Contractualisation financière : un discours en trompe l’œil
dimanche 08 avril 2018
Jeudi 5 avril dernier avaient lieu à Dijon les journées de France Urbaine. Un grand nombre de collectivités étaient présentes pour échanger sur les enjeux qui se posent à elles.
Lors de la plénière d’ouverture, le Premier Ministre est intervenu pour parler d’un sujet qui lui tient à cœur : la contractualisation financière des collectivités. Il est intéressant de décrypter ce qui a été dit et de constater comment le discours tenu est totalement en trompe-l’œil, par rapport à la réalité des faits.
Ce que le premier Ministre Edouard Philippe a dit lors de ces rencontres s’est articulé autour de trois points :
- Les gouvernements Sarkozy et Hollande ont réduit les déficits publics en ponctionnant autoritairement les dotations aux collectivités.
- Le nouveau gouvernement maintiendra les dotations des collectivités.
- Une contractualisation sera négociée entre l’Etat (au travers des Préfets) et les collectivités, pour maintenir une hausse des budgets de fonctionnement en dessous de +1,2 %, sous peine de sanctions sur leurs dotations.
Conclusion à comprendre : le gouvernement n’impose rien, il maintient les moyens des collectivités et négocie avec elles.
Pourquoi est-ce un beau tour de passe-passe ?
1 - Un effort demandé plus important en volume et sur moins de collectivités
Durant le mandat de François Hollande, l’ensemble des plus de près de 36 000 collectivités territoriales auront participé à hauteur de 11,5 Milliards d’euros à la réduction des déficits publics. La loi de finances du gouvernement Macron ambitionne de faire participer les collectivités à un effort de 13 Milliards d’euros (13% de plus), mais en faisant reposer l’effort sur les 340 plus grosses collectivités (et non plus l’ensemble).
Si l’on enlève les 18 régions et les 101 départements qui seront traités à égalité, cela signifie que le reste de l’effort ne reposera que sur 201 grandes villes ou EPCI (interco), avec des cas de double peine comme la ville et la métropole de Brest. Il s’agit bien là d’une iniquité territoriale, au détriment des centralités.
2 - Une méthode et des éléments de langage différents qui masquent une réalité plus dure
La méthode employée par le gouvernement Hollande pour contrôler le déficit fut de jouer sur une recette des collectivités : la DGF. Ils la firent baisser sur 4 ans. Mais la DGF n’est pas la seule ressource des collectivités. Ainsi par exemple sur la métropole, les recettes progressèrent globalement plus lentement du fait de la baisse de la DGF, mais restèrent positives à +0,56% de moyenne de 2013 à 2017 (+0,6% sur la ville de Brest). Même corrigée de l’inflation moyenne à +0,52% sur la période, l’évolution des recettes resta légèrement positive sur cette période où l’effort fut demandé à nos collectivités.
La méthode du gouvernement Macron est d’imposer une limitation de l’augmentation des dépenses de fonctionnement à +1,2% en moyenne sur 5 ans, mais avec un retour de l’inflation estimé par la même loi de finances à +1,4% sur la période. Corrigée de l’inflation, cela signifie donc une baisse de -0,2% en moyenne par an sur les cinq prochaines années des budgets de fonctionnement des collectivités contraintes.
On notera par ailleurs la mauvaise foi du discours, car sur un budget voté obligatoirement à l’équilibre, jouer sur les recettes ou sur les dépenses revient exactement au même puisque les deux seront au final à l’équilibre. C’est comme enlever un poids d’un plateau d’une bonne vieille balance Roberval. Cela impose à celui qui a le rôle de maintenir l'équilibre de retirer la même masse dans le plateau opposé.
Ce que l’on constate sur la méthode, c’est que le Gouvernement Hollande aura choisi de stabiliser les recettes des collectivités, tout en leur conservant la responsabilité d’arbitrer dans l’ensemble des postes de dépenses ce qu’ils souhaitaient changer pour atteindre l’objectif. Le gouvernement Macron agit de façon beaucoup plus directive, en s’attaquant uniquement aux dépenses de fonctionnement des grosses collectivités, en imposant aussi une baisse, une fois corrigé de l’inflation.
3 - Autoritarisme versus négociation et contractualisation
On l’a vu, en baissant les recettes des collectivités pour atteindre des objectifs de réduction des déficits publics, le gouvernement Hollande aura assumé une communication difficile (à la baisse) mais qui était le reflet de la réalité. Ce faisant, il aura laissé aux élus des collectivités leur autonomie d’arbitrage en matière de gestion de leur budget.
La contractualisation que promet le gouvernement Macron n’est pas réellement une négociation puisqu’elle se fera la baïonnette dans le dos, sous la pression d’une possible sanction supplémentaire sur la DGF. Il s’agit plus d’un état des lieux contradictoire, sur ce qui sera ou non dans la copie de l’évaluation de l’Etat en année N+1. Nous sommes très loin d’une réelle négociation sur le fond.
Cela me fait d’ailleurs grandement penser aux modèles d’évaluations des salariés dans les entreprises. Quand après des NAO (ces Négociations Annuelles Obligatoires qui sont tout sauf des négociations), les salariés subordonnés à leur employeur passent des entretiens avec leur supérieur hiérarchique pour fixer les objectifs de l’année !
Loin d’être dans la bienveillance affichée d’une soi-disant négociation, Macron impose gentiment une logique de subordination des collectivités à l’Etat.
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Au bilan de ces trois points
En conclusion, contrairement au discours du Premier ministre, l’action de ce gouvernement est non seulement plus brutale pour les 340 plus grosses collectivités qui seront touchées par cet effort de réduction des déficits publics, mais ils imposent sans débat que tout l’effort porte sur le budget de fonctionnement, c’est-à-dire la partie du service public rendu par les collectivité. Par ailleurs et ce serait trop long à développer dans cette même note, cette façon dirigiste de procéder pose plein de problèmes puisqu’elle ne prend pas du tout en considération des situations très diverses.
Derrière la méthode et le marketing, une idéologie bien à droite
Il y a derrière un aspect très idéologique qu’il faut dénoncer. En effet, la lecture de la droite des budgets publics est que toutes dépenses allant vers des postes de fonctionnaires ou des subventions à des associations sont une charge financière, au mauvais sens du terme. C’est globalement le budget de fonctionnement qui est visé. Il faut le dégraisser en le contraignant. De l’autre coté du budget des collectivités, il y a le budget d’investissement qui est par nature peu réalisé en régie. C’est donc une part de financement plus noble d’après eux, puisqu’il contribue à ce qu’ils pensent être la vraie économie : les entreprises privées.
De ce point de vue, la réforme de la loi Macron, portée par le Premier Ministre Edouard Philippe, est clairement une vision de droite de la dépense publique. Bien que s’étant eux-mêmes posés des objectifs de réduction des déficits, les précédents gouvernements avaient fait d’autres choix, sans avoir besoin de les masquer derrière des discours trompeurs d’ailleurs.