Européennes, ce sera la liste de Marie Toussaint
dimanche 02 juin 2024
À une semaine des élections, il est temps de choisir ! Les grandes formations ont eu le temps de jouer leur partition. Nous avons eu le temps de les écouter (pour ceux que cela intéresse).
Dans la multiplicité des listes, le débroussaillage est vite fait entre les micro-listes, les listes thématiques et les positionnements des listes sur le plan politique. Faire un choix européen, ce n’est pas s’arrêter sur un sujet ou une seule personne, c’est appréhender la complexité du développement de ce grand territoire et faire son choix dans les orientations des listes, plus que dans leurs propositions qui ne sont jamais vraiment mises en œuvre au regard de la nécessité d'une majorité [1].
Pour ma part, votant à gauche, le choix se résume à quatre listes, représentées par leur tête de liste :
- Manon Aubry (LFI)
- Léon Deffontaines (PCF)
- Raphaël Glucksmann (PS/PP)
- Marie Toussaint (EELV)
Après avoir lu et écouté chacun d’eux, pour ma part, ce sera Marie Toussaint, d’Europe Ecologie Les Verts.
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Lors des dernières élections européennes en 2019, les Écologistes avaient réussi à rassembler 75 eurodéputés de 16 pays. Le plus haut niveau qu’un groupe écologiste au Parlement européen n’ait jamais eu, plaçant les enjeux climatiques au cœur des préoccupations, dans la lancée des accords de Paris. Depuis cette date, le monde a changé avec la montée de l’extrême droite, la montée de la conflictualité dans le monde et au bord de l’Europe, mais aussi une dégradation sociale et économique à la suite du COVID et à l’inflation galopante que nous connaissons. Nos pays ont poursuivi leur chemin dans l’outrance des propos et le populisme des politiques, suivant l’exemple de l’empire économique et culturel que sont devenus les États-Unis.
C’est dans ce nouveau contexte qu’il nous faut choisir aujourd’hui, dans la brutalité des propos et le brouillard des fake-news assénés par de nombreux acteurs politiques, comme la « néo-vérité » d’un libéralisme très actif qui nie la science, au profit d'une pensée facile et courte.
Plus que jamais, nous avons besoin d’une réelle pensée écologiste au Parlement Européen. Une parole hors système qui regarde en face les réalités, démasque la fraude des mots, des concepts et propose des actions qui permettront d’investir le siècle à venir au regard des enjeux de l'humanité. Non plus au regard de l’enrichissement de certains, en détricotant notre avenir commun.
Pour reprendre le mot de certains qui traitent l'écologie de « punitive », il nous faut choisir entre une politique réparatrice qui nous fera progresser collectivement ou un avenir qui sera assurément punitif, pour tous ceux qui vivront sous la domination des plus riches et la violence que cela engendrera, localement comme mondialement.
Marie Toussaint est clairement une personnalité qui sait proposer cet horizon réparateur et pacifié. Issu du monde « très social », avec une famille très investie à ATD Quart Monde (qui est pour moi une référence pour sa réflexion puis son action sur la pauvreté), elle s’est attachée à défendre par le droit les enjeux environnementaux, notamment sur le principal d’entre eux : le climat. Elle est notamment à l'origine de l'Affaire du siècle avec Oxfam France, Greenpeace France et la Fondation pour la nature et l'homme. Un recours en justice contre l'État français pour inaction climatique, permettant de mettre le débat au bon niveau. Plus tard, dans son action en tant que députée européenne, elle a travaillé sur la reconnaissance des écocides (crimes contre la planète et donc les prochaines générations) dans le droit international et européen.
Bien plus que ses prédécesseurs écologistes, elle met la question de la justice sociale et de la pauvreté au cœur des décisions qui permettront de dépasser les crises qui nous font face. Depuis longtemps, c’est un axe de pensée qui m’anime aussi. Si la question écologique est première, tout simplement parce que l’espèce humaine déclinera après avoir cassé l’écosystème qui a porté sa croissance (et je ne parle pas de celle des 100 dernières années, mais de celle des 100 000 dernières années !), il n’y a que par la justice sociale que nous trouverons des solutions viables et apaisées pour l’humanité de demain. Le positionnement de Marie Toussaint est parfaitement équilibré sur les solutions et les débats à porter au niveau européen.
Je peux avoir avec elle, comme avec EELV, quelques divergences à la marge sur des actions à court terme. Mais sur le fond, la direction et les principes, c’est clairement elle qui exprime le plus le sens que j’ai envie de voir représenté et exprimé dans la politique européenne. Surtout dans le contexte dans lequel nous vivons, où la droite et l'extrême droite portent un discours populiste et dur.
Comme personne n’a dix heures pour lire les programmes et se faire une opinion, je vous conseille deux interviews en accès libre de Marie Toussaint dans des médias réellement indépendants : l’interview à lire dans Politis (ici) qui lui permet d’exprimer sa vision et celle à écouter ou regarder sur Médiapart (ici ou en dessous), dans laquelle les journalistes poussent plus les politiques dans leur retranchement.
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Sur les autres candidatures de la gauche, commençons par la plus facile et celle qui a le plus de vent dans le dos, celle de Raphaël Glucksmann.
Pour le dire sincèrement, j’avais lu son livre avant la précédente élection européenne et j’avais été de ceux qui avaient soutenu sa candidature en 2019 avec un certain enthousiasme dans les rangs du PS (ce qui était loin d'être le cas de tous les supporters d'aujourd'hui). Le personnage est sympathique et son « mouvement » : Place Publique, me plaisait bien. J’y retrouvais des personnes qui faisaient sens et portaient des valeurs. Je ne suis pas sûr qu'il reste beaucoup de ces fondateurs aujourd'hui dans Place Publique.
Dans cette campagne, Raphaël Glucksmann bénéficie d’un bon relai de communication national, porté par les réseaux des caciques du PS qui cachent leurs intérêts derrière. Raphaël Glucksmann est devenu l’arbre qui cache la forêt… des vieux éléphants du PS, clairement pas les meilleurs. Sur les 20 premiers de sa liste, seules deux personnalités (dont lui) semblent issues de Place Publique.
Et ce qui est vrai pour Macron est vrai pour Glucksmann : lorsque l'on est mis dans la lumière par d'autres que soi-même, on devient redevable. Comme je l'ai trop souvent entendu au PS lors des décisions les plus importantes, « on doit... ». Pas au sens d’un devoir, mais au sens d’une dette. Ce n’est pas vraiment ce que j’appelle de la liberté dans la décision ! Dès lors, la politique devient marchande. Tout s’achète et tout se vend.
Comme l’a très bien détaillé l’article de Médiapart : « Derrière la « nouveauté » Glucksmann, le vieux PS en embuscade », il s’agit principalement d’une liste d’apparatchiks socialistes, issus de la tendance anti-NUPES du PS, c’est-à-dire le courant le plus proche du macronisme historique (je ne leur ferai pas l’affront de les comparer au macronisme actuel).
La locale de l’étape, Frédérique Bonnard (16ème sur la liste) est vraiment issue de ce sérail. Ancienne assistante parlementaire de la députée de Brest, élue à la ville de Brest, à la métropole depuis 2001, puis au département du Finistère en 2015, avec comme colistier Hosny Trabelsi (le fameux !), il suffit d’aller regarder sa déclaration d’intérêt pour se convaincre (ici). En dehors des revenus issus de la politique, qu’elle cumule joliment déjà, point d’alternative. Il s'agit moins de citoyens engagés, ayant un vrai métier puis prenant un mandat électif, que des professionnels de la politique [2], gérant leur carrière au plus près de leurs intérêts (souvent financiers), quitte à faire les concessions qui vont bien, au bon moment et avec les bonnes personnes. La profession dont ils se revendiquent, est le plus souvent anecdotique dans leur quotidient, autant que dans leurs revenus.
Pour ceux qui ont la mémoire courte sur l'association intéressée Place Publique / Parti Socialiste, nous avions en 2019 un autre local de l’étape sur la liste de 2019, militant associatif issu des fondateurs de ce mouvement, Charles Braine (aussi 16ème sur la liste). Par le plus grand des hasards, il est aujourd’hui sur la liste EELV, derrière Marie Toussaint. On se demande bien pourquoi il n’est pas resté en place publique ?! De même, je ne peux que vous conseiller la lecture du retour d’expérience de Claire Nouvian sur sa participation à la campagne de 2019 au côté de Raphaël Glucksmann (ici). Militante associative reconnue sur la question de la protection des océans et fondatrice aussi du mouvement Place Publique, elle y raconte sa réalité de la campagne. Un texte qui dévoile fort bien les arcanes du PS, favorisant les intérêts particuliers et les petites négociations de salons. Profondément dégoutée par ce qu’elle avait vécu dans les arrière-cuisines de cette première campagne PS/PP, elle quitta Place Publique juste après.
Qu’importe la sympathique tête d’affiche, comme celle de Renaissance, cette liste est clairement une liste pro-système, constituée de carriéristes politiques qui, dans le maelstrom des lobbies à l’échelle européenne, sauront faire leur miel, mais probablement un peu moins s'attacher à préparer un avenir désirable !
Dernière petite info, j’ai regardé les interviews des autres listes de gauche sur Médiapart, dont les journalistes osent poser des questions dérangeantes. Concernant Raphaël Glucksmann, après avoir été programmé, il semble s’être excusé. À priori, la figure de proue du PS semble moins fan que les autres des questions de journalistes issus de la presse indépendante !
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Sur la liste Communiste, j’ai écouté l’interview de la tête de liste sur Médiapart (ici) et, de façon amusante, j’en ai conclu que ce n’est pas une liste pro-système, mais pas incompatible avec le système non plus ! Le journaliste a d’ailleurs taquiné plusieurs fois Léon Deffontaines sur la compatibilité avec la droite de ses propositions et de ses votes, lui demandant même s’il n’allait tout simplement pas tenter d'y récupérer une part d’électorat !
Sur le fond, en tant que citoyen de gauche, je suis sensible à ses grandes déclarations qui correspondent au discours de la gauche. Il n’y a pas de sujet là-dessus. Cependant, j’ai été très sceptique sur son positionnement sur l’Ukraine, où l’on sent poindre clairement une difficulté avec leur paternité, mais aussi sur la question du conflit en Israël, où je l’ai trouvé plutôt démago vis-à-vis des positionnements d’autres partis. Sur la question environnementale, il est très à côté de la plaque, prônant de façon assez populiste le développement du pouvoir d’achat, y compris pour les classes moyennes et ne faisant peser l’effort de réduction des consommations que sur les super-riches, soit moins de 1 % de la population. Il est vraiment dommage que le PCF en soit encore là.
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J’ai aussi regardé l’interview de Manon Aubry sur Médiapart (ici) et je dois dire que j’apprécie de plus en plus le discours tenu, y compris dans certaines propositions concrètes. La liste de France Insoumise continue de grappiller des points dans mon estime. Le chemin est long pour LFI pour s’affranchir de sa genèse « insoumise », portée par sa figure tutélaire Mélenchon. Mais cela commence à m’intéresser.
Reste quand même une dimension combative assumée qui bascule trop facilement sur de l’agressivité et du populisme pour moi. Leurs méthodes à l’Assemblée nationale et sur les réseaux sociaux sont aussi une limite au fait de considérer LFI comme un parti assumant sa part de responsabilité dans le jeu politique (mais comme je l’ai déjà dit, l’appellation « insoumis » n’est-elle pas une limite en soi ?) Mais ils avancent clairement dans la bonne direction. C'est heureux !
Enfin, je suis bien d’accord avec Manon Aubry : lorsque la gauche trahit ses idées, elle installe de fait l’extrême droite au pouvoir à terme. L'extrême droite au pouvoir viendra moins du dérapage de la droite que de nos propres renoncements à gauche. C’est une évidence trop souvent oubliée.
Je leur souhaite d’être au rendez-vous de 2027. Ils ont des candidats intéressants pour la gauche, à condition de leur donner une posture et une droiture plus rassurante pour toutes les composantes du pays. Rassembler, c’est un concept à pratiquer !
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Bon, je ne conclurai pas sans parler de l'interview sur Médiapart de Valérie Hayer (Renaissance). Là, nous sommes clairement sur la « voix de Macron ». La parole n’est pas franche. Peu de prises de position qui ne seraient pas backées par l’Élysée. Autant dire que la valeur ajoutée est nulle si l’on considère que le Président de la République a déjà bien d’autres voies pour porter sa propre voix.
Pas de scoop donc de ce côté-là !
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Voilà, j’en conclus là cette note sur ma vision sur les élections européennes et ma façon de construire mon choix sur le vote de dimanche prochain. Toutes les voix comptent, bien sûr. L’abstention n’est pas une option, si ce n’est à considérer qu’une part de son vote va automatiquement consolider les rangs réactionnaires de l’extrême droite, sur le plan européen.
Comme il s’agit d’une élection à la proportionnelle (et non majoritaire, comme nous avons coutume en France), il s'agit moins de chercher à accumuler des gros scores sur un « champion » face à la droite, que d'exprimer les tendances politiques que nous souhaitons voir représentées. L'écologie doit garder une belle place dans la construction européenne, c'est une certitude. À nous de mettre les bons !
Comme Marie Toussaint le dit bien, dans cette élection, les écologistes européens font campagne avec le vent de face. L’écologie est devenue le bouc émissaire des plus réactionnaires, car c’est une pensée libre, hors système, qui s’intéresse plus à notre avenir à tous qu’aux intérêts particuliers des plus puissants. Si le score de 2019 n’est pas atteignable, assurons-nous au moins que des écologistes siègent à l’Assemblée européenne, en soutenant avec conviction leur liste.
Bon vote !
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[1] À cette échelle, les programmes électoraux voient difficilement le jour une fois toutes les nations mises autour de la table. Seules les positions restent et dirigent les choix d’alliances en fonction des sujets. Plus qu’ailleurs, l’élection européenne est un pacte de confiance sur le sens, entre des élus et leurs électeurs.
[2] Bien souvent, cette notion de professionnalisation est défendue au regard des compétences supposées nécessaires à l’exercice des mandats visés. Dans le cas de Frédérique Bonnard, il n’y a pas de sujet. C’est une personne pointue sur les institutions européennes, comme j’imagine la majorité des autres candidats sur les principales listes. On ne se présente pas à une élection européenne sans gout pour ce type d’institution très particulière. Il n’y a pas d’incompétents et l’obtention de ce niveau de connaissance nécessite de l’expérience et du travail. La question n’est pas de nier cela.
Mais faire de la politique, ce n’est pas manier des compétences, de viser de l'expertise administrative ou de jargonner pour laisser entendre sa supériorité. Faire de la politique, c’est produire du sens sur la base d'une réflexion, d’un vécu, d’une réalité de terrain qui devient rapidement inaccessible une fois élu. Ces hommes et femmes politiques ont beau se définir eux-mêmes comme des « élus de terrain », pour se rassurer (et un peu mousser), ils en sont rapidement décrochés. Surtout quand les mandats se cumulent dans l'espace, autant que dans le temps.
La sphère politique est un monde clos, isolant du reste des citoyens, humainement toxique et qui fait tourner les têtes de ceux qui y viennent sans être ancrés, dès le départ, dans une vraie vision politique. Typiquement, je suis persuadé de Marie Toussaint à cette qualité et cela lui donne une belle capacité à produire du sens.
Pour Frédérique Bonnard, c'est moins certain. Mais c'est sûr, elle fait des cours sur le fonctionnement des institutions européennes assurément bien mieux que moi !