Et si on autorisait des espaces d'expérimentations sur Brest ?
Et si on créait une « Réserve citoyenne » à Brest ?

Et si on laissait choisir les brestois de la sécurité qu’ils souhaitent ?

PRIORITE-SECURITE-550Le thème de la sécurité s’est déjà invité dans la campagne des municipales de 2014, il sera très présent dans celle de 2020. La sécurité est un besoin fondamental qui concerne tout un chacun, ainsi que nos proches. Les événements qui ont marqué Brest, tout comme d’autres grandes villes ces dernières années questionnent légitimement les citoyens.

La monté de la délinquance et des trafics n’est pas un fait particulièrement brestois et il est faux de dire que la ville (ou le Maire) ne fait rien et se désintéresse du sujet. La délinquance et la violence liée au trafic de drogue, mais aussi à la présence de plus en plus importante d’armes à feu sont des phénomènes nationaux auxquelles Brest n’échappe pas. La délinquance et la criminalité sont aujourd’hui très mobiles et mondialisées.

Face à cela, la demande de sécurité de la population est légitime, mais elle est trop souvent portée par l’émotion et la demande parfois irrationnelle d’une réponse politique immédiate. Certains positionnements partisans instrumentalisent les peurs et poussent à y répondre par du « toujours plus », sans se poser la question de l’efficacité de la réponse sur la demande réelle.

Sur cette question bien particulière, il convient de poser les enjeux et de réfléchir ensemble à ce que nous voulons car si nous sommes tous en attente de moins d’insécurité, sommes-nous tous en attente de toujours plus de sécurité : quelles limites en termes d’action ? Quelles limites sur nos libertés individuelles ? Quelles limites budgétaires (au détriment de quelles autres politiques) ?

Je pense que les questions de sécurité ne peuvent pas juste être des postures de campagne (mêlées à tout le reste) ou chaque candidat y va de son package clé en main. Ces questions doivent faire l’objet d’une compréhension collective puis d’un choix collectif. Quelle sécurité voulons-nous et à quels sacrifices consentons-nous en regard ? Tels sont les deux questions auxquelles il nous faut répondre pour trouver ensemble un point d’équilibre , avec peut-être des différences d’appréciations en fonction des lieux d’ailleurs.

Une approche pourrait-être de faire travailler un groupe de citoyens représentatif et volontaires sur le sujet et de leur demander de produire 3 à 4 scénarios possibles, dans un cadre fixé au départ par les élus. Ils pourraient faire des auditions d’experts ou aller voir dans d’autres villes ce qu’il en est et pour quels résultats. Sur la base des scénarios proposés, des débats publics pourraient avoir lieu avant de trancher par une consultation (je pense que nous pourrions être surpris par le résultat). Il s’agirait ensuite de déployer le modèle choisi pour la durée du mandat.

La sécurité ne devrait pas être un thème de politique politicienne car cela favorise les manipulations par la peur. Nous devons reprendre ce sujet de façon raisonnée et partagée, en mesurant ensemble les besoins réels, les limites et les enjeux.

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J’ai exposé ci-dessus la manière dont cette question politique sensible me semblerait pouvoir être abordée sur Brest, mais je ne voudrais pas que cette réponse paraisse comme une façon de ne pas exprimer ce que j’en pense personnellement sur ce sujet, au regard de ce que j'en connais en tant qu'élu. Cette seconde partie de la note s’attache donc à traduire l’opinion qui est la mienne aujourd’hui.

Je crois qu’il faut le dire en préalable, le sujet de la sécurité publique est rendu difficile d’abord pour des questions budgétaires au niveau national. Alors que la criminalité n’a cessé de se mondialiser dans ses réseaux et la violence se développer, un courant de pensée voudrait nous faire croire qu’il faut renforcer le niveau local par le développement de polices municipales. Une large part des politiques publiques tendent à s’affranchir des frontières administratives locales, à s’étendre aux niveaux des intercommunalités ou des régions, la sécurité serait la seule politique qu’il faudrait ramener dans les limites communales alors que la délinquance ne connait plus de frontière. C’est un non sens, poussée par des restrictions budgétaires au niveau national.

Le rapport parlementaire « d’un continuum de sécurité vers un sécurité globale » de 2018 est éclairant tant sur le bilan qu’il pose de l’existant que sur les propositions qu’il affiche sur ce qu’il conviendrait de faire pour ses auteurs. Il témoigne de la philosophie qui prévaux à l’échelle de notre représentation nationale afin de ne surtout plus augmenter les effectifs de sécurité de l’Etat dans la police ou la gendarmerie. Stratification des compétences et chaîne de sous-traitance de la sécurité national sont au cœur de cette pensée guidée principalement par une rationalisation du budget de l’Etat et fait peu de cas du rapport coût/efficacité globale.

Ainsi, on peut se demander la pertinence d’un modèle éclaté et fragmenté par la sous-traitance d’une partie de la chaîne de sécurité à des polices municipales, ayant des compétences très en-deçà de la police nationale et souvent hors du champ de la criminalité. Idem sur la sous-traitance à des sociétés privées peu qualifiées, souvent rémunérant mal des employés par ailleurs mal formés. Est-ce que cette orientation politique nationale répond aux enjeux d’une délinquance et d’une criminalité qui se développe ? Certes, la police nationale doit aussi se concentrer sur les questions de terrorisme, mais ne vaudrait-il pas mieux la renforcer dans ses effectifs plutôt que d’en pousser une seconde moins qualifiée à l’échelon local qu’il s’agira ensuite de contrôler et de piloter ? Ce n’est pas parce que les effectifs des polices municipales ne sont plus dans les comptes de l’Etat que ce n’est pas le contribuable qui paye à la fin !

Nous vivons donc dans le paradoxe d’un Etat qui lâche du terrain sur une fonction typiquement régalienne afin de maintenir une enveloppe budgétaire constante et qui demande aux collectivités locales de se substituer, sans pour autant en donner les moyens (moyens d’actions via les compétences, tout comme moyens financiers). Il y a une forme de déni de l’Etat central sur ce sujet qui s’accompagne d’ailleurs par une faiblesse du traitement judiciaire après (toujours en lien avec les moyens financiers de l’Etat).

Mais poser une critique de ce qui se passe au niveau national ne répond pas à l’attente des habitants en termes de sécurité. Par ailleurs, la politique nationale ne se modifiera pas depuis Brest. Il faut donc partir de ce qui est (voire de ce qui sera) et non de ce que l’on voudrait qu’il soit.

L’objet de cette note n’est certainement pas de faire le tour de la question, mais rapidement on peut poser quelques questionnements autour des deux thèmes favoris du moment : la police municipale et les caméras.

Sur la question de la police municipale, il faut comprendre que les compétences qui lui sont autorisées aujourd’hui par la loi ne lui permettent pas de répondre aux questions de délinquance et de criminalité qui sont pourtant les éléments déclencheurs de la demande des habitants. Une police municipale (armée ou non) n’enquête pas et ne fait pas d’arrestation. Elle n’est même pas autorisée à faire des contrôles d’identité sans avoir recourt à un policier national.

Cela étant, elle peut remplir des fonctions de terrain et de contact avec les habitants, et traiter les questions de tranquillité urbaine. Elle peut avoir un rôle de compréhension des quartiers, mais il ne faut pas attendre d’elle qu’elle intervienne là où la police nationale a déjà du mal à le faire. Il s’agira donc plutôt d’une police d’ilotage, au service d’une logique de proximité et de tranquillité.

La police municipale intervient sur les infractions du quotidien, celle de monsieur et madame tout le monde. Est-ce là le but attendu des habitants ? Quand on observe les débats sur la voiture qui relèvent les infractions aux stationnements (alors que ce sont bien des infractions au sens du code), on peut se demander quelle est l’attente réelle des habitants.

Enfin, une police municipale à un prix de l’ordre de 50 000 € de frais de personnel et 15 000 € d’équipement par policier municipal. Pour une équipe de 20 policiers municipaux à des horaires de bureau, on est déjà au-dessus du million d’euro par an. Pour un seul policier 24h/24h et 7 jours sur 7 (choix de la liste LREM mais qui n’est pas le choix majoritaire pour les polices municipales), il faut compter 7 personnes qui se relaient, soit près de 450 000 €/an par policier sur le terrain 24/24 et 7/7.

La question n’est donc pas d’être pour ou contre la police municipale, mais il ne faut pas lui donner les pouvoirs qu’elle n’a pas sous le prétexte qu’elle se nomme « police » et s'habille avec le même costume que les policiers nationaux. Il nous faut définir ce que nous attendrons d’elle et si, dans ce cadre, elle est la mieux adaptée pour rendre ce service. Ce n'est clairement pas une certitude.

Sur les caméras, qui existent déjà à Brest quoi que l’on en dise, elles posent la question de la société que nous voulons pour demain. Souhaitons-nous que l’espace public soit couvert de caméras ? Avec l’émergence de l’intelligence artificielle (et comme cela existe déjà dans certaines villes françaises) souhaitons nous que chacun de nos déplacements, mouvements, rencontres soient observables et identifiables. Quelle société dessinons-nous ? Quelles limites posons-nous pour nos libertés individuelles ? Il faut acter qu’avec les technologies nouvelles, Big Brother n’est plus très loin …

Une caméra peut être utile pour protéger un lieu qui représente un enjeu particulier (du distributeur de billets jusqu’à la benne de déchetterie), mais tout l’espace public doit-il devenir un enjeu ? Nous n’arriverons pas à tenir un large territoire sans en passer par des algorithmes de détection automatique et des centres de supervision. A qui donnons-nous le pouvoir ? Et si tous les territoires ne sont pas couverts, vers où et vers qui rejetons-nous les zones de non-droit ?

Ces questions-là, il faut nous les poser pour décider de ce que nous voulons. Agir sous la pression de l’émotion ou de la peur n’est pas une façon d’écrire un monde meilleur. Pour autant, il nous faut prendre en compte l’attente et le besoin de sécurité que nous ressentons tous et qui parfois, il ne faut pas le nier, fait face à une réalité de la violence dans certains quartiers ou certains lieux. Il nous faut aussi savoir tenir compte des vécus différents entre habitants, en fonction de leur réalité du quotidien. C’est de cela qu’il nous faut parler pour décider ensemble de ce que nous voulons.

Dernier point de réflexion sur cette question. Nous n’éradiquerons pas la délinquance et la criminalité par le contrôle et la répression. Elles sont des maux qui prennent appui et se nourrissent de l’individualisme, des inégalités et du mal-être de nos sociétés. Il nous faut d’abord penser à y apporter des réponses humaines et sociales car si la répression est une réponse ponctuelle parfois nécessaire, elle ne fait qu’empirer les problèmes quand elle cherche à masquer des vrais problèmes que l'on cherche à éluder. La répression est d’abord l’expression d’un échec. On le voit d'ailleurs avec les manifestations, plus la répression est forte et plus la violence déclenchée en face grandie.

La hauteur d’une muraille n’a jamais arrêté la violence qu’elle cherchait à contenir. Elle la retarde, mais augmente aussi le niveau de cette violence quand elle s’exprime. A nous de bien réfléchir à ce que nous voulons pour demain.

[Image Le Monde Plantu]

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