Droit de réponse à Ouest-France
jeudi 23 février 2023
Il y a presque un mois maintenant, le 28 janvier, le journal Ouest-France publiait un article « Affaire Vivre à Brest - Que contient vraiment le dossier ? ». Le quotidien régional ne lésinait pas sur les moyens pour augmenter la visibilité de son article puisque le titre apparaissait sur les trottoirs Brestois, comme la promesse de sulfureuses révélations sur « l'affaire du jour ».
Je n'ai évidemment pas manqué de m'intéresser à l’article en question, trop heureux que la PQR se saisisse (enfin) du dossier et s'y intéresse « vraiment ».
Si toute une partie repend le contexte de l’ordonnance de renvoi en correctionnel de François Cuillandre par la juge d’instruction, à la suite du même avis du procureur presque un an avant, trois éléments me choquèrent profondément à la lecture de l’article.
En premier lieu, l’article picore dans l’ordonnance des morceaux choisis qui confortent « la thèse du bouc émissaire ». Pour tous ceux qui ont lu mon livre (ici), vous savez que cette thèse ne tient pas l’épreuve les faits mais en plus, il y a une autre thèse beaucoup plus crédible qui peut être reconstituée sur la base des éléments de l’enquête. Par ailleurs, l’ordonnance de renvoi en correctionnel est beaucoup plus nuancée que l’article. Elle pose des faits et en aucun cas, une forme de jugement à charge contre une personne en particulier.
Le second propos choquant est que Ouest-France reprenne comme un fait, un argument contestable de la défense de François Cuillandre : l’argent qu’il a emprunté à l’association, en oubliant de le rembourser, aurait été pour les besoins d’installation de son fils. Une thèse fort sympathique, qui m’attendrira moi aussi lorsqu’il me la conta. Toutefois, la juge évoque clairement dans son ordonnance que c’est un argumentaire construit par François Cuillandre, aidé d'autres élus, pour se justifier, mais que cette affirmation est en contradiction avec les constatations faites par la police judiciaire, lors de l’enquête. Il est étonnant de voir la presse relayer, comme des vérités, des éléments réputés faux de la défense d’une des parties.
Enfin, le dernier point me concernait directement. Dans un article censé traiter « vraiment » de l’affaire, difficile de passer complètement sous silence un livre de 140 pages, sorti deux mois plus tôt qui traite « vraiment » en profondeur cette enquête. J’ai eu donc droit à une petite citation du titre de mon livre ! Mais au lieu de me présenter comme l’ancien premier adjoint du maire, ayant fait trois mandats, par ailleurs responsable du Parti socialiste brestois pendant 7 années, l’article me résume au « candidat malheureux à l’investiture socialiste pour les municipales de 2020 », préférant mettre en avant l’hypothèse d’un biais cognitif en lien avec cet évènement, plutôt que mon travail et ma très bonne connaissance du dossier.
Chacun de ces points aurait pu paraitre anecdotique. Mais l’assemblage des trois, dans un même article, ressemble un peu trop au propre discours du maire. Même thèse du bouc émissaire qui renvoie toute la faute sur Alain Masson et Jean-Luc Polard, en laissant à penser qu’il fut extérieur à toute l’affaire. Même histoire d’un emprunt oublié pour venir en aide à son fils. Même contre-argumentation sur les émotions à mon égard, pour disqualifier toute analyse que je pourrais porter depuis la désignation qui nous opposa.
Vu avec la connaissance qui est la mienne du dossier (et de l'histoire de cette période vécue de l'intérieur), cet article ne reflétait pas son titre et donnait une vision orientée à ses lecteurs. J’ai donc décidé de faire une réponse à l’article. Ouest-France a eu l’amabilité de la publier dans ses colonnes et sur son site internet le 15 février dernier, non sans quelques échanges de courriers et de mails.
Je vous partage juste après le texte qui fut publié à ma demande.
-\/-
Le droit de réponse de Thierry Fayret
Après notre article intitulé : « Affaire Vivre à Brest : que contient vraiment le dossier », paru le 31 janvier, Thierry Fayret nous a adressé un droit de réponse. Il est partie civile dans ce dossier.
« J’ai été un candidat heureux d’avoir porté l’ambition d’un renouvellement attendu par les brestois, même si le résultat de cette investiture n’a pas été régulièrement actée par les responsables du Parti socialiste. Depuis, je l’ai contesté devant les tribunaux civils. En effet, monsieur Cuillandre avait un impayé exorbitant de cotisations (plus de 50 000 €). Statutairement, il ne pouvait donc pas se porter candidat à cette désignation et la dimension éthique d’un tel « oubli » aurait dû être questionnée aussi.
Cette réalité me fut cachée, comme à tous les militants devant se prononcer lors de ce vote. Laissons la justice trancher, mais les évènements de ces dernières semaines au Parti socialiste témoignent que je suis bien loin d’être le seul à questionner la régularité et la sincérité des désignations dans ce parti. (NDLR, Ouest-France avait publié un article sur ce sujet le 3 juin 2022, donnant la parole aux différents protagonistes.)
En second lieu, il n’y a pas « quatre élus » qui se sont portés partie-civile, mais deux élus, ainsi que trois personnes morales : l’association Vivre à Brest, la Fédération Finistérienne du Parti socialiste et en effet, l’association Anticor qui lutte contre la corruption et milite pour plus d’éthique. Vous laissez entendre que cette démarche se ferait pour « demander des indemnités en cas de condamnation » (NDLR, Ouest-France a simplement écrit qu’il s’agissait d’une possibilité, pas que monsieur Fayret se portait partie civile avec cette intention).
Pour ma part, je n’en demanderai pas. Je suis partie-civile pour comprendre et faire que la vérité soit dite dans une affaire où, en dépit de toute présomption d’innocence, il fut publiquement fait un procès à charge contre deux élus, malheureusement décédés deux et quatre ans plus tard, sans même avoir pu exposer leur vérité dans un procès digne de ce nom.
De plus, je suis très étonné que l’article se cantonne à des bribes de propos issus de la courte ordonnance de renvoi en correctionnel de la juge d’instruction.
Je rappelle que la justice a effectué un travail d’instruction très conséquent et qu’un livre a été publié par mes soins, pour rendre compréhensible une affaire publique aux citoyens intéressés. Cette analyse approfondie reprend notamment de nombreux faits mis à jour par les enquêteurs. Je doute fort que vos lecteurs soient réellement informés par un article qui reprend la thèse du « bouc émissaire », instituée par le maire de Brest dès la première conférence de presse et qui fit de monsieur Masson le grand coupable et de monsieur Cuillandre, un élu en dehors du système. Cette thèse est très largement contredite par les faits et les témoignages des élus victimes, recueillis par la police.
Enfin, il est écrit dans l’article que les 4 000 € non remboursés par monsieur Cuillandre seraient un « prêt consenti pour les besoins d’installation professionnelle de son fils ». Cette affirmation est très surprenante. Elle est justement contredite par la juge dans l’ordonnance citée, comme la construction d’un argumentaire pour justifier des sommes perçues, en contradiction avec les constatations faites par la police judiciaire. Pourquoi colporter des faits réputés faux ? (NDLR, il s’agit bien d’éléments figurant dans l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel).
Pour conclure, je regrette que l’article n’ai pas pris le soin de croiser des opinions divergentes sur cette affaire, issues de documents aujourd’hui publics.»
Ouest-France, mercredi 15 février 2023