des populations. Alors que la guerre avait saigné le pays et détruit les infrastructures, la société s’est prioritairement reconstruite dans les centralités. La ville possède cette qualité d’une grande efficacité en matière de solidarités et aussi en matière de production. La reconstruction s’est donc faite dans ces centralités. C’est là que les habitations en dur remplacèrent les baraques. C’est là que les entreprises prirent leur essors et fournirent un emploi abondant durant cette période de forte croissance.

Du Big Crunch au Big Bang territorial

Evolution population sur Pays de Brest 1945 à 2017Cette période démographique s’apparente à un Big Crunch territorial. Une sorte de compression démographique du territoire sur ses centralités qui permit de répondre aux besoins importants du territoire au sortir de la guerre. A partir de 1975, un autre phénomène va rendre le relais : une sorte de Big Bang territoriale dont nous subissons aujourd’hui encore la fin des effets. Ce double phénomène apparaît très clairement sur le graphique ci-contre qui montre les évolutions de populations sur le Pays de Brest de 1945 à nos jours (Issu du rapport du Cabinet ABC dans le cadre l'étude ANRU de Recouvrance).

A partir des années 70, la génération des babyboomers trouvent du travail, fondent des familles et aspirent à quitter les foyers parentaux. C’est probablement la première grande phase de décohabitation. En quittant les logements de la reconstruction pour fonder leur famille, les babyboomer vont faire baisser le nombre de d’habitants par logement dans le bâti de la reconstruction, notamment dans les centralités qui ont joué le rôle d’accueil de l’après-guerre. Cet habitat majoritairement collectif dans lequel ils ont grandi, ne correspondra pas nécessairement à leur attente. En même temps, les territoires autour de la toute jeune CUB (communauté urbaine de Brest) vont probablement aussi souhaiter profiter de l’énorme croissance vécue par les centralités les décennies précédentes. Enfin, le développement des infrastructures routières va permettre de vivre plus loin, sans vraiment être pénalisé par cette distance supplémentaire. Une large part de la production de logements neufs va donc se faire en périphérie des centralités. Alors que la période précédente avait répondu à la problématique du logement de manière très dense et très efficace, la période suivante sera celle de l’étalement urbain et de la dé-densification des centralités, à Brest comme ailleurs.

Cette nouvelle réalité a probablement pris de cours les responsables politiques de l’époque, en forte rupture par rapport à la période précédente. Ainsi, fort de l’expansion rapide vécue par Brest et sa jeune Communauté Urbaine, ces responsables vont croire que ce phénomène va durer. La CUB à 200 000 habitants va donc se penser et se construire pour accueillir 500 000 habitants ! Probablement par manque de données sur la réalité démographique, ces responsables croient en une croissance exogène du territoire qui va se poursuivre, alors qu’il s’agit avant tout d’une restructuration du territoire au sortir de la guerre et d’une croissance avant tout endogène des centralités qu’aura vécu le territoire.

Démographie Brest métropole depuis 1945

A partir de 1975, la CUB va se stabiliser à un peu plus de 205 000 habitants pour atteindre un pic 25 an plus tard à 213 000 habitants, avant de redescendre tout doucement aussi à sa cote actuelle à 208 000 habitants. Alors qu’elle avait bondi dans les trente années de l’après-guerre en doublant sa population, la Communauté urbaine / Métropole est quasiment stable depuis 40 ans. Cette stabilité masque un rééquilibrage entre la ville centre et les autres communes qui poursuivront leur croissance après 1975. La ville de Brest perdra d’abord fortement des habitants (-20 000) dans la période 1975-2000, se stabilisera pour dix ans avant de repartir sur une baisse plus légère entre 2000 et 2010. Elle s’est aujourd’hui stabilisée à un peu plus de 140 000 habitants.

Quelle réalité derrière ces mouvements de populations ?

Adeupa _ Evolution taille ménagePour comprendre les mécanismes derrière ces évolutions, il faut regarder la structure quantitative des ménages, c’est-à-dire le nombre de personnes vivant par logement en fonction des territoires. Le dernier recensement pose que la ville de Brest à 1,81 habitants par logements quand les autres communes de la métropole et probablement du pays de Brest oscillent autour de 2,4 habitants par logements, soit 30% en plus. Cet indicateur donne la réalité de ce qui s’est passé sur le pays de Brest, mais aussi de façon plus accentuée sur la ville de Brest depuis 40 ans. Ainsi sur le Pays de Brest, dans les années 70, le nombre d’habitants était de 3.3 par logement et il fallait 3 logements en moyenne pour loger 10 habitants, quand en 2010 ils n’étaient plus que 2.2 habitants par logement et il fallait alors 5 maisons pour loger 10 habitants (voir ci-contre).

Croissance population Pays de Brest 1970 à 2010Sur 40 ans, il s’est créé 83 000 logements supplémentaires sur l’ensemble du Pays de Brest, là où la ville de Brest n’en possède que 82 000 en 2017. Une seconde ville de Brest est née ! (voir ci-contre) Une part de ces logements s’est créée sur la métropole, ce qui a permis de stabiliser la population pour compenser le desserrement des ménages, mais une large part s’est aussi produite en périurbanisation. Déjà très urbanisée sur son périmètre communal, la ville de Brest n’a pas réussi à produire suffisamment de logements sur cette période pour compenser le desserrement de ses ménages. Toutefois, et on le voit mieux sur le graphique ci-dessus, les baisses toutes relatives de ces dernières années laisse entrevoir une stabilisation à venir.

Evolution du taux de logements vacants dans Brest métropoleLa ville de Brest ne subit plus aujourd’hui de chute significative au regard de l’histoire qui fut la sienne et de l’accueil dont elle fit bénéficier l’ensemble du pays de Brest durant la reconstruction. Elle n’en demeure pas moins plus fragile que le reste du territoire par un patrimoine plus ancien, qu’il s’agit de tenir au niveau des attentes des habitants. Idem sur les critiques stériles faites par l’opposition brestoise, ou même récemment par le député de Brest centre, les politiques actuelles ont peu d’influence sur ces grands mouvements structurels. Faire croire que la fiscalité, le stationnement ou la sécurité sont des facteurs explicatifs de la démographie à Brest est la preuve d’une méconnaissance profonde des mécanismes en jeu ! Idem concernant la croyance sur le rôle joué par la vacance actuelle des logements qui est stable depuis 40 ans, comme le montre l'étude faite en 2016 (ici et voir graphique ci-contre). Loin d’en faire des sujets de second ordre pour notre cité, ce ne sont simplement pas des clés de lecture pertinentes pour ce qui concerne les enjeux démographiques.

Et l’avenir alors …

Sur le court-moyen terme, il est important de maintenir une production de logements suffisante sur Brest pour à minima compenser le desserrement de ménages et stabiliser la population à Brest. Qu’on le veuille ou non, Brest et la métropole supportent les efforts de centralité : université, CHRU, grands équipements sportifs, culturels et touristiques, solidarité (une très large part des ménages à très bas revenus du Pays de Brest habitent la ville de Brest), la dynamique économique et l’attractivité. Croire que l’on peut continuer à voir baisser la population du territoire au centre du Pays de Brest, dans une période où de nombreuses communes se consolident et fusionnent serait un pari bien risqué.

Il est aussi important que nous arrivions a maintenir notre capacité à construire. Ainsi, le risque de disparition du PINEL sur notre territoire et la fragilisation des offices qui produisent le parc HLM seraient de vrais coup durs pour le territoire dans son entier. Il est à craindre une crise immobilière locale, si ces deux décisions venaient à s’additionner. Une extrême vigilance sur le court terme est à avoir et c’est plus là-dessus que nos représentants locaux au parlement sont attendus.

Mais sur le long terme, le récit reste encore à écrire …

Dans les décennies qui viennent, au moins cinq enjeux vont se télescoper et potentiellement jouer fortement sur les dynamiques et les équilibres démographiques sur notre territoire de vie.

Le premier enjeu est l’influence du risque climatique et des contraintes qui vont émerger avec, soit en matière de règlementation (bâtis, déplacements, services, niveau de vie, etc …), soit en matière d’enchérissement des coups de l’énergie et donc des capacités à vivre éparpillé.

Le second enjeu est la révolution numérique qui devrait toucher fortement les déplacements d’ici à 20 ans. L’arrivée des voitures autonomes va complètement bouleverser les façons de vivre sur les territoires. A toutes les époques, les façons de se déplacer (les flux) ont structuré, dans un sens comme dans l’autre, les façons d’habiter. Il faut s’attendre à un changement fort en lien avec l’émergence de nouvelles façons de se déplacer ou d’apporter des services.

Evolution de la structure des ménages sur le Pays de BrestLe troisième enjeu est le vieillissement de la population et des besoins attendus. Les statistiques disent que d’ici à 20 ans, près de la moitié des habitants du Pays de Brest vivront seuls dans leur logement. On ne se rend pas encore compte, mais c’est un changement structurant sur l’offre et la demande en matière de logements et de services associés.

Le quatrième enjeu est le vieillissement du parc de la période de périurbanisation. Tout comme le parc brestois d’après-guerre (qui aura accueilli les familles avant 1975) perd de son attractivité aujourd’hui (après 50 ans), le parc construit depuis 1975 risque de subir le même phénomène, s’il est vécu comme moins adapté aux attentes en matière de localisations et de normes attendues. Ce qui se passe aujourd’hui dans certains quartiers Brestois et demande des politiques assez lourdes de rénovation arrivera aussi ailleurs, à partir du moment où l’attractivité n’est plus au rendez-vous.

Enfin, le dernier enjeu risque d’être aussi, d’ici à 20 ans, la fin du phénomène de desserrement des ménage et une forme de stabilisation dans les perturbations démographiques engendrées par les deux guerres et l’après-guerre. Contrairement à aujourd’hui, la fin du desserrement des ménages signifiera que le nombre de logements sur le territoire est suffisant et que les nouveaux logements viendront en compétition avec ceux déjà existants, risquant de vrais problèmes de vacances en fonction des choix faits par les habitants au regard des quatre premiers enjeux ci-dessus. Un excès d’offre conduirait probablement à une chute des prix ou des loyers, avec des gagnants et des perdants. Cela induirait aussi un risque de baisse de l’investissement sur le parc existant, pouvant conduire à une baisse de son attractivité.

Il y a donc bien un vrai enjeu à maitriser collectivement cet aspect. En période de croissance de la demande, les mécanismes se régulent pour partie tout seuls, ce n’est plus forcément le cas lors d’une stabilisation du niveau de la demande.

L’histoire ne s’écrit jamais d’avance et la démographie est tellement multifactorielle qu’il n’est pas sérieux de prétendre pouvoir prédire ce qui sera. Mais comme on le voit, de grands enjeux nous font face. Nous devons garder toute la vigilance nécessaire à ces phénomènes lents, mais de fond, pour nous préparer et anticiper les stratégies qui défendront au mieux les atouts de notre territoire de vie et de cœur !

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