Grand stade : le compte n’est pas bon … du tout !
Violences urbaines : Vouloir la paix, est-ce vouloir la justice ?

Grand stade : Un projet dépassé, un projet du passé

I have a dream brest stadeDans ma précédente note : « Grand stade : le compte n’est pas bon … du tout ! », j’apportais la démonstration par les chiffres donnés lors de la conférence de presse du 19 juin dernier que ce stade s’annonçait comme financièrement porté par le public, alors qu’il allait être sous le contrôle actionnarial du privé. Par ailleurs, je montrais aussi le dépassement et la démesure des chiffres annoncés qui, en cumulé, arrivaient à environ 130 millions d’euros.

C’est un chiffre que l’on a du mal à visualiser, tellement il est important. Il est possible de le comparer aux 20 millions d’euros pour la réfection du Quartz, 40 millions d’euros pour la construction de l’Aréna, 25 millions d’euros pour la médiathèque des Capucins, 20 millions d’euros pour le téléphérique. Même le coût de la réhabilitation du site historique et emblématique des ateliers des Capucins, avec tous les aménagements qui ont été réalisés autour, n’a pas coûté plus de 100 millions d’euros (il y a eu de nombreuses recettes sur la vente du foncier). Pour dépasser ses sommes, il faut aller sur le projet de seconde ligne de tramway, estimé aujourd’hui à environ 200 millions d’euros ou de la première ligne, à 350 millions d’euros mais qui comprenait 11 km de rails, avec toute la rénovation du centre-ville de Brest et de certains quartiers, les rames de tramway et le changement du pont de Recouvrance.

130 millions d’euros pour un stade, c’est énorme. C’est se placer dans la logique politique du « quoi qu’il en coûte », mais pas contre une maladie qui tue, simplement pour des matchs sportifs. C’est juste disproportionné pour un stade dans une ville moyenne de la taille de Brest.

En janvier 2018, et ce n’est pas moi qui l’avais dit (j’aurai pu, je passais de l’urbanisme aux finances de la métropole, mais parler de foot a toujours été le domaine réservé du maire à Brest, sans véritable possibilité de contradiction), un article du Télégramme (ici) avait fait état des échanges avec le Club sur un nouveau stade et les chiffres annoncés étaient de 60 millions d’euros, avec un commentaire qui ne manque pas de faire sourire aujourd’hui :

« Le club s'est rapproché d'experts en économie du sport pour éviter de tomber dans les travers récents de certains clubs ayant eu les yeux plus gros le ventre. Ainsi, des stades de taille moyenne récemment construits ont coûté 75 à 80 M€ (financés par les collectivités). »

En cinq ans, l’ambition financière du président du Club a plus que doublé, passant de 60 à 130 millions d’euros (nous ne sommes pas exactement dans un « design-to-cost » cher à l’industrie privée normalement). Le financement et la prise de risque sont passés de 100% privé à 60% public. Enfin, le Club semble avoir renvoyé sur le banc de touche les « experts en économie du sport », qui les avaient mis en garde envers les Clubs qui avaient « les yeux plus gros que le ventre » (et on parlait alors de Clubs ayant construit des stades à 80 M€, même pas 130 !)

Cette première note faisait donc état d’un vrai problème sur le plan de financement à tiroir présenté lors de la conférence de presse qui a pu en tromper plus d’un. Ayant été vice-président à l’urbanisme, aux finances, mais aussi président ou administrateur des trois SEM présentes dans le tour de table, je suis donc probablement mieux armé que d’autres pour décrypter ces enjeux, au-delà du discours de communicant qui nous a été servi.

Voilà, je souhaitais rajouter ces paragraphes complémentaires en préambule de cette note pour répondre à des questionnements que j’ai lus ici ou là, à la suite de ma première note. Mais l’objet de cette seconde note sur le projet de nouveau stade à Brest n’est pas financier. Il est centré sur la question de l’histoire et du sens de ce projet.

Un stade qui a la rage !

Depuis le départ, François Cuillandre est celui qui veut tuer Francis Le Blé, avec toujours le même discours depuis quelques années : une rénovation du stade actuel coûterait 50 M€ à la seule ville de Brest. « Quand on veut noyer son chien, on dit qu'il a la rage. » C’est ce que le maire-président de Brest fait depuis le départ.

De façon assez amusante, l’estimation de la rénovation du stade Francis Le Blé reste stable dans les discours. Elle n’est étonnamment pas touchée par l’inflation dont se targuent les frères Le Saint dans les dérives des coûts de leur projet de nouveau stade : +25 % en 18 mois et ils semblent en plus avoir omis quelques postes de dépenses dans le bilan global ! (Voir précédente note)

Ainsi, en janvier 2020, on pouvait lire dans la presse :

« Denis Le Saint chiffre le coût d’une rénovation intégrale du stade Francis-Le Blé : « A minima 50 M€ (*), sans solutions business et de naming, serait à la charge de la municipalité et donc des Brestois. »

[…] 7 à 10 M€ pour la tribune Quimper, 15 à 20 M€ pour la tribune Foucauld, 7 à 10 M€ pour la tribune Brittany Ferries et 15 à 20 M€ pour la tribune Arkea + éclairage et aménagement zone TV »

En juin 2023, nous lisons dans la presse exactement le même discours du président de la Métropole. François Cuillandre annonce :

« une rénovation partielle et insatisfaisante » du Stade Francis-Le-Blé estimée « à 50 millions d’euros hors-taxe ». Un montant, entièrement à la charge de la collectivité (la mairie étant propriétaire de l’outil). »

Le maire évoque un audit sur la faisabilité de la rénovation de l’existant (sans rien montrer). Tout cela respire le calcul de coin de table, puis un cabinet d’audit chèrement payé pour étayer le chiffre annoncé. Ça ne sent pas la sueur des 500 réunions de travail des frères Le Saint !

Mais même si cela devait coûter 50 M€, cela reste bien moins cher que les 130 M€ que couterait en tout le nouveau stade (hors intérêt d’emprunts que l’on peut estimer à un peu plus de 20 M€ supplémentaires à 3% sur 30 ans par exemple).

Enfin, sur la question du financement par la seule ville de Brest, pourquoi ne pas faire pareil que pour le Grand Stade ? Sollicitation de la Métropole, des Communautés de Communes du Pays de Brest, du Département (y a toujours le 29 à SB29 !), de la Région, des subventions, des avances sur loyers du Club, du financement participatif, des SEM de Brest, des prêts bancaires.

Pourquoi beaucoup d’imagination financière dans un cas et zéro dans l’autre ? La pauvreté de l’imagination financière dans la rénovation de Francis Le Blé déçoit de la part d’un ex-professeur de finances publiques !

Un peu d’histoire : Le rêve d’un jeune footeux … devenu vieux maire.

Le stade au Froutven est le vieux rêve de François Cuillandre. Trop proche de la chute brutale de Brest Armorique et d’une affaire qui conduira à condamner le précédent maire à de la prison avec sursis, justement du fait de garanties d’emprunts que l’on nous ressort aujourd’hui (voir précédente note), le programme des municipales de 2001 n’en fit pas état. Mais l’idée d’un nouveau stade était déjà dans les discussions, avec la fierté d’ambitionner un stade 100% public pour les Brestoises et les brestois.

Ainsi, la volonté d’acquérir les terrains du Froutven à cette intention date de ce premier mandat de François Cuillandre. En parallèle, une réserve foncière réservée au sport fut inscrite dans les documents d’urbanisme, afin de verrouiller la destination finale de ces parcelles, que la collectivité voulait préempter.

Cette ambition d’un grand stade au Froutven fut inscrite clairement dans le programme 2008, sur un mode public-privé. Ce mode de financement faisait alors « plus moderne », à une époque où l’austérité budgétaire pointait déjà le bout de son nez.

À la suite des premiers resserrements budgétaires imposés aux collectivités (sous François Hollande), la proposition fut complètement abandonnée dans le programme municipal de 2014, au profit d’une rénovation assumée du stade Francis Le Blé. Il serait d’ailleurs intéressant de faire le Retex de tout l’argent public investi dans Francis le Blé, sur des logiques court-termistes, puisque l’idée d’un nouveau stade ne quitta jamais vraiment l’esprit du maire. Était-ce le prix à payer pour avoir tous les 15 jours sa place à côté de celle du président du Club, dans la tribune officielle ! 😉

J’ouvre une parenthèse : A l’heure où l’on parle de conflit d’intérêt et où les élus de la métropole viennent de décider (fort courageusement) de ne plus siéger dans les associations, François Cuillandre va-t-il rejoindre la tribune Arkéa, ou même mieux, la tribune Quimper ! Car on le sait, en politique comme en affaire, tout se joue plus à la machine à café ou une bière à la main, que dans les instances officielles où les dossiers sont déjà arbitrés. Fin de la parenthèse.

Rien n’apparut dans le programme 2020 du maire, puisque le projet avait été vendu avec zéro euro d’argent public (100% privé). Le Grand Stade n’était donc pas dans les projets que souhaitait discuter le maire dans sa campagne. Difficile donc d’en débattre ou de s’y opposer. Les frères Le Saint avaient parfaitement le droit de dépenser leur argent comme ils le voulaient. Leurs décisions ne relevaient donc pas du débat public.

Le débat fut néanmoins porté sur la place publique par plusieurs listes durant la campagne. Seules trois listes sur neuf se positionnèrent pour la fermeture de Le Blé et la construction d’un stade au Froutven. Au sein même de la liste du maire, des clivages profonds s’installèrent, dans la plus grande confusion sur ce point. Comme le dit le propos resté célèbre du Cardinal de Retz : « On ne sort de l'ambiguïté qu'à ses dépens. » Au vu des articles récents dans la presse et des débats en Conseil, cette contradiction ne semble pas avoir été levée depuis 3 ans dans la majorité de François Cuillandre. Les élus EELV et PC n’ont pas réussi à faire avancer le dossier et continuent à ferrailler face à celui qui estime avoir toute autorité sur le dossier. Aujourd’hui, le maire compte plus sur les voix de la droite molle (parti présidentiel) et de la droite dure, que celles de sa propre majorité (censée être de gauche) pour faire passer son projet.

On le voit, ce grand stade est clairement la marotte de François Cuillandre, bien plus que le tramway, les Capucins ou le port du Château par exemple, qui furent imaginés puis portés par d’autres élus et notamment Annick Cléac’h et Alain Masson. A l’instar de Mitterrand qui voulait sa grande bibliothèque nationale, Cuillandre veut son grand stade brestois. C’est ainsi.

Les difficultés de financement des collectivités ont longtemps empêché la réalisation de ce projet de nouveau stade à un coût exorbitant, pour un usage tout relatif. Mais le maire semble avoir réussi à mettre un pied dans la porte, en annonçant un projet 100 % privé. Il poursuit habillement à développer des éléments de langage d’un projet public-privé à majorité privée, mais qui se révèle aujourd’hui dans la réalité des chiffres majoritairement perfusé à l’argent et les garanties publiques. L’argent privé ne pèse plus que 12% dans le financement global de ce projet « soi-disant privé » ! La dérive lente du récit sent l’entourloupe. Des esprits suspicieux pourraient même y voir un scénario savamment orchestré à l’avance.

Au fil de l’histoire de ce stade (qui n’est pas fini !) le projet a fortement évolué. Mais la préemption du récit par un « stade privé » a empêché que les bonnes questions puissent être posées, des questions politiques et d’aménagement du territoire cette fois.

Un projet du passé

Comme l’on déjà dit des élus opposés au projet actuel au Froutven, ce nouveau grand stade n’a pas de sens sur le plan politique. Il est même un contresens dans tous les engagements que nous prenons au niveau national et mondial dans la lutte contre le dérèglement climatique, dans la lutte pour préserver la biosphère, dans la limitation de l’usage des matériaux et des ressources qui s’épuisent.

En plus de coûter fort cher et de réduire les marges de manœuvres financières publiques pour d’autres politiques dont nous allons avoir grandement besoin, ce projet de stade s'oppose aux objectifs nationaux pour les années à venir. A l’horizon 2050, nous allons devoir réduire par plus de 5 nos émissions de CO² par rapport à aujourd’hui, en passant d’un objectif d’émission de 420 à 80 MtCO2eq/an (voir graphique ci-après issus de notre Stratégie nationale). Au lieu de cela, nous engageons notre collectivité pour 50 ans dans la démolition du stade actuel, puis la reconstruction complète d’un stade neuf plus grand et sans trop de doute, plus consommateur d’énergie et de surfaces que le précédent. C’est juste stupide, sur le plan des énergies, sur le plan des émissions de CO² et sur le plan des matières premières et des métaux.

Trajectoire et budgets carbone

A quel moment disons-nous stop ? A quel moment prenons-nous conscience qu’il faut changer de trajectoire, qu’il faut rompre avec le précédent millénaire dont est issu la pensée politique court-termistes de notre maire, qui nous mène tout droit vers une catastrophe annoncée ? A quel moment commençons-nous la bataille contre les incendies qui dévastent des territoires entiers et envoient leurs fumées par-delà les océans jusqu’en Bretagne (ici), les sécheresses qui grandissent y compris en Bretagne, les écoulements de boues consécutifs aux orages de plus en plus violents qui détruisent des quartiers sur leur passage, la raréfaction des ressources et de la biodiversité, les famines, les déplacements de populations, les guerres à venir, etc …

Sommes-nous condamnés à creuser un avenir sombre à tous les enfants de la planète, y compris ceux qui adoreraient jouer au foot et pouvoir profiter de beaux matchs dans un monde en paix ?

Pour la petite histoire, du temps où je m’occupais des questions de ressources en eau et de biodiversité au Syndicat du Bassin de l’Elorn, la région Bretagne avait mis en place des subventions, via le programme Breizh Bocage, pour reconstituer du bocage afin de lutter contre la perte de biodiversité et l’érosion des sols, consécutives au remembrement productiviste. Mais en local, le Département du Finistère continuait à subventionner les agriculteurs qui rasaient du bocage pour agrandir leur parcellaire. Nous marchions sur la tête ! Heureusement, cela s’est arrêté au bout de quelques années. Nous sommes exactement au même point sur la question climatique. Des milliards sont mis pour tenter de réduire nos émissions au niveau national et plus localement, la Région et le Département réfléchissent à financer la reconstruction complète et l’agrandissement d’un stade à Brest !

Quand redescendons-nous sur terre et utilisons-nous efficacement l’argent public pour sauver des vies plutôt que de distraire des électeurs ? Rénover, bien sûr. Reconstruire et agrandir à des coûts indécents, certainement plus.

A chaque fois que ce type de projet arrive, on nous sort le même argument depuis les années 90 : le nombre d’emplois générés. Il faut changer de logiciel. Dans les faits, ces emplois liés aux loisirs, on ne fait que les déplacer, sans plus de création de valeur à l’échelle du territoire.

A-t-on conscience que ce type de projet détruit globalement de la valeur ajoutée pour demain au lieu d’en créer ? Nos systèmes de comptabilité sont aussi désuets que la planification financière qui nous a été présentée. Il est temps d’agir et à défaut de trouver difficile de changer rapidement, au moins pourrions-nous éviter de lancer de nouvelles erreurs qui creusent encore plus le déficit des enjeux planétaires que nous léguerons aux futures générations.

Clairement, je comprends parfaitement la passion, l’imagination et l’engouement des promoteurs de ce projet. Une volonté de bien faire et de servir des fans de foot que je respecte et dont je saisis l’émotion collective et le plaisir procurés par les matchs, pour l’avoir partagée avec eux quelquefois (y compris dans la tribune Quimper). Mais ce projet de nouveau grand stade est une aberration, dès que l’on se projette un peu sur l’avenir qui nous fait face, à Brest comme partout ailleurs sur notre seule et unique petite planète. Et ce n’est pas parce que des conneries sont faites ailleurs, que cela doit nous autoriser à en faire chez nous.

Faire de la politique, ce n’est pas seulement s’occuper de son petit pré-carré que l’on veut transformer en grand stade, pour laisser sa marque dans une histoire qui n’existera probablement même pas, dans la montée en puissance des crises à venir. Faire de la politique, c’est anticiper demain et agir avec responsabilité vis-à-vis du futur, dans ses domaines de compétence.

Un décentrement antinomique avec l’attractivité du centre-ville de Brest

Autre sujet de désaccord, assurément plus local et moins important que le précédent. D’après la conférence de presse, les activités en dehors du foot seront nombreuses et variées autour du projet proposé :

« Tout au long de l’année : le stade disposera d’un pôle restauration, comprenant une halle gourmande, faisant la part belle aux spécialités locales. À l’intérieur de celle-ci, un espace pour accueillir des concerts va être aménagé et des matchs seront retransmis. L’espace Froutven comprendra aussi un pôle de loisirs indoor de 2 000 m2 (avec un escape game), une tyrolienne, un musée du stade et une crèche ouverte 365 jours par an. Des visites des coulisses du stade seront organisées. Il sera enfin possible pour les particuliers de louer des salles pour organiser des événements, type anniversaire, et des espaces seront dédiés aux séminaires d’entreprise. »

Si le stade a besoin de toutes ces activités, c’est justement parce qu’un stade ne se suffit pas économiquement à lui tout seul, au regard des coûts engagés. Un stade, c’est fonctionnellement juste une jolie pelouse, des grandes tribunes autour et des espaces de réception plus ou moins qualitatifs en fonction des classes de supporters, organisées dans une hiérarchie bien ordonnée. On n’oublie pas bien-sûr les surfaces de parking, à très faible valeur ajoutée. Economiquement, un stade privé n’est jamais rentable. Il faut donc trouver des activités supplémentaires pour diversifier l’activité et tenter de faire croire à un équilibre. C’est le sens des activités qui ont été, dès le départ du projet, ajoutées à l’équipement, alors que la cible était alors de 60 M€. Toutes ces animations ne sont pas là par intérêt pour ces activités, mais pour équilibrer financièrement l’investissement. Le problème, c’est qu’elles n’ont rien à faire là, à l’endroit où est prévu le projet qui n’était destiné à accueillir qu’un stade.

Les activités proposées avec le projet de stade sont totalement en contradiction avec tout ce qui a été fait depuis 20 ans en matière de planification urbaine, pour éviter le décentrement et la paupérisation du centre-ville de Brest. Au Froutven, seuls ont été autorisés les très grands espaces commerciaux ne pouvant s’implanter en centre-ville et aucune activité de loisir. On se souvient de tous les débats (et les combats juridiques) sur l’implantation du multiplexe de Liberté, puis de celui des Capucins, pour maintenir l’attractivité du centre-ville et éviter l’éparpillement en périphérie. C’étaient des bons choix, une bonne stratégie. Nous sommes en train de dessiner exactement l’inverse avec ce projet. Pourquoi cette dérogation pour ce projet particulier ?

Ce Grand Stade aux multiples activités viendra nécessairement en concurrence avec le centre-ville de Brest et tous les efforts qui ont été faits pour lui redonner de l’attractivité, notamment avec les Capucins, risquent de partir en fumée. Si nos chers édiles ne comptent que sur Primark pour l’attractivité de notre centre-ville, nous sommes très mal partis !

Autre point de concurrence et cela est complètement éclipsé du débat, un grand stade « privé » tout moderne et tout neuf viendra inéluctablement en concurrence avec nos autres équipements métropolitains publics, comme l’Aréna pour les spectacles et Penfeld (autant pour ses espaces dédiés aux entreprises que pour ses surfaces à grands spectacles). Moins de recettes égale plus de déséquilibres pour les comptes publics. Il est amusant que le président de Brest’aim n’ait pas joué la partition de sa SEM, contrainte (par on ne sait qui ?!) à financer les fonds propres de Holdisports. Je ne suis pas sûr que si les frères Le Saint avaient présidé Brest’aim, ils auraient financé leur concurrence !

Brest a aujourd’hui assez d’équipements à vocation métropolitaine, qui coûtent déjà fort cher à l’entretien, à la rénovation et aux mises aux normes. L’équilibre financier de ces structures n’est déjà pas simple. La croissance de ces grands équipements étouffe nos capacités budgétaires à entretenir l’autre versant du patrimoine de notre collectivité : les équipements de quartier dans les pratiques culturelles, sportives et associatives du quotidien des brestois, qui sont trop souvent en bien mauvais état. Si j’étais un peu cynique, je rajouterais bien que ce n’est pas très grave, puisque les élus ont décidé de ne plus siéger dans les associations, mais je ne le ferai pas ! 😉

Nous n’avons pas besoin de créer des surfaces supplémentaires de ce type, pour des engagements financiers conséquents, qu’il faudra là encore entretenir à coup de subventions publiques dans le futur.

Quelle alternative à ce projet ?

La copie alternative est assez simple à construire, mais elle nécessite de faire de la politique au joli sens du terme. Elle demande de fédérer des énergies autour d’un projet pensé et équilibré qui renforce le territoire, plutôt que de sortir le chéquier de l’argent public pour financer le privé, en attendant de couper un ruban.

Certes, nous le savons tous, c’est plus sympa de repartir toujours sur du neuf, à un nouvel endroit et de laisser les problèmes, les dettes et les friches aux suivants. Nous avons fait comme cela depuis des décennies et nous ne savons presque plus que faire cela ! Mais ce n’est plus comme cela qu’il faut faire dans ce nouveau millénaire. C’est une évidence, il faut rénover le stade Francis Le Blé.

Toute la belle énergie des frères Le Saint pour imaginer, construire et fédérer autour d’un nouveau stade doit pouvoir être mise sur la rénovation de Francis Le Blé. Et oui, je suis d’accord avec eux, Francis le Blé n’est pas que le stade des brestois, mais il n’y a pas de fatalité en politique. Il faut étendre son assise financière, développer les coopérations et les financements. C’est cela, faire de la politique. Alors, nous attendons que ceux qui se sont fait élire pour cela fassent leur job. Et là, je serais d’accord que les frères Le Saint claquent du fouet pour faire comprendre que l’intérêt est au-delà des querelles politiques locales, dans des jeux de pouvoir entre territoires qui partagent inéluctablement un destin commun. Si nous voulons une belle équipe de foot à la pointe bretonne, il faut en effet s’en donner les moyens collectivement et que cette ambition soit réellement partagée par tout le territoire et non imposée par la ville centre, avec la baïonnette dans le dos comme cela semble se dessiner.

Idem avec les exigences de la Ligue 1. A nous de tenir bon, de crier haut et fort STOP à la dépense publique et aux gaspillages pour les exigences d’un sport professionnel qui perd de plus en plus du sens qu’il est censé apporter dans nos vies. Je me permets juste de rappeler au maire de Brest ce qu’il disait sur la question, dans son premier programme en 2001 :

« Plus que d’autres, le sport de haute performance est piloté par le modèle marchand qui l’entraine dans des dérives qui vont jusqu’à transformer ou dénaturer les fondements d’une activité. […] Il ne doit pas imposer son modèle et ses exigences aux autres secteurs de pratique et particulièrement aux secteurs qui constitue sa base de masse. »

Le sport professionnel ne brille pas par sa probité et sa vision de l’avenir. Il est plutôt à l’image d’une fuite en avant de notre société, contraire au bel esprit du sport, contre laquelle il faut savoir s’indigner. C’est aux politiques de rappeler le sens et les limites, pas de céder à la déraison, la démesure et faire des courbettes pour être invité à une finale ou un selfie en compagnie de sportifs millionnaires.

Donc oui, cela ne sera pas facile et ceux qui monteront un projet alternatif auront vraiment du mérite à bien des égards, mais c’est bien à Le Blé que le bon sens sera retrouvé.

Que faire des terrains du Froutven ?

C’est une évidence aussi. Il faut réviser le PLUi pour en faire une réserve foncière en vue d’un potentiel nouveau quartier d’habitation de Guipavas. Surtout pas un espace pour le commerce et la grande distribution, qui en rêvent depuis déjà de nombreuses années.

Cet espace est très bien positionné vis-à-vis des deux entrées Ouest et Sud de l’agglomération. Il est par ailleurs très bien desservi par le tramway pour rejoindre le centre-ville de Brest sans voiture, dans des trajets quotidiens. Un tramway qui, rappelons-le, a été fait jusque-là d’abord pour la venue d’Ikéa et non la construction du grand stade, comme le racontent certains aujourd’hui. Ce quartier serait au cœur d’une zone d’emploi déjà dense et encore à développer à Guipavas. C’est une très belle localisation pour toutes les commodités publiques qui l’entourent et en plus, le parcellaire est déjà sous maîtrise foncière de la collectivité. Des projets contre la centrifugation urbaine consommatrice de foncier peuvent y sortir rapidement au besoin. C’est vraiment un quartier d’habitation en devenir qui a toutes les amenités pour correspondre aux attentes des habitants de demain et limiter l’étalement urbain dans les couronnes de la métropole, qui intensifient les déplacements pendulaires et saturent les flux de déplacements.

Les emplois promis par le grand stade, ils existeront ailleurs, disséminés plus dans les centres-villes, dans la construction des logements au Froutven, dans la rénovation de Francis Le Blé, dans les activités de loisirs qui ne seront pas exportées en périphérie de métropole. Ils ne seront pas sous le contrôle de Holdisports, pas sous la houlette des frères Le Saint. Mais ils existeront bien et probablement en plus grand nombre, si les centres-villes maintiennent leur dynamique.

En conclusion

J’ai plus le pied marin que le pied footeux, c’est peut-être cela qui me donne un regard différent sur ce projet.

Dans le foot, on ne peut échapper à un match, quoi qu’il en coûte, quelle qu’en soit l’issue. Une fois que c'est parti, on y va et on tient sa place. C’est une question morale vis-à-vis de ceux qui comptent sur vous. Déclarer forfait n’est pas une alternative acceptable. Toutefois, en cas d’échec, c’est démoralisant, mais ce n’est pas très grave. Il y aura un match juste après, puis un autre, puis un autre. Le foot est un éternel recommencement. C’est un jeu où chacun à sa chance et peut à nouveau grimper au top niveau après un échec cuisant. Et c’est bien ainsi.

Mais les marins le savent bien. Lorsque la météo à venir n’est plus bonne, c’est un devoir de renoncer. Il est toujours difficile de virer à 180° dans un projet qui nous tient à cœur, mais on ne lutte pas contre les vents contraires, si ce n’est à épuiser ses ressources et courir à sa perte, en entraînant avec soi son équipage, le collectif.

En lui-même, ce projet de grand stade au Froutven n’est pas un mauvais projet. Même si le coût est bien trop important et doit être retravaillé. Même s’il est possible de douter un peu des 500 réunions, il semble avoir été mené avec un vrai souci de concertation et dans une volonté d’offrir une plus-value pour le territoire. Je ne remets pas cela en cause. Il s’agit juste d’un projet d’un autre temps, d’une autre époque, en décalage avec l’avenir qui nous fait face, à Brest comme sur l’ensemble de la planète. Son coût apparaît démesuré au regard du besoin et faute de la réalité d’une nécessité économique, son plan de financement est redevenu aujourd’hui grandement public (et si je peux me permettre, pas encore vraiment bouclé).

Coté politique, il est tellement plus simple de déléguer le projet que l’on ne sait pas porter soi-même, à un acteur privé et à grand « coûts » de financements publics. Mais cette posture de suiveur n’est pas celle d’un leader que l’on attend d’un responsable politique. Il reste un sacré beau match politique à gagner à Francis-Le Blé : une belle rénovation à imaginer, des partenariats financiers public/privé à construire, une coopération territoriale à bâtir autour du foot professionnel.

Alors, vous savez comme moi ce qu’aurait dit la marionnette d’Aimé Jacquet ! 😉 Il est grand temps de commencer à réellement jouer ce match planétaire face au dérèglement climatique en marche et bâtir un territoire brestois résilient, économe et mieux préparé aux enjeux de demain.

On pourrait commencer par Le blé !

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