Éclairage sur le Grand Stade au Froutven : 4 axes de questionnements cruciaux
Un jugement de forme, qui oublie le fond

Conférence d'Aurore Stéphant sur les limites de l'extraction minière

Conférence Aurore Stéphant _Aujourd’hui, les questions du dérèglement climatique ou de l'érosion de la biodiversité sont largement connues du grand public (je ne me risquerais pas à dire reconnues !) Nous savons qu'elles seront dans l’avenir une limite indépassable au développement humain.

Il y a un mois, la commission transition du CSE de THALES Brest a invité Aurore Stéphant, ingénieure spécialiste de l’extraction minière et de la production des matériaux métalliques, pour nous parler d'une autre limite que très peu de personnes voient encore aujourd’hui.

Je ne jouerai pas le « grand sachant », autant le dire d'entrée de jeu, avant l’organisation de cette passionnante conférence, je ne mesurais pas non plus cet enjeu !

Faisant partie des 4 salariés de l’association SystExt [1], Aurore Stéphant s’est attachée à démonter certains de nos préjugés. Le premier est l’image véhiculée par les médias et les réseaux sociaux d’une honteuse extraction minière majoritairement dans les pays en voie de développement. S’il existe bien des dictatures qui exploitent des enfants pour aller chercher des matériaux rares, dans des conditions effroyables, les premières grandes nations de l’extraction minière sont des plus connues : la Chine, la Russie, l’Australie, le Brésil ou encore l’Indonésie. Y compris dans ces pays développés, l’extraction minière se fait à des coûts humains et environnementaux toujours plus lourds, imposés aux habitants locaux qui se voient expropriés de leur maison, parfois par dizaine de milliers. Personne ne semble pouvoir s’opposer à ces surpuissantes industries qui usent du lobbying autant que de la corruption pour arriver à leurs fins. De son côté, l’Europe a fini par fermer nombre de ses mines, externalisant les problèmes au-delà de ses frontières et profitant de coûts plus bas pour son industrie. Les Européens sont donc devenus dépendants pour nombre de ces ressources métalliques.

Le second point évoqué lors de la conférence est la raréfaction des minerais. Comme pour le pétrole, l’exploitation des mines les plus productives est derrière nous. Par ailleurs, les nouvelles technologies modernes utilisent des minerais rares dont la concentration peut descendre en-dessous du gramme par tonne de matériau brut excavé. Parfois, ce sont des montagnes entières qui sont rasées pour quelques m3 de minerais. Plus le temps passe et plus il faut aller toujours plus profond pour chercher des quantités toujours plus infimes de ces précieux minerais. Enfin, l'extraction finit toujours par des process très coûteux en énergie fossile, pour concentrer les minerais : de multiples séquences de concassage jusqu'à l’affinage final. Très étonnamment, en un siècle, les techniques d'extraction semblent n'avoir que très peu évolué, seules la taille et la démesure des installations ont été développées pour répondre à la demande exponentielle de nos sociétés.

Un troisième axe très intéressant de cette conférence fut le paradoxe de notre usage de ces minerais rares, issus de millénaires de construction géologique, extraits à grand coût énergétique, utilisés pour des usages parfois très secondaires, puis perdus dans les décharges de nos consommables. À l'échelle du temps géologique, nous sommes sur le même modèle que Kleenex. Sauf que là, c'est perdu pour toujours ! Nous sommes au cœur de notre modèle économique en perte de sens et de son gas-pillage frénétique systémique.

Une énergie folle est dépensée pour extraire et concentrer ces minerais, avant de les disséminer dans des objets électroniques desquels il est impossible d’aller les récupérer tant les quantités utilisées sont infimes par usage. Tout cela pour des produits (véhicules, smartphones, TV, PC, etc…) dont la durée de vie dépasse rarement une décennie. Aujourd'hui, le recyclage se fait par fusion brute où seuls les matériaux les plus nobles comme l’or sont récupérés. Le reste est perdu… peut-être à jamais.

Enfin, en présence de quelques collègues d'Ifremer venus assister à la conférence en voisins, la dernière partie a abordé rapidement le « mythe » de l'exploitation des grands fonds : notamment les nodules polymétalliques, que l'on nous vend comme la ressource de demain, à la façon dont Elon tente de nous faire croire que notre avenir puisse être un jour sur Mars !

Au-delà du fait que les teneurs en métaux ne sont guère plus élevées que dans les mines terrestres et donc, pose clairement l'enjeu économique de cette ressource en mer, la récupération à plusieurs milliers de mètres de profondeur pose de nombreux enjeux dont le premier est tout simplement énergétique. En second lieu et du fait de leur génération par des effets de concentration sur des millénaires d'atomes en tout genre, il n'existe pas aujourd'hui de process pour extraire, atome par atome, ces métaux rares.

Les grandes compagnies minières nous font miroiter cette issue pour retarder l'échéance et nous faire croire à l'existance d'une ressource qui n'existera probablement pas dans un avenir moyen-long terme.

La conclusion de cette conférence qui aura bousculé plus d'un, dans une salle remplie d'une majorité d'ingénieurs, pose la question de la réalité de nos plans de transition énergétique que l'on nous vend comme réponse pour demain au dérèglement climatique. Nombre de ces plans se basent sur des basculements technologiques qui n'existeront tout simplement jamais, car les ressources en minerais n'ont pas été évaluées sérieusement. Faire croire que ces révolutions s'appuieront sur des matériaux qu'il faudra extraire en quantité 10 à 20 fois supérieure est juste une utopie, lorsque l'on sait la difficulté à le faire déjà aujourd'hui. Ces grands plans ne tiennent tout simplement pas. Ils sont juste-là pour faire perdurer un système dans lequel certains tirent encore d'importants profits.

L'association met donc en garde contre notre usage irraisonné et notre gaspillage de ressources métalliques que l'on peut considérer comme non renouvelables.

Si les métaux les plus connus comme le fer, l'aluminium, le titane ou le zinc sont récupérables assez facilement, ce n'est pas le cas pour les métaux comme le Cobalt, le Nickel, le Lithium, l'Or, l'Argent, le Palladium, voire ce que l'on appelle tout simplement les « terres rares ». Des métaux sur lesquels reposent massivement les innovations des nouvelles technologies qui ont porté les progrès de la fin du siècle dernier et de ce début de millénaire. Si nous n'économisons pas plus ces ressources et leurs usages, toutes ces avancées ne pourraient devenir qu'une belle parenthèse dans l'histoire de l'humanité.

En fin de conférence, dans la salle, une simple question fut posée : « Quand est-ce que le système va gripper ? » Une question traduisant parfaitement le malaise issu de la dissonance de notre société moderne.

Après une seconde d'hésitations, compte tenu du caractère prospectif et assez inconnu de la réponse à cette question, la conférencière s'est risquée à raconter un échange éclairant qu'elle avait eu avec les acteurs de cette économie. L'industrie minière repose massivement sur la ressource en eau et les énergies fossiles. Dans certains pays, l'accès à ces deux ressources commence à se tendre fortement. Il pourrait rapidement entraver certaines exploitations et donc diminuer les potentiels d'extraction.

Le système ne se bloquera pas d'un coup, il ne s'effondrera pas d'un jour à l'autre, mais l'ensemble des facteurs va peu à peu interagir dans une baisse progressive des usages imaginés sans limites actuellement. Après, les marchés vont réguler par les coûts l'accès à ces ressources qui vont devenir plus rares, tout simplement parce que les capacités d'extraction vont baisser malgré une demande mondiale toujours plus grande.

Il s'agit bien d'une autre perspective au dérèglement climatique et à la tansition qui va se faire, avec ou sans nous. Si nous ne faisons rien pour « redescendre sur terre » sur la sur-exploitation effrénée de notre planète, une grande fracture va petit à petit se créer entre ceux qui auront l'argent pour avoir accès aux promesses du progrès et les autres. Qui dit fracture, dit inégalité et insécurité au niveau mondial. Il y a urgence à réguler nos usages et repenser nos modes de vie, probablement pas que pour la question climatique.

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[1] L'association SystExt (Systèmes Extractifs et Environnements) regroupe des professionnels en activité ayant un intérêt commun pour les systèmes extractifs, en particulier miniers, et des compétences pour s'approprier les problématiques techniques associées à ces activités. Initialement constituée d’ingénieur·e·s géologues et miniers, l’association se veut ouverte à tou·te·s et compte aujourd’hui des membres venus également d’autres disciplines, notamment des sciences et politiques environnementales.

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Pour ceux qui n'ont pas eu la chance d'assister à cette conférence, je signale deux interviews tout aussi passionnantes d'Aurore Stéphant sur la chaîne Thinkerwiew, en plus du site de l'association SystExt.

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