Une expropriation de principe très choquante
lundi 18 janvier 2021
Le Télégramme de vendredi (ici et là) fait écho au rebondissement d’un dossier que j’avais suivi en son temps : l’expropriation d’une habitante et de sa famille sur la zone d’activité de l’Hermitage. J’avais alors milité pour qu’une solution humaine et apaisée soit trouvée et le dossier avait été temporisé. À la suite du décès de sa mère en décembre dernier, l’habitante actuelle se voit mise en demeure de quitter la maison familiale de son enfance, dans les 6 mois. Une exigence devenue absurde avec le temps, poussée par la seule raison « politique » de tenir l’engagement et de « ne pas faire un cas particulier ».
Il est navrant de voir l’état de la réflexion politique sur ces sujets : « ne pas faire de cas particulier ». Expulser de sa maison une habitante, après la mort de son parent est l’acte le plus violent que puisse faire une collectivité. Lorsqu’on le fait, il faut de solides raisons. Le faire juste pour l’exemple, pour qu’il n’y ait pas de cas particulier, pas de « jurisprudence locale », est juste l’argument le plus dénué de sens politique.
En plus de la faiblesse du discours, c’est un propos trompeur qui masque la réalité de bien d’autres usages. Les élus n’ont-ils pas fait de cas sur le projet place Guérin ? Les élus n’ont-ils pas fait de cas pour le projet avorté de déplacement de la Sill à Guipavas ? Les élus n’ont-ils pas fait de cas pour la Ferme de Traon Bihan ? Les élus n’ont-ils pas fait de cas pour le projet de la Cantine sur le Relecq-Kerhuon ? Et j’en passe bien d’autres …
Quand on connait le dessous de tous ces dossiers, on sait que les cas particuliers savent être traités. Ce qui caractérisent ces cas-là qui ont eu gain de cause, parfois à la limite du droit et de l’éthique d’ailleurs, c’est qu’ils étaient le fait de personnes de pouvoirs ou de groupes établissant un contre-pouvoir face à la collectivité, face aux élus. Les élus ont cédé par connivence ou parce que leurs arguments étaient faibles.
Le cas de l’Hermitage n’est pas un cas particulier comme tente de nous le faire croire le discours des élus en place. Des « cas particuliers », des dérogations, il y en a eu et il y en aura encore. L’Hermitage ne se différentie des autres cas que parce qu’il ne s’agit que d’une simple citoyenne, face à des institutions surpuissantes, sous le contrôle d’élus en manque de légitimité, d’humanité et de discernement.
Le cas de l’Hermitage trahit une relation au pouvoir. Le pouvoir sur les autres, dès que le rapport de force est à la faveur des élus. Ceux-là même qui font preuves de grandes faiblesses face à plus puissant qu’eux. Point de réflexion politique (encore moins de gauche !) Point de discernement sur un cas bien particulier. Point d’empathie pour une personne qui a fait de la préservation de son patrimoine familiale son combat. Drapé derrière le discours pour l’emploi comme valeur supérieure pour tout se permettre, ils abusent d’une situation qui ne relèvent plus depuis longtemps de ces enjeux-là.
Je ne vois pas en quoi cette maison, dont le terrain a été mainte fois rogné, gène aujourd'hui le projet d’aménagement économique de la zone d’activité de l’Hermitage. Il est juste un point singulier qui ne remet aucunement en cause l’équilibre économique de la zone, ni même son fonctionnement. En revanche, je vois parfaitement en quoi l’inflexibilité affichée face à cette habitante isolée donne l’occasion à certains responsables politiques de rappeler qui décide et qui a le pouvoir. Un discours creux et sans véritable raison étayée, brandissant une défense de l’intérêt général. Une illusion trop souvent entachée sur d’autres sujets.
L’autorité politique de nos édiles est-elle devenue à ce point faible pour qu’il faille faire des démonstrations de force sur des habitantes isolées ? Sommes-nous encore au temps où l’autorité se reconnaissait à celui qui autorisait les sacrifices ?
On aimerait d’ailleurs entendre les différentes composantes de la majorité de Brest sur ce sujet. Des élus qui s’étaient à l’époque largement élevés contre le « bétonnage » et les situations individuelles difficiles que cela générait. Le combat d’une ferme bio (pour laquelle il n’a jamais été question d’expropriation) vaut-il plus que le combat d’une habitante contre la réelle expropriation de sa maison familiale ? L’intérêt à défendre est-il seulement lié à des relations particulières, à des intérêts croisés ? Je ne l’espère pas et j’attends que cette majorité ne reste pas muselée derrière le discours dominant d'un autre temps.
Du point de vue du simple citoyen que je suis redevenu, l’intérêt général serait mieux défendu par une vraie réflexion politique sur le rapport de nos institutions aux citoyens, en faisant œuvre d’intelligence, de bienveillance et de discernement. La puissance publique ne doit plus être la loi du plus fort, contre des citoyens isolés qu’elle est sensée servir. Elle doit permettre la compréhension des enjeux et une action adaptée, au cas par cas.
Thierry Fayret
Ancien vice-président à l’urbanisme de la métropole de Brest et ancien président de Brest métropole aménagement (2014 - 2017)
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[Photo © Jean-Yves Guillaume]