Réponse à lecteur : les acteurs du projet de stade
lundi 20 mai 2024
À la suite de ma précédente note, sur le plan de financement prévisionnel du nouveau stade au Froutven, j’ai eu quelques commentaires et questions sur les réseaux sociaux. J’y ai répondu directement, mais le commentaire de Jean-Yves m’a stimulé dans la réponse que j’avais commencé à lui faire. Compte tenu de la longueur de la réponse à la question et de l’intérêt de celle-ci, j’ai décidé de la publier ici, comme une note à part entière. La voici donc !
Message de Jean-Yves :
« Pour ce travail d'analyse du projet d'un nouveau stade sur la zone du Froutven à Guipavas.
J'ai lu avec attention et intérêt jusqu'aux notes de bas de page, aussi très instructives.
Je me pose la question des acteurs. On connaît le maire de Brest, M Cuillandre, et aussi le Président du Stade Brestois, M Le Saint. Qui sont les autres, les dirigeants de sociétés privées ou publiques, les élus ? Un tableau Excel, sur les intérêts croisés ?
Je me pose aussi la question de l'information et de la communication faite autour de ce projet ? Je note à cet égard que le Télégramme est un partenaire. Il faudrait peut-être élargir vers d'autres médias ? Là, encore une question de transparence et de démocratie.
Enfin, comme elle est citée, la Cour des comptes régionale peut-elle intervenir à ce stade du projet ? Peut-on lui demander un avis ?
Encore, très bon boulot ! »
Tout d’abord, merci pour ces encouragements ! Cela fait toujours plaisir de savoir que ce que l’on écrit intéresse. C’est l’objectif. Merci aussi pour ces questions, qui m’ont permis d’aller questionner d’autres sujets, autour de ce projet de stade. Comme à chaque fois que l’on cherche, on trouve des choses intéressantes. Voici les fruits de ma quête…
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Je vais tenter de répondre à ces trois questions : sur les acteurs, sur la communication autour du projet et sur une interpellation de la CRC.
Sur la première question : qui sont les acteurs du Stade Brestois et leurs possibles intérêts croisés ?
Pour commencer, c'est plutôt assez simple. Il n'y a réellement plus qu'un seul dirigeant, c'est le Groupe Le Saint avec deux dirigeants, les deux frères Le Saint. C'est clairement visible sur le site, ils sont respectivement président et co-président du Stade Brestois 29. Ils ont géré l’actionnariat au travers de deux de leurs filiales [1], dont la seconde créée rien que pour cela, la fameuse Holdisports.
En 2016, le groupe Le Saint possédait juste 50 % de la SA du Stade Brestois 29. En 2019, ils sont passés à 70 % et à partir de 2021, ils ont pris plus de 99 % des parts de la société anonyme qui gère la partie professionnelle du Stade Brestois [2]. Donc, en 5 ans, c'est devenu une affaire de famille, alors qu’auparavant, il semblait régner une certaine collégialité entre plusieurs actionnaires.
Cela étant dit, je ne connais pas les raisons qui ont conduit à cette « prise de pouvoir » quasi totale. Est-ce une volonté des dirigeants ou un retrait des autres ? Même s'il peut y avoir un récit officiel sur le sujet, il sera très difficile de connaitre les dessous de cartes dans ce genre d'affaire où sport, business, égos et stratégies économiques se mélangent allègrement. On observe juste une très forte dépréciation du capital social de la SA entre 2016 et 2017 [3] qui ne s’est probablement pas faite toute seule ! Donc, pour ma part, je n’en sais rien.
Le maire, F. Cuillandre ne possède rien dans cette affaire. Il est juste un décideur sur les nombreuses allocations de fonds publics ou semi-publics qui alimentent (une petite part) des financements du Stade Brestois. Toutefois, et on le voit bien aujourd'hui, il est aussi le plus fervent « lobbyiste public » sur la question du nouveau stade au Froutven qui se dessine aujourd'hui, sous une gouvernance privée. Je reviendrai sur ses intérêts propres après.
La gouvernance et donc la direction du Stade Brestois 29 est aujourd'hui uniquement centrée sur deux investisseurs : les frères Le Saint. Un club de football professionnel est comme une société (ce n'est pas pour rien que le statut est sous la forme d’une société anonyme). Ce qui fait vivre le Club et qui rend des bénéfices ou des déficits aux deux investisseurs, c'est d’abord la qualité des résultats sportifs, bien-sûr, mais ce sont ensuite les équilibres des flux financiers qui circulent au travers de la SA Stade Brestois 29. C'est là que l'on va retrouver les autres acteurs, qui sont nombreux.
Laissons un peu de côté les rêves de Ligue 1 ou de Coupe d'Europe, et le storytelling footballistique, pour rentrer dans une lecture plus entrepreneuriale et tenter de comprendre le modèle économique qui se cache derrière tout cela. C’est important, car cela va être la ligne directrice pour les choix des investisseurs. Pour comprendre certaines postures, il ne faut pas rester au niveau du ballon rond, mais plutôt suivre le chemin de l’argent, du business comme on dit !
La SA Stade Brestois 29
Comme toute entreprise, le Stade Brestois 29 vit et performe grâce à sa Valeur Ajoutée. Cette VA est la valorisation de la marque « Stade Brestois 29 », en mettant la meilleure équipe de foot sur le terrain, en L2, en L1 puis maintenant en Coupe d'Europe. Les dirigeants comme les joueurs changent, la marque reste. C’est elle qui est au cœur de la SA Stade Brestois 29 et c’est par elle que les bénéfices arrivent (ou pas). C’est à elle que les vrais supporters sont attachés (comme au stade Francis Le Blé, d’ailleurs).
Pour comprendre le fonctionnement de la SA, il faut séparer deux flux financiers.
- Le premier représente ce que l’on appelle souvent maladroitement dans une entreprise les « centres de coûts ». Ce sont les achats de joueurs [4], la partie formation et l’entrainement. C’est là que l’on affine son « produit », ayant vocation ensuite à être valorisé.
- Le second volet des flux financiers, c’est ce que l’on appelle les « centres de profit ». Ce sont toutes les actions qui vont permettre de valoriser la marque au travers de ses joueurs et d’en tirer des recettes. C’est cette partie-là qui fait bouillir la marmite et, si possible, met du beurre dans les épinards des investisseurs !
Je passe rapidement sur le premier point, les « centres de coût », mais c'est là que se joue la stratégie sportive sur l'équipe : les joueurs et les entraineurs. Il y a beaucoup d'argent qui circule et aussi surement beaucoup d'humains. J'imagine que les dirigeants sont assez présents sur cet aspect-là. C’est la partie directement liée au jeu, dans laquelle il faut faire des paris, négocier pour enfin gagner ou perdre des matchs. C'est probablement pour cela que certains rêvent d'être dirigeant de Club. Cela doit être émotionnellement très stimulant, en cas de victoire, comme de défaite ! Mais ce n’est pas vraiment le sujet de cette note, si ce n’est pour rappeler que nous parlons ici d’un jeu sportif et que le facteur chance (ou disons imprévisibilité) est potentiellement plus fort qu’en économie classique des entreprises, où un business plan correct permet de planifier et d’anticiper [5].
La partie qui va nous intéresser ici est celle qui correspond aux recettes. C’est la partie commerciale liée aux matchs, clairement moins centrée sur le sport que sur le « business ».
Dans un club de foot, on peut perdre des matchs, c'est une chose. Cela fait mal, mais il y aura d’autres matchs ou d’autres saisons. Mais boire le bouillon financièrement, c'est autre chose. Cela joue sur les deniers des investisseurs et peut conduire à de sévères sanctions [6] devant la DNCG (Direction Nationale du Contrôle de Gestion, souvent présentée par la presse comme étant le « gendarme financier du football français »).
Donc, les recettes, c’est le cœur de business des investisseurs.
Les postes de recette du Club
Le premier poste de recettes, ce sont clairement les droits TV. Plus le Club monte et se maintient, plus il y a d’argent qui tombe. C'est en passant en Ligue 1 que la SA du Stade Brestois a dégagé le plus de profits. C'est organisé au niveau national (pas super bien organisé d'ailleurs, avec le scandale de Médiapro). Au niveau local, je ne suis pas sûr que ce poste se négocie beaucoup ! Retenons juste que l’on parle là de très grosses sommes pour un club comme celui de Brest, de l’ordre de 14,5 M€ en 2020 par exemple. Tant que nous restons en L1, cela ne devrait pas descendre en-dessous de 10 M€, mais ne pas monter non plus très au-dessus de 20 M€, car les « algorithmes » de répartition du pactole télévisuel jugent aussi l’antériorité [7].
En Ligue 1, si on prend comme référence les comptes 2019/2020 [8], les droits TV représentent globalement 50 % des produits d’exploitation.
Les trois postes qui suivent représentaient plus de 40 % des recettes. Ce sont la vente des places dans le stade (incluant les abonnements) pour 15 %, la vente de ce qui est joliment nommé « Hospitalité » pour 15 % et enfin tout ce qui est publicitaire pour un peu plus de 10 %.
Enfin, il existe des petits postes qui représentaient moins de 10 % du total des recettes. Tout ce qui est vente : buvette et boutique peinent à atteindre un 3 %. Les subventions ou dotations en lien avec les fédérations de football apportent 1,5 %. Les subventions publiques directes un peu plus de 1 %, mais c’est un chiffre trompeur. J’estime à 2,5 à 3 % l’apport consolidé d’argent public sur les recettes [9], ce qui reste faible, heureusement (l’argent public ne se joue pas… quoi que, parfois !) Puis il y a quelques inclassables pour 2 % environ.
Ce qui est intéressant de regarder, ce ne sont évidemment pas les petits postes à moins de 10 %, ni le plus gros avec les droits TV à 50 %. Ce sont les trois autres.
Dans les trois autres, il y a une part de fidèles Brestois spectateurs, supporters ou fans qui achètent individuellement leurs places ou leurs abonnements. Je ne sais pas dire combien cela représente, mais c’est à mon avis moins de 50 % des recettes sur la vente de places [10], soit environ 7 % du total. Donc, ce n’est toujours pas eux qui vont faire bouillir la grande marmite.
Et puis il y a tout le reste, c’est-à-dire plus de 30 % des recettes qui sont liées aux « partenaires » du Stade Brestois. C’est là que nous rentrons dans l’espace « BUSINESS », matérialisé par un petit bouton jaune en haut à droite du site Internet du Club !
Le BUSINESS de la SA Stade Brestois 29
Ces 30 %, c’est environ 10 M€ de recettes. Pour le PSG, c’est de l’argent de poche, mais pour le Stade Brestois, ce n’est pas rien dans les recettes globales du Club.
Au-delà des abonnements qui sont aussi achetés par des « partenaires », lorsque l’on ouvre la petite porte de l’espace « BUSINESS », nous découvrons sans surprise que tout se vend :
- La valorisation des maillots des joueurs : devant, derrière, les manches, le short, les tenues « home » et les tenues « away » (matchs extérieurs)
- La valorisation des espaces de communication dans le stade : les écrans géants, les bannières LED, les panneaux, les bâches déroulées sur les supporters, le naming sur le terrain, le digital sur le site Internet, les supports papier, le parrainage de match.
- Des « produits dérivés » pendant ou en dehors des matchs, qui portent l’appellation d’Hospitalité : les loges ou le Carré VIP qui correspondent à des espaces VIP dans le stade, mais aussi les after à l'Atelier, au Carré Rouge ou dans des salons privés. En plus, se rajoutent des expériences payantes pour des temps forts particuliers, des places Premium et des rencontres privilégiées.
Le catalogue est complet, il y en a pour tous les gouts et pour toutes les bourses, pour ce que le Stade Brestois appelle ses « partenaires », des entreprises qui dans une société classique seraient plutôt nommées les « clients de la SA ».
Donc, lorsque l'on parle des acteurs du Stade Brestois, ce ne sont pas que les dirigeants, c’est tout cet écosystème. Certains restent probablement assez proches d’un statut de client/consommateur de matchs et/ou de « produits dérivés », afin d’inviter leurs propres partenaires économiques, par exemple. Mais d’autres sont assurément plus investis. Il y a d’ailleurs une hiérarchisation dans les « partenaires » sur le site :
- 4 partenaires majeurs, dans lesquels nous retrouvons Le Saint, Arkéa, Quéguiner et La Sill
- 7 partenaires officiels, dans lesquels nous retrouvons 5 entreprises, puis la ville/métropole de Brest et le Télégramme, qui ont chacun un statut un peu particulier.
- 29 partenaires du Club des 29, dans lesquels nous retrouvons 28 entreprises privées et la Société Publique Locale (SPL) Eau du Ponant (avec pour PDG un certain F. Cuillandre) [11].
- 500 partenaires (moins reconnus !), dans lesquels nous retrouvons enfin la SEM Brest'aim et l'association Brest Evènements Nautiques, deux « satellites » de nos deux collectivités (historiquement présidés par un certain F. Cuillandre, même si ce n'est plus le cas à Brest'aim sur ce dernier mandat).
Notons que le Stade Brestois a revendiqué dans la presse avoir 650 partenaires. Soit leur site n’est pas à jour, soit certains préfèrent rester discrets sur leur soutien, soit enfin, le chiffre donné est un peu gonflé ! Cela ne change pas grand-chose.
Je me suis amusé à reprendre la liste des « partenaires » sur le site du Stade Brestois et, aidé de ChatGPT, à tenter de les ranger par grande classe d'activités INSEE. Bon, ChatGPT n'est pas toujours très fin connaisseur de l'écosystème économique brestois, mais après quelques retouches, je dois arriver à une photo pas trop fausse de la liste des « partenaires ». Voici ce que cela donne.
Attention, le graphique se lit juste en nombre d'entreprises, pas en volume d’argent dépensé en achat pour la SA [12].
- La première typologie d’entreprise est le commerce avec presque 110 entreprises partenaires,
- La deuxième est la construction / BTP avec un peu moins de 100 entreprises partenaires,
- La troisième du trio de tête est l'industrie manufacturière avec 50 entreprises partenaires.
Il n’est pas possible de tirer trop de conclusions de ce graphique. Cela montre surtout que l'écosystème est plutôt diversifié, mais cela ne dit pas grand-chose financièrement, puisqu’il peut y avoir des gros comptes dans des petites catégories et inversement. Cela n’est pas tout à fait pareil de se payer des places et un gueuleton après match avec des clients, ou d'investir dans de la visibilité en publicité, par exemple. L’engagement n’est pas le même. Il y a donc bien « partenaires » et « partenaires » !
Seules les activités de spécialités scientifiques et techniques, l'enseignement, la santé et l'action sociale sont plutôt peu représentées en termes d'activités.
Un réseau d’acteurs sous la houlette des investisseurs
Toutefois, l’appellation « partenaires » n'est pas tout à fait anodine. Ce qu'il faut comprendre, c'est que le Stade Brestois est devenu, avec le temps, un réseau informel au niveau économique local, dont la puissance des relations et de l'influence a supplanté celle des ex-CCI, au niveau brestois.
Les deux ont longtemps eu des affinités au plus près des dirigeants économiques et politiques, mais aujourd'hui où les CCI départementales se sont régionalisées, à la suite des tarissements de subventions publiques, leur influence locale s'est amoindrie. Leurs dirigeants n'ont plus l'autorité d'hier sur le microcosme économique de proximité.
Concomitamment et bénéficiant du trou d’air des CCI, derrière la vitrine d'un sport passion, s'est structuré tout un écosystème d'entreprises « partenaires », sous la houlette des frères Le Saint (mais aussi des influents patrons de La Sill, de Quéguiner et d'Arkéa, et quelques autres).
Et c'est bien-là le second intérêt pour devenir propriétaire de la SA Stade Brestois 29, moins sportif celui-là, c'est d’apparaitre comme la tête de pont d’un réseau local puissant. C’est alors bénéficier de la part de contrôle et d’influence sur le système politico-économique local, dont les dirigeants ne se privent pas d’user parfois, comme pour le coup de pression sur le stade par exemple.
Pour être honnête, je n'ai pas un a priori négatif là-dessus. Pour vivre sereinement (et se développer à bon escient !) tout écosystème a besoin de construire des coopérations fortes entre ses acteurs. Je trouve que c'est une bonne chose que des réseaux se structurent ainsi, constitués de petits et de gros qui peuvent se rendre des services. Tous les territoires le font et celui qui ne le ferait pas aurait beaucoup plus de difficultés dans les jeux de concurrences territoriales actuels. La coopération a toujours été un enjeu des réussites sociales et économiques. Rappelons que ceux qui la pratiquent le mieux sont les ultra-riches, comme l'avaient éclairé les sociologues Pinçon-Charlot dans leur livre Les ghettos du Gotha en 2007. Il ne faut jamais se priver de coopérations.
J’y suis donc personnellement favorable. Si le Stade Brestois, au travers de ses dirigeants (il faut bien des leaders, qui plus est millionnaires dans ce cas), dynamise tout un écosystème, il me semble que cela pourrait être une bonne chose.
Toutefois, toute médaille a son revers. La coopération reste collectivement féconde dans la limite de la gouvernance et de l'éthique qui lui est donnée. Plus l'opacité sera grande et plus la coopération peut devenir asymétrique et être appropriée aux bénéfices de quelques-uns : ceux qui ont le plus de capital financier ou social. Derrière les passions, les croyances ou les beaux sentiments se cache malheureusement souvent le Diable [13]. Pour avoir eu ma petite expérience du monde politique à Brest, je pourrais en parler longuement ! Une coopération idéalisée peut vite devenir le monde des copains, des renvoies d'ascenseurs et de la domination d'une part de l'écosystème sur l'autre et de la tricherie. La pente est naturellement glissante, sans garde-fou [14].
Dans son livre Les Bretons, c'est la mafia française, dont le titre est tiré d'une incise au Pape d’Emmanuel Macron de 2018, l'auteur décrit l'écosystème breton au travers de tous ceux qui ont porté haut les « couleurs » du Gwenn ha du et des ambitions pour la Bretagne, au travers de la sphère économique, comme celle du politique. Il ne cache pas que certaines des ambitions initiales ont été abandonnées en chemin, mais que nombreux sont ceux à être devenus bien plus riches et influents à la fin, qu'au début ! Trop souvent, les passions deviennent des masques au service de quelques intérêts personnels, voire de dominations. Je dis là une banalité de notre histoire contemporaine et présente, malheureusement trop souvent oubliée.
Donc, oui à la coopération, mais en gardant bien en tête qu’elle ne doit pas servir que les intérêts de quelques-uns, dans la manipulation et la servitude des autres. Si la coopération sert l'émancipation, je suis fan. Et tant mieux s’il y a des leaders désintéressés, qui veulent construire collectivement un territoire pour l’avenir de tous. Si la coopération (qui n’en est plus une alors) sert toute forme de domination, alors nous devons la combattre, au nom de l’intérêt général.
Aux frères Le Saint de dire qui ils sont… Ils ont les cartes en main, ou plutôt le ballon au pied !
Et le politique dans tout cela ?
C'est dans ce jeu qu'arrive le maire de Brest, F. Cuillandre, qui est tout sauf un influenceur moderne ! Si F. Cuillandre a gracieusement sa place à côté de celle du président du Club à chaque match et a open-bar lors des happy hours VIP et des évènements du Stade Brestois [15], je ne pense pas qu'il touche quoi que ce soit du Club. Cela serait trop risqué, pour l’un comme pour les autres. Ce n’est pas le but recherché.
Pour le maire actuel (ce n'était pas le cas du précédent, Pierre Maille), le jeu politique est d'aller capter l'influence d'autrui, pour s'en servir au moment du jeu électoral, afin de se faire une nouvelle fois réélire. Reconnaissons-lui au moins un talent pour cela ! En effet, F. Cuillandre est plus connu pour sa liste de soutiens [16] que pour ses idées politiques, plutôt classiques, voire carrément vieillissantes lorsque l'on parle des enjeux émergeants. Et je ne parle même pas des affaires, récurentes ces derniers temps et de son nouveau statut de « délinquant » qu’il a à faire oublier.
Pour continuer à exister, il a besoin de personnes qui se portent garantes de sa personne, de sa « probité » malmenée. Des relais d'opinions qui vantent ses « mérites » et qui font du storytelling autour de son bilan présumé [17]. Comme il est d’un naturel « taiseux », comme l’excusent les membres de son premier cercle, il faut bien que d’autres disent pour lui ce qu’il pense. Ce n'est pas pour rien que le responsable du service Communication de la collectivité est devenu son chef de Cabinet. Issu d'un parti politique qui prône le renouvellement dans ses statuts, l'ambition politique semble être juste devenue de garder son siège de maire/président. C'est bien là, un enjeu financier [18] ! Et pour cet objectif, l'appui du réseau du Stade Brestois (et donc d’abord de ses dirigeants, les frères Le Saint) est assurément un atout de taille à Brest. Sans compter les soirées au Carré VIP, puis à l'Atelier, qui permettent de serrer des mains et de croiser facilement une multitude de décideurs locaux et leurs réseaux. Lorsque j'étais élu et responsable du Parti Socialiste à Brest, on sentait le maire bien plus à l'aise dans ces soirées arrosées que sur les marchés ou en porte-à-porte, avec les quelques militants du PS brestois !
Cette stratégie électorale est loin d'être nouvelle de la part du maire. Du temps de la grande époque de la CCI, lors de ses deux premiers mandats, F. Cuillandre s’est particulièrement appuyé sur elle pour faire bonne figure dans la sphère économique. Le maire fut alors très favorable à céder la gestion du port et de l’aéroport à la CCI, par exemple. Cela a permis aux dirigeants de la CCI de conserver une grande influence locale (contrairement à d'autres CCI). En 2008, cela lui a plutôt réussi puisqu’il a récupéré un électorat de centre droit, votant pour lui aux municipales (moins aux législatives sur Brest rural), siphonnant pour partie l'électorat de la droite brestoise. En 2014, face à une Bernadette Malgorn conquérante, F. Cuillandre ne cacha pas avoir réussi une jolie « prise de guerre » à la droite, en mettant sur sa liste le directeur de la CCI, Michel Gourtay, sous la condition de lui laisser le portefeuille à l'économie de la métropole.
Ainsi, après avoir été 31 ans directeur de la CCI de Brest, voilà bientôt deux mandats que l’actuel vice-président à l'économie [19], toujours très en lien avec les grands patrons locaux (notamment ceux que l’on retrouve dans les « partenaires majeurs »), arbitre la politique économique de la métropole depuis son bureau, à côté de celui du président de la métropole.
Petite anecdote pour finir sur le thème du « bureau » et montrer que je n’affabule pas tant que cela dans mon analyse de la relation entre le maire de Brest et les dirigeants du Stade Brestois. Je vous propose d’aller jeter un œil sur la page de l’organigramme de la SA du Stade Brestois (copie d'écran ici). On aurait pu imaginer que Denis Le Saint ait voulu prendre sa photo auprès de son équipe, de son centre d’entrainement, ou mieux, depuis le siège tout neuf de son Groupe, le Réseau Le Saint, sur la zone de Lavallot (où l’usine de La Sill devait s’installer aussi, d’ailleurs !), tel un capitaine d’industrie. Eh bien non, c’est depuis le bureau du maire de Brest qu'est prise la photo qui est affichée sur le site de la SA du Stade Brestois (ici). Que penserait-on si le maire prenait sa photo officielle, depuis le balcon du siège du groupe Le Saint ?! Tout un symbole, mais aussi toute une signification en termes de pouvoirs… réels ! On comprend mieux pourquoi les Le Saint apprécient tant le maire actuel… Probablement pas parce qu’il se dit socialiste !
Voilà ce qui explique, au moins en partie, l'alliance entre les frères Le Saint et F. Cuillandre sur le nouveau stade. Ce dernier vient chercher des voix pour sa réélection, en permettant financièrement la construction du stade et en cédant la gouvernance aux deux dirigeants du Club. Les premiers viennent chercher l'outil qui permettra à leur Club de rester en Ligue 1 et faire ainsi que leur investissement restera profitable, au moins à moyen terme. Mais c’est une autre histoire. Cette première réponse est déjà bien trop longue !
Plus rapidement sur les deux autres questions
Sur la communication sur le projet et ses alternatives : en effet, il y a peu à attendre du Télégramme ! Ou plus exactement du « groupe Télégramme ». Pas de scoop non plus de ce côté-là, les grands titres de la presse écrite des médias privés sont quasiment tous à la solde… de leurs propres intérêts ! Le Télégramme ne déroge pas à cette règle capitalistique (je ne les blâme même pas, c’est juste à savoir).
Pour tout ce qui touche aux intérêts du Groupe, il ne faut pas attendre d’eux une attitude journalistique au sens d’un questionnement ou d’une enquête critique indépendante. Et comme leur valeur ajoutée journalistique est plutôt sur le local, voire le très local, et bien, il ne faut pas trop attendre d’eux un travail sur l'éthique des pratiques à Brest (politique ou économique), voire sur une critique tout cours, sauf lorsque leurs propres intérêts sont en jeu ! Il n’y a pas de quatrième pouvoir (local) à Brest. Ils sont ce que l’on pourrait appeler : « alignés ». Cela a des inconvénients, mais aussi des avantages par rapport à certains journaux de la PQR qui ne sont pas forcément de la première qualité, voire puent franchement en termes de contenu éditorial. En tant qu’abonné, je ne pense pas cela du Télégramme. Je ne leur donne pas une vraie crédibilité pour parler des sujets à enjeux locaux, mais pour le reste, il me semble que ce n’est pas si mal. Ils jouent clairement d’abord la partition de leur Groupe au regard de leurs intérêts propres, tout en cherchant à satisfaire leur lectorat, probablement d'un centre droit vieillissant, mais pas que …
À Brest, l’insularité régionale fait que beaucoup de grands acteurs économiques des alentours partagent des intérêts communs, comme pour le Stade Brestois, mais aussi la course des Ultimes, par exemple : Arkéa Ultim Challenge [20], idem pour les fêtes nautiques [21] autant dire que l’information par voie de presse sur les affaires locales frôle l’omerta !
L’affaire Vivre à Brest fut un très bon marqueur. Ce fut le Télégramme qui sortit le scoop en 2018, alors que F. Cuillandre était en froid avec le groupe Télégramme, justement sur la question des premiers projets de la course des Ultimes. Défendant ses intérêts propres, Le Télégramme ne faisait pas de cadeau à la majorité en place. La sortie de l’affaire Vivre à Brest est à lire dans ce contexte (ce qui fut une bonne chose !) Les relations semblent s'être apaisées peu avant l'élection municipale, sans que je ne sache ni pourquoi, ni comment (si ce n'est que le Télégramme a objectivement bien repris la main sur la course des Ultims). À partir de ce moment-là, Le Télégramme a fait à minima sur l’affaire Vivre à Brest. Le journaliste ayant sorti l’affaire ne l’a plus couvert et contrairement aux premiers articles dans lesquels le Télégramme revendiquait son scoop, il ne le fera plus après, se faisant plutôt discret dans la diffusion de l’information. Évidemment, un « opposant au maire » comme moi n’eut après l'élection plus aucun espace sur cette affaire dans les colonnes du Télégramme, malgré que j’aie publié un livre et de nombreuses notes sur les dessous de l’affaire (que de nombreux journalistes, y compris du Télégramme, ont trouvé fort intéressants). Mais il parait que cela toussote à Morlaix, quand mon nom apparait !
Ce que cela montre, c’est que sur des sujets de ce type, ce sont bien les directions des Groupes qui décident des lignes éditoriales. Qui veulent-elles secouer ? Qui décident-elles de censurer ? Qui souhaitent-elles soutenir ? La réponse à ces questions se joue au travers d'une stratégie d'entreprise informelle, en fonction d'intérêts et d'alliances conjoncturelles, qui ont à mon avis plus de lien aujourd’hui avec des enjeux économiques, que des idées politiques. Comme au foot, le business a pris le pas sur un journalisme d'investigation régulateur, tel que nous aimerions qu’il soit.
Du côté d'Ouest-France, j’ai moins eu l’occasion de pratiquer la nouvelle équipe avec qui j’ai eu des échanges constructifs. Néanmoins, j’ai eu une mauvaise expérience avec le précédent responsable de la publication à Brest (parti depuis), qui était à la main de certains élus. J’ai assisté à des scènes qui feraient passer l’indépendance de la presse pour une douce utopie. Dans certains de ses papiers, durant la campagne électorale de 2020, je reconnaissais certaines plumes du 4ème étage de la mairie de Brest ! C'était vraiment un regret de faire ce constat, car Ouest-France est un grand journal qui a beaucoup moins d’intérêts locaux à Brest que Le Télégramme, mais un responsable de la publication en local en a lui ! Je dois avouer que cela a abîmé ma confiance envers eux. Mais comme je l'ai dit, c'est une nouvelle équipe... j'espère avec d'autres pratiques !
Pour le coup, cela dépend beaucoup des personnes et il y a heureusement plus de bons journalistes, qui ont le souci de bien faire leur travail, que de mauvais.
Pour ma part, je trouve la posture des directions de groupe triste et décevante lorsqu'elle interfère avec l'information aux citoyens. Je considère vraiment le travail de journalisme comme un quatrième pouvoir essentiel dans la stabilité de nos démocraties. La liberté de la presse, comme la liberté d'expression, ce n'est pas rien. C'est le socle de beaucoup de nos libertés. J’acte que certains ont renoncé à ce rôle dans les directions de ces quotidiens, afin de préivilégier des stratégies économiques. À trop vouloir démissionner des rôles que l’on prend dans une démocratie, il arrive que l’on déçoive les citoyens et qu’ils leur prennent l’envie d’aller voir ailleurs. Le jour où nous nous réveillerons avec des régimes autoritaires au pouvoir, il sera trop tard. Ce ne sera pas que la faute des politiques et des citoyens. Faire société, c’est comprendre que nous faisons système et que chacun, dans l'espace qu'il occupe, joue un rôle et a une responsabilité.
Lorsque l’on s’engage dans des activités en lien avec la stabilité de nos démocraties, il y a des enjeux politiques ou sociaux qui devraient passer avant l’affairisme. L’indépendance des pouvoirs en est un, l’éthique aussi.
Bon, il reste Médiapart (et quelques autres) auquel je me suis aussi abonné, mais ils parlent moins de Brest. C’est dommage, d’ailleurs !
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Dernier point sur la saisine de la Chambre Régionale des Comptes sur le projet de nouveau stade.
Eh bien, pourquoi pas. Je ne connais pas bien les fonctionnements, mais demander un avis ne coute rien. On voit bien que dans ce dossier complexe, il y a beaucoup d’opacité et de technicité qui empêchent une projection sur le long terme (30 à 50 ans) des impacts de ce projet au Froutven. Il est sûr qu’une analyse des magistrats de la CRC serait hautement intéressante.
À défaut de l’avoir, je mentionne qu’il y en a eu un rapport de la CRC sur la SA du Stade Brestois en 2021 qui est tout à fait intéressant (ici) et sur lequel toute une partie des chiffres et des analyses de cette note s’appuie. Le Télégramme avait d’ailleurs fait un article dessus (là), laissant une large place à la contre-argumentation du Club, qui ne semble pas avoir pris le temps de partager sa réponse étayée à la Chambre !
Comme après chaque rapport dans ce genre d’exercice, le principal intéressé botte en touche, arguant que tout est sous contrôle. Pourtant, la Chambre émet de nombreuses craintes et concernant le nouveau stade en particulier, elle conclut :
« Bien que ce projet de nouveau stade n’en soit qu’au niveau des discussions, la chambre attire l’attention de la SASB [SA Stade Brestois] sur les coûts envisagés au regard de sa situation financière fragile. Un équilibre entre les ambitions du club et ses capacités réelles de financement doit être trouvé. »
Il y a peu de chance que son avis ait changé depuis, mais le Club pourrait lui aussi solliciter une nouvelle analyse de la Chambre ! Cela apporterait un avis réellement indépendant et une transparence financière qui manque cruellement dans le projet aujourd’hui.
Voilà, that's all folks !
La prochaine note, que j’ai un peu temporisée pour préparer celle-là, devrait tenter de répondre (à ma manière) à la préconisation de la CRC : rechercher un équilibre entre les ambitions du club et ses capacités réelles de financement.
À suivre donc !
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[1] Les deux filiales sont la SARL FIDEGE puis la SAS Holdisports qui a repris les parts de la SA Stade Brestois 29 en 2020. Dans les deux cas, les deux frères Le Saint contrôlent les sociétés.
[2] Si on se réfère à l’actionnariat affiché dans les comptes annuels de la SA, sur les années d’acquisition du Club par les Le Saint, il est possible de tenter d’estimer le coût d'acquisition de 99 % des actions de la SA (comme décrit dans le rapport de la CRC). Cela donne un achat pour environ 1,6 M€, en partant des hypothèses suivantes : 1,37 M€ pour monter à 50 % du capital, puis 0,26 M€ pour atteindre les 99 %, après une création d’actions en 2017 et un rachat des actions décotées restantes à 21 € (soit une décote de 77 % du prix par action).
Aujourd’hui, le Stade Brestois 29 vaut très probablement beaucoup plus que cela. Mais seuls eux le savent au regard des offres de rachat qu’ils affirment avoir reçues. La valeur d'un Club est un prix de marché, en fonction des résultats. L'achat d'un Club de L2, n'est pas le même qu'en L1 ou qu'en Ligue des Champions, bien-sûr. La SA Stade Brestois 29 a pris beaucoup de valeur en 10 ans, ce qui n'est pas anormal.
[3] Dans les comptes de la SA, sur l’exercice 2016, le capital social est affiché à 2,7 M€ (29 704 actions à 90,87 €). Sur l’exercice 2017, le capital social perd 68 % de sa valeur en passant à 867 972 € (41 332 actions à 21 €).
Cette évolution par création d’actions nouvelles semble s'être faite au profit des Le Saint en termes de gouvernance, puisque leur participation passe de 15 127 actions (50,93 %) en 2016 à 28 855 (69,81 %) en 2017. Toutefois, cela se fait en affichant une « perte relative » de presque 770 000 € en 2017.
Le volume et le montant de la valorisation du capital social ne semble plus avoir bougé depuis 2017, ce qui ne reflète pas les évolutions du Club, passé en Ligue 1, puis maintenant en Coupe d’Europe. Pour comparer avec d’autres clubs de L1, Nantes était à 2,45 M€, Metz à 7,4 M€, Rennes à 34 M€ et pour s’amuser, le PSG à 511 M€ ! Donc moins de 900 k€ pour le Stade Brestois 29, c’est a priori très sous-évalué par rapport à une revente.
[4] La vente et l’achat de joueurs peuvent devenir aussi une source de profit. Mais globalement, c’est plutôt un investissement qui coute et que le Club met dans ses amortissements d'ailleurs. (lire Pourquoi l'amortissement des indemnités de transfert est un élément clé du mercato ? du site FootMercato)
[5] Actons que même en économie des entreprises, il y a une grande part de chance et d’aléas non prévisibles aussi. Le Covid en fut un, mais simplement le jeu des concurrences, des sauts technologiques ou des comportements sociaux peuvent faire ou défaire des entreprises, sans pouvoir l’anticiper quelques années plus tôt. Mais s’agissant du foot, nous sommes « officiellement » dans l’espace du jeu. La part d’imprévision est très forte et se joue sur le terrain, en bien, comme en moins bien. C’est probablement cela qui en fait son succès, d’ailleurs ! Les banquiers le savent très bien lorsqu'ils allouent des prêts (d'où l'obligation de garanties d'emprunt publiques), les politiques savent l’oublier !
[6] La Direction Nationale du Contrôle de Gestion possède de nombreux pouvoirs sur les Clubs lorsqu’elle observe des comptes à risque. Le fait de rétrograder très significativement un Club peut lui permettre de sauver la mise et d'éviter une faillite. Mais c’est une catastrophe sur le plan actionnarial pour ses investisseurs. Le Club (la marque) ne vaut plus du tout la même valeur, comme lorsqu’une action chute sévèrement en bourse. Lire l’article instructif : Le club de football, une entreprise en difficulté comme les autres ? de Alexis DREYFUS, auteur de « Faillite Football Club ».
[7] Le premier de classement (PSG) émarge bien plus haut, car il est en haut du classement depuis plus longtemps (antériorité). Mais au regard de son budget global, pas sûr que cela fasse plus en pourcentage des charges.
[8] Je prends les comptes 2019/2020, car ce sont les derniers analysés par la CRC, sur lesquels nous avons des détails (voir fin de la note). Il est difficile d’avoir autant de détails dans les comptes déposés de la SA pour les années qui suivent. Mais il faut considérer que certains postes comme les droits TV ou ceux liés à la fréquentation peuvent varier. Mais ces chiffres permettent déjà d’avoir une idée de la décomposition des recettes du Club.
[9] Ce chiffre est trompeur, car les subventions directes ne sont pas le seul financement public. En effet, la ville et la métropole de Brest financent indirectement en achetant des abonnements, de la pub et des hospitalités, depuis les deux collectivités, mais aussi via trois EPL : Eau du Ponant, Brest’aim et Brest évènements nautiques qui sont considérées comme « partenaires » du Stade Brestois. Évidemment, nous n’avons pas le détail pour les EPL. Il est possible d’estimer le montant annuel des contributions publiques entre 700 000 et 1 000 000 € (soit plutôt réellement 2,5 à 3 % des recettes). Clairement, en cas de nouveau stade, ces financements indirects au Club grimperont sans que cela ne puisse trop se voir, car la loi autorise à mettre beaucoup plus. En effet, la loi met bien un plafond, mais il est au regard de ce qui peut être fait pour des grands Clubs comme le PSG. Donc il semble y avoir beaucoup de marge pour faire grossir ce chiffre. Toutefois, Brest n’est pas Paris !
[10] En nombre d’abonnements, mon estimation à 50 % personnels et 50 % partenaires est probablement un peu faible. Je pense qu’il y a beaucoup d’abonnements de supporters brestois du Club. Mais les abonnements partenaires sont clairement ceux qui sont vendus les plus chers. Un abonnement tribune Quimper vaut deux fois moins qu'un abonnement tribune Foucault. Or, je ne connais pas beaucoup de partenaires à aller en tribune Quimper. Mais je peux me tromper !
[11] Depuis sa création, la SPL Eau du Ponant est un client important du Stade Brestois 29, notamment parce qu'historiquement, Véolia qui avait les contrats d’eau et d’assainissement sur le Pays de Brest, avait l’usage d’inviter les élus en charge de l’eau aux matchs. Comme je l’ai déjà raconté ici, l’usage s’est retransmis à la SPL. Depuis ce dernier mandat, il semble que la SPL ait encore fait monter son « engagement » pour le Stade Brestois, sans qu’il soit possible de le mesurer.
[12] L’information sur les dépenses de chaque partenaire privé n’est pas disponible et doit relever du secret des affaires pour les deux dirigeants ! Comme dans toutes les entreprises, les prix sont à la main des dirigeants et nous pouvons imaginer que tout se négocie. Donc, pour qu’il n’y ait pas de jaloux, il vaut mieux ne pas trop diffuser de chiffres. Cela peut se comprendre s’agissant d’un business privé.
[13] Je ne vais pas dresser ici la longue liste des errements de la nature humaine, mais tant dans le religieux que dans le politique ou même la santé et la solidarité, la croyance d’un idéal partagé a conduit de nombreuses personnes à dévier très largement de leur trajectoire pour s’approprier richesses et bénéfices de la cause défendue, en contradiction totale avec le discours, mais avec une protection (non pas divine) de la loi du silence qu’ils instaurent autour d’eux : l’opacité.
[14] Un bon exemple des dérives possibles est le cas Bernard Tapi, mais il existe des « tapis » de toutes les tailles et de toutes les couleurs ! Quand les têtes commencent à tourner dans la frénésie du jeu, seuls des arbitres extérieurs peuvent arrêter la partie. Cela peut être soit un contrôle citoyen en amont, soit le contrôle d’un juge d’instruction en aval.
[15] Le maire/président de Brest a libre accès à tous les évènements du Club, à la fois en tant que sponsor, mais aussi partenaire et « propriétaire » du stade Francis Le Blé. Lors des matchs, il siège à côté du président du Club et se déplace avec lui lors des matchs extérieurs importants. F. Cuillandre tire donc ce genre de bénéfices, mais c’est inhérent à la fonction.
Remarquons au passage que cet état de fait donne à Denis Le Saint une proximité très forte avec le maire/président de Brest qu’il côtoie en off, durant deux mi-temps, puis lors des afters, tous les 15 jours. Je ne suis pas sûr qu'ils n'y parlent que de foot ! Je ne suis pas sûr que d’autres patrons à Brest aient un accès aussi régulier au maire/président.
[16] Comme l'écrit le parisien ici, F. Cuillandre « cultive, au-delà des frontières de la politique, un riche réseau d'amis. La liste des signataires de son comité de soutien en est l'illustration : déjà 250 noms dont pas mal de « people ». A faire pâlir de jalousie un prétendant à l'Elysée ! » La maitrise des paillettes reste son principal atout ! Pas sûr que PPDA soit de la partie en 2026 !
Actons aussi que le jeu d’influenceurs qui vendent de mauvais produits n’est pas près de se finir, y compris en politique !
[17] Je ne vais pas rentrer dans le détail ici, mais le bilan revendiqué par F. Cuillandre est d’abord celui hérité de la période Maille, puis de l’engagement de nombreux de ses adjoints, au premier rang desquels, celui qu’il a mis en disgrâce : Alain Masson.
J’ai moi-même à mon actif quelques belles idées, mises en œuvre que le maire s’approprie dans ses bilans. Ce n’est pas anormal puisque c’est un travail d'équipe, mais cela trompe la réalité des faits de son empreinte réelle sur la ville.
Le bilan personnel de F. Cuillandre est plutôt maigre, si ce n'est de s'être fait réélire 4 fois, en perdant de nombreuses voix, dans une ville qui vote à gauche ! Son grand projet d'agrandissement de la métropole, qui fut longtemps celui qu'il porta afin de se placer à la tête d'un EPCI de 400 000 habitants et pour lequel il concédait quelques sacrifices, finit par partir en jus de boudin. La confiance étant loin d'être établie avec les autres territoires... je ne peux pas leur reprocher !
[18] Rappelons l'enjeu financier de se faire réélire pour F. Cuillandre. Il touche ses deux retraites (prof et député). Il ne perd donc pas de revenus en pratiquant ses deux mandats, comme c’est le cas pour des actifs qui ont des retenues sur salaires que les indemnités d'élu sont censées compenser. Ses deux indemnités sont donc du bénéfice net.
En tant que maire/président, il est au plafond des indemnités d’un élu local, soit 8898 €/mois (brut). Sur un mandat de 6 ans (je vous laisse vérifier le calcul), cela produit 640 000 € d’indemnités. En plus de cela, viennent se rajouter tous les avantages indirects liés à la fonction en termes de déplacements (voiture avec chauffeur, avion, hôtel), de restauration et de participation à des évènements. Je ne parle pas de l’influence et des invitations diverses liées à la fonction.
Donc, en effet, au regard d'un autre retraité brestois, il y a un bénéfice financier très significatif à être réélu maire/président en 2020… Et aussi en 2026, d'ailleurs !
[19] Pour avoir fait un mandat avec Michel Gourtay (2014-2020), avoir siégé 6 ans à côté de lui à la métropole et avoir aussi eu mon bureau à une porte du sien, je dois dire que j’ai apprécié la personne et j’ai appris à ses côtés, sur de nombreux sujets. Lui-même venait me questionner sur les relations plus en lien avec les « pratiques du petit monde politique », bien éloignées des relations très hiérarchisées qu’il avait connues à la CCI. J’ai globalement apprécié travailler avec lui, même si je reste plutôt critique sur ses liens « d’amitiés privées » avec des acteurs économiques locaux, qui ne me semblent pas compatibles avec la délégation qu’il endosse aujourd’hui.
Cela étant dit, en termes de gouvernance de la sphère économique à Brest, 31 + 2 x 6 = 43 ans d’une même personne, pose de nombreuses questions sur le caractère fermé de la gouvernance économique à Brest. En 2019, un observateur averti m’avait mis en garde sur la résistance au changement de la sphère économique Brestoise, verrouillée par les grandes familles au travers de la CCI. Contrairement à d’autres grandes métropoles, le jeu à Brest était très fermé et surtout, sous contrôle. Son analyse était qu’il était très difficile de faire du développement économique en partant des énergies émergentes, à l’opposé d’autres territoires qui florissaient par la coopération de dynamiques locales. Il décrivait alors une forme de protectionnisme local, de consanguinité, frôlant parfois au conflit d’intérêts entre acteurs, afin de ne pas déstabiliser une sphère où les gagnants seraient déjà désignés.
Clairement, le politique joue un rôle important dans ce statu quo. La présence de Michel Gourtay en tant que VP à l'économie n’est pas un signe d'innovation, mais peut être plutôt lue comme l’assurance d’une forme de servilité au plus haut niveau politique, face aux acteurs économiques… « majeurs » !
[20] Sur Arkéa Ultim Challenge, le leader est la filiale du groupe Télégramme : OC Sport Pen Duick, associée à des financements de la métropole/département/région et de Arkéa (naming aussi).
[21] Idem pour les fêtes nautiques brestoises, où toute la communication est portée par Rivacom, l’agence du groupe Télégramme qui avait fait les pages de Marianne (ici) lors de la dernière édition en 2016. Une agence de com' qui fut choisie (assez innocemment) par le maire sortant pour mener sa campagne des municipales d'ailleurs. Le monde est petit, parfois !
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Photo : issue du fil Facebook du maire (ici)