Le projet de stade au Froutven à l'ère de la post-vérité
mardi 21 janvier 2025
La pause des vacances de Noël étant passée, je prends un peu de temps pour réagir aux deux articles du Télégramme, datant de décembre, sur le projet de stade au Froutven. Je n’avais pas prévu d'en rajouter par rapport à mes précédentes notes, mais puisque les frères Le Saint montent au créneau pour défendre leur projet publiquement, autant alimenter le débat public... avec de vrais faits.
Retrouvez toutes mes notes sur le stade → ici
Le premier article est celui qui fait état du débat lors du dernier Conseil municipal de Brest, le 10 décembre dernier (ici). Une grosse partie de l’article est en lien avec l’intervention de Glen Dissaux (EELV), dont l’intervention partage un grand nombre d’arguments que j’ai déjà eu aussi le plaisir d’évoquer ici. Petite nouveauté que l’on apprend : les subventions publiques au projet ont augmenté de 12 %, raflant plus de 3 millions d’euros en plus [1] !
Du côté des autres élus, le débat fait de la peine. Reprenons l’article :
« Si on regarde le nombre de villes qui ont un club en Ligue 1 et où le club a investi dans un stade, à part Lyon, il n’y en a pas beaucoup », plaide l’adjoint chargé des sports [Patrick Appéré (BNC)]. François Cuillandre, le maire, prend alors l’exemple du RC Strasbourg. « Sur un projet d’agrandissement à plus de 100 M€, le club, détenu par un fonds de pension américain, se contente de payer 9 M€ », fait-il remarquer. »
Pour les seconds couteaux (les moins affutés du tiroir), tout comme pour le vénérable maire, la tentative de noyer le poisson était bien jouée. La question n’est pas de savoir si les clubs ont financé la rénovation des stades (y.c ceux détenus par de vilains fonds de pension américain !) La question est de savoir si l’argent public a servi à financer des stades, dont les bénéfices de l’exploitation iront très majoritairement dans les poches du privé.
Reprenons l’excellent exemple de François Cuillandre, le maire : la rénovation du stade où joue le Racing Club Strasbourg Alsace : le stade de la Meinau. D’abord, le maire a oublié un petit mot dans sa phrase : ré-no-va-tion. Oui, parce que les Strasbourgeois, ils ont l’intelligence de rénover leur enceinte historique, pas d’aller en construire une nouvelle. P’tite faute d’inattention surement ! 😊 Mais surtout, point de détail, le stade de la Meinau est propriété de l’Eurométropole de Strasbourg (l’équivalent de la métropole de Brest).
Contrairement au projet porté à Brest, le stade reste un équipement public à Strasbourg. Cela veut dire que le club paye pour y jouer (comme aujourd’hui d’ailleurs à Brest) et que tous les bénéfices de la gestion du stade reviennent certainement à l’Europole qui a porté l’investissement, pas à une société de projet très majoritairement détenue par des acteurs privés, comme cela se décide à Brest.
Le projet de Strasbourg est un projet classique de portage immobilier. L’investisseur finance, puis se rémunère sur la location. A Brest, c’est l’inverse. L’argent public porte la majorité des fonds propres mis dans le stade (hors prêt bancaire de 39 M€ et avance sur loyer du club de 15 M€), mais récupère des cacahuètes à la fin. Rappelons que les fonds propres émanant du privé (Holdisports et banques) dans le projet sont estimés aux alentours de 15 M€ sur les 110 M€, mais que cela devrait leur permettre de percevoir une très large majorité des bénéfices du projet.
Donc, à Brest, les contribuables vont mettre 42 M€, les privés 15 M€, mais ces derniers récoltent la majorité des bénéfices. Nous sommes très loin des projets classiques. On pourrait même se demander si ce n’est pas un cadeau direct d’argent public à une entreprise privée. Bon, actons que c’est petit joueur, puisque Elon Musk a réussi à monter SpaceX avec 95 % d’argent public ! Les frères Le Saint ont encore un peu de marge.
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Justement, parlons de nos deux entrepreneurs sportifs. Le second article du Télégramme leur est entièrement consacré. Six jours après le Conseil municipal agité autour de la question du stade, les frères Le Saint remontent au créneau pour défendre le projet de futur stade. On notera que Le Télégramme oublie à chaque article de mentionner qu’il est lui-même « partenaire officiel » du Stade Brestois 29, comme les entreprises Leclerc, Guyot, Bervas ou Prince de Bretagne. Pour leurs lecteurs, le minimum de l’éthique journalistique serait de mentionner ce fait anecdotique sur ce dossier particulier. Les conflits d’intérêt, ça existe. D’autant plus quand les articles, comme celui-là, ne sont même pas signés du nom d’un journaliste.
Alors, quels arguments utilisent les deux co-présidents, les frères Le Saint, pour défendre leur projet ? À ce stade (sans jeu de mot), nous pourrions dire que nous sommes passés à l’ère de la post-vérité. Droit dans les yeux, ils nous racontent de belles histoires. Plutôt que de reprendre l’article du Télégramme qui est de seconde main (et non signé), je vous propose une lecture commentée du communiqué de presse que l’on retrouve sur le site du Stade Brestois 29 : ici.
ARKÉA PARK : NOTRE INTÉRÊT À TOUS
Communiqué de Presse des porteurs de projet (17/12/2024)
Mardi dernier était une journée doublement importante pour le Stade Brestois 29. En milieu d’après-midi, la ville de Brest a donné un avis favorable au dossier d’intérêt général d’Arkéa Park, une reconnaissance rare, dont 7 infrastructures sportives seulement bénéficient en France. Quelques heures plus tard, le club enflammait le cœur de ses supporters en décrochant une victoire en Ligue des Champions, à domicile…et pourtant à 110 kilomètres de chez nous.
Commentaire : Dès le départ, les frères Le Saint ne cachent pas le caractère rare de ce que leur a octroyé la Ville de Brest. En effet, le fait de considérer un stade comme un projet d’intérêt général leur donne les pleins pouvoirs sur de nombreux sujets d’urbanisme. Nous verrons une prochaine fois comment la métropole a utilisé cet artifice de façon bien nauséabonde. Donc dès l’introduction, nous voyons que les élus font un cadeau très significatif aux frères Le Saint en leur octroyant une sorte d’atout en matière d’urbanisme.
Deux événements qui nous poussent à entrer dans le débat public, pour défendre notre conviction que cet équipement est indispensable, pour le club, mais aussi pour notre territoire. Il nous apparait aussi nécessaire de corriger quelques imprécisions et certaines contre-vérités.
Commentaire : « quelques imprécisions et certaines contre-vérités » Oh la bonne blague ! Ce sont bien les frères Le Saint qui manipulent l’imprécision et l’absence de transparence. Où est l’étude sur la rénovation de Le Blé ? Où peut-on trouver l’explication du montage financier ? Hey, il ne faudrait pas nous la faire à l’envers, comme dirait l’adjoint aux sports ! Concernant les contre-vérités, la lecture de la suite sera intéressante.
ARKÉA PARK : LE COÛT POUR LA MÉTROPOLE SERA DEUX FOIS MOINS IMPORTANT QUE POUR UNE RÉNOVATION DE LE BLÉ
Commentaire : les frères Le Saint se mélangent les pinceaux quand ils montent au créneau : ce n’est pas la métropole qui est la propriétaire de Le Blé, comme ils l’affirment dans ce communiqué, mais la ville de Brest. Ce serait donc à Brest de porter financièrement les rénovations. Accordons-leur que la ville aurait dû céder le stade à la métropole depuis longtemps, si l’ambition politique avait été au bon niveau… ce qu’elle n’est plus depuis longtemps concernant Le Blé.
Le « nouveau stade », Arkéa Park est un projet financé à majorité par de l’argent privé, avec une participation des collectivités publiques (Région Bretagne, Département du Finistère, Brest métropole…). Ce modèle et son budget cible, de près de 106 M€, restent notre objectif.
Commentaire : Ben non ! Pas d’accord, si on parle de fonds propres, ce qui est le cas dans tout projet immobilier. L’apport en argent public est au-dessus de 30 M€ (probablement proche de 35 M€, si on compte les SEM) et l’argent privé est celui qui est mis dans l’actionnariat de la société de projet, soit entre 15 et 20 M€ (on ne le sait même pas réellement #Opacité). Donc, reprenez vos cours de maths, 30 est plus grand que 20… Aux dernières nouvelles.
Pour faire ce tour de passe-passe, les frères Le Saint considèrent surement l’emprunt de 39 M€ comme étant de l’argent privé. Or, ce n’est pas réellement de l’argent que le privé met dans le projet, c’est l’argent issu du modèle économique du projet (les locations notamment, mais aussi les recettes du naming ARKEA, par exemple). C’est d’autant plus incorrect d’afficher cela ainsi puisque la métropole va porter 50 % de la prise de risque sur cet emprunt, via une garantie d’emprunt.
Donc, pas d’accord ! Pour être honnête, il faudrait dire que le public met deux fois plus de fonds propres dans le projet que le privé, voire encore un peu plus si l’on considère les couts d’aménagements.
Même si les équilibres financiers ont évolué dernièrement, il est faux de dire que la part d’argent privé diminue dans le financement d’Arkéa Park. Au contraire, grâce à la mobilisation des partenaires du Stade Brestois 29, l’investissement privé au capital de la société a même augmenté de 2,5 M€.
Commentaire : Allez, on remélange tout. De quoi parlent-ils ici ? Il est fort à parier qu’ils parlent du pacte actionnarial à l’intérieur de la société de projet qui portera juridiquement l’ensemble (lire ici ou là). Ce qu’il semble falloir lire entre ces lignes, c’est que l’actionnariat privé est en train de grimper dans ce petit « véhicule opaque » qui ne finance qu’un cinquième du projet. La conséquence serait alors que la participation aux bénéfices du public (via les SEM de la métropole) serait en train de diminuer.
Waouh, si c’est bien cela (à vérifier une fois qu'ils joueront cartes sur table), ils sont très forts ! Ils nous annoncent tranquillement qu’ils demandent plus d’argent public en subvention (+12 % vu au Conseil de décembre), mais qu’en contrepartie, ils vont augmenter la part des bénéfices pour le privé dans la société de projet. Ce serait un joli cadeau des élus de Brest !
Mais surtout, la participation publique est beaucoup, beaucoup moins importante que ce qu’elle aurait été dans le cas du scénario alternatif : la rénovation du Stade Francis Le Blé.
Commentaire : Encore faux ! Le coût de la rénovation de Le Blé est évalué à 60 M€ (ils le rappellent eux-mêmes plus bas, en incluant les aménagements). Le montant global des subventions est de 30,2 M€, d’après le dernier conseil municipal, auquel il faut rajouter 11,5 M€ d’aménagements. Donc nous sommes sur un total de plus de 40 M€. Bon, les gars, achetez-vous une calculette : 40 x 2, cela ne fait pas 60 !
Par ailleurs, et c’est le plus important, en restant propriétaire du bâtiment, la ville de Brest resterait le bailleur du stade. Elle continuerait à percevoir les recettes de la location au club, ce qui permettrait d’équilibrer tout ou partie les couts d’investissement de la rénovation sur 10 ou 20 ans. C’est cela le montage classique des autres villes, une logique d’investisseur basique. Dans le montage des frères Le Saint, les subventions publiques de 30 M€ sont des dons sans contrepartie. Ce sont des cadeaux au privé.
Donc, tout faux, le cout de la rénovation de Le Blé est globalement beaucoup, beaucoup moins important pour les finances publiques que le projet ARKEA PARK.
Rénover Le Blé n’aurait pas seulement été inefficace : car ne réglant pas les problèmes structurels de stationnement, embouteillages, impossibilité de développer des services, liés à la situation foncière étriquée en centre-ville. Rappelons qu’à chaque match, les joueurs et les régies TV sont obligés de se garer dans les cours des établissements scolaires Charles de Foucauld et de L’Estran, et que le centre de secours est hébergé dans l’école maternelle…
Commentaire : C’est bien sympa de dire cela, sauf qu’il n’y a eu aucune étude rendue publique sur le sujet, incluant des réponses à toutes ces questions. La ville de Brest n’a toujours pas diffusé l’étude qu’elle a fait réaliser et qui démontre que la rénovation est tout à fait possible, pour beaucoup moins cher.
Rénover Le Blé n’aurait pas seulement été une importante source de nuisances pour les riverains : travaux, élévation des tribunes, démolition de logements privés et d’un à deux bâtiments de l’école Charles de Foucauld…
Commentaire : la bonne blague ! Comme le dit Le Télégramme ici : « Que faire de Le Blé, ex-l’Armoricain ? Un projet immobilier au regard du manque de logements sur la ville semble évident. Mais comment ? Pour quel coût ? Avec une dose de « souvenirs rouge et blanc » sur ce terrain d’1,2 hectare ? Tout reste à imaginer et à formaliser. »
Les promoteurs se frottent déjà les mains pour cette parcelle dans le centre-ville de Brest. Croyez bien que les immeubles pousseront bien verticalement. De cette parcelle et en hauteur, vous avez une des plus belles vues sur Brest jusqu'à la rade. Une vue fort recherchée, car elle fait monter les prix de vente au mètre carré. Alors, chers riverains, grâce aux frères Le Saint, va falloir vous habituer aux chantiers, aux immeubles et aux voitures, pas seulement 17 fois dans l’année, mais tous les jours !
Rénover Le Blé n’aurait pas seulement pénalisé les spectateurs : car pendant les 4 années de travaux, la jauge aurait été réduite de 25% à 40% suivant les tribunes en travaux, avec des conséquences sur l’ambiance dans le stade, et sur le moral et les performances de l’équipe. Des clubs comme Angers et Clermont-Ferrand ont connu des descentes en ligue 2 au moment même où leurs stades étaient en rénovation. Simple coïncidence ?
Commentaire : oui, là je suis d’accord. Comme pour le tramway, rénover un stade a forcément des impacts négatifs important sur les années du chantier. C’est toujours vrai. Mais on aurait pu construire le tram à Guipavas et ensuite déménager Brest. Je ne sais pas pourquoi on n’y a pas pensé… Peut-être parce que c’est stupide, non ? D’ailleurs, la majorité des autres villes tablent actuellement sur des rénovateurs de leurs enceintes historiques. C’est plus logique.
Comme tout bon entrepreneur actuel, seuls les résultats comptent. Nous sommes là sur du « quoi qu’il en coûte », d’autant plus que l’argent public viendra très largement renflouer l'impossible équilibre économique de ce projet. Le fait de ne pas avoir à contraindre les matchs est surement un argument de poids dans le choix actuel. Mais claquer 50 M€ de plus pour éviter les impacts sur les performances de l’équipe, c’est la logique d’un propriétaire de club de foot, cela ne devrait pas être celle de responsables publics. Ce n’est d’ailleurs pas ce qu’ils font sur d’autres équipements, comme le Quartz dernièrement, par exemple.
Non, rénover Le Blé aurait surtout été très coûteux pour les finances publiques : 60 millions d’euros, payés intégralement par les contribuables brestois. C’est pour toutes ces raisons que la métropole a définitivement écarté cette option.
Commentaire : ils insistent lourdement, mais cela ne rend pas l’argument plus vrai ! Comme expliqué plus haut, et c’est valable pour les autres équipements métropolitains publics de Brest (notamment ceux gérés par Brest’aim), une grande partie des couts d’investissement sont ensuite récupérés via la location de l’équipement ou son usage. Ce qui n’est pas le cas dans le projet des frères Le Saint qui prévoit que ce soit leur société qui encaisse les recettes et non la ville ou la métropole.
Et non, ce n’est pas pour cela que la métropole a écarté le projet. Elle l’a écarté, car son président/maire n’a rien fait pour Le Blé et a toujours rêvé, depuis les années 2000, d’un stade au Froutven (déjà raconté ici). Rien à voir avec une analyse solide, logique et surtout transparente.
À l’inverse, si on considère la participation globale de Brest métropole dans le projet Arkéa Park, incluant subventions, apport en capital via les SEM, et aménagements publics ; celle-ci est deux fois moins importante qu’elle n’aurait été en cas de rénovation de Le Blé.
Commentaire : Toujours faux et déjà expliqué plus haut. Cela radote pour marquer les esprits, mais ce n’est pas très fort en démonstration étayée, tout cela.
Concernant les aménagements publics affectés au projet, il est important de rappeler que le chiffre de 11,5 millions d’euros régulièrement évoqué n’est pas exact, puisqu’il comprend des aménagements qui avaient été programmés de longue date, indépendamment d’Arkéa Park, pour soutenir le développement de la zone du Froutven. Seuls sont imputables au projet la création d’un site de stockage de rames de tramway et l’aménagement du rond-point du boulevard François Mitterrand.
Commentaire : j’aurais envie de les croire sur parole, mais vu la qualité des faits énoncés au-dessus, nous sommes en droit d’en demander un peu plus.
Si les 11,5 M€ ne sont pas nécessairement tous imputables au stade, et bien qu’ils le disent et qu’ils donnent les chiffres et les projets d’aménagement concernés. L’opacité n’a jamais servi la sincérité.
Nous aurons prochainement l’occasion de présenter aux Brestoises et aux Brestois, dans la plus grande transparence, le détail de ces contributions budgétaires.
Commentaire : nous attendons, avec impatience ! Ce n’est juste pas honnête que ces éléments soient exposés après que toutes les décisions aient été prises, avec un permis de construire déjà déposé. Se gausser de faire « la plus grande transparence »... juste avant la pose de la première pierre, ce n’est pas ce que j’appelle laisser le débat public se faire.
Lors de la concertation de 2022, les porteurs du projet s’étaient déjà fortement engagés (p. 37 du bilan de la concertation, plein de contrevérités aussi) : « Les porteurs de projets ont rappelé leur fort attachement à mener ce projet pour et avec le territoire. Il a été rappelé que depuis le début, le projet est mené dans le dialogue avec l’ensemble des acteurs du territoire (collectivités, associations, riverains, grand public…) et continuera à faire l’objet de d’échanges en toute transparence, dans les futures étapes de son déploiement. » Actons que, jusqu’à maintenant, cette belle promesse n’a pas été tenue. Ce dossier se construit dans l’opacité des présidents, avec de l’argent public.
NI PROPRIÉTAIRE, NI EXPLOITANT, NI BÉNÉFICIAIRE
Un projet lucratif pour un enrichissement personnel, Arkéa Park ? Non, un projet raisonné, assis sur un modèle économique pertinent.
Commentaire : amusant ! Comment ne pas répondre à la question que l’on s’est soi-même posée ! Ce projet peut être à la fois « raisonné et assis sur un modèle économique pertinent » et être « un projet lucratif pour un enrichissement personnel ». Aucune incompatibilité. Je dirais même que si les porteurs de projets ne sont pas des imbéciles, ils ont grand intérêt à avoir « un projet raisonné et assis sur un modèle économique pertinent ». D’ailleurs, vous en connaissez beaucoup, des entrepreneurs ambitieux qui partent sur un projet irraisonné, sans modèle économique ? Des élus, c’est moins sûr !
Raisonné d’abord parce qu’il n’a pas la folie des grandeurs. La configuration du stade s’adapte à toutes les situations du club (Ligue 1, Ligue 2 et même Coupe d’Europe) et la jauge de 15 000 places reste identique à celle de Le Blé. C’est un gage de responsabilité, tant budgétaire qu’environnemental.
Raisonné ensuite parce qu’il repose sur l’optimisation des usages. On ne le répétera jamais assez : on ne construit pas Arkéa Park pour 17 journées de championnat, mais pour 365 jours par an. Tout au long de l’année, l’enceinte proposera des activités et services de proximité aux habitants du territoire : loisirs, sport pour les personnes en situation de handicap, restauration, crèche…
Commentaire : En dehors du fait que l’on ne peut pas définir ce projet comme de bonne gestion environnementale puisque seule une rénovation aurait du sens de ce point de vue-là, pour le reste, je suis d’accord.
C’est un projet très raisonné, pour faire du business. Nous ne sommes pas dans la folie des grandeurs de ces grands stades à moitié vides la majeure partie du temps, qui existent dans certaines villes du fait de la pression des fédérations nationales, notamment. Ce projet est raisonné, pour sortir du cash. Comme l’ont dit certains, c’est avant tout une machine à cash pour les actionnaires de la société de projet. Dans cette perspective, il est en effet dimensionné en fonction des usages futurs et d’un remplissage optimum. Je fais confiance aux frères Le Saint sur cet aspect-là, ils savent faire en matière de rendements financiers.
Nous, porteurs de projet, ne serons pas propriétaires d’Arkéa Park. Le terrain d’assiette restera la propriété de Brest métropole et la construction lui sera transférée, à l’issue du bail à construction.
Nous, porteurs de projet, ne serons pas non plus exploitants exclusifs de l’enceinte. 100% des exploitants seront des entrepreneurs privés et nous privilégierons les entreprises issues du territoire.
Enfin, nous porteurs de projets, ne serons pas bénéficiaires des recettes de l’exploitation. 100% de ces recettes – issues notamment des loyers - seront perçues par le Stade Brestois 29, pour consolider et pérenniser le modèle économique du club, l’un des plus petits budgets de Ligue 1, fragilisé par la baisse des droits TV. Quant aux résultats de la société de projet, ils seront prioritairement mobilisés pour rembourser l’emprunt bancaire de 39M€.
Commentaire : bon, les anaphores, c’est un peu éculé comme style depuis la prestation de Hollande : « Moi, Président de la République …. » Mais bon, en Cuillandrie, cela se pratique surement encore !
Sur le fond, les arguments sont très tordus. En effet, plutôt que de vendre la parcelle, la métropole a choisi de faire un « bail à construction » plutôt très favorable aux porteurs du projet. Au bout d’une durée, que l’on ne connait pas (ont été évoqués 50, 60 ou 70 ans #Opacité), l’enceinte reviendra dans le domaine public (sans que l’on connaisse les conditions de retour non plus #OpacitéBis). À cet horizon lointain, personne ne sait dire aujourd’hui si un stade de ce type sera encore utile, vu les changements profonds de la société à venir dans les 20 prochaines années. Mais même sans cela, ce sera une enceinte usée. Lorsque l’on voit le cout de la rénovation de Le Blé, c’est cela qui attend la métropole à l’horizon de ce délai. Super cadeau pour les Brestois qui naissent aujourd’hui ! Les grands décideurs d’aujourd’hui (et moi avec) seront tous morts d’ici là.
Ensuite, ils affirment ne pas être les exploitants exclusifs de l’enceinte. C’est jouer sur les mots. En effet, en dehors du stade qui sera loué au Stade Brestois 29 (donc à eux-mêmes), pour le reste, la société de projet sera un bailleur. La société de projet gérera des espaces à vocation économique dans l’enceinte. Les exploitants seront les locataires. Cela n’empêche pas qu’ils toucheront les loyers (ils seront les rentiers du stade, donc !) Ce projet est avant tout une opération immobilière, dont la vocation reste de tirer des profits.
Le dernier point tient de l’escroquerie intellectuelle : « nous ne serons pas bénéficiaires des recettes d’exploitation. 100% de ces recettes seront perçues par le Stade Brestois 29 ». Mais, ils sont actionnaires quasi uniques de la SA Stade Brestois 29. Leur argument est de dire : ce que nous gagnerons dans la poche droite, nous en ferons don à notre poche gauche !
À les entendre, le Stade Brestois 29 serait une institution publique d’intérêt général à laquelle, dans leur grande générosité, il ferait don de tous les bénéfices issus de l’enceinte. Mais non, la SA Stade Brestois 29 est une société anonyme (SA) dont ils ont acheté 99 % des parts pour environ 1,6 M€ en 2021 (lire ici). Les frères Le Saint ne sont pas plus des mécènes que les autres propriètaires de club (vous vous souvenez : les odieux fonds de pensions américains qu'aiment à pointer du doigt notre maire en conseil). Si nous pouvons leur reconnaitre une passion pour le football, ils sont aussi des investisseurs avertis et engagés pour faire fructifier leur investissement. Les bons résultats du club et leur boni vont de pair et ils le savent parfaitement. D’ores et déjà, du fait de la montée en Ligue des Champions, le club vaut bien plus que le prix auquel ils l’ont acheté en 2021 et il continuera de grimper si les performances se maintiennent.
Et non, être propriétaire d’un club et construire un stade ne relèvent pas d’une stratégie de gestion d’actifs à des fins d’enrichissement. Depuis 9 ans à la tête du Stade Brestois, nous n’avons jamais touché ni revenu, ni salaire, et ce n’est pas notre objectif : c’est bien l’amour de notre territoire, l’envie de faire grandir ce club qui nous motivent. Il n’y a pas de mot pour dire l’engagement affectif qui nous lie au Stade Brestois. Et nous avons la faiblesse de croire que le fait d’être détenu par une entreprise familiale locale fait aussi partie de l’âme et des valeurs du club, célébrés comme une « bouffée d’air frais » dans le paysage du football professionnel.
Commentaire : on sombre là dans le pathos ! C'est un grand classique des argumentations non argumentées. Ben oui, ni salaire, ni revenu, parce que ce n’est jamais l’objectif recherché de ce genre d’investissement. Quant à l’amour, l’envie, l’engagement affectif et la faiblesse de croire, cela me fait bien rire de la part de co-présidents qui, en 2023, ont menacé publiquement de vendre leurs deux clubs si leur projet de stade, leur machine à cash, ne se faisait pas parce que l’argent public ne suivait pas. Quand Denis Le Saint confie à Ouest-France : « Si le projet ne se fait pas, on se retire du foot et du hand », personnellement, je vois plus un entrepreneur capricieux et soucieux de ses intérêts que la belle prose onirique ci-dessus (et celle-ci-dessous aussi d’ailleurs !)
Convaincus que le Stade Brestois 29 a besoin d’un outil pour se développer et conscients aussi des contraintes et des priorités qui pèsent sur l’argent public, nous avons proposé ce projet assis sur un modèle économique solide et encore une fois, financé à majorité par de l’argent privé.
Commentaire : Faux ! Financé en majorité par des fonds propres issus d'argent publics.
UN PROJET D’INTÉRÊT GÉNÉRAL
Commentaire : personnellement, je ne considère pas un équipement privé, pour une équipe de foot professionnel privé et fonctionnant comme une galerie commerciale privée 95% du temps, comme un projet d'intérêt général. Mais bon, admettons que cela puisse être débattu, dans le monde tordu dans lequel nous vivons.
Il n’est pas illégitime pour autant d’y inclure une participation des collectivités publiques.
Car de même que le Stade Brestois 29 contribue au rayonnement de Brest – oui notre terre a le vent en poupe depuis l’année dernière ! -, Arkéa Park renforcera l’identité et l’attractivité du territoire. A chaque décennie son équipement structurant : après Océanopolis (1990) et les Capucins (2016), Arkéa Park promet d’être le nouveau lieu emblématique brestois !
Commentaire : ce n’est malheureusement pas faux, c’est même d’ailleurs LE projet : capter dans ce lieu l’attractivité sur la métropole et au-delà, pour la louer au prix fort afin de renforcer financièrement leur club de foot. Mais ce seront les petits Brestois qui payeront dans leurs impôts les subventions de rééquilibre pour l’Aréna ou le Parc de Penfeld, quand un équipement privé (financé avec de l’argent public) leur aura volé la vedette et les contrats qui vont avec. Nous ne sommes pas un territoire si attractif pour que l’on puisse multiplier les grands équipements métropolitains à l’infini. Les contribuables payeront la facture indirectement, tout comme l’attractivité du centre-ville de Brest d’ailleurs qui se déplacera un peu plus en bordure de métropole.
C’est vrai, ce ne sera pas un stade en centre-ville : mais ce sera un stade au cœur de la métropole. Il n’est pas inutile de rappeler que 70% des abonnés du club habitent en dehors de la ville de Brest. En cela Arkéa Park rétablit une forme d’équilibre géographique. Pour garantir l’accessibilité, la fluidité et la sécurité des déplacements, nous continuons à travailler avec la métropole et les commerçants, notamment pour trouver un dispositif alternatif au projet de passerelle. La desserte en transports en commun et en voies cyclables va permettre d’assurer des modes de déplacement vertueux. Nous allons signer des conventions avec les entreprises à proximité du site afin de pouvoir mobiliser leurs parkings les jours de match ; cela permettra l’accès à la partie Nord-Est du stade, en moins de 20 minutes à pied. On estime que 47% des flux viendront du Nord, 31% de l’Ouest (via le tramway) et 22% de l’Est.
Commentaire : j’adore « Arkéa Park rétablit une forme d’équilibre géographique ». Tout ce que l’on a essayé d’éviter depuis 20 ans en matière d’urbanisme et ce qui a tué de nombreux centres-villes français sous ce genre de belles promesses. Et une fois que les centres-villes dépérissent, bonne chance pour récupérer le coup.
Sur la question du tramway, j’aimerais bien voir leur super étude. Ils affichent que 31 % des flux viendront du tramway (c’est précis !). Sur un stade de 15 000 personnes, cela fait donc 4650 personnes (j'ai une calculette, moi). Les rames de tramway font 200 passagers maxi (info Mon réseau grandit), donc il faudra plus de 23 rames pleines à 100 % pour gérer ce flux. Nous ne connaissons pas le projet, mais il va falloir la création d’un super site de stockage de rames de tramway (évoqué plus haut) pour stocker toutes ses rames (et donc beaucoup moins sur le reste du réseau), puis les cadencer. À raison d’une rame pleine toutes les 5 minutes, il faudra deux heures pour évacuer le flux évoqué d’après match. Je reste très dubitatif… Le tramway ne permettra pas d’évacuer 31 % des flux du stade les jours de match (ce sera peut-être possible le reste de la semaine, mais je doute que cela soit le cas pour la zone du Froutven aujourd'hui). Si transport public il y a les jours de match, ce sera par des bus spéciaux à mettre en place et à payer en plus du réseau actuel.
Non, là où il est placé, le projet de nouveau stade est bien un projet du (presque) tout voiture, pour lequel les parkings créés sont bien en-deçà de la jauge du stade. Cela sera un joli bazar les jours de match !
À l’opposé et, comme je l’ai déjà dit (ici), Le Blé dispose d’un double flux de tramway (Nord et Sud) et d’un maillage dense de bus place de Strasbourg. Tous les supporters peuvent se garer dans Brest, à proximité d’un arrêt, puis rejoindre en réseau de transport en commun très facilement. Il n’y a rien à faire de nouveau.
Stade de foot mais aussi espace d’activités et de loisirs, 365 jours par an, Arkéa Park va contribuer à dynamiser une zone stratégique, créant des activités et des emplois au bénéfice de toute la métropole. 1 000 emplois seront mobilisés pour la construction ; 1 000 personnes seront employées les jours de match (contre 700 à Le Blé) ; entre 300 et 400 emplois seront créés pour l’exploitation.
Commentaire : ah, l’argument massue de l’emploi cher aussi à M. Cuillandre : « je crée de l’emploi, donc j’ai toujours raison ». Lorsque ces gens-là créent de l’emploi, il n’y a plus de discussion possible. C’est une forme d’affirmation du pouvoir qu’ils ont sur les autres, mais c’est surtout un argument démagogique pur dans le cas présent.
Nous allons injecter 40 M€ d’argent public dans ce stade, cela représenterait le cout de 4 écoles environ. Pensons-nous vraiment que ces écoles se seraient construites via les bénévoles des APE et ne généreraient aucun emploi ? Toute dépense d’investissement d’argent public crée de l’emploi. C’est une affirmation qui n’a pas de sens, elle témoigne plutôt de la faiblesse des autres arguments.
La seconde ligne de tram crée de l’emploi tout comme le ferait la rénovation de Le Blé. Dans le BTP, l’emploi créé est globalement proportionnel au montant d’investissement. Si on finance un stade de 110 M€, avec 11,5 M€ d’aménagements autour, évidemment que cela va créer de l’emploi. Est-ce pour cela qu’il faut faire n’importe quoi ? Non. La question est celle du bon usage de l’argent public, car dans tout autre usage possible de cet argent, nous créerions aussi de l’emploi. Idem sur le fonctionnement de ce futur stade.
Le chantage à l’emploi est un argument typique des entrepreneurs pour s’assoir sur tous les principes sociaux et environnementaux. Il est désespérant de voir des élus, soi-disant de gauche, tomber dans ce panneau. Un argument plus souvent utilisé par la droite que la gauche d’ailleurs.
Enfin, nous avons souhaité mettre au cœur du projet une cause qui nous est chère : l’inclusion. L’enceinte accueillera un club multisports Sport Adapté, pour permettre à des jeunes en situation de handicap mental ou psychique de pratiquer de nombreuses activités sportives qui n’existent pas aujourd’hui dans le département. Arkéa Park sera une vitrine de l’accessibilité universelle, et un tremplin pour l’insertion professionnelle des personnes en situation de handicap. Jamais un stade de Ligue 1 n’avait fait une telle place à la problématique du handicap.
Commentaire : Oui, c’est une bonne chose, mais une rénovation le permet tout autant. Croyons-nous que toutes les villes qui rénovent (Strasbourg, par exemple) font des stades non accessibles aux personnes handicapées. Non, pour la simple raison que c’est une obligation légale, et il n’est jamais interdit d’aller plus loin que la loi sur ce sujet, d’ailleurs.
Alors que nous sommes tous emportés par la magie de l’épopée européenne, n’oublions pas que nous restons un petit parmi les gros. La situation actuelle, qui dure depuis près de 15 ans, consistant pour le Stade Brestois 29 à solliciter des dérogations pour jouer dans un stade qui n’est pas aux normes du football professionnel, n’est plus soutenable. Son développement et sa pérennité ne sont pas assurés si on ne dote pas le club d’un stade à la hauteur des ambitions, le stade que notre territoire mérite !
Commentaire : Je trouve que l’expression « nous sommes tous emportés par la magie de l’épopée européenne » est parfaitement juste ! Personnellement, j’adore la magie, la prestidigitation. C’est l’art de détourner l’attention de la réalité, pour faire croire, par de belles paroles, que les choses se font de façon simple et magique. On appelle aussi les magiciens des illusionnistes, voire même des manipulateurs !
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Bon, vous l’aurez compris, voilà un argumentaire pas très convaincant des frères Le Saint, dès que l’on se donne la peine de creuser et de réfléchir un tant soit peu. Si l’objet de ce communiqué était de donner des éléments pour la réflexion, nous les cherchons encore. Le texte dévoile très peu de faits nouveaux et reprend de nombreuses contrevérités déjà répétées depuis le début de ce projet.
L’ambition de ce texte est moins la transparence (pourtant très attendue) que donner des arguments faciles à ceux qui défendent « coûte que coûte » un projet coûteux pour les finances publiques et dont les bénéfices des premières décennies iront très largement dans les poches du privé, pour rendre enfin une enceinte usée au finances publiques dans 50 ou 60 ans.
Ah, le foot ! Cette religion qui fait tourner les têtes. Pas celles de tous, à priori…
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[1] Le projet initial prévoyait 27 millions d’euros de subventions publiques. L’article fait état aujourd’hui de 30,20 millions d’euros, sans compter les 11,5 millions d’euros d’aménagement que la métropole de Brest investira elle-même pour le projet aussi.
[2] Les quelques 110 M€ ne comprennent pas les 11,5 M€ déjà annoncés par la métropole pour les aménagements publics autour du stade.