Les raisons profondes du nouveau stade au Froutven
samedi 26 octobre 2024
À la fin de ma dernière note sur le projet de stade au Froutven, en mai dernier, j’avais mentionné que je reviendrai sur le sujet dans une prochaine note qui tenterait « de décrypter les raisons profondes qui poussent les frères Le Saint à s’investir dans ce nouveau stade. » Quatre mois bien remplis sur le plan politique se sont écoulés. Il ne m’a pas semblé opportun d’y revenir durant cette période chargée, malgré un projet qui avance toujours : le permis de construire a été déposé et est à l’instruction à la métropole de Brest.
Une actualité pour partie éclipsée par les très bons résultats sportifs du Stade Brestois 29 qui semblent conforter le projet, dans la bouche de ses promoteurs. Il suffit d’observer le retour d’expérience d’autres grands clubs qui se sont enflammés à la suite de victoires conjoncturelles, puis ont investi lourdement dans des grands stades avant de s’en mordre les doigts, pour comprendre que les deux évènements ne sont pas liés. Trop souvent, les fêtes font place aux dettes, surtout dans un contexte structurel (tout à fait prévisible) de tensions sur l’argent public. Mélanger investissements et jeux fait rarement bon ménage !
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Dans le dernier Sillage (n°268, ici), François Cuillandre tente une nouvelle fois de sauver son argumentaire biaisé en évoquant poétiquement « une affaire de cœur et de raison ».
S’agissant du maire, j’ai déjà parlé de son « affaire de cœur », ici. Mais « la raison », nous la cherchons toujours ! Encore des contrevérités lorsqu’il affirme : « l’étude que nous avons demandée est claire : mettre à niveau [Françis le Blé] est impossible. » L’étude, que j’ai détaillée dans une note ici, dit exactement le contraire. Une étude que nos chers édiles avaient promis de rendre publique en février dernier… Nous attendons toujours.
Enfin, le comble, notre dispendieux maire nous vante un « montage financier innovant » pour éviter un stade à financement 100 % public ! Je rappelle gentiment que durant les dernières municipales, le financement de ce grand stade nous avait été annoncé 100 % privé. Donc, si innovation financière il y a, c’est du côté des Frères Le Saint qu’il faut aller la chercher. Ils ont réussi à faire passer la pilule d’un projet 100 % privé à un projet, toujours complètement contrôlé par eux, mais avec une très large majorité d’argent public, comme je l’ai détaillé ici et là. Et encore une fois, alors que le permis de construire est à l’instruction, il n’y a eu à ce jour aucune communication publique aux Brestois sur la réalité du financement tellement « innovant » de ce projet [1].
L’opacité règne toujours sur Brest, lorsqu’il s’agit du maire et d’argent. #VivreABrest. À n’en plus douter, notre maire François Cuillandre adhère pleinement à la communication à la sauce Macron : affirmer haut et fort ce que les électeurs veulent entendre, puis faire le contraire dans le sens d’intérêts bien privés.
Mais les élucubrations récentes de notre maire ne sont pas l’objet de cette note. Ces petits rappels étaient juste là pour rattraper le temps perdu ! Passons au fond du sujet : les motivations des frères Le Saint pour ce projet de nouveau stade au Froutven.
Pour faire simple, il y a trois motivations claires au projet. Une louable et deux qui le sont moins, à partir du moment où de l’argent public est lourdement engagé.
Un engouement sportif sincère
La première raison qui pousse les frères Le Saint à s’engager dans ce projet est clairement une passion sportive, et aujourd’hui au sport professionnel. Il faut reconnaître aux frères Le Saint leur engagement dans les clubs et le monde du sport, de longue date. D’abord à Bourg-Blanc, puis à Brest. Cet engagement, qui ne présageait pas initialement l’histoire d’aujourd’hui, est une réalité que l’on ne peut pas leur retirer.
Il est donc difficile de critiquer les frères Le Saint sur ce sujet qui m’apparait comme positif collectivement. Il faut savoir reconnaitre l’engagement des individus dans le sport (ou toute action nécessitant des engagements forts). La réussite n’est pas un gros mot, mais plutôt l’expression d’un savoir-faire. À n’en pas douter, les frères Le Saint possèdent à la fois une volonté de réussir et une compétence pour réussir leurs projets.
Idem sur la question du grand stade, la « posture initiale » ne leur revient pas. Leur projet de stade privé va naitre d’un sous-investissement à Le Blé de la collectivité Brestoise. Depuis 2001, le foot étant à Brest dans le domaine régalien du maire, ce sont les choix de François Cuillandre, maire mais surtout président incapable de fédérer autour d’un projet, qui ont conduit à « rustiner » Le Blé et à en faire un stade dans l’état que l’on connait aujourd’hui. Certains travaux d’amélioration ayant même fait l’objet d’appels de fonds du Club, pour plusieurs millions. Au lieu de porter une ambition pour l’enceinte centenaire, le maire l’a laissé volontairement péricliter. Dès 2001, François Cuillandre avait déjà en ligne de mire un rêve personnel de grand stade au Froutven et l’abandon de Le Blé. Mais actons que ce projet-là non plus, François Cuillandre ne l’a jamais porté [2].
Dans ce contexte, on peut comprendre aisément la volonté d’un président de Club à s’affranchir de dirigeants politiques ne portant pas d’ambition sur l’enceinte actuelle et n’offrant pas d’autres perspectives. Le projet d’un grand stade 100 % privé vient très probablement de cette volonté d’émancipation du Club. Actons qu’au départ, cette volonté n’apparaissait pas illégitime puisque l’argent public n’était pas directement sollicité.
Celui qui a lâché le Stade François Le Blé, ce n’est donc pas Denis Le Saint, c’est bien François Cuillandre. Il continue d’ailleurs à le dézinguer dans son discours, malgré une étude qui y ouvre largement le champ des possibles pour une rénovation bien moins couteuse.
Sur ces deux sujets liés à leur passion pour le foot, je trouve légitime l’action des frères Le Saint. Là où le projet va dérailler, c’est lorsque de l’argent public va être appelé au secours d’un projet qui n’est économiquement pas viable et trop risqué [3].
Une machine à Cash
Si les frères Le Saint sont des supporters sincèrement engagés dans le monde sportif, il ne faudrait surtout pas oublier qu’ils sont aussi des bizness-men expérimentés. Comme me l’a dit un jour un journaliste spécialisé dans les affaires financières : « Au cœur des affaires, il y a très souvent une passion qui sert de paravent aux pratiques bien moins éthiques. Les deux vont souvent de pair ! » C’est un constat que j’avais déjà fait lors de l’analyse de l’affaire Vivre à Brest. La passion était alors moins sportive que politique, mais mes mêmes ressorts de la nature humaine et de la tromperie furent alors convoqués, notamment par le maire de Brest qui finira par être condamné pour Recel d’abus de confiance envers les élus de sa propre majorité.
C’est le problème des passions : une fois que l’argent s’emmêle, la raison n’est plus et tous les moyens deviennent bons pour défendre la « cause », y compris les moins éthiques. Si les supporters passionnés sont les premiers visés par le storytelling des dirigeants, faisant croire à l’absence d’alternative, la réalité par derrière est souvent bien différente. Les propriétaires du Club savent parfaitement faire la part entre passions et business : profiter de la dynamique du premier pour faire fructifier le second. Mais comme souvent, un peu d’opacité est nécessaire pour que cela fonctionne ! 😉
C’est sous ce prisme qu’il faut regarder ce projet de nouveau stade, avec une question toute simple : est-ce vraiment encore un stade ?
Dès le début du projet, s’il a bien été dit que l’enceinte comprendrait un stade, il a aussi été question de diverses activités économiques et ludiques. Le stade, c’est le point d’attraction, le phare, l’étendard, mais en termes de chiffre d’affaires, il est possible de douter que ce soient les jours de matchs qui rapportent le plus à l’équipement.
En termes de taux d’occupation de l’Arkéa Park, si on part sur quelques dizaines de matchs par an occupant une journée, c’est déjà très bien. De leur côté, les fonctions économiques de l’Arkéa Park tourneront entre 250 et 300 jours par an. Il est donc pertinent de se demander ce qu’est réellement cet « investissement immobilier ».
Les frères Le Saint sont assurément des investisseurs avertis. Pour un bon investissement immobilier, tous les experts vous le diront, il y a trois qualités à regarder de près : l’emplacement, l’emplacement et enfin, l’emplacement ! Alors, nous allons regarder... l’emplacement.
En tant qu’ancien vice-président à l’urbanisme de la métropole, je connais bien la zone du Froutven et les appétits des investisseurs qu’elle a suscités par le passé. La parcelle du futur stade fut une des plus convoitées et c’est pour cette raison que la collectivité l’a rapidement bloquée dans son PLUi, comme dédiée à des activités sportives de rayonnement métropolitains (c’est-à-dire : un stade !) C’est aussi cette parcelle qui fit l’objet d’un long contentieux entre la métropole et ses anciens propriétaires, trop gourmands, avant même le projet de stade !
Cette parcelle est à très fort enjeux, car elle est au croisement des voies de circulation rapides à l’Ouest de la métropole, tant vers Rennes et l’aéroport que vers Quimper et Nantes. Elle est donc très bien desservie en termes de flux routiers, sur tout l’Ouest de la métropole. Les fonctions économiques placées sur la zone du Froutven ont un avantage concurrentiel très significatif sur la question de l’emplacement. Ce fameux « emplacement » cher aux bons investisseurs immobiliers !
C’est la raison pour laquelle toutes les activités de la zone du Froutven sont verrouillées comme étant des Pôles commerciaux de périphérie dans le règlement du PLUi. Elles ne peuvent pas accueillir des activités économiques de petites tailles, des commerces alimentaires, des magasins multi-commerces, des grandes surfaces ou même toutes les activités de loisir, par exemple. La liste de tout ce qui y est interdit ou contraint est longue dans le règlement du PLUi sur la zone du Froutven [4].
À l’opposé, la zone où prévoit de s’implanter le projet de grand stade, bien que juste sur l’autre trottoir du boulevard François Mitterrand, n’est assujettie à presque aucune règle aujourd’hui dans le PLUi. Dans la documentation graphique, elle est juste classée 1AUL avec un Secteur urbain faisant l'objet d'orientations d'aménagement et de programmation (Froutven - Botspern) qui ne traite pas vraiment du stade, voire 2AUS où les prescriptions sont quasi inexistantes. Pour leur projet, les Frères Le Saint semblent disposer d’un emplacement à très haute valeur ajoutée, sans restriction. Joli cadeau de la métropole !
Lorsque l’on connait l’esprit entrepreneurial et imaginatif des frères Le Saint, nul doute que ce trou dans la raquette du PLUi sera utilisé à ses pleines capacités.
Mais pourquoi tout a été historiquement verrouillé au Froutven, d’ailleurs ? Tout simplement pour éviter de vider les centres villes des communes (notamment celui de Brest, qui est à vocation métropolitaine) en reportant en périphérie les commerces de petite taille ou des activités de loisir [5]. Or, dans le projet Le Saint, il n’est nul fait mystère que le dessous des tribunes abritera des petits commerces, de la restauration et des loisirs in-door (même au-dessus des tribunes), sept jours sur sept ! La Rue des Pirates porte bien son nom dans le projet, c’est un véritable hold-up sur les règles commerciales du PLUi qui est en train de se faire, sous la raison de la passion pour le ballon rond ! Les boutiques de l’Arkéa Park n’auront très certainement pas la même réglementation que celles de l’autre côté du boulevard François Mitterrand. Bien au-delà des murs à bière prévus en libre-service, cela va être open-bar sur les commerces, à l’emplacement le plus convoité de la métropole !
Les grands gagnants de l’affaire seront les propriétaires de ces surfaces à très forte visibilité. En l’occurrence, la société de portage du projet, sous contrôle actionnarial du privé et dont les frères Le Saint devraient porter la majeure partie de l’actionnariat.
Certes, ce seul équipement ne va pas vider le centre-ville de Brest, mais il contribuera assurément à son affaiblissement continu, en opposition avec toutes les politiques publiques menées depuis 30 ans par les vice-présidents de François Cuillandre. De même, je l’ai déjà dit, du fait de ses espaces VIP et de sa restauration, l’Arkéa Park viendra en concurrence directe des équipements d’agglomération plus vieillissants portés par la SEM Brest’aim. Ce sont les habitants de l’agglomération qui payent déjà la facture des déficits publics de ces équipements (via des subventions d’équilibre à Brest’aim) qui ne vont pas aller en diminuant, pendant que les actionnaires majoritairement privés de l’Arkéa Park rempliront leurs caisses. Une superbe opération dans l’intérêt de tous !
Comme ne le cachent pas les Le Saint, l’Arkéa Park, c’est moins du foot que du business. C’est une machine à cash, dont une partie liée aux matchs (hospitalités) ira dans le financement du Club, mais une autre dans la poche des promoteurs du projet. Tout cela grâce à des dizaines de millions d’euros d’argent public versés sous forme de subventions (métropole, département, région, communes jusqu’à Morlaix) et de leur soutien en tant que partenaires au fonctionnement. Et là, je ne parle que des premières années. À une fin plus ou moins lointaine, quand ruine il y aura eu ou que l’entretien ne sera plus soutenable pour un véhicule financier privé (c.à.d qu’il faudra venir éponger les déficits et les dettes), le vieux stade reviendra dans le domaine public. Les bénéfices des années fastes resteront bien dans le domaine privé, mais nous ne serons probablement plus là pour les voir et encore moins les compter.
L’histoire a le don de se répéter. Seuls les acteurs et les lieux changent un peu… Mais les dindons semblent rester toujours les mêmes !
Derrière la passion du football qui aveugle la décision publique au profit d’acteurs privés, se cachent bien des affaires de gros sous. Pour être honnête, cela reste toujours une entreprise à risques (limités aux fonds propres). Mais lorsque l’on voit les montants d’argent public investis dans l’affaire et les garanties d’emprunt portées par la métropole, il faudrait vraiment des mauvais dirigeants pour louper la profitabilité de la première décennie. Ce que les frères Le Saint ne sont assurément pas. Il y a d’ailleurs fort à parier que le Club et les parts dans la société de projet auront changé de main plusieurs fois, avant que le modèle économique de l’Arkéa Park (qui aura aussi changé de nom) ne soit plus rentable. Savoir se retirer à temps fait partie des qualités des dirigeants qui réussissent !
Le fléau de la balance financière du Stade Brestois 29
La troisième raison de ce projet dans la tête des propriétaires du Stade Brestois 29 est le non-dit sur la stabilité financière du Club. Il est un des clubs les mieux dotés lorsqu’il est en Ligue 2, mais est alors en difficulté financière, faute de recettes suffisantes. En revanche, il devient un nain financier lorsqu’il passe en Ligue 1. Même si cela ne l’empêche pas de briller cette année où les planètes se sont alignées, dans l’état actuel des recettes financières, cet équilibre instable parait difficilement soutenable et très aléatoire sur la durée.
Pour se maintenir en Ligue 1 et assurer un équilibre financier bénéficiaire sur la durée, le Club doit augmenter ses postes de recette (je les ai déjà détaillés dans une précédente note, ici).
Le foot professionnel est un joli sport capitalistique. Les droits TV (50 % du financement du Club brestois) vont prioritairement à ceux qui performent sur la durée. Il y a une prime aux plus forts (comme au Monopoly !) Il faut plusieurs années de bons résultats pour faire monter sa côte, d’où les difficultés financières des derniers du tableau. En même temps, plus le club performe et plus les couts des joueurs (et des préparateurs) montent. Comme à la table au poker, si on n’aligne pas le cash, la sortie de route est assurée face à ceux qui disposent de beaucoup plus. Et ils ne manquent pas en Ligue 1, soutenus sur des comptes bancaires de milliardaires pour lesquels quelques dizaines de millions font figure d’obole. La question des recettes est donc centrale dans la capacité d’un club à se maintenir à ce niveau.
Le projet de nouveau stade au Froutven n’est pas pensé pour un foot populaire, pour l’accessibilité financière des supporters et des fans du Club. Il est pensé pour démultiplier les possibilités de revenus pour le club lors des matchs. La différence avec Le Blé n’est pas quantitative, il y a quasiment le même nombre de places, elle est qualitative. Les hospitalités, comme les appellent les clubs de foot, vont être démultipliées. Et comme tout cela se fera à jauge constante, le tri se fera forcément sur les capacités financières des spectateurs, dont une large part sera de fait reportée vers les fans-zones des bars brestois ou simplement derrière leur écran de télévision !
Il y aura toujours des places réservées pour les Clubs des supporters historiques, car ce sont eux qui rythment l’ambiance dans le stade. Rien de plus triste qu’un match sans eux ! Mais pour le reste de la population, l’accessibilité sera assurément bien moindre ou bien plus chère en moyenne. Les places grand public seront remplacées par des places achetées par des entreprises (partenaires) afin de faire bénéficier quelques privilégiés appartenant aux bons réseaux. Comme en Angleterre, le foot populaire sera un lointain souvenir, créant un fossé toujours plus grand entre les écartés de tout et les encartés partout. La meilleure recette pour faire monter la violence et le vote RN que certains condamnent avec une incompréhension coupable, un verre de bière gratuit à la main, dans les salons des espaces VIP.
Et là, c’est le moment de faire un peu de politique
L’élitisme sportif pousse inexorablement vers le monde de l’argent. Il n’y a qu’à voir comment les médailles des JO ont été accaparées, parfois par poignées, par des sportifs issus de clubs sur-dotés, face à des pays qui n’ont objectivement simplement pas les mêmes moyens.
Le foot est au paroxysme de ce système mené par le monde de l’argent. Vouloir la Ligue 1 à tout prix, c’est accepter le cout qui se cache derrière, y compris si c’est pour créer une fragmentation entre les supporters ou spectateurs de base et ceux qui ont des moyens ou des réseaux d’entreprises sponsors pour se faire acheter des places. Il n’y a plus de sport populaire dans ces sphères. Juste ceux qui sont dans le système et ceux qui en sont exclus.
Pourtant, tous ceux qui ont assisté à des matchs témoignent de la forte communion qui se crée lorsque l'équipe remporte une victoire. Comme je l’ai entendu il y a quelques semaines encore d’un supporter à la suite d’une victoire à l’Euro : « Le foot, c’est ma religion ». Le foot, ce n’est pas rien dans la vie de certaines personnes. Ce n’est pas tant la hauteur dans le classement (un peu quand même) qui engendre cet inestimable vivre ensemble d’un match gagné, mais le moment, l’instant vécu au présent et le fait d’y participer avec d’autres, collectivement. Les grands rassemblements religieux tout comme les grands concerts connaissent aussi cette effervescence d’un collectif qui vibre et partage de mêmes émotions ensemble. C’est le mélange, cette mixité sociale dans des moments forts, qui aide à maintenir soudée une société.
Faire des choix pour que le foot reste un sport populaire plutôt qu’un sport devenu inaccessible à toute une partie de la population, sous prétexte de vouloir se maintenir à tout prix face à des équipes financées par des milliardaires, c’est renier la vertu historique du football dans notre société.
Politiquement parlant, l’Arkéa Park est un témoignage local de la sécession des élites dans notre démocratie. Un projet pour l’ego et pour la profitabilité d’acteurs économiques, qu’importe les conséquences et le sens pour la société. Qu’une collectivité « de gauche » se laisse mener en bateau ainsi témoigne de la fragilité de l’ancrage idéologique, voire tout simplement d’un dérapage cynique vers la droite libérale, bien incarnée aujourd’hui par le macronisme.
En guise de conclusion
On le voit, du côté des motivations des responsables du Stade Brestois 29, tout n’est pas noir ou blanc dans cette affaire, mais il y a un mélange des genres qui questionne. Je n’ai ni sympathie ni antipathie pour les frères Le Saint, mais ils ont montré une belle capacité à réussir leurs projets, y compris en matière sportive. Qu’ils aient leur propre stratégie n’est pas critiquable pour des acteurs privés. La dérive constatée aujourd’hui est bien moins de leur fait que d’une faiblesse du pouvoir politique, incapable de leur opposer une contradiction afin de défendre l’intérêt public et tout autant incapable de mener un autre projet, pourtant tout tracé, bien plus respectueux de nos finances locales, qui s’apprêtent déjà à subir une sévère cure d’austérité.
Une impuissance publique d’autant plus coupable qu’elle se cache, depuis des mois, derrière une opacité sur le montage, les financements et les responsabilités sur le projet. À ma connaissance, le projet n’a jamais été présenté publiquement dans son entièreté au Conseil. Et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’opacité rime avec absence d’éthique et de probité dans la décision publique. Tout cela n’encourage pas à lever les réserves sur ce projet.
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La question finale est simple : au-delà de l’Arkéa Park, Brest peut-elle soutenir durablement une équipe en Ligue 1 (ou à l’Euro) ?
Si la réponse est affirmative, alors il faut expliquer aux Brestois quelles politiques publiques seront reniées, quels arbitrages seront faits pour soutenir cet effort qui ne manquera pas d’être sollicité ou que l’on héritera (comme bien d’autres villes) si le Club ne tient pas ses promesses. Là-dessus, la plus grande opacité demeure encore. La politique de l’autruche semble être la seule qui soit maniée avec talent à Brest, en ce moment.
Mais si la réponse est négative, alors il ne faut surtout pas partir sur un projet pharaonique à 130 M€, à grand renfort d’argent public, mais bien rester sur un projet à 50 ou 60 M€, comme le serait une rénovation du stade Francis Le Blé. Le destin du Stade Brestois 29 restera d’osciller entre la Ligue 2 et la Ligue 1, créant alternativement de grandes déceptions autant que d’immenses moments de joies, collectivement partagées lors de victoires qui resteront dans les mémoires.
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Brest est une ville qui s’y connait en matière d’addictions. Le foot semble inexorablement en faire partie dans des sphères dirigeantes de la cité du Ponant, toujours en manque de reconnaissance nationale. Une façon détournée de s’amarrer et d’exister aux yeux du reste du vieux continent qui leur semble s’arrêter entre Rennes et Nantes. Une quête existentielle se noue avec ce sport qui réussit à effacer les frontières, par médias interposés.
Trente ans après la première chute qui avait déjà fait tourner les têtes de la sphère économique et politique, puis fait condamner le maire, nous assistons à une sévère rechute à cette drogue dure. Une fuite en avant pour aller chercher ces moments d’émotions sportifs, appropriés par des dirigeants économiques ou politiques en manque d’imagination, par rapport à la période que nous vivons.
Nous sommes bien loin de la « raison », claironnée dans le dernier Sillage brestois.
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[1] En dehors du cout enveloppe du projet, toujours annoncé à 106 M€ (avec un scénario à 110 M€), nous ne savons peu de chose officiellement du montage financier du projet dans lequel l’appel à de l’argent public, en subvention ou via des EPL est très important. Idem sur les travaux d’aménagement que portera financièrement en totalité la métropole. Des conférences de presse pour vendre le projet, il y en a eu, mais pour parler des derniers montages financiers, pas vraiment. L’opacité d’un projet privé règne sur un projet où coule abondamment de l’argent public.
[2] La réalité de cette ville et de cette métropole est que la majeure partie des grands projets depuis 2001 furent portés par des adjoints du maire : port de commerce, tramway, port du château, Capucins, téléphérique et Aréna furent avant tout des projets d’Annick Cléac’h et d’Alain Masson. Les grands projets de renouvellement urbain furent largement portés par Jean-Pierre Caroff, avant que je ne prenne sa suite à Bellevue, Recouvrance et Quéliverzan pour défendre le projet à l’ANRU.
Si le maire est toujours celui qui coupe les rubans sur la photo, à Brest, les projets furent rarement à son initiative, même s’il faut lui reconnaitre le fait de les avoir soutenus et ensuite accompagnés.
De nombreux projets furent d’ailleurs impulsés sous les deux mandats de Pierre Maille (à qui l’on doit le technopole) qui a maintenu un fort soutien au développement de Brest comme président du Conseil départemental.
François Cuillandre s’est toujours rêvé en maire bâtisseur, rêvant de laisser une trace architecturale dans sa ville, comme le fit Mitterrand à Paris. Mais en fait, ce furent bien d’autres qui firent ce que Brest est aujourd’hui. Résumer d’ailleurs les grands projets de Brest aux seuls élus serait aussi une profonde méconnaissance de la réalité. Dans l’ombre des services de la ville et de la métropole, de nombreux brillants fonctionnaires ont œuvré avec beaucoup de visions et de mérites pour construire la ville que nous connaissons aujourd’hui.
Les élus ont la fâcheuse propension à s’arroger les idées et les réalisations d’autrui !
En revanche, il faut reconnaitre à tous ces élus (ou bâtisseurs de l’ombre) de ne pas avoir été aussi fans de foot que le maire de Brest et donc de ne pas avoir porté eux-mêmes de projet en ce sens. Seul François Cuillandre portait une ambition pour ce projet. Aujourd’hui, nous pouvons constater qu’il n’y a jamais eu de grand stade d’initié, malgré une réserve foncière existante et que Le Blé est à l’image que notre « maire bâtisseur » a voulu lui donner ! Là encore, il faut que d’autres aient pris l’initiative pour faire avancer un projet… Il est juste dommage que cela ne soit pas le bon.
[3] Nous ne saurons d’ailleurs jamais si cela a été une stratégie des frères Le Saint (voire de François Cuillandre aussi) que de faire croire à un projet 100 % privé avant les municipales, afin d’ancrer leur projet dans les esprits, tout en se laissant le temps de convaincre sur un projet public/privé, potentiellement dealé entre eux dès le départ. Un basculement par petites touches de communications, savamment orchestré dans la presse (partenaire du Club), vers un « financement innovant » apportant plus de 50 % de fonds propres en argent public au projet, au travers de subventions et d’aménagements. C’est une thèse ouverte et je ne doute pas une seconde que les trois-là en soient capables, mais je ne suis pas dans leur tête !
[4] Les règles du PLUi de la métropole de Brest se trouvent sur la page du PLU et plus précisément ici, dans le Volume 1 du Règlement. Avec la fonction recherche (Ctrl F) et le terme « Froutven », vous retrouverez toutes les interdictions attenantes à la zone du Froutven. C’est une zone très regardée et très contrainte sur les possibilités de commerce et d’économie.
[5] Souvenons-nous du combat épique avec les Groupe propriétaires de cinéma pour contraindre l’implantation du multiplexe Liberté dans l’hypercentre de Brest, afin d’éviter de le voir partir en périphérie. Ce fut un bon choix politique qui renforça la dynamique du centre-ville, encore aujourd’hui, 20 ans après. Idem sur le multiplexe des Capucins. Les choix d’aujourd’hui sont les dynamiques de demain.
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Images : montage Le Parisien/Franck Betermin et La Tribune/Nicolas Créach/MaxPPP